Berlin. Fille de l’ancien ministre-Président de Basse-Saxe (1976-1990) Ernst Albrecht, Ursula Albrecht semble avoir hérité du vigoureux engouement politique paternel. Descendante d’une famille bourgeoise et aristocratique de la Hanse, elle passe son enfance dans son pays natal, la Belgique, où elle fréquente l’École européenne et acquiert son bilinguisme franco-allemand.

Après des études de sciences économiques dans les universités de Göttingen et Münster ainsi qu’à la prestigieuse London School of Economics, Ursula von der Leyen se voue, de 1998 à 2002, à une carrière de médecin et de chercheuse à la faculté de médecine de Hanovre1. Elle épouse Heiko von der Leyen, professeur de médecine et membre de la famille d’entrepreneurs de soie von der Leyen ; le couple a sept enfants.

Ursula von der Leyen rejoint l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en 1990, alors que son père est vice-président de Basse-Saxe. Onze ans plus tard, elle débute son véritable parcours politique lors de son élection au sein de l’Assemblée de la région de Hanovre. Élue, en février 2003, députée au Landtag de Basse-Saxe, elle est nommée en mars de la même année ministre régionale des Affaires sociales, des Droits des femmes, de la Famille et de la Santé. En 2004, le 18e congrès fédéral de la CDU, convoqué à Düsseldorf, joue un rôle majeur dans son ascension, en consacrant son accession au bureau (Präsidium) du parti.

Lors de la campagne de 2005, Angela Merkel remarque les qualités d’Ursula von der Leyen et l’intègre dans son équipe de campagne comme chargée des questions sociales. Élue, la chancelière la nomme ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Droits des femmes et de la Jeunesse au sein de la grande coalition CDU-SPD. Von der Leyen y conduit une politique familiale réformiste, notamment au travers de l’accroissement significatif du nombre de places de crèches. Si sa volonté de renouvellement va parfois à contre-courant des positions de son parti, la mise en place d’un salaire parental couplé à un congé paternel facultatif, conforme à la ligne conservatrice, lui vaut aussi les critiques des progressistes.

Élue députée au Bundestag lors des élections législatives de septembre 2009, elle remplace bientôt Franz Josef Jung, démissionnaire, en tant que ministre fédérale du Travail et des Affaires sociales. Lors de son mandat, Ursula von der Leyen réaffirme sa position réformiste au sein du parti conservateur. Son ascension au sein du parti s’accélère une fois de plus lors du 23e congrès de la CDU à Karlsruhe où elle est élue à une majorité écrasante (85,12 %) à la vice-présidence du parti.

Au ministère de la Défense, un passage aussi remarqué que contesté

Initialement pressentie comme ministre de la Santé, Ursula von der Leyen devient ministre de la Défense le 17 décembre 20132. Première femme nommée à ce ministère, la deuxième en poste dans un ministère régalien, le caractère historique de sa nomination ne s’arrête cependant pas là, car nombreux sont alors ceux qui voient en elle le successeur logique d’Angela Merkel3. Son mandat se caractérise par un soutien marqué au multilatéralisme et à la coopération militaire européenne ainsi que par une volonté de modernisation de la défense allemande.

À peine nommée, von der Leyen se rend à trois reprise en Afghanistan4 aux côtés des troupes allemandes. La volonté de réapprovisionner les peshmergas kurdes avec des armes létales en 20145, le choix de maintenir les troupes allemandes en Afghanistan suite à la prise inattendue de la ville de Kondoz par les Taliban en 2016 ou le refus d’approvisionner l’Ukraine en armes lors du conflit Ukraino-Russe témoignent d’une volonté affirmée de consolider la politique étrangère allemande. Face à la menace de Daech, elle débloque également 65 millions d’euros afin d’instaurer une présence militaire dans la base d’Incirlik6.

Le multilatéralisme d’Ursula von der Leyen est une des caractéristiques majeures de sa politique de défense. Lors de la crise de Crimée, la ministre prône des négociations entre une voix européenne unifiée et la Russie, au risque de voir les oligarques et la société civile russe se tourner vers Vladimir Poutine par crainte des sanctions européennes7. Sa tribune du 18 janvier 2019 dans le The New York Times8 plaidant pour davantage de multilatéralisme entre les pays occidentaux ainsi que son appel à une meilleur protection des pays baltes par l’OTAN9 soulignent le souhait d’une croissance d’un multilatéralisme made in von der Leyen.

À l’image de ses précédents mandats, la présence d’Ursula von der Leyen à la Défense se traduit par une volonté de modernisation. Dès 2014, elle souhaite rendre la Bundeswehr plus attrayante à l’emploi et offrir la possibilité d’une garde d’enfants des soldats ainsi que l’augmentation des primes de risques. Sa deuxième préoccupation concerne l’amélioration de la gestion du budget militaire. Un rapport de KPMG révèle une mauvaise gestion des délais et des coûts de transport d’Airbus, permettant au Ministère de la défense de lancer une procédure d’indemnisation (13 millions d’euros puis 12,7 millions d’euros d’indemnisation pour quatre avions livrés en retard). L’effort de modernisation se traduit également par le lancement de projets innovants comme la construction, suite à une visite en Inde, de six sous-marins diesels-électriques TKMS (ThyssenKrupp Marine Systems), ainsi que par la mise en place d’une nouvelle force de cyber-défense.

Son action ministérielle n’est toutefois pas exempte de critiques. Des mots durs à l’égard de la hiérarchie militaire, prononcés en 2017 suite à la découverte des projets d’attentats d’un officier néo-nazi, ont jeté un froid entre la ministre et ses hommes : « La Bundeswehr a un problème d’attitude, et elle a visiblement des faiblesses de commandement à plusieurs niveaux » avait-elle alors déclaré10. En 2014, des soupçons de plagiat dans sa thèse de doctorat en médecine se soldent par le maintien de son titre par la faculté de Hanovre malgré des irrégularités avérées. Ces derniers mois, la controverse autour de l’explosion des coûts de rénovation du navire d’instruction Gorch Fock, pointé du doigt par la Cour des comptes, a montré que la Bundeswehr continue de faire face à certaines difficultés de gestion. L’agence dédiée à l’innovation dans le domaine de la cybersécurité fondée à grands frais l’an passé ne fait pas non plus l’unanimité11. Enfin, l’opposition parlementaire au Bundestag obtient en janvier 2019 l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire12 sur des irrégularités présumées dans l’octroi de contrats de conseillers au ministère de la défense, pour lesquelles la ministre est visée par une plainte. Alors que cette commission d’enquête doit rendre ses conclusions à la fin du mois d’août 2019, la proposition à la présidence de la Commission d’une ministre visée par une telle procédure a concentré une partie importante des critiques outre-Rhin.

Un choix consensuel, une nomination probable – un programme incertain ?

Membre de longue date de l’Europa-Union Deutschland, la plus grande organisation fédéraliste allemande, Ursula von der Leyen est une europhile convaincue. Dès 2011, à l’occasion d’un entretien à Der Spiegel, elle affirmait son souhait de voir la structure institutionnelle européenne se rapprocher de celle de la Suisse, de l’Allemagne et des États-Unis pour tendre vers des « États-Unis d’Europe  »13. Proposé semble-t-il à l’initiative du Président Emmanuel Macron, le nom d’Ursula von der Leyen semble susciter un certain consensus et a ainsi permis de débloquer les négociations entre les pays européens, consacrant du même coup la prééminence de la méthode intergouvernementale et la caducité de fait du système des Spitzenkandidaten. Alors que le PPE se satisfait de la nomination de l’une de ses membres et que le parcours d’Ursula von der Leyen témoigne d’une constance pro-européenne, réformiste et multilatéraliste susceptible de rassurer libéraux et sociaux-démocrates, le groupe de Visegrád semble compter sur une future présidente jugée (à tort ou à raison) davantage « contrôlable » que le social-démocrate Frans Timmermans, autre candidat potentiel et actuel vice-président de la Commission en charge des questions de respect de l’État de droit.

Malgré, ou peut-être grâce à ce profil consensuel, le programme d’une « Commission von der Leyen » ne s’est pas encore clairement dessiné. Les questions de défense, remises au cœur de l’actualité européenne par la crise du multilatéralisme, devraient assez naturellement y occuper une place de choix. Son mandat au Ministère de la Défense semble l’avoir convaincue que la mise en place d’une armée européenne est à envisager dans un futur proche, alors que la rencontre du Triangle de Weimar qui s’est tenue en mai dernier, a laissé entrevoir un possible alignement de la France et de la Pologne sur sa vision d’une armée européenne. Face au Brexit, Ursula von der Leyen ne manque pas de défendre publiquement que l’absence du Royaume-Uni dans l’Europe est un gain pour la construction européenne. La ministre critique cependant la paralysie qu’entraîne pour le reste des États-membres la crise entourant le départ du Royaume-Uni.

Ce même programme pourrait être assez largement influencé par les négociations en cours afin d’obtenir une majorité au Parlement européen. Car si une partie des observateurs européens – presse française en tête – ont volontiers présenté la désignation d’Ursula von der Leyen comme candidate du Conseil comme une nomination pure et simple (« désignée à la tête de la Commission européenne » d’après Le Monde, « une proche de Merkel à la Commission européenne » selon Libération, « désignée présidente » selon Franceinfo…), et le vote du Parlement comme une formalité, la réalité est plus complexe. Puisque, selon les traités, c’est au Parlement que revient la décision de nommer le président de la Commission, et quelque déséquilibrée que puisse apparaître ici cette forme de « bicamérisme », l’obtention d’une majorité parlementaire relève d’une négociation qui peut être critique. Alors qu’il faut 376 sièges pour obtenir une majorité, la « Très grande coalition » réunissant Parti populaire européen (PPE), Socialistes et démocrates (S&D) et le groupe libéral Renew Europe (RE), qui comptabilisent ensemble 444 sièges, disposerait certes d’une majorité confortable. Toutefois, les S&D ne semblent pas unanimes sur le soutien à apporter à la candidate : dès l’annonce de sa désignation, des figures importantes des sociaux-démocrates allemands (SPD), parti membre de la coalition dont fait partie von der Leyen, n’ont pas caché leur hostilité à l’égard de cette nomination14. L’absence de consensus au sein de la coalition fédérale a contraint la chancelière à s’abstenir formellement au Conseil, alors que la gauche de la classe politique allemande, bien plus peut-être que le reste de l’Europe, lui refuse toujours son soutien15.

La majorité du groupe social-démocrate semble cependant prête à « écouter » les arguments de la candidate du Conseil16, qu’elle viendra leur présenter mercredi 10 juillet. Selon la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, le PPE compterait sur les voix de 120 des 153 membres des S&D, bien au-dessus des 85 théoriquement nécessaires à assurer la majorité au bloc composé du PPE, des libéraux et des sociaux-démocrates partisans de von der Leyen. Aux antipodes de la presse française, les journaux allemands soulignaient ces derniers jours, avec un certain pessimisme, l’issue incertaine du vote du Parlement. Une inquiétude qui semble en définitive irreáliste : même selon les déclarations du chef de la SPD au Parlement de Strasbourg, le nombre des parlementaires sociaux-démocrates potentiellement opposés à la nomination de von der Leyen serait in fine de 44, exigeant 22 défections supplémentaires dans les rangs des coalitionnaires pour faire échouer la désignation. Si ce scénario n’est pas impossible, il ne semble donc pas pour autant être à privilégier. Quant aux protestations des Verts et aux conditions qu’ils fixent pour accorder leur soutien à la candidate, elles ne paraissent pas de taille à changer la donne : la Très grande coalition n’a qu’un intérêt limité à s’élargir davantage, et semble confiante en ses ressources propres.

Perspectives :

  • 15-18 juillet : session plénière du Parlement européen, première tentative de confirmation d’Ursula von der Leyen par le Parlement européen.