Les retraites et la démographie chinoise : le contrat intergénérationnel selon Zhao Yanjing

Doctrines de la Chine de Xi | Épisode 23

En 2022, la population chinoise a diminué pour la première fois depuis soixante ans. Cette tendance est perçue par le Parti comme un défi — qui tente depuis la fin de la politique de l’enfant unique d’enrayer ce phénomène. Zhao Yanjing voit la démographie chinoise comme un enjeu transversal, fondé sur un système redistributif qui doit considérer la soutenabilité de son système de retraite. Pour Zhao, la clef de voûte de cette bascule réside dans la jeunesse chinoise — qui n’aura d’autre choix que de porter le fardeau démographique sur ses épaules au nom de son « devoir transgénérationnel ».

Auteur
David Ownby
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© Chine Nouvelle/SIPA

Zhao Yanjing est professeur d’urbanisme à l’Université de Xiamen, dans le Fujian. Commentateur régulier des affaires intérieures et internationales chinoises, ses articles touchent à des sujets d’actualité dans un style souvent entraînant, adoptant un « ton de vérité » similaire à celui de Sun Liping — qui aborde également la question démographique. Il s’est fait connaître du milieu intellectuel au sens large au début de la pandémie, en écrivant un article sur la façon dont la Chine devrait « mettre au point son récit » sur le Covid-19.

Zhao a également écrit sur la crise du marché immobilier chinois, commentaire opportun sur un sujet qui n’est pas souvent traité dans la littérature et que nous avions traduit dans le cadre de cette série. Lors d’une conférence en mai 2021, Zhao Yanjing affirmait que « les personnes qui ont plus d’enfants devraient bénéficier d’avantages en termes de logement et de pensions » (ou, comme ses détracteurs l’ont résumé a contrario  : « punissons les personnes qui n’ont pas d’enfants »). Ces déclarations sont devenues virales sur l’Internet chinois quelques mois plus tard, ce qui l’a incité clarifier sa pensée dans l’article que nous traduisons et commentons ici 1.

Le texte de Zhao peut se lire comme le résumé d’un cours universitaire sur l’intersection entre la démographie chinoise — et donc sa politique de natalité —, les retraites, les impôts et autres instruments financiers à la disposition du Parti. Le lien avec l’urbanisme, qui apparaît très tôt dans le texte, consiste dans le fait qu’une partie considérable de la croissance économique de la Chine au cours des dernières décennies a été alimentée par des ventes de terrains, gérées par les gouvernements locaux. L’objectif de Zhao est de retourner les critiques des internautes chinois qui l’avaient pris à partie pour avoir voulu « punir » ceux qui décident de ne pas avoir d’enfants. Il argue notamment que, quel que soit le montant qu’une génération met dans ses plans de pension, la majeure partie du paiement après la retraite provient en fait des impôts de la génération suivante.

Si l’essor des instruments financiers, associé au coût croissant de l’éducation des enfants, a conduit la population chinoise à croire qu’elle pouvait avoir moins d’enfants, voire aucun, tout en bénéficiant d’une retraite décente, Zhao affirme que la plupart des systèmes de retraite qui ont emprunté cette voie se sont avérés être une impasse, car la « génération active actuelle doit toujours soutenir la génération plus âgée », du moins dans une certaine mesure. Zhao insiste sur le fait que la Chine doit au moins faire entrer « plus tôt les gens dans la vie active — et donc payer ces étudiants diplômés — et repousser l’âge de la retraite », qui fait partie des plus bas au monde.

Et bien sûr, au-delà de la question des retraites, les populations ont besoin de se reproduire, ne serait-ce que pour générer le cash-flow nécessaire à l’achat des intelligences artificielles dont le travail les remplacera. L’argument de Zhao aux jeunes chinois qui envisagent de ne pas avoir d’enfants est donc de « considérer leurs devoirs transgénérationnels envers la société et envers l’État, afin de réfléchir plus clairement aux incitations qu’ils doivent mettre en place pour obtenir les résultats souhaités ». 

1 — Pourquoi les urbanistes devraient-ils se soucier de la population ?

En mai de l’an dernier, j’ai prononcé un discours lors de la « 2021 Blue Chip Annual Conference » à Pékin. Quelqu’un a sorti la remarque suivante de son contexte, et elle est devenue virale sur Internet : « Zhao Yanjing, professeur à l’Université de Xiamen, a proposé de lier le fait d’avoir des enfants à des logements et des pensions abordables, et de punir ceux qui n’ont pas d’enfants. » 

Je participe à de nombreuses réunions de ce genre chaque année, et je les oublie souvent dès qu’elles sont terminées. En raison de la pandémie, il n’y avait pas beaucoup de participants à la réunion de mai, la portée était donc limitée, et il n’y a pas eu beaucoup d’impact social par la suite. Je ne m’attendais pas à ce qu’après tant de temps écoulé [les médias ont remarqué les commentaires de Zhao en août], cela devienne soudainement un sujet brûlant (爆款). Quoi qu’il en soit, je vais en profiter pour faire du battage médiatique (蹭一下自己的热度) et dire ce que je pense de cette question. 

Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi moi, en tant qu’urbaniste, je voudrais parler de population dans un forum comme celui-ci. Beaucoup de gens pensent que l’urbanisme est une question de planification physique, mais en fait, la première étape de l’urbanisme est d’analyser la situation actuelle de la population et d’avoir une idée de sa tendance. La taille de la population, le taux d’augmentation ou de diminution de la population et la composition sociale du groupe (âge, culture et même ethnicité) peuvent avoir un impact décisif sur les choix que vous faites en termes de structures spatiales urbaines et de fourniture de services publics.

Les erreurs démographiques dans la planification urbaine peuvent avoir un impact durable sur les finances publiques de la ville et le bien-être de ses habitants. On pourrait même dire que la recherche démographique dans la perspective de l’urbanisme a une plus forte impression de « déjà vu » que la démographie pure. Quelques jours avant le forum de Pékin, le Bureau des statistiques venait de publier les dernières données du recensement, et il était tout naturel pour moi d’interpréter les résultats du point de vue de l’urbanisme. 

La réaction à mon discours au forum était sûrement due en partie au fait que les médias en ligne ont sorti les remarques de leur contexte et que les lecteurs en ligne n’ont pas lu le texte original, mais elle était surtout due à la compréhension simpliste du public en matière de droits reproductifs. La plupart des gens considèrent qu’avoir des enfants est une question de choix individuel, comme l’expriment des commentaires en ligne tels que « tous les enfants devraient être l’expression de l’amour de la génération précédente, et non le produit d’un intérêt [individuel, personnel] », ou « lier le fait d’avoir des enfants à des avantages publics tels que des pensions et des logements abordables représente le « détournement » du choix individuel autonome par le pouvoir public. » Pour le public, qui n’a été libéré que récemment de la politique de l’enfant unique, toute nouvelle intervention publique sur des questions de choix personnel est un sujet très sensible. 

La politique de l’enfant unique (计划生育政策) est la politique de contrôle des naissances mise en place par le Parti entre 1979 et 2015,  qui se manifestait surtout par la mise en place de sanctions pour les parents ayant plus d’un enfant. 

2 — Quelles sont les véritables raisons de la baisse de la fécondité ? 

Pour l’humanité en général, la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort font partie du cycle de vie objectif. Afin de « lisser » les pics et les creux de la qualité de vie au cours du cycle de vie, les humains ont inventé la famille comme organisation de partage des risques. Le système familial est en fait un contrat : la génération plus âgée élève les enfants, et les enfants subviennent aux besoins de la génération plus âgée vers la fin de la vie. Plus une famille a d’enfants, meilleure est la protection contre les décès prématurés à une époque de forte mortalité, et plus le fardeau de la vieillesse est partagé équitablement par chaque enfant.

Ainsi, depuis le tout début, avoir des enfants s’accompagne d’un motif intéressé, et n’était pas simplement une « expression d’amour ». Certains disent que la fertilité est en baisse parce que le coût de l’éducation des enfants est trop élevé aujourd’hui. Si cela est vrai, cela n’explique pas pourquoi la fécondité diminue à mesure que les pays s’enrichissent. Il va de soi que les pays bénéficiant de meilleures conditions de bien-être, qui réduisent la nature « utilitaire » de l’amour, devraient avoir plus d’enfants, mais la vérité est qu’ils ont des familles plus petites et des taux de fécondité plus faibles. Cela montre que le fait d’avoir des enfants n’est jamais une simple expression d’amour et suggère plutôt que des motifs utilitaires puissants, bien que cachés, sont impliqués. 

La baisse actuelle du taux de fécondité est principalement due à l’émergence d’instruments financiers modernes qui ont remplacé la fonction originelle de la famille. Dans la culture traditionnelle, la « piété filiale » est la norme sociale fondamentale, et c’est le « contrat » de presque toutes les familles que nous soutenions nos parents et que nos enfants nous soutiennent. Mais à mesure que l’économie se développe et que le capital et l’argent augmentent, la finance peut mieux remplacer ces fonctions de la famille.

En particulier, avec l’institutionnalisation des soins de santé, des services sociaux et des pensions, les gens en sont venus à la conclusion erronée que la production de la prochaine génération n’est plus nécessaire et que l’investissement dans des produits financiers peut être une alternative plus fiable – et meilleure – que l’investissement dans les enfants. Ce n’est que lorsque ces conditions seront remplies que le coût élevé de l’éducation des enfants entraînera une baisse du désir d’avoir des enfants. En d’autres termes, la sophistication financière est la cause première de la baisse de la fécondité. Cela explique pourquoi les pays financièrement sophistiqués ont des taux de fécondité plus faibles que les pays pauvres. 

3 — Les instruments financiers remplacent-ils vraiment la fonction des transactions familiales intergénérationnelles ?

D’un point de vue superficiel, nos pensions, nos services sociaux et nos soins de santé sont tous payés par l’individu, mais en réalité, l’essence de toute finance est une transaction entre le présent et le futur. Il en va de même pour les pensions et les services sociaux. Comme chacun le sait, le système de retraite chinois est une combinaison de planification sociale et de comptes de retraite individuels, ce qui nécessite une planification intergénérationnelle coordonnée : l’argent que nous versons sur nos comptes de retraite soutient aujourd’hui la génération de nos parents, et nos futures pensions seront payées par la génération de nos enfants.

L’argent que nous versons dans nos régimes de retraite reflète notre devoir de soutenir nos parents, tout en élevant nos enfants, et d’investir dans notre propre retraite. On pourrait dire que notre système de retraite actuel ne s’est pas vraiment détaché du modèle d’assurance familiale intergénérationnelle. Tout ce qui s’est passé, c’est que la « famille » d’origine est désormais élargie à la « société ». 

Une question se pose donc : si certaines familles ont beaucoup d’enfants, d’autres en ont moins et d’autres encore n’en ont pas du tout, comment les futures pensions seront-elles versées ? Dans le système actuel, le montant de la pension que vous recevez après la retraite n’est pas lié au fait que vous ayez des enfants ou non, ou à leur nombre. Cela signifie que si vous n’avez pas d’enfants, vous comptez effectivement sur les enfants des autres pour subvenir à vos besoins ! En d’autres termes, le système de retraite moderne « pénalise » implicitement ceux qui ont plus d’enfants. Une fois que l’acte d’élever des enfants entre dans la zone des rendements négatifs, les familles se désintègrent et les gens refusent d’avoir des enfants. Lorsque cela se produira, la planification intergénérationnelle qui sous-tend les retraites deviendra une sorte de système de Ponzi. 

Le système de Ponzi est un système d’investissement pyramidal, dans lequel la rémunération des premiers participants est assurée par les investissements des nouveaux arrivants, jusqu’à ce que le mécanisme s’effondre sur lui-même à cause du manque de nouveaux investisseurs.

Les instruments financiers (services sociaux, pensions) sont par nature un échange entre le présent et l’avenir, et ils peuvent se substituer à la fonction d’échange entre les générations, mais pas l’éliminer. Mais comme l’argent que vous versez pendant que vous travaillez et le paiement que vous recevez après la retraite sont tous deux basés sur l’individu, ils donnent un faux signal de marché. Si le système de retraite original était basé sur l’idée que « vos enfants vous soutiennent », l’idée derrière le système de retraite moderne est que « les enfants de tout le monde soutiennent tout le monde ». 

C’est ce changement qui découple la relation de soutien intergénérationnel et crée un signal de marché erroné, amenant les gens à penser qu’ils peuvent prendre soin d’eux-mêmes lorsqu’ils vieillissent, car ils sont libérés de la dépendance à l’égard de la génération suivante pour les soutenir. On pourrait dire que la cause fondamentale de la baisse générale des taux de fécondité dans les pays financièrement sophistiqués est une erreur dans la conception des systèmes de retraite. 

4 — Avoir des enfants est-il vraiment un choix individuel qui n’a rien à voir avec les autres ? 

Dans le monde d’aujourd’hui, où le coût de l’éducation des enfants est de plus en plus élevé, si vous choisissez de ne pas avoir d’enfants, cela signifie que lorsque vous serez vieux, vous devrez “mettre vos baguettes dans le bol’ d’une famille qui a choisi d’avoir des enfants. Lorsque les pensions sont coordonnées et distribuées par le gouvernement, les services publics s’orientent un peu plus vers les familles ayant plus d’enfants, non pas comme une récompense ou une pénalité publique pour le choix individuel, et non pas comme un « détournement » des enfants par l’État, mais comme une question de justice sociale et d’équité de base. Quant à savoir pourquoi nous devons lier le fait d’avoir des enfants aux services publics, aux services sociaux, au logement, etc., c’est tout simplement parce que c’est la principale mesure par laquelle le gouvernement distribue la richesse sociale. 

Les gens pourraient demander : pourquoi ne pouvons-nous pas simplement subvenir à nos besoins grâce à nos comptes de pension personnels ? En fait, c’est exactement l’approche adoptée par de nombreux pays dont les systèmes de retraite sont en faillite. La Chine a commencé à introduire les comptes de retraite individuels en 1993. Mais la vérité est que même si le compte individuel est en bonne santé et peut être entièrement versé, il ne permet pas de vivre une retraite digne. C’est particulièrement difficile à réaliser dans une société qui évolue rapidement. Imaginez nos parents, qui prenaient leur retraite sans problème avec quelques centaines de RMB par mois ; aujourd’hui, ces quelques centaines de RMB ne suffiraient même pas à assurer le minimum vital. C’était vrai pour la génération de nos parents, et ce sera vrai pour nous aussi. Si notre pension reste au niveau où elle était au moment de la retraite, alors la retraite sera une marche vers la pauvreté. 

Et ce n’est pas une question d’inflation. Même si les prix du porc, des légumes et des services publics restent exactement les mêmes, le marché continuera à introduire de nouveaux services et biens comme les téléphones portables, la 4G et les métros… Pour le grand public, ces nouveaux produits ne sont pas des luxes, et certains deviennent même des nécessités, ce que notre planification initiale de la retraite n’a pas pris en compte. 

En prévision de ces futurs niveaux de vie, nous devrons sacrifier la consommation d’aujourd’hui pour verser des investissements inhabituellement élevés dans les comptes de pension privés. Si quelques personnes fortunées peuvent s’offrir un certain nombre de polices d’assurance commerciales, la plupart des familles ne pourront pas se permettre des cotisations de retraite aussi élevées. Et la compression de la consommation courante entraînerait à son tour un rétrécissement du marché et une surproduction. 

Cela signifie qu’une retraite digne passe inévitablement par une coordination collective entre les générations. Même si un jour les pensions chinoises entraient en bourse, comme aux États-Unis, nous aurions toujours besoin du travail des générations futures pour produire des liquidités. Cette main-d’œuvre peut être nationale ou étrangère, mais dès qu’elle commencera à diminuer, le marché boursier sera à court d’essence et les pensions deviendront insoutenables. Donc, pour revenir à la question initiale, qui était de savoir si avoir des enfants est une question de choix individuel ou si cela concerne le bien-être des autres, c’est ce que les gens ont du mal à comprendre, et la principale raison pour laquelle mes remarques à la conférence Blue Chip sont devenues un sujet brûlant sur Internet.   

5 — La redistribution des richesses dans l’économie moderne

D’un point de vue de base, tous les pays modernes et en croissance sont entrés dans l’ère de la monnaie de crédit. La monnaie de crédit est essentiellement une dette, une évaluation des gains futurs. Les pensions doivent être liées au capital, et non à l’argent liquide, afin de ne pas perdre de leur valeur dans le processus d’expansion du crédit. Si vous détenez de l’or, votre richesse augmente à peine ; si vous détenez des dollars américains, vous risquez de ne pas pouvoir suivre l’inflation ; seules les actions vous permettront de suivre la croissance de la richesse et de ne pas perdre votre statut social relatif. C’est pourquoi les pensions américaines sont sur le marché boursier.

En Chine, le cœur du marché des capitaux n’est pas le marché boursier mais l’immobilier. En raison de l’énorme différence de prix des logements dans les différentes villes, du fait que le capital immobilier est toujours basé sur des transactions physiques et non sur la titrisation, et de diverses restrictions gouvernementales sur le marché immobilier, les pensions ne peuvent pas entrer sur le marché immobilier, ce qui signifie qu’il est impossible pour la Chine de compter sur les comptes de pension individuels (équivalents aux avoirs en espèces) pour suivre la croissance de la richesse. Cela signifie que si les pensions sont conservées à la banque, comme c’est le cas actuellement, en espèces, elles vont sûrement « rétrécir » avec la croissance de l’économie. 

Si une coordination transgénérationnelle est nécessaire, la différence de taille de la population entre les générations aura un impact énorme sur les normes de retraite et les charges de cotisation. Notre génération, née au début des années 1960, représente le moment le plus fort de la croissance démographique de la Chine moderne, ce qui signifie que nous pouvons réussir à élever les normes de pension de la génération un peu plus petite de nos parents, en comblant l’écart par le transfert transgénérationnel. Mais une fois que la population de la génération suivante commencera à décliner, ceux qui rejoindront le marché du travail devront augmenter considérablement leurs taux de cotisation afin de nous soutenir, ou bien combler l’écart en s’endettant. Si le déclin de la population se poursuit jusqu’à la génération suivante, la dette deviendra un système de Ponzi. C’est ce qui est arrivé aux retraites dans les pays développés. 

Nous pouvons maintenant répondre à la question posée au début, à savoir si vous pensez toujours qu’avoir des enfants est un choix personnel. Pensez-vous toujours que les parents qui élèvent les enfants qui contribueront aux futures pensions de chacun d’entre nous ne devraient pas recevoir un peu plus de compensation en termes de bien-être public ? Pensez-vous toujours que le fait d’avoir des enfants ne devrait pas être lié à des avantages publics comme les pensions et les logements abordables ? Je pense que vous serez arrivé à la même conclusion que moi lors de l’assemblée annuelle de Blue Chip. La question à poser au sujet de ma solution n’est pas de savoir si nous devons offrir plus d’avantages aux familles qui ont plus d’enfants, mais si ces avantages suffiront à résoudre le problème. 

6 — Les conséquences transgénérationnelles du retardement de l’emploi 

Afin d’éviter la désintégration des familles et de résoudre le problème des « leftover women” (剩女), Singapour a mis en place une série d’incitations allant du logement, des impôts et des subventions scolaires bien plus radicales que les nôtres, mais cela n’a pas empêché Singapour de vieillir. En effet, même si les familles recommencent à avoir des enfants, si l’âge du mariage augmente (un résultat inévitable de l’augmentation du niveau d’éducation des femmes), alors après quelques générations, une génération de personnes aura disparu.

L’insulte « leftover woman » (剩女), désigne les femmes en Chine qui restent célibataires, faisant le plus souvent référence à celles qui ne se marient pas avant la fin de la vingtaine.

Cela signifie que le rapport entre les « années d’emploi » et l' »espérance de vie » pour la société dans son ensemble doit également être inclus dans les considérations de politique démographique. Car, en fin de compte, la charge des pensions se compose de deux parties de la population — les cotisants d’une part et les non cotisants + ceux qui reçoivent leur pension d’autre part — et le ratio susmentionné détermine si les pensions peuvent rester à l’équilibre, compte tenu de taux de cotisation et de retrait inchangés.

Ceci est lié à une autre recommandation controversée que j’ai faite au Forum Blue Chip : « commencez à travailler tôt, et prenez votre retraite tard ». Dans une situation future où le nombre de personnes cotisant pour subvenir aux besoins des retraités sera inévitablement réduit, ce sera un moyen encore plus efficace d’ajuster la structure de la population et de réduire le ratio des personnes touchant leur pension par rapport à la population totale. 

En supposant que la population totale reste inchangée, une augmentation de 10 % de la population cotisante, c’est-à-dire des personnes qui ont un emploi et qui cotisent au fonds de pension, équivaut à une augmentation de 20 % de la population en termes de pension, car — étant donné l’âge plus avancé de la retraite — le nombre de ceux qui touchent leur pension diminuera de 10 %. Il est clair que la relation entre l’âge du début des cotisations et l’âge du début du versement de la pension est un facteur important pour obtenir une pension équilibrée. 

Notre problème actuel est que non seulement cette relation ne s’améliore pas, mais qu’elle se détériore. Cela est dû à trois raisons principales : premièrement, l’augmentation du niveau d’éducation (surtout pour les femmes) ; deuxièmement, l’augmentation de l’espérance de vie ; et troisièmement, l’âge de la retraite qui ne change pas. Cela signifie que si les cotisations de retraite restent les mêmes, le recul de l’âge de l’emploi et l’augmentation de l’espérance de vie entraîneront à eux seuls un élargissement de l’écart entre les retraites. Cela est d’autant plus vrai que l’éducation de la main-d’œuvre n’est plus légère mais lourde en actifs, tandis que la période d’amortissement s’est réduite. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un énorme gaspillage dans la société moderne.

7 — Emploi précoce et retraite décalée

Une option possible pour l’emploi précoce est d’inclure les étudiants diplômés (y compris les doctorants) dans la catégorie des emplois. En fait, de nombreux étudiants diplômés effectuent un travail de soutien pour des projets de recherches entrepris par leurs superviseurs. Ces projets et recherches sont financés, et il devrait être possible de verser des allocations à l’étudiant diplômé. L’emploi précoce contribuera non seulement à accroître la population qui paie des impôts (qui contribue aux pensions) en tant que pourcentage de la population totale, mais il a également le potentiel de permettre aux parents d’avoir des enfants à un plus jeune âge. Si l’intervalle normal entre les générations est de 25 ans, un retard de cinq ans dans la procréation signifierait une génération de moins toutes les cinq générations, même si le nombre d’enfants reste le même.

Le terme chinois est wu xian yi jin (五险一金), c’est-à-dire les contributions des employeurs à cinq types d’assurance et à un fonds de logement.

Décaler l’âge de départ à la retraite est encore plus important aujourd’hui, alors que les études prennent de plus en plus de temps. L’augmentation du niveau d’éducation de la main-d’œuvre signifie que l’éducation devient de plus en plus riche en actifs, ce qui signifie que l’amortissement prend plus de temps. Pour me prendre en exemple, lorsque je suis allé à l’université, le pays était beaucoup plus pauvre qu’aujourd’hui, mais il a couvert la quasi-totalité du coût de mes études. Plus tard, j’ai également fait mon doctorat au Royaume-Uni aux frais de l’État.

Je suis toujours en bonne santé, et j’ai au moins plus d’expérience dans mon domaine d’expertise que les diplômés universitaires qui débutent. En tant que personne ayant compté sur d’autres contribuables pour payer mon doctorat, je devrais, en droit, cotiser davantage à ma pension que les autres, mais selon la réglementation, je devrai bientôt prendre ma retraite, ce qui m’obligera à abandonner ma position de cotisant et à devenir un « mendiant social » touchant ma pension. 

Zhao a obtenu son diplôme universitaire en 1984, ce qui signifie qu’il est probablement né en 1963. L’âge officiel de la retraite en Chine est de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes (50 ans pour les femmes occupant un emploi d’ouvrier), ce qui signifie vraisemblablement que Zhao devrait prendre sa retraite cette année.

Dans le monde actuel de l’abondance de capital et de pénurie de main-d’œuvre, la retraite anticipée signifie un énorme gaspillage de capital social, et plus le niveau d’éducation est élevé, plus le gaspillage est important. Retarder la retraite est fondamentalement différent de faire entrer les gens dans la vie active à un plus jeune âge. Ce dernier augmente le nombre de novices qui manquent d’expérience, tandis que le premier augmente le nombre de travailleurs qualifiés qui ont déjà été formés. Dans ce dernier cas, il faut une énorme quantité d’apprentissage sur le tas pour devenir véritablement un travailleur à forte valeur ajoutée. C’est cette catégorie de travailleurs à haute valeur ajoutée que les villes et les entreprises se disputent réellement.

Cela ne signifie pas que nous devons forcer tout le monde à retarder son départ à la retraite, mais nous pourrions au moins concevoir un mécanisme de sélection volontaire, dans lequel vous pouvez choisir de prendre votre retraite à n’importe quel moment après 60 ans, votre pension étant liée à votre niveau de cotisation – plus vous avez cotisé longtemps, plus votre pension est élevée. Maintenant que l’espérance de vie moyenne en Chine est d’environ 77 ans, ceux qui choisissent de prendre leur retraite à 60 ans peuvent continuer à recevoir la pension de base, tandis que si vous continuez à cotiser jusqu’à 70 ans, vous pouvez bénéficier d’un niveau de soins et de services plus élevé pendant les six années restantes que ceux qui choisissent de prendre leur retraite à 60 ans. Dans d’autres pays, il y a des personnes qui font du bénévolat dans des maisons de retraite après la retraite pour gagner des « points » pour le moment où ce sera leur tour, ce qui est en fait un système de retraite différée volontaire.

8 — Les questions démographiques dans la planification urbaine

Le problème du vieillissement est un problème mondial qui n’a pas été complètement résolu par les pays développés, même aujourd’hui. Une raison importante en est leur manque de compréhension des raisons financières qui sous-tendent les tendances de faible fécondité. De manière générale, il existe une relation entre le capital et le travail : si le travail croît plus rapidement que le capital, il y aura une pénurie de capital et un surplus de travail. Une augmentation de la population entraînera une baisse de la propriété du capital par habitant, produisant ce que nous appelons une « involution ». Seul le planning familial peut retarder l’effondrement de l’économie, mais si la croissance du capital est plus rapide que celle du travail, il y aura une pénurie de main-d’œuvre, même si la population est plus importante aujourd’hui que par le passé.

Par exemple, dans les zones rurales de Chine, le principal capital est la terre arable, et si la population augmente plus rapidement que la croissance des terres arables, la quantité de terres arables par habitant diminuera, produisant une « involution ». Si tout le monde a beaucoup d’enfants, le capital sera bientôt épuisé. Donc, dans cette situation, seul le planning familial peut retarder l’effondrement économique. Mais d’un autre côté, depuis 2004, le capital a augmenté plus rapidement que le travail, et les industries non agricoles ont absorbé une grande partie de la force de travail. Même si la population totale de la Chine est deux fois plus importante qu’avant le planning familial, il y a une pénurie générale de main-d’œuvre dans les zones rurales. 

La conception de systèmes tels que les pensions et la sécurité sociale est un produit de l’excédent de capital. Le remplacement des fonctions familiales par la finance entraînera un déclin irréversible des ménages et même de la fécondité. Ce n’est qu’en compensant ce remplacement financier que l’on peut ralentir le déclin de la fertilité. Après l’introduction des ventes aux enchères de terres en Chine en 2004, la croissance du capital a rapidement dépassé la croissance de la population, brisant d’un seul coup le déficit séculaire en capital, et en une dizaine d’années seulement, la Chine est devenue un pays avec un excédent de capital. Ce changement spectaculaire a pris la politique de fécondité par surprise. Dans un certain sens, le changement des tendances démographiques a été étroitement lié à la planification urbaine depuis le tout début. 

Face à un tel changement, la planification urbaine a dû réagir rapidement. Alors que l’urbanisation de la Chine touche à sa fin, il est de plus en plus difficile pour la planification urbaine traditionnelle de porter des jugements sur la croissance et le déclin des villes. Dans le même temps, la structure de la population actuelle contient des informations sur les tendances futures des villes. L’urbanisme doit découvrir de nouveaux outils analytiques pour saisir ces informations. La conception de nouveaux systèmes permet de rétablir le lien entre les intérêts de la fécondité individuelle et de la vieillesse collective. Dans cette optique, l’analyse démographique de la planification urbaine doit changer en conséquence. 

Par exemple, par opposition à la classification démographique par âge, la planification urbaine devrait placer l’âge de l’emploi (fiscal) au cœur de l’analyse démographique urbaine. Les ratios relatifs des populations dépendantes (avant l’emploi) et des retraités (après la retraite) par rapport à la population en âge de travailler ont des implications profondes sur la viabilité financière des villes, ainsi que sur leur croissance et leur déclin. Et ces variables sont largement « programmables ». Comme l’évolution démographique est lente, les conséquences apparaissent souvent trop tard, ce qui exige que l’urbanisme en particulier pose un diagnostic et mette en place des mesures préventives à un stade précoce. À l’ère de la gestion de la population, la planification urbaine est confrontée à une toute autre série de problèmes. Les approches novatrices de l’analyse démographique urbaine sont cruciales pour la transformation de la discipline de l’urbanisme.

Sources
  1. 赵燕菁, « 生育、养老、就业与城市规划 », publié sur le site Aisixiang le 13 janvier 2022.
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