La politique démographique chinoise vue par le sociologue Sun Liping
Doctrines de la Chine de Xi | Épisode 9
Obstacle inavoué au « rêve chinois », la question démographique obsède Xi. Dans ce court texte, le sociologue Sun Liping analyse les mesures d'encouragement mises en place par le régime, à l'instar de la « politique des trois enfants ». Pour lui, cette approche nataliste est vouée à l'échec si elle demeure couplée au modèle économique et sociétal sur lequel repose actuellement la Chine.
- Auteur
- David Ownby •
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- © Photo by CFOTO/Sipa USA
Sun Liping (né en 1955) est un éminent sociologue à l’Université de Tsinghua et un intellectuel public actif en Chine. Il est notamment connu pour ses perspectives libérales sur les questions sociales et politiques. Dans le cadre de son engagement en tant qu’intellectuel public, Sun publie fréquemment des messages sur WeChat1, abordant généralement les questions d’actualité d’un point de vue sociologique ancré dans la longue durée, de manière concise et compréhensible. Le texte traduit ici est tiré de cette page. Publié le 31 mai 2021, il traite de la décision de la Chine d’autoriser les parents à avoir jusqu’à trois enfants.
Cette décision est liée à ce que certains appellent la crise de fertilité de la Chine : une chute persistante du taux de natalité qui inquiète les autorités et les experts sur le futur de la main-d’œuvre chinoise et aux dépenses liées à la population vieillissante de la Chine, dont un nombre croissant d’habitants prendra sa retraite dans les années à venir. Une crise d’autant plus inquiétante que la décision des autorités chinoises de mettre fin à la politique de l’enfant unique en 2015 n’a pas réussi à faire remonter la natalité. L’intérêt du billet de Sun est de suggérer que les questions de fertilité sont en fait des questions économiques, ce qui signifie que la Chine ne peut pas promouvoir une croissance économique et une urbanisation à grande vitesse sans voir les prix de biens tels que le logement et l’éducation augmenter de façon astronomique, en particulier dans les grandes villes chinoises — où presque tout le monde veut vivre.
De telles pressions signifient que les parents de la classe moyenne en Chine y réfléchissent à deux fois avant d’avoir des enfants, car ils n’ont guère le temps de les élever, ni l’argent pour les soutenir comme ils le souhaiteraient dans une société chinoise intensément compétitive. Sun Liping note très justement que, face à de telles pressions, ni les changements de politique qui « permettent » d’avoir plus d’enfants, ni les appels patriotiques à « se reproduire pour la patrie » ne sont susceptibles d’émouvoir les classes moyennes chinoises, dont les calculs pragmatiques les conduisent à éviter les familles nombreuses.
Avoir trois enfants était le sujet le plus brûlant d’hier. La question est de savoir si nous pouvons encore réguler le comportement reproductif par la politique. Ces derniers jours, la nouvelle d’une baisse précipitée du taux de fécondité en 2020, dans tout le pays ou dans certaines régions, a largement circulé en ligne. Il y a même une discussion sur la question de savoir si la Chine peut sortir du piège de la faible fécondité. D’autres appels à « avoir un bébé pour la patrie » se multiplient. À première vue, il s’agit bien d’un problème, et d’un gros problème. Il y a quelques années, j’ai dit que la retraite et la natalité seraient les deux problèmes les plus importants et les plus difficiles pour la Chine à l’avenir.
Mais le problème est le suivant : ces « appels » seront-ils d’une quelconque utilité ? La promotion de l’idée d’avoir des enfants pour la mère patrie sera-t-elle efficace ? Car le fait est que, si vous voulez que les gens aient des enfants, vous devez leur donner une raison. Le comportement des gens est guidé par des motifs, ce qui signifie vraisemblablement que la chute précipitée du taux de fécondité signifie un changement soudain dans les désirs reproductifs des gens. C’est pourquoi, pour résoudre le problème de la fécondité en Chine, nous devons d’abord être clairs sur les questions fondamentales suivantes : pourquoi les gens veulent-ils avoir des enfants et dans quelles circonstances auront-ils des enfants.
Plusieurs articles de médias occidentaux l’année dernière avaient fait part de ces appels à avoir un enfant pour la patrie. Voir par exemple, dans les colonnes du Guardian.
Pourquoi les gens ont-ils des enfants ? Cela se résume à trois raisons fondamentales. La première est l’instinct. Comme les animaux, nous nous reproduisons par instinct pour assurer la continuité de la vie, ce qui ne nécessite aucune autre raison. La deuxième est liée à des facteurs culturels, c’est-à-dire que cet instinct devient un concept et se solidifie à ce niveau. J’ai peut-être des voisins qui ont plus de dix enfants. Quelle est la motivation pour avoir autant d’enfants ? C’est ce qu’est la culture locale, et plus vous avez d’enfants, plus vous êtes respecté. Troisièmement, il y a les objectifs utilitaires, comme avoir des enfants pour s’occuper de vous dans votre vieillesse, ou avoir quelqu’un à qui transmettre votre richesse. Dans certains pays, plus vous avez d’enfants, plus vous recevez de subventions, au point que cela peut devenir une source importante de revenus.
Logiquement, la question suivante est que, quelle que soit la raison d’avoir des enfants, vous vous heurtez inévitablement à la question des coûts ou des compromis ; en d’autres termes, vous devez faire la part des choses et réfléchir à la relation entre votre raison d’avoir des enfants et ce que cela vous coûtera ou ce à quoi vous devrez renoncer. Et dans la société actuelle, les coûts d’avoir des enfants, de les élever et de les éduquer ont clairement augmenté. Non seulement les coûts réels ont augmenté en termes d’argent, de temps et d’énergie, mais les coûts d’opportunité ont aussi clairement augmenté. En d’autres termes, si vous avez des enfants, vous devrez renoncer à de nombreuses choses. Ainsi, en tenant compte de tous les facteurs, avoir des enfants ne devient un choix pratique que si vous êtes suffisamment motivé ou si les coûts ne sont pas trop élevés.
En outre, il existe un autre facteur à ne pas négliger, à savoir la pression extérieure, notamment familiale. Si nous maîtrisons des facteurs tels que la motivation, les coûts et la pression, nous pouvons commencer à déchiffrer les relations logiques entre eux, et voir quels choix les gens pourraient faire sur la base de cette logique.
Quant à la signification de la fertilité et du désir de se reproduire, comme nous l’avons mentionné plus haut, les trois principales raisons de vouloir avoir des enfants relèvent de l’instinct, de la culture et de considérations utilitaires. Mais tous ces facteurs évoluent sur fond d’urbanisation croissante et de besoin d’éducation, de meilleure connaissance de soi et de changement de mode de vie.
L’idée de base exposée par Sun est que la vie a changé depuis la mise en place de la politique de l’enfant unique en 1979, et donc il ne faut pas s’attendre à ce que tout revienne à la « normal » une fois cette politique renversée (en 2015).
Commençons par le facteur utilitaire le plus simple. Dans le contexte du mode de vie urbain et du cadre institutionnel d’aujourd’hui, l’idée d’avoir des enfants pour s’occuper de vous pendant vos vieux jours n’a plus de sens, et cette fonction diminue même dans les villages ruraux. Et l’idée d’avoir des enfants pour hériter de votre fortune ne viendra qu’à un très petit nombre de personnes riches. Alors comment fournir aux gens une raison utilitaire d’avoir des enfants ?
Parlons maintenant de la culture et de la pression. La pression culturelle provient en grande partie de la société et de la famille, et le degré de pression est décidé par les caractéristiques culturelles et par le niveau de densité des relations personnelles. Tout d’abord, la culture de la reproduction est clairement en train de changer dans la société. Plus important encore, l’une des caractéristiques de la société actuelle est l’expansion de l’autonomie individuelle, ce qui signifie que les relations entre les personnes deviennent plus distantes, au point que toute la vie sociale devient de plus en plus anonyme. Tous ces facteurs se traduisent par un affaiblissement de la pression extérieure. Aujourd’hui, et surtout dans les villes, qui laisse encore le regard des autres décider d’avoir des enfants ? Un autre point qui mérite d’être souligné est que, pour diverses raisons, la pression familiale diminue également.
Les diverses raisons expliquant la baisse de la pression familiale sont tout d’abord liées aux conséquences de l’urbanisation, les familles ayant moins tendance à vivre juste à côté l’une de l’autre. De plus, le développement d’Internet et de la vie en ligne en général diminue la force de la « voie » familiale.
En fait, pourquoi les gens avaient-ils des enfants dans le passé ? Le fait est qu’il n’y avait pas de « pourquoi ». Avoir des enfants est une sorte d’instinct, une partie de l’ordre naturel des choses qui n’a pas besoin de raison. Comme les animaux, vous étendez votre lignée et, ce faisant, vous en venez à apprécier le sens de la continuation de la vie. Ce n’est que maintenant que le « pourquoi » surgit. Et l’un de ces « pourquoi » a trait à la façon dont nous comprenons l’existence humaine et le sens de la vie.
Et une chose à laquelle nous devrions vraiment prêter attention, c’est que dans la société d’aujourd’hui, le sentiment d’insignifiance ou d’insatisfaction des gens face à la vie se renforce. J’ai entendu plus d’une personne dire qu’elle ne veut pas avoir d’enfants qui mèneront la même vie qu’elle. Cela pourrait également expliquer pourquoi certaines personnes préfèrent avoir un chien ou un chat plutôt qu’un enfant.
Au moment même où les gens ont plus de mal à trouver une raison d’avoir un enfant, la pression des coûts ne cesse d’augmenter. Quels sont ces coûts ? Tout le monde en a beaucoup parlé. Les coûts de l’éducation d’un enfant, les frais de scolarité, et même la nécessité de trouver un logement pour les fils. Je n’ai que deux choses à dire sur ces coûts.
Premièrement, nous ne pouvons pas comprendre ces coûts simplement en termes monétaires, car, comme certains le disent, les coûts sont plutôt en termes d’énergie. En laissant de côté d’autres choses, combien de temps et d’énergie investissons-nous simplement dans la garde des enfants après l’école, les activités parascolaires et les devoirs ?
Deuxièmement, même pour les personnes qui ont les moyens économiques, la charge des coûts n’est pas nécessairement réduite, car plus vous êtes aisé, plus vos attentes sont élevées pour votre enfant, ce qui signifie que vous devez investir d’autant plus. Comme tout le monde le dit, vos choix sont de ne pas avoir d’enfants ou d’être responsable de ceux que vous avez.
Toutes ces contradictions et tensions retombent principalement sur la classe moyenne. En termes de reproduction, la caractéristique de la classe moyenne est que ses attentes sont élevées, mais qu’elle est extrêmement limitée dans la mesure où elle peut engager des frais. Ce n’est pas seulement une question d’argent. Vous pouvez le voir dans la silhouette harassée et épuisée de ceux qui travaillent 12 heures par jour, 6 jours par semaine. Pourtant, avec le développement de l’économie, l’expansion de la classe moyenne est un processus inévitable. Nous pouvons donc soit voir une énorme classe moyenne comme le résultat et la force motrice du développement économique, soit comme un groupe dont l’envie de se reproduire est en déclin.