À la veille du vote de Westminster sur le Brexit prévu le 15 janvier et de décisions déterminantes pour l’avenir des citoyens européens résidant au Royaume-Uni ainsi que des Britanniques résidant en France, nous avons rencontré Alexandre Holroyd. Ce Franco-britannique, député La République en Marche des Français d’Europe du Nord, explique que c’est le Brexit qui l’a incité à s’engager en politique aux côtés d’Emmanuel Macron en 2017. Il est aujourd’hui membre de la Commission des Finances et de la Commission Affaires Européennes de l’Assemblée nationale, ainsi que Secrétaire de la Mission Brexit. Il a par ailleurs été le rédacteur du Projet de Loi d’habilitation sur le Brexit.
Groupe d’études géopolitiques : Vous êtes député des Français d’Europe du Nord…
Alexandre Holroyd : Oui, ma circonscription recouvre dix pays : les trois pays baltes, les quatre pays nordiques, c’est-à-dire le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège, ainsi que l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Islande. Il y a à peu près 187 000 Français qui sont enregistrés officiellement dans cette circonscription, mais en réalité il y en a plutôt entre 300 000 et 350 000, dont a priori entre 250 et 300 000 au Royaume-Uni.
Où en est-on aujourd’hui de la protection des droits des citoyens de l’Union européenne au Royaume-Uni et des Britanniques en France ?
La question est un peu compliquée, cela va dépendre de la conclusion des négociations entre Bruxelles et Londres. Dans l’accord de retrait, tel qu’il est conçu pour l’instant, la majorité des droits des citoyens sont préservés. Pas l’intégralité, mais la majorité. Sauf que cet accord de retrait est évidemment tributaire d’une ratification du Parlement britannique et du Parlement européen. En l’occurrence, aujourd’hui (jeudi 13 décembre, ndlr), on ne sait pas si cela va être le cas (cet accord doit être soumis au vote du Parlement mardi 15 janvier, ndlr). Du coup, se pose aussi la question de savoir ce qui se passera s’il n’y a pas d’accord.
Qu’est-ce qui a été fait pour parer à cette éventualité ?
Du côté britannique, le gouvernement a publié une série de papers qui se penchent sur chaque secteur, chaque sujet en cas de non-accord, dont un paper (6 décembre 2018, ndlr) sur les droits des citoyens. L’offre britannique, en tout cas l’intention britannique telle qu’elle est conçue dans ce papier, est une reconnaissance presque complète du droit des citoyens européens. Je dis bien presque. Par exemple, il n’y aurait évidemment pas de recours possible à la Cour Européenne de Justice s’il n’y a pas d’accord.
Ce n’est qu’une proposition ?
Oui. Cela reste un document non-législatif, du domaine de l’intention. On attend de le voir inscrit dans la loi. De notre côté, on a voté un texte qui a pour vocation de préparer la France en cas de no deal. Ce projet d’habilitation que nous avons adopté, dont j’étais le rapporteur, donne au gouvernement le droit et les pouvoirs de créer un statut particulier pour les Britanniques qui sont en France et qui résideront en France à la date de sortie du Royaume-Uni.
Par exemple ?
Il garantit aux fonctionnaires britanniques de la fonction publique française 1 de conserver leur statut, ce qui ne serait pas le cas en l’état actuel des choses parce que, pour la fonction publique française, il faut normalement être citoyen européen. Par ailleurs, le texte d’habilitation offre des conditions avantageuses pour que les Français résidant au Royaume-Uni puissent rentrer : il garantit tous les droits que les Français ont acquis au Royaume-Uni, comme les droits à la retraite, les droits à la sécurité sociale.
Malgré tout, n’y a-t-il pas une inquiétude au sein de la communauté française en Grande-Bretagne ? Combien de Français ont déjà quitté ou s’apprêtent à quitter le Royaume-Uni à cause du Brexit ?
C’est très difficile à dire parce que la particularité d’une communauté internationale, c’est qu’elle se renouvelle beaucoup. De ce fait, sa taille varie souvent en fonction d’un ralentissement des arrivées, plutôt que d’une accélération des départs. Vous avez de toute façon des départs constants puisqu’il s’agit généralement des Français en mobilité. En revanche, ce qui est très clair c’est qu’on assiste à un ralentissement des arrivées, probablement à cause de l’incertitude liée au Brexit. Et il y a eu quelques départs. Il ne s’agit pas de départs massifs, pour l’instant, mais ils sont notables.
De combien de personnes parlons-nous ?
On ne dispose pas de chiffres précis. Comme je le disais, on a d’un côté une communauté française enregistrée sur la liste du Consulat, que l’on sait chiffrer à l’individu près, et parallèlement, on estime qu’il y a à peu près autant de non-inscrits. Des étudiants, des gens qui viennent faire des petits boulots, des gens qui ne veulent pas s’inscrire ici parce qu’ils ne veulent pas se désinscrire en France… On pense qu’environ 120 000 à 150 000 Français sont dans ce cas-là. Pour le coup, on ne sait pas quand ils arrivent et quand ils partent, car ils profitent de la liberté de mouvement telle qu’elle est garantie par les traités européens.
À propos du projet de loi qui habilite le gouvernement à prendre des ordonnances en cas de no-deal. Les ressortissants britanniques qui jouissent du droit à la libre circulation et à la libre installation dans l’ensemble de l’Union, ainsi que les membres de leurs familles, deviendront des ressortissants de pays tiers. Seront-ils en conséquence soumis au droit commun, c’est-à-dire à l’obligation de présenter un visa pour entrer sur le territoire français et de justifier d’un titre de séjour pour s’y maintenir ?
C’est vrai que, techniquement, s’il y a une sortie sèche, les Britanniques qui vivent en France deviendront des ressortissants de pays tiers. La loi que nous avons adoptée permet au gouvernement de mettre en place un régime plus favorable que le régime des pays tiers. On autorise le gouvernement à créer un statut particulier pour les Britanniques qui vivent ici, distinct du régime des pays tiers, et plus généreux que celui-ci. Concernant la liberté de circulation au sein de l’Union européenne, il s’agit là d’un accord qui dépend de l’Union, pas des États. Aujourd’hui, en l’état actuel des choses, les citoyens britanniques ne pourront pas circuler au sein de l’Union comme n’importe quel citoyen européen.
Qu’est-ce qui pose le plus problème ? Le maintien des droits des Français à Londres ou de ceux des Britanniques en France ?
Les deux cas sont très compliqués pour des raisons administratives et à cause du nombre de personnes concernées. Nous avons une très grosse communauté de Français au Royaume-Uni, et s’il devait y avoir un retour massif, cela poserait un problème administratif. C’est pour cela que nous donnons au gouvernement une marge de manœuvre pour créer des dérogations et des simplifications conséquentes pour des démarches déjà existantes. Par exemple, pour faire reconnaître un droit à la retraite, il y a beaucoup de papiers à remplir. Il faudra simplifier les procédures en cas d’afflux brutal. Idem pour les Britanniques en France. Aujourd’hui, pour avoir une carte de séjour, il faut faire plusieurs allers et retours à la préfecture. En l’occurrence, il y a des préfectures qui sont plus petites par rapport aux autres mais où il y a une grosse communauté britannique. Ces préfectures pourraient se retrouver sous le coup de centaines de milliers de demandes de droits…
Arrêtons-nous un instant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale dans votre projet de loi. Quels sont les principaux obstacles rencontrés ? Pouvez-vous revenir brièvement sur le fonctionnement actuel ?
À la fin, il y a un équilibre qui se fait entre tous les États : les États se remboursent mutuellement. C’est pour ça qu’on a la carte européenne d’assurance maladie. Si le Royaume-Uni sort sans accord, cette carte d’assurance maladie cessera de fonctionner pour un résident britannique qui se ferait soigner en France et qui n’aurait pas de régime particulier ; idem pour un résident français qui ne serait pas affilié au régime de sécurité sociale britannique. Dans ce cas de figure, il faudra essayer de négocier le plus rapidement possible un accord pour que nous ayons une reconnaissance mutuelle.
Theresa May a sauvé sa tête au sein de son parti, mais on ne voit toujours aucune issue claire à la crise. Quels sont les scénarios possibles à l’heure où nous parlons ?
Il y en a beaucoup. Comme je le disais tout à l’heure, le gouvernement français est autorisé à prendre des ordonnances pour garantir les droits des citoyens britanniques. Mais beaucoup de domaines relèvent du droit européen et, dans ce cas-là, qu’il y ait accord de sortie ou non, ce sera négocié par l’Union européenne. Après, reste le sujet du contrôle aux frontières. C’est un point très important, car le tunnel sous la Manche est l’artère qui relie le continent au Royaume-Uni. Si le Royaume-Uni ne reste pas dans l’Union européenne ou dans le marché commun, il y aura de toute façon plus de contrôles.
Est-ce que une sortie sans accord vous paraît possible ?
Oui, absolument.
Quel serait le coût d’un no deal ?
C’est très difficile à estimer, car cela dépend des conditions du divorce, si le Royaume-Uni fait un effort ou pas. Par exemple, le projet de loi de finances implique 700 douaniers supplémentaire, dont 350 seront alloués au contrôle des marchandises et des personnes aux frontières avec le Royaume-Uni. Le coût est très compliqué à évaluer avec précision, parce qu’il s’agit en partie de nouveaux recrutements et en partie de réallocations de ressources françaises. C’est-à-dire qu’on peut prendre des gens qui travaillent au port de Marseille et les muter au port du Havre parce qu’il y aura plus de contrôles au port du Havre. Ensuite, il y a le coût économique, aussi bien pour le Royaume-Uni que pour l’Union, qu’une sortie sèche entraînerait. Sans parler de la contribution britannique à l’Union européenne.
Si, en revanche, l’accord négociée par la Première Ministre passe à Westminster ?
Aujourd’hui, le problème est le suivant. Concernant le droit des citoyens, le problème est réglé puisque l’accord incorpore toute reconnaissance. Sur le contrôle aux frontières en revanche, on est protégés pendant la période de transition de deux ans, mais il faudra quand-même mettre en place des contrôles supplémentaires. En effet, tel qu’est conçu l’accord de retrait, soit il y a négociation d’un accord de libre-échange, soit le Royaume-Uni reste dans l’Union douanière. Mais même dans ce cas, il y aurait toujours des contrôles parce que l’Union douanière, ça n’est pas de l’alignement réglementaire.
Au-delà du cas français, comment les autres voisins de la Grande-Bretagne envisagent-ils le Brexit ? Quel est le pays le plus exposé en cas de no deal ?
Le pays le plus exposé est très clairement la République d’Irlande. Pour des raisons politiques liées à la frontière avec l’Irlande du Nord mais aussi économiques compte tenu des relations de l’Irlande du Nord avec la Grande-Bretagne. L’impact économique d’un Brexit dur sur l’Irlande serait presque plus important qu’au Royaume-Uni même. Et concernant les pays scandinaves, comme nous, ils regrettent beaucoup la décision du Royaume-Uni car ils avaient une communauté d’esprit sur certaines questions avec Londres, notamment sur le marché commun. Ils ont donc l’impression de perdre un « allié. » Cependant, je pense que chaque pays en Europe entend préserver une relation particulière avec le Royaume-Uni.
La France également ?
N’oublions pas que la France et le Royaume-Uni ont la relation la plus particulière au sein de l’Union européenne, notamment parce que nous avons une relation de défense et de renseignement inégalée à travers le monde. Cette relation bilatérale a été renforcée par le Président de la République en janvier 2018 et, elle va perdurer indépendamment de ce qui se passe avec le Brexit.
Sources
- Comme tous les citoyens européens, les ressortissants britanniques peuvent, depuis 1991, devenir fonctionnaires dans l’administration française. Il s’agit d’une exigence communautaire, issue de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) tel qu’interprété par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Garanti par l’article 5 bis de la loi « Le Pors » du 13 juillet 1983, ce droit exclut toutefois les « emplois de souveraineté ». À titre d’exemple, les ressortissants britanniques n’assurent pas de missions « de nature régalienne » aux ministères de la Défense, du Budget, de l’Économie et des Finances, de la Justice et des Affaires étrangères. À l’inverse, ils ont accès aux autres emplois de la fonction publique : infirmiers, enseignants-chercheurs, psychologues territoriaux, directeurs d’hôpitaux, etc. Un rapport du sénat concernant les fonctionnaires de nationalité britannique, estime que 5 115 Britanniques travaillent pour les administrations françaises, dont 3 400 contractuels et 1 715 titulaires. La fonction publique de l’État est le principal vivier, avec un total de 4 215 agents britanniques. Il s’agit, le plus souvent, de professeurs de langue étrangère. En outre, environ 1 700 Britanniques sont fonctionnaires de l’Union européenne. Leur statut dépend uniquement du droit communautaire, non des États membres ; en conséquence, il n’est pas mentionné par le présent projet de loi.