« Nous devons nous préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents » : le discours de Mark Rutte
« Nous sommes la prochaine cible de la Russie, et nous sommes déjà en danger. »
Depuis Berlin, le secrétaire général de l’OTAN a adressé un message d’une particulière gravité aux citoyens de l’Union.
Nous le traduisons.
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- © Michael Kappeler
Bonjour, cher Johann, cher Detlef, cher Wolfgang, bonjour à tous. Merci pour cet accueil chaleureux, c’est toujours un plaisir d’être à Berlin.
Il y a un peu plus de 36 ans, lors d’une nuit désormais célèbre de novembre, le secrétaire général de l’OTAN de l’époque Manfred Wörner a sauté dans sa voiture et a roulé toute la nuit jusqu’à Berlin.
Dans la précipitation, il avait oublié d’informer son équipe à Bruxelles de sa destination.
Manfred rentrait chez lui en Allemagne pour se joindre à la foule qui célébrait la chute du mur de Berlin.
Aujourd’hui, un morceau du mur se trouve au siège de l’OTAN. Il s’agissait d’une barrière destinée à retenir les gens à l’intérieur et à empêcher les idées de passer ; maintenant, c’est un monument à la force de la liberté, un rappel du pouvoir de l’unité et une leçon qui nous enseigne que nous devons rester forts, confiants et déterminés. Car les forces obscures de l’oppression sont de nouveau en marche. Je suis ici aujourd’hui pour vous dire quelle est la position de l’OTAN et ce que nous devons faire pour empêcher une guerre avant qu’elle ne commence.
Nous devons être très clairs sur la menace : nous sommes la prochaine cible de la Russie, et nous sommes déjà en danger.
Lorsque je suis devenu secrétaire général de l’OTAN l’année dernière, j’ai averti que ce qui se passait en Ukraine pouvait également arriver aux pays alliés et que nous devions adopter un état d’esprit de guerre.
Cette année, nous avons pris des décisions importantes pour renforcer l’OTAN.
Lors du sommet de La Haye, les Alliés ont convenu d’investir 5 % du PIB annuel dans la défense d’ici 2035, d’augmenter la production de défense dans l’ensemble de l’Alliance et de continuer à soutenir l’Ukraine.
Mais ce n’est pas le moment de nous féliciter.
Je crains que trop de gens ne se reposent tranquillement sur leurs lauriers, que trop de gens ne ressentent pas l’urgence de la situation, que trop de gens pensent que le temps joue en notre faveur.
Ce n’est pas le cas : c’est maintenant qu’il faut agir.
Les dépenses et la production d’équipements de défense des pays alliés doivent augmenter rapidement, nos forces armées doivent disposer de ce dont elles ont besoin pour assurer notre sécurité — et l’Ukraine doit disposer de ce dont elle a besoin pour se défendre, dès maintenant.
Nos gouvernements, nos parlements et nos citoyens doivent être unis dans cette lutte, afin que nous puissions continuer à protéger la paix, la liberté et la prospérité, nos sociétés ouvertes, nos élections libres et notre presse libre.
Nous devons tous accepter que nous devons agir dès maintenant pour défendre notre mode de vie.
Car cette année, la Russie est devenue encore plus effrontée, imprudente et impitoyable envers l’OTAN et l’Ukraine.
Pendant la guerre froide, le président Reagan avait mis en garde contre les « pulsions agressives d’un empire du mal ». Aujourd’hui, le président Poutine s’attelle à bâtir un nouvel empire.
Il jette toutes ses forces sur l’Ukraine, tuant des soldats et des civils, détruisant les refuges de l’humanité : maisons, écoles et hôpitaux.
Depuis le début de l’année, la Russie a lancé plus de 46 000 drones et missiles contre l’Ukraine. Elle produit probablement 2 900 drones d’attaque par mois, ainsi qu’un nombre similaire de leurres destinés à détourner l’attention des défenses aériennes.
En 2025, la Russie a produit environ 2 000 missiles de croisière et balistiques terrestres, ce qui la rapproche de son pic de production.
Tandis que Poutine tente de détruire l’Ukraine, il ravage également son propre pays.
Depuis le début de la guerre en 2022, on dénombre plus de 1,1 million de victimes russes. Cette année, la Russie a perdu en moyenne 1 200 soldats par jour. Pensez-y : plus d’un million de victimes à ce jour, et 1 200 par jour, tués ou blessés, rien que cette année.
Poutine paie son orgueil avec le sang de son propre peuple — s’il est prêt à sacrifier ainsi les Russes ordinaires, que sera-t-il prêt à nous faire ?
Dans sa vision déformée de l’histoire et du monde, Poutine estime que notre liberté menace son emprise sur le pouvoir — et que nous voudrions détruire la Russie.
Mais Poutine s’en charge très bien tout seul.
L’économie russe est désormais axée sur la guerre, et non sur la prospérité de son peuple. La Russie consacre près de 40 % de son budget à l’agression, et environ 70 % de toutes les machines-outils en Russie sont utilisées dans la production militaire. Les impôts augmentent, l’inflation a explosé et l’essence est rationnée.
Le prochain slogan de campagne présidentielle de Poutine devrait être : « Make Russia Weak Again. » 1 Bien sûr, ce n’est pas comme si des élections libres et équitables le dérangeaient.
Comment Poutine peut-il poursuivre sa guerre contre l’Ukraine ?
La réponse est simple : la Chine.
La Chine est la bouée de sauvetage de la Russie. Elle veut empêcher son allié de perdre en Ukraine.
Sans son soutien, la Russie ne pourrait pas continuer à mener cette guerre. Environ 80 % des composants électroniques essentiels des drones russes et d’autres systèmes sont par exemple fabriqués en Chine. Lorsque des civils meurent à Kiev ou à Kharkiv, la technologie chinoise est souvent présente dans les armes qui les ont tués.
N’oublions pas non plus que la Russie compte également sur la Corée du Nord et l’Iran dans sa lutte contre la liberté, pour ses munitions et son équipement militaire.
Jusqu’à présent, Poutine n’a joué le rôle de pacificateur que lorsque cela lui convenait, afin de gagner du temps pour poursuivre sa guerre.
Le président Trump veut mettre fin au bain de sang dès maintenant — et il est le seul à pouvoir amener Poutine à la table des négociations.
Mettons donc Poutine à l’épreuve : voyons s’il veut vraiment la paix ou s’il préfère que le massacre continue.
Il est essentiel que nous continuions tous à faire pression sur la Russie et à soutenir les efforts sincères visant à mettre fin à cette guerre.
Grâce au soutien de l’OTAN, l’Ukraine peut aujourd’hui se défendre, être en position de force pour garantir une paix juste et durable, et être en mesure de dissuader toute agression russe à l’avenir.
Des milliards de dollars de matériel militaire essentiel affluent en Ukraine, provenant des États-Unis et financés par les Alliés et les partenaires.
Il s’agit d’une puissance de feu que seule l’Amérique peut fournir ; nous le faisons dans le cadre d’une initiative de l’OTAN baptisée PURL.
Depuis son lancement cet été, PURL a fourni environ 75 % de tous les missiles destinés aux batteries Patriot de l’Ukraine et 90 % des munitions utilisées dans ses autres systèmes de défense aérienne.
Je tiens à remercier l’Allemagne et les autres Alliés pour leur soutien.
Le programme PURL permet à l’Ukraine de continuer à se battre et protège sa population. Je compte sur un plus grand nombre d’Alliés pour y contribuer et pour renforcer leur soutien à l’Ukraine de nombreuses autres manières.
Car nous devons renforcer l’Ukraine afin qu’elle puisse arrêter Poutine dans son élan.
Imaginez simplement que Poutine parvienne à ses fins : l’Ukraine sous le joug de l’occupation russe, ses forces pressant contre une frontière plus longue avec l’OTAN, et le risque considérablement accru d’une attaque armée contre nous.
Cela nécessiterait un changement véritablement gigantesque dans notre dissuasion et notre défense.
L’OTAN devrait augmenter considérablement sa présence militaire le long de son flanc oriental, et les Alliés devraient aller beaucoup plus loin et plus vite en matière de dépenses et de production de défense.
Dans un tel scénario, nous regretterions l’époque où 3,5 % du PIB consacrés à la défense nous paraissaient suffire.
Ce chiffre augmenterait considérablement, et face à cette menace imminente, nous devrions agir rapidement. Il y aurait des budgets d’urgence, des coupes dans les dépenses publiques, des perturbations économiques et une pression financière supplémentaire.
Dans ce scénario, des compromis douloureux seraient inévitables, mais absolument nécessaires pour protéger nos populations.
Ne l’oublions donc pas : la sécurité de l’Ukraine, c’est notre sécurité.
Les défenses de l’OTAN peuvent tenir pour l’instant. Mais avec son économie consacrée à la guerre, la Russie pourrait être prête à utiliser la force militaire contre l’OTAN d’ici cinq ans.
Elle intensifie déjà sa campagne secrète contre nos sociétés.
La liste des cibles de sabotage de la Russie ne se limite pas aux infrastructures critiques, à l’industrie de la défense et aux installations militaires. Des attaques ont été perpétrées contre des entrepôts et des centres commerciaux, des explosifs ont été dissimulés dans des colis, et la Pologne enquête actuellement sur des actes de sabotage contre son réseau ferroviaire.
Cette année, nous avons assisté à des violations flagrantes de l’espace aérien par la Russie.
Qu’il s’agisse de drones au-dessus de la Pologne et de la Roumanie ou d’avions de chasse au-dessus de l’Estonie, de tels incidents mettent des vies en danger et augmentent le risque d’escalade.
Si nous pensons souvent au risque principalement en termes de flanc oriental, le rayon d’action de la Russie ne se limite pas à la terre ferme.
L’Arctique et l’Atlantique sont des voies supplémentaires, qui nous rappellent une fois de plus pourquoi cette Alliance est si cruciale depuis tant d’années, des deux côtés de l’Atlantique.
Nous travaillons donc ensemble pour assurer la sûreté et la sécurité de tous les Alliés, sur terre, en mer et dans les airs. Nous avons renforcé notre vigilance, notre dissuasion et notre défense le long du flanc Est avec Eastern Sentry, et nous continuons à protéger nos infrastructures critiques en mer avec Baltic Sentry.
La réponse de l’OTAN aux provocations de la Russie a été calme, décisive et proportionnée, mais nous devons nous préparer à une nouvelle escalade et à une nouvelle confrontation.
Notre engagement indéfectible envers l’article 5 du Traité, selon lequel une attaque contre l’un est une attaque contre tous, envoie un message fort.
Tout agresseur doit savoir que nous pouvons riposter avec force, et que nous le ferons. C’est pourquoi nous avons pris des décisions cruciales à La Haye : en matière de dépenses de défense, de production et de soutien à l’Ukraine.
Nous constatons des progrès importants. Prenons l’exemple de la production de munitions : la production européenne d’obus d’artillerie de 155 millimètres a été multipliée par six par rapport à il y a deux ans.
J’ai visité cette année une nouvelle usine en Allemagne, à Unterlüß, qui prévoit de produire 350 000 obus d’artillerie par an.
L’Allemagne est en train de modifier en profondeur son approche de la défense et de l’industrie afin d’augmenter la production — et les investissements qu’elle consacre à ses forces armées sont extraordinaires. Environ 152 milliards d’euros sont prévus pour la défense d’ici 2029, soit 3,5 % de son PIB d’ici 2029.
L’Allemagne est une puissance de premier plan en Europe et une force motrice au sein de l’OTAN. Le leadership allemand est essentiel pour notre défense collective. Son engagement à assumer sa part équitable pour notre sécurité est un exemple pour tous les Alliés.
Nous devons être prêts. Car alors que ce premier quart du XXIe siècle touche à sa fin, les conflits ne se livrent plus à distance : ils sont à nos portes.
La Russie a ramené la guerre en Europe et nous devons nous préparer à une guerre d’une ampleur comparable à celle qu’ont connue nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents.
Imaginez un conflit touchant chaque foyer, chaque lieu de travail, entraînant destruction, mobilisation massive, des millions de personnes déplacées, des souffrances partout et des pertes extrêmes.
C’est une pensée terrible.
Mais si nous tenons nos engagements, c’est une tragédie que nous pouvons éviter.
L’OTAN est là pour protéger un milliard de personnes, des deux côtés de l’Atlantique.
Notre mission est de vous protéger, vous, vos familles, vos amis et votre avenir.
Nous ne pouvons pas baisser la garde, et nous ne le ferons pas.
Je compte sur nos gouvernements pour respecter leurs engagements et pour aller plus loin et plus vite — car nous ne pouvons ni faiblir, ni échouer.
Écoutez les sirènes retentir à travers l’Ukraine, regardez les corps retirés des décombres et pensez aux Ukrainiens qui pourraient s’endormir ce soir et ne pas se réveiller demain. Qu’est-ce qui sépare ce qui leur arrive de ce qui pourrait nous arriver ?
Seulement l’OTAN.
En tant que secrétaire général, c’est mon devoir de vous dire ce qui nous attend si nous n’agissons pas plus rapidement, si nous n’investissons pas dans la défense et si nous ne continuons pas à soutenir l’Ukraine.
Je sais que ce message est difficile à entendre à l’approche des fêtes de fin d’année, alors que nos pensées se tournent vers l’espoir, la lumière et la paix.
Mais nous pouvons puiser courage et force dans le fait que nous sommes unis au sein de l’OTAN, déterminés et conscients d’être du bon côté de l’Histoire.
Nous avons un plan, nous savons ce qu’il faut faire, alors agissons.
Nous le devons.
Merci.