« Pour Trump, l’accumulation du pouvoir est l’objectif ultime », une conversation avec John Ganz

De qui MAGA pastiche-t-il le style ?

En exploitant les frustrations nées de la mondialisation, la droite trumpiste redéfinit le populisme.

Transformant les essais de tribuns républicains, elle contraint le Parti à une mue irréversible. Son objectif est plus radical : instaurer « une dictature à parti unique ».

John Ganz analyse cette mutation des droites américaines.

John Ganz, When the Clock Broke. Con Men, Conspiracists and the Origins of Trumpism, Londres, Penguin Books, 2025, 432 pages, ISBN 978-140598169

On entend souvent dire que Donald Trump est une figure politique sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Pourtant, il est frappant de constater que de nombreux éléments de son style et de sa rhétorique étaient déjà présents chez Ross Perot, un personnage relativement méconnu en Europe. Considérez-vous Trump comme son descendant direct ?

C’est essentiellement la prémisse de mon livre. Plusieurs personnalités ont anticipé Trump, et Ross Perot en fait certainement partie. Une autre est Patrick Buchanan, qui a défié George H. W. Bush lors des primaires républicaines de 1992 et a représenté l’aile d’extrême droite du parti pendant des années.

Au-delà des politiciens, les talk-shows radiophoniques et les émissions de télévision diffusées en journée ont également contribué à faire de Trump une figure du show-business autant que de la politique. À bien des égards, il est la cristallisation de toutes ces influences.

Perot était un milliardaire qui prétendait pouvoir remédier à l’inefficacité du gouvernement américain grâce à son sens des affaires et à son charisme. Il a été très populaire pendant un certain temps et, à l’instar de Trump, s’est positionné comme un outsider capable de faire bouger les choses.

Cependant, l’hostilité de Trump envers l’immigration et son opposition au libre-échange proviennent directement de l’aile du parti représentée par Buchanan. Perot critiquait également le libre-échange et l’ALENA, estimant qu’ils nuisaient à l’industrie américaine. Il y a donc une filiation claire.

Il convient également de noter que la première tentative présidentielle de Trump s’est faite au sein du Reform Party de Perot, ce qui le rattache à cette tradition de candidats protestataires. Il a souvent loué Buchanan pour avoir été en avance sur son temps.

Une autre figure dont je parle dans le livre, bien que plus controversée, est David Duke, un ancien membre du Ku Klux Klan qui s’est présenté aux élections du poste de gouverneur de Louisiane et a obtenu des résultats étonnamment bons. Son succès a marqué le début d’une période de crise pour l’élite politique américaine, ouvrant ainsi la voie à des personnalités telles que Buchanan et, finalement, Trump.

Pour comprendre le trumpisme aujourd’hui, faut-il se tourner vers les années 1990, en particulier vers des personnalités telles que Murray Rothbard ?

C’est en effet important. Des personnalités telles que Rothbard, Samuel Francis et d’autres paléo-conservateurs ont pris de l’importance sur la scène politique dans les années 1990. Ils se considéraient comme faisant partie de la droite américaine, même si certains rejetaient l’étiquette « conservateur ». Cette tradition remonte à la Seconde Guerre mondiale, aux isolationnistes tels que Charles Lindbergh et l’America First Committee.

Ce courant conservateur s’opposait aux alliances étrangères, était souvent très hostile aux immigrés et considérait le pays comme le patrimoine des Anglo-Saxons blancs. Il exprimait parfois un antisémitisme implicite ou explicite. Rothbard, bien que juif, admirait Lindbergh, notamment pour sa sympathie envers l’Allemagne nazie et son opposition à l’implication des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.

Si les années 1990 sont importantes, les racines du phénomène que l’on observe aujourd’hui remontent aux années 1920 et 1930.

L’approche de Trump reflète des courants profonds de l’histoire politique américaine : le scepticisme envers l’Europe, l’accent mis sur le pouvoir unilatéral et la priorité donnée aux intérêts américains.

John Ganz

Après la guerre, cette tradition isolationniste « America First » est devenue un courant mineur de la droite américaine, qui était par ailleurs plus engagée sur le plan mondial et acceptait à contrecœur certaines mesures du New Deal de Roosevelt et une Amérique multiethnique. Pourtant, cette tendance dissidente a persisté et a refait surface avec force au cours des décennies suivantes.

Une similitude assez frappante entre Perot et Trump est leur rapport à la technologie. Perot avait l’idée des « assemblées publiques électroniques », tandis que Trump revendique diriger le pays comme une entreprise et s’entoure de personnalités du monde de la technologie comme Elon Musk et Peter Thiel. Comment interprétez-vous cette association ?

C’est un parallèle intéressant. Lorsque j’ai commencé à écrire le livre, Elon Musk n’était pas encore pleinement apparu comme une figure politique – il n’avait pas encore racheté Twitter ni pris son virage à droite.

Avec le recul, les similitudes avec Perot sont toutefois frappantes. Tous deux cherchaient à contourner les institutions intermédiaires, comme le Congrès ou les médias, pour entrer directement en contact avec le public, mais de manière à pouvoir le manipuler.

Perot critiquait le Congrès pour sa lenteur et proposait des « assemblées publiques électroniques » comme forme de démocratie directe, permettant aux citoyens d’exprimer leurs opinions. À l’époque, les critiques mettaient en garde quant aux risques de manipulation de ce système, ce qui préfigure la manière dont les réseaux sociaux peuvent aujourd’hui donner l’impression d’un large consensus en faveur d’un mouvement qui ne représente peut-être qu’une faible partie de la population.

Perot a également utilisé son influence pour manipuler le gouvernement fédéral au profit de ses entreprises. De la même manière, les magnats de la technologie comme Musk dépendent désormais des partenariats gouvernementaux pour lever des capitaux à des échelles bien supérieures à celles des marchés privés, ce qui constitue un changement structurel dans la relation entre les secteurs public et privé.

Trump a appliqué cette approche. Grâce à Twitter, il a contourné les médias pour s’adresser directement à son public, ce qui correspond à la vision de Murray Rothbard : un démagogue populiste qui « court-circuite » les élites médiatiques, le monde universitaire et la société civile pour communiquer directement avec les citoyens.

Perot a également tenté d’appliquer l’ingénierie des systèmes pour rendre le gouvernement fédéral plus efficace, réduire la bureaucratie et mettre en œuvre des changements sans nécessairement avoir besoin de l’approbation du Congrès. Musk fait écho à cette approche en mettant l’accent sur l’efficacité et le contrôle direct.

Des personnalités telles que Peter Thiel et Musk semblent contredire les idéaux libertaires : ils prônent un gouvernement plus modeste et une réduction des dépenses fédérales, mais dépendent fortement des contrats gouvernementaux. Comment interpréter cette dissonance ?

Cette tension a des racines historiques. Depuis la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, la droite américaine privilégie un État fédéral réduit, mais un important appareil militaire. Les dépenses de défense ont toujours été une priorité, et la fin de la guerre froide, marquée par la réduction des dépenses militaires, a coïncidé avec le déclin industriel.

Cette contradiction apparente disparaît lorsque l’on considère que l’objectif est un État « veilleur de nuit » : une réglementation minimale, un pouvoir corporatif fort à l’intérieur, mais une projection étendue de la puissance américaine à l’extérieur.

Des entreprises comme Palantir en sont l’exemple parfait ; celles-ci recherchent des rendements massifs grâce à des contrats de défense et entretiennent des liens étroits avec l’État, envisageant des partenariats à l’échelle du projet Manhattan. Cette idée est développée dans le livre d’Alex Karp, The Technological Republic 1.

Trump imagine les États-Unis comme une sorte de dictature développementaliste, dans laquelle il construirait et remodèlerait les choses selon sa volonté.

John Ganz

Ces entreprises visent des partenariats public-privé qui rappellent la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre froide. Cela est logique : après la Guerre froide, les États-Unis ont perdu un projet national d’investissements technologiques et industriels à grande échelle. Ces entreprises se considèrent comme les restauratrices de ce projet, mettant l’accent sur la capacité militaire tout en démantelant les programmes sociaux.

Historiquement, même sous Reagan, la droite a privilégié des dépenses militaires élevées associées à des coupes budgétaires nationales. Ce que nous observons aujourd’hui est une extension plus radicale : une tentative de saper le libéralisme sur le plan institutionnel en ciblant la bureaucratie fédérale, les universités et les médias, dans le but de remodeler l’infrastructure idéologique et organisationnelle de l’État.

Cette tentative trouve-t-elle son origine dans les années 1990 avec la chute de l’Union soviétique, la « fin de l’histoire » et la désindustrialisation des États-Unis ?

C’est manifeste. Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis sont confrontés à une crise de leadership. Les partis politiques ont eu du mal à définir un objectif national ou un consensus sur le rôle et les priorités du pays. La transition vers une économie axée sur la consommation a amélioré la qualité de vie à certains égards, mais a érodé les capacités de production, modifiant le quotidien de beaucoup de personnes et les laissant insatisfaites.

Des événements tels que la guerre contre le terrorisme n’ont pas fédéré le pays autour d’un projet national, comme lors de la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre froide. La crise financière et l’administration Obama ont offert un moment où certains espéraient un retour à une intervention de type New Deal, mais cela n’a pas abouti.

Cette absence d’orientation et de priorités claires a créé un vide dont un outsider comme Trump a pu tirer parti. Le leadership républicain a été largement rejeté. Les figures du parti manquaient de crédibilité et de connexion avec le public. Les dirigeants démocrates ont maintenu leur cohésion interne, mais ils ont eu du mal à proposer au grand public une vision convaincante de l’avenir de l’Amérique.

L’administration Biden a tenté de promouvoir l’idéal démocratique à l’étranger et de présenter les États-Unis comme un phare de la démocratie, mais cette initiative semble avoir échoué. Pourquoi les démocrates n’ont-ils pas réussi à opérer un changement similaire à celui du Parti républicain ?

Cet échec s’explique en partie par des raisons structurelles. Le processus de sélection des candidats du Parti démocrate est moins compétitif que celui du Parti républicain.

Les super-délégués et la coordination de l’élite rendent difficile le remplacement des dirigeants du parti, même lorsqu’ils deviennent inefficaces ; au cours des dernières décennies, les dirigeants démocrates ont vieilli et ont eu du mal à s’adapter à un monde en mutation rapide, donnant l’impression d’être déconnectés ou incompétents.

Les initiatives de Biden sont arrivées trop tard : les réformes et la réévaluation des priorités nationales américaines auraient dû être engagées après la Guerre froide ou du moins après 2008. En l’absence d’un consensus clair, le message grossier et populiste de Trump a trouvé un public réceptif. Un vaste sentiment anti-système s’est développé au cours des trente dernières années, et il était presque inévitable qu’il finisse par éclater.

En un sens, il existe deux Amériques : l’une perçoit le pays comme une puissance qui doit se réaffirmer, l’autre le considère comme une force mondiale prééminente qui perdure.

John Ganz

Pour les Démocrates, la principale voie à suivre consiste à renouveler leur leadership et à faire place à de nouvelles figures. Contrairement aux Républicains, le parti n’attire pas les insurgés ambitieux en quête de pouvoir et d’influence, ce qui affaiblit son énergie interne. L’influence future pourrait provenir de personnalités plus jeunes inspirées par l’approche de Bernie Sanders plutôt que de la vieille garde, incarnée par Pelosi ou Schumer.

Le retard des Démocrates s’explique également en partie par l’âge des dirigeants et par leurs donateurs. Sur la question israélo-palestinienne, par exemple, les élus démocrates plus âgés ont mis du temps à reconnaître l’évolution rapide de l’opinion publique. Ils ont supposé que les règles conventionnelles s’appliquaient toujours, que le consensus américain était fermement pro-israélien et que qu’il était trop risqué sur les plans électoral et financier de s’écarter de cette position.

L’incapacité des dirigeants démocrates à percevoir ces changements, même ceux qui sont évidents pour quiconque observe les réseaux sociaux, montre à quel point ils sont déconnectés de leur base.

Trump, au contraire — et ce même il y a dix ans — était plus proche de la base du parti que ses anciens dirigeants. Il a complètement éclipsé George Bush, qui incarnait l’ancien establishment. Il n’y a pratiquement plus d’électorat pour ce style de politique. Les électeurs démocrates restent peut-être plus fidèles à la direction du parti, mais la base des anciens dirigeants démocrates s’est considérablement réduite.

Ls États-Unis ont grandement bénéficié de la mondialisation, mais en ont également souffert, notamment lorsqu’on regarde le phénomène de désindustrialisation. Si la mondialisation était promesse de meilleures conditions de vie — en échange de leur productivité —, comment ce revers met-il à mal ce contrat tacite ?

Le tableau est complexe. Sur le papier, les États-Unis ont grandement bénéficié de la mondialisation : des biens de consommation moins chers, une amélioration du niveau de vie et un accès à une large gamme de produits. Pourtant, la stagnation des salaires et l’augmentation des inégalités de revenus ont persisté, et une grande partie du pays – en particulier les villes industrielles et les villes de l’Amérique moyenne – a été laissée pour compte.

Des villes comme Détroit, autrefois symboles de la prospérité américaine, ont connu un déclin rapide. Les carrières stables et protégées par les syndicats du milieu du XXe siècle ont largement disparu, laissant place à des emplois précaires sans les mêmes avantages ni protections.

Le contraste entre les centres financiers ou côtiers prospères et les zones industrielles ou rurales en difficulté est frappant. De nombreux Américains ont vu s’affaiblir significativement leur sentiment d’appartenance à une communauté, leurs moyens de subsistance et leur stabilité sociale — la mondialisation n’a pas suffi à compenser cette perte.

Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis sont confrontés à une crise de leadership.

John Ganz

L’immigration a encore renforcé ce sentiment d’insécurité. À mesure que les communautés perdaient leurs emplois et leur cohésion, l’arrivée d’étrangers était perçue comme une menace. Dans certaines régions, les immigrants étaient considérés comme des concurrents pour les emplois et comme une cause de baisse des salaires. Certains des opposants les plus virulents à l’immigration étaient d’ailleurs des immigrants récents, qui considéraient les nouveaux arrivants comme des concurrents et une menace pour leur identité américaine durement acquise.

Au cœur du mouvement de Trump se trouve un sentiment de perte de prestige et de pouvoir des Blancs. Bien que le mouvement comprenne des membres d’autres groupes raciaux et ethniques, il repose sur l’impression d’un déplacement culturel et économique, souvent exprimée avec une intensité et une hostilité considérables.

Quels parallèles voyez-vous entre le Japan bashing 2 des années 1980-1990 et la perception de l’essor économique de la Chine depuis les années 2000, notamment au sein de la droite ?

Il existe des parallèles évidents. Les Américains étaient très préoccupés par le Japon, mais cette inquiétude s’est avérée injustifiée, car l’économie japonaise a stagné.

La Chine, cependant, est différente. Elle a une population plus importante, un système politique capable de diriger l’économie et une base industrielle plus solide. Son industrialisation rapide et sa croissance axée sur les exportations ont pris les États-Unis au dépourvu.

Le commerce avec la Chine est devenu un enjeu central du premier mandat de Trump, reflétant des préoccupations plus larges concernant le déclin de l’hégémonie américaine. Le mouvement de Trump trouve un écho auprès de ceux qui perçoivent les États-Unis comme affaiblis, exploités par d’autres nations et perdant leur influence à l’échelle mondiale.

En un sens, il existe deux Amériques : l’une perçoit le pays comme une puissance qui doit se réaffirmer, l’autre le considère comme une force mondiale prééminente qui perdure.

La vision du monde de Trump s’inspire de traditions politiques américaines plus anciennes, qui remonte aux années 1920 et 1930. Ces courants considèrent les États-Unis comme indépendants de l’Europe, souvent en opposition avec elle, et moins alignés sur leurs pairs démocratiques que sur des puissances concurrentes comme la Chine ou la Russie.

Il existe également une croyance de longue date en la domination américaine sur l’hémisphère occidental, qui transparaît aujourd’hui dans la position des États-Unis envers des pays comme le Venezuela.

La nouvelle droite américaine désire pour l’essentiel une dictature à parti unique sous contrôle républicain, si elle parvient à la mettre en place. 

John Ganz

L’approche de Trump reflète des courants profonds de l’histoire politique américaine : le scepticisme envers l’Europe, l’accent mis sur le pouvoir unilatéral et la priorité donnée aux intérêts américains, même si cela fait écho à des modèles autoritaires à l’étranger. Ces idées sont anciennes dans la politique américaine, et Trump les a ravivées, consciemment ou non.

Aux États-Unis, un courant plus modeste mais persistant considère depuis longtemps le pays comme fondamentalement blanc et ayant une identité ethnique précise. Cette perspective transparaît dans les débats sur la citoyenneté et l’appartenance, comme dans les propos de J. D. Vance ou Eric Schmitt. Alors que la tradition majoritaire de la seconde moitié du XXe siècle met l’accent sur le droit et l’identité civique, il y a toujours eu un courant sous-jacent de nationalisme populiste et ethnique.

Comment lisez-vous la nomination de J. D. Vance par Trump dans le contexte de la transformation durable du Parti républicain qui a commencé après les années Reagan ? Et quel rôle Buchanan a-t-il joué dans cette transformation ?

Buchanan incarnait le même populisme nationaliste ethnique que Trump et Vance incarnent, mais son heure n’était pas encore venue – l’establishment de l’ère Reagan était encore puissant. Cependant, bon nombre des idées et du discours de Buchanan sont pleinement présents chez Trump et Vance.

Vance est plus idéologique que Trump, avec une position très nativiste sur la question de savoir qui est Américain ou non. Sa nomination indique que Trump et son entourage considèrent cette vision comme l’avenir du parti.

Vance défend systématiquement l’extrême droite, partageant son énergie et ses ambitions. C’est également un opportuniste avisé : il a commencé comme critique de centre-droit de Trump avant de devenir l’un de ses plus proches alliés, reconnaissant où se trouvaient les opportunités politiques.

En somme, l’ancienne élite républicaine n’avait plus beaucoup d’avenir, et Vance s’est positionné au sein de la faction insurgée et montante – une décision opportuniste mais calculée qui l’aligne sur le mouvement de Trump.

Certains membres de la droite considèrent Trump comme un avatar, dont la présidence servirait à mettre en œuvre un projet idéologique conçu en dehors de la Maison-Blanche. Êtes-vous d’accord avec l’idée que Trump est avant tout un véhicule, capable de remporter des votes mais sans plan cohérent ?

Trump reste très largement aux commandes. Il évolue entre les différentes factions du Parti républicain, jouant le rôle de médiateur entre elles car il convainc tout le monde qu’il est « l’un des leurs ». En ce sens, il est un vecteur de courants politiques plus larges – les groupes néonazis et l’extrême droite, par exemple, le considèrent comme aligné sur leurs intérêts.

Trump a certes sa propre vision, mais elle est personnelle et dictatoriale plutôt qu’idéologique. Il imagine les États-Unis comme une sorte de dictature développementaliste, dans laquelle il construirait et remodèlerait les choses selon sa volonté, avec un minimum d’opposition.

Beaucoup au sein de la coalition trumpiste trouvent attrayant le modèle mafieux — un système basé sur le patronage, la force, la loyauté et la corruption.

John Ganz

Trump estime implicitement que les dirigeants doivent être blancs et compétents ; il considère l’inclusion des femmes et des minorités dans les postes de direction comme un problème.

Même s’il n’a pas d’idéologie systématique, il a une vision claire centrée sur son autorité et son pouvoir. Tout tourne autour de lui : son contrôle, sa capacité à imposer sa volonté et à satisfaire ses préférences personnelles.

Pour Trump, l’accumulation du pouvoir est l’objectif ultime.

Qui considérez-vous comme les figures clés qui influencent les décisions de Trump ? 

L’influence autour de Trump est fluctuante, les personnalités montent et descendent rapidement. Certaines, comme Laura Loomer, semblent détenir une influence démesurée malgré leur manque de compétences conventionnelles. Steve Bannon conserve une certaine importance sur la scène publique car il s’exprime au nom d’une certaine base, même si ce n’est peut-être pas aussi marqué que lors du premier mandat.

Parmi les autres voix influentes, on trouve de jeunes figures de droite comme Candace Owens et Nick Fuentes. Ils touchent une partie politiquement engagée de la coalition, souvent davantage que les intellectuels républicains traditionnels. Leurs émissions et leurs messages sont étroitement surveillés par l’administration Trump, car ils représentent le segment le plus actif et le plus engagé de la base.

Dans l’ensemble, l’entourage de Trump est une coalition de voix extrêmes – des figures de Turning Point USA aux personnalités médiatiques du Daily Wire – avec des influences variables et des conflits occasionnels, mais qui font toutes partie de l’énergie qui anime le mouvement.

Certains, comme Curtis Yarvin, semblent également avoir une forte influence sur J. D. Vance, qui est étroitement lié à l’aile alt-right de la coalition MAGA.

Vance est en grande partie le produit de ce cercle quasi fasciste de personnalités publiques et d’intellectuels. Il a été façonné par leurs idées et par l’écosystème médiatique qu’ils dominent.

Ce n’est pas tant qu’il écoute une seule personne, mais plutôt qu’il vit dans un monde où ces voix définissent ce qui est intelligent ou important, et où les libéraux sont considérés comme des ennemis plutôt que comme des interlocuteurs.

Vance estime clairement que ces personnalités représentent l’avenir de la politique républicaine, et il a peut-être raison. Mais elles sont également prisonnières de leur propre bulle médiatique, comme tout le monde aujourd’hui. Leurs discours, leurs préoccupations et leur vocabulaire sont façonnés par leur public, créant une boucle de rétroaction qui peut rendre leur vision du monde trop singulière aux yeux des personnes extérieures.

En un sens, le projet trumpien considère la criminalité comme une composante nécessaire de la politique, des affaires et de la vie elle-même ; transgresser les règles n’est pas une faiblesse.

John Ganz

Ces personnalités sont davantage les produits de leur propre écosystème que des marionnettistes. À l’instar de Trump, elles dépendent de l’approbation de leur public.

Par exemple, Trump était fier du vaccin contre le coronavirus pendant sa première présidence, mais il n’a pas pu le mettre en avant politiquement parce que sa base s’opposait aux vaccins. En ce sens, il est autant limité par son public que celui-ci l’est par lui.

Dans votre livre, vous citez Samuel Francis qui décrit cette nouvelle droite américaine non pas comme un mouvement conservateur, mais comme un mouvement révolutionnaire. Considérez-vous cette division entre conservateurs et révolutionnaires comme la prochaine ligne de fracture au sein du Parti républicain ?

À mon avis, cette division a déjà eu lieu. L’extrême droite, que l’on ne peut pas vraiment qualifier de conservatrice, est désormais aux commandes. Les anciens conservateurs ne sont au mieux que des acteurs secondaires.

Trump dicte ainsi ses conditions aux dirigeants du Sénat et de la Chambre des représentants alors que, sur le papier, ces postes sont occupés par des personnalités plus âgées et traditionnellement conservatrices.

La révolution a eu lieu et l’extrême droite a pris le pouvoir. Les anciens conservateurs ont été pratiquement anéantis : pour eux, il faut choisir entre s’aligner sur MAGA, partir en exil en tant que républicain « anti-Trump » ou devenir démocrate.

Il ne reste que très peu de conservateurs républicains qui critiquent Trump ; la plupart ont été écartés, ont pris leur retraite ou ont fait défection. Trump dirige désormais le parti.

Cela dit, les conservateurs exercent encore une certaine influence et peuvent riposter si quelqu’un va trop loin. Par exemple, lorsqu’un néonazi d’extrême droite a été nommé à un poste à la Maison-Blanche, les dirigeants du Sénat ont opposé leur veto, exigeant qu’il soit soumis à des auditions et à un examen minutieux.

Les conservateurs ne sont donc pas totalement impuissants, mais l’énergie, l’initiative et les idées proviennent clairement de la droite radicale et l’ancienne aile conservatrice se contente pour l’essentiel de suivre le mouvement.

Quel est l’objectif final de cette nouvelle droite ?

Ce mouvement désire pour l’essentiel une dictature à parti unique sous contrôle républicain, s’il parvient à la mettre en place. Je ne pense pas qu’un tel système serait stable aux États-Unis, mais c’est clairement la direction qu’ils souhaitent prendre.

Les membres de ce courant estiment avoir le pouvoir et le mandat nécessaires pour instaurer un ordre post-constitutionnel, qui ignore l’opposition, réduit les autres branches du gouvernement à de simples instances de validation et ne respecte plus l’État de droit.

C’est leur objectif final : une forme de dictature. Et ils ne s’en cachent pas. Quant à savoir s’ils peuvent réellement y parvenir, c’est une autre question.

Le système politique américain comporte des barrières structurelles profondes qui rendent une telle transformation difficile à mettre en place. Ils peuvent certainement causer des dommages et abuser de leur pouvoir, mais je ne pense pas qu’ils puissent remplacer de façon permanente le système bipartite, qui est trop ancré.

Même si le président américain n’a pas d’idéologie systématique, il a une vision claire centrée sur son autorité et son pouvoir.

John Ganz

Cependant, si les Démocrates subissaient une défaite majeure lors des élections de mi-mandat en 2026, l’équilibre pourrait être complètement modifié. Mais s’ils suivent le schéma habituel et regagnent du terrain, nous reviendrons simplement à la nature cyclique de la politique américaine. Pour l’instant, la situation est incertaine, mais les intentions du mouvement sont claires.

Murray Rothbard semblait avoir une sorte de fascination pour la mafia ; il a notamment écrit sur Les Affranchis 3 et Le Parrain, ainsi que sur l’esthétique des gangsters new-yorkais. Quel rôle la mafia joue-t-elle dans l’imaginaire de la nouvelle droite ?

Les Américains sont fascinés par la mafia. C’est un genre épique américain, comme l’était autrefois le western, mais qui est plus pertinent pour la vie urbaine du XXe siècle. Le Parrain et les films de Scorsese sont emblématiques et profondément ancrés dans la culture américaine.

Trump a grandi dans un milieu où la mafia faisait partie du paysage. Les activités immobilières de son père l’obligeaient à traiter avec elle ; Trump a donc été exposé à ce milieu. À New York, la frontière entre les affaires, la politique et le crime organisé est floue.

Trump se comporte et s’exprime comme un gangster, et beaucoup de gens admirent ça. Cela symbolise la force, une compétence brute et la capacité à faire respecter l’ordre. Tout comme dans l’Ouest, où il fallait recourir à la force pour protéger ses terres, en ville, ce rôle est dévolu à la mafia : elle s’impose, prend ce qu’elle veut et fait respecter son monde.

Trump incarne ces deux mondes : celui de la haute société de l’immobilier de Manhattan, et celui du crime organisé. Il passe aisément de l’un à l’autre, montrant que ces mondes ne sont pas séparés par des frontières fixes.

Pour Trump, l’accumulation du pouvoir est l’objectif ultime.

John Ganz

Le projet trumpien considère la criminalité comme une composante nécessaire de la politique, des affaires et de la vie elle-même. Transgresser les règles n’est pas une faiblesse, mais témoigne d’une force et d’un sens de la survie.

Trump incarne une figure de gangster, et pour beaucoup de ses partisans, c’est un compliment.

Dans The Sopranos 4, Meadow présente la mafia comme une organisation ayant importé un « mode de résolution des conflits » du Mezzogiorno pour faire face à la corruption des élites. Est-ce là une manière de comprendre cet attrait : changer les règles pour parvenir à ses fins ?

Trump et sa coalition se moquent bien de la Constitution ou des règles formelles. Ils veulent un mouvement et un leader capables de les mettre de côté si nécessaire.

Beaucoup au sein de la coalition trouvent le modèle mafieux attrayant — un système basé sur le patronage, la force, la loyauté et la corruption. Dans la pratique, ce modèle est assez inefficace, mais il est facile à comprendre et à admirer.

Sources
  1. Alexander C.Karp, avec Nicholas W. Zamiska, The Technological Republic : Hard Power, Soft Belief, and the Future of the West, Crown Currency, 2025.
  2. Dénigrement du Japon.
  3. Film réalisé par Martin Scorsese, sorti en 1990, basé sur la vie d’Henry Hill, qui raconte l’ascension et la chute d’un gangster new-yorkais.
  4. Série télévisée réalisé par David Chase, diffusée entre janvier 1999 et juin 2007 sur HBO. Elle raconte l’histoire d’Anthony « Tony » Soprano, un gangster américain du New Jersey. Meadow Soprano est la fille de celui-ci.
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