Durant la pandémie de coronavirus, le taux d’épargne des foyers européens a explosé, passant de 12,2 % en moyenne dans l’Union en 2019 à 18,3 % en 2020, soit son niveau le plus élevé depuis le début du siècle. L’incertitude quant à l’avenir et les restrictions de déplacement ont entraîné une baisse des dépenses chez les Européens, tandis que, dans certains pays, les gouvernements avaient mis en place des programmes d’aide pour limiter l’impact de la perte de revenus.
Si le taux d’épargne avait baissé à la suite de la levée des mesures sanitaires, il est aujourd’hui à nouveau en hausse.
- Au premier trimestre 2025, les ménages allemands ont épargné 19,4 % de leur revenu disponible brut, les Français 18,6 % — soit bien au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, à 14,6 %.
- En Espagne, dont l’économie est pourtant traditionnellement caractérisée par un taux d’épargne faible par rapport aux autres États membres, les ménages épargnent désormais 13 % de leurs revenus — soit plus qu’en Italie, où le taux est resté relativement stable.
Dans les pays de l’OCDE, les foyers européens sont ceux qui consacrent la part la plus élevée de leurs revenus à l’épargne : 11 % du revenu des ménages français ne sont pas consacrés à la consommation finale, contre 5 % pour les États-Unis et la Corée du Sud, 3,5 % pour le Canada et 1 % pour le Japon. En dehors de l’Europe, certains pays du Golfe et d’Asie affichent toutefois un taux d’épargne brut national supérieur.
- Cette hausse du taux d’épargne en Europe traduit une inquiétude croissante des ménages quant à l’avenir de l’économie, une anticipation d’une hausse des impôts mais également de la situation géopolitique.
- Cette tendance est également renforcée par la modification de la structure démographique de la plupart des pays développés, où la part de personnes âgées — qui disposent de plus de ressources et d’épargne — augmente en proportion 1.
- Selon une étude publiée en mai par des chercheurs de l’université de Kobe et de la Sapienza de Rome, une majorité des épargnants européens (60 %) dit mettre de l’argent de côté par mesure de précaution.
- Une part importante (45 %) dit vouloir épargner en vue de la retraite, tandis que les vacances (25 %), les achats immobiliers (10 %) ou l’acquisition d’actifs financiers n’occupent qu’une place secondaire dans les stratégies d’épargne des Européens 2.
Pourtant, un taux d’épargne jugé « excessif » peut nuire à l’économie, renforçant ainsi les inquiétudes des épargnants quant à l’inflation et une stagnation des revenus.
- En 2005, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, avait employé une nouvelle expression pour décrire ce phénomène : l’excédent d’épargne mondiale, ou « global saving glut » 3.
- Selon lui, l’accumulation de sommes d’argent importantes — notamment via les fonds souverains, alimentés pour la plupart par l’exploitation d’hydrocarbures — pousse les épargnants à acheter des actifs financiers, ce qui contribue à la hausse de leur prix, plutôt que d’investir dans des projets « productifs », ce qui ralentit la croissance.
- Dans l’Union, une autre tendance est à l’œuvre : si les foyers européens épargnent environ 1 200 milliards d’euros par an, 300 milliards sont investis aux États-Unis, notamment en raison de la fragmentation des marchés financiers européens. Selon Enrico Letta, « ce phénomène met en évidence une inefficacité significative dans l’utilisation des actifs économiques de l’Union, qui, s’ils étaient réorientés efficacement au sein de ses propres économies, pourraient contribuer de manière substantielle à la réalisation de ses objectifs stratégiques ».
Contrairement aux grandes économies européennes, les États-Unis ont vu le taux d’épargne de leurs foyers diminuer depuis la pandémie, passant de 7,3 % en moyenne en 2019 à 4,5 % au cours des six premiers mois de l’année. En Chine, l’épargne brute s’est contractée de près de 10 points de pourcentage depuis 2010, et représente désormais 42 % du PIB — contre 22 % en France et 23 % en Espagne et en Italie, selon la Banque mondiale.
Sources
- « Why the world is saving too much money for its own good », The Economist, 5 février 2022.
- Charles Yuji Horioka et Luigi Ventura, « Why do Europeans save ? Micro-evidence from the household finance and consumption survey », NBER, Working Paper 32838, mai 2025.
- Remarks by Governor Ben S. Bernanke At the Sandridge Lecture, Virginia Association of Economists, Richmond, Virginia, The Global Saving Glut and the U.S. Current Account Deficit, 10 mars 2005.