1 — L’attaque israélienne

Dans la nuit du 12 au 13 juin, les services et l’armée israélienne ont mené une opération coordonnée sans précédent, baptisée Am Kalavi (« Rising Lion »), ciblant des infrastructures stratégiques iraniennes au cœur même du territoire.

Au moins 200 avions ont été mobilisés pour frapper des sites du programme nucléaire iranien.

L’opération, préparée depuis octobre 2024, aurait nécessité « une pensée novatrice, une planification audacieuse et une exécution chirurgicale à l’aide de technologies avancées, de forces spéciales et d’agents opérant en plein cœur de l’Iran, tout en échappant complètement aux services de renseignement locaux » 1.

  • Au cœur de l’opération : une coopération étroite entre le Mossad et Tsahal ayant permis la préparation de dossiers de renseignement aboutissant à des éliminations ciblées de hauts responsables du système de sécurité iranien et de scientifiques nucléaires clefs.
  • Une liste d’assassinats élaborée par les services de renseignement a ainsi permis de frapper, presque simultanément, des dizaines de responsables sécuritaires et scientifiques iraniens.
  • Dans les premières heures du 13 juin, Israël a déclaré avoir également ciblé des sites nucléaires des installations de missiles à longue portée des dépôts d’armes et les défenses anti-aériennes iraniennes. 

Cette attaque d’une intensité inédite survient alors que le président américain Donald Trump et les autorités iraniennes étaient engagés dans des négociations chaotiques depuis plusieurs mois et qu’un nouveau cycle de pourparlers sur le programme nucléaire de Téhéran aurait dû avoir lieu ce dimanche, 15 juin, à Oman.

L’opération, toujours en cours selon Tsahal, laisse à nouveau entendre qu’Israël dispose d’une connaissance approfondie de ses ennemis, en plus de ses capacités conventionnelles, comme l’avait montré la décapitation du Hezbollah.

2 — L’administration Trump a-t-elle donné son feu vert ? 

Aux alentours de midi (heure de Paris), Trump a réagi à l’attaque sur son réseau Truth Social. Dans son message, le président américain appuie l’attaque et la lie directement à la date butoir de 60 jours qu’il avait fixée à Téhéran pour trouver un deal.

  • Selon des sources consultées par CNN, Trump a eu plusieurs conversations avec le Premier ministre Netanyahou jeudi, notamment avant les frappes israéliennes.
  • Dans un entretien avec le Wall Street Journal, il a qualifié l’opération de « très réussie, pour le dire modestement » et ajouté qu’en fin de compte, « ce sera une excellente chose pour les marchés, car l’Iran n’aura pas l’arme nucléaire (…) ce qui représentait une grave menace pour l’humanité ».
  • Interrogé sur le préavis que les États-Unis auraient reçu, Trump a répondu : « Un avertissement ? Ce n’était pas un avertissement. C’était : nous savons ce qui se passe » 2.

Cette revendication a posteriori a pu surprendre. Si certaines sources officielles israéliennes affirment que Trump a donné son feu vert au lancement de l’opération, le président américain s’était montré publiquement opposé à toute action susceptible de perturber ses négociations avec l’Iran sur le nucléaire 3.

Quelques heures seulement avant le lancement de l’opération israélienne, Trump déclarait ainsi : « Je souhaite parvenir à un accord avec l’Iran. Nous sommes assez proches d’un accord. … Tant que je pense qu’un accord est possible, je ne souhaite pas qu’ils [les Israéliens] interviennent, car cela pourrait tout faire capoter » 4.

  • Le président américain a déclaré pour Axios que les frappes massives d’Israël avait probablement renforcé les chances d’un accord nucléaire : « J’avais donné à l’Iran 60 jours, aujourd’hui, c’est le 61e jour. Ils auraient dû conclure un accord. » 5

3 — Les réactions en Iran

Le Guide suprême Ali Khamenei — qui pourrait très probablement être la cible de prochaines attaques —a publié dans la matinée du 13 juin un bref communiqué reprenant la rhétorique menaçante habituelle à l’encontre d’Israël.

  • « De nombreux commandants et scientifiques sont tombés en martyrs sous les attaques de l’ennemi. Leurs successeurs et collègues vont prendre la relève immédiatement, si Dieu le veut. Le crime du régime sionistre lui prépare un sort amer et douloureux, qu’il recevra sans aucun doute ».

Le président de la République, Massoud Pezechkian, tout en insistant sur le passé historique de la nation iranienne — « bien que les Iraniens n’ont jamais commencé de guerre dans les deux cent dernières années, nous n’hésiterons pas à défendre notre terre natale » — a fait un appel au Conseil de sécurité des Nations unies, à « défendre sa dignité et sa raison d’être contre la chute du système international ».

L’attaque, survenue alors que l’Agence internationale pour l’énergie atomique venait d’adopter à la veille une résolution condamnant l’Iran, a aussi été interprétée par plusieurs responsables politiques comme une offensive de l’Occident contre la République islamique.

  • Ainsi, Mohammed Khatami, président iranien de 1997 à 2005 et figure du mouvement réformateur, dont la doctrine de politique étrangère était celle du « dialogue des civilisations », a publié un communiqué dans lequel il déclare : « Il faut remarquer la coïncidence de cet acte criminel avec le vote d’une résolution contre l’Iran, poussée par les États-Unis et les pays européens au sein de l’AIEA ».

4 — Les réactions internationales

Au vendredi 13 juin à 20h00 (Paris), soit une quinzaine d’heures après le lancement de l’opération Am Kalavi, une soixantaine de pays a publiquement réagi à l’attaque israélienne sur l’Iran.

  • La quasi-totalité des pays de la région a vivement condamné les frappes de Tsahal (Oman, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Égypte, Qatar, Bahreïn, Turquie, Liban, Jordanie, Irak), dénonçant une « agression » qui contribuera à exacerber davantage les tensions régionales.

En Europe, la position de la majorité des pays consiste à appeler à la désescalade et/ou à fournir des recommandations à leurs ressortissants qui se trouvent au Moyen-Orient.

  • Le Danemark, l’Italie, la Finlande, l’Irlande, la Croatie, les Pays-Bas, la Slovaquie, le Royaume-Uni… ont ainsi exprimé leurs inquiétudes quant au risque que fait poser l’attaque israélienne sur la stabilité régionale, sans pour autant accuser directement Netanyahou.
  • Seulement cinq pays ont affiché un soutien à Jérusalem, renvoyant notamment au « droit d’Israël à se défendre » et accusant l’Iran de poursuivre son programme nucléaire malgré la violation de ses obligations en matière de non-prolifération soulignée la veille par l’AIEA. Il s’agit de la France, de l’Allemagne, des États-Unis, du Paraguay et de la Tchéquie.
  • Plusieurs pays condamnant l’attaque d’Israël ont mis en avant le fait que celle-ci constitue une violation de la souveraineté de l’Iran ainsi que du droit international.

5 — Les implications pour le programme nucléaire iranien et le risque d’escalade 

Compte tenu de la quantité d’uranium actuellement présente en Iran et des capacités d’enrichissement dont dispose le pays, le Centre de recherche sur la non-prolifération et le contrôle des armements de l’Université du Wisconsin estimait au mois de mars que l’Iran aurait besoin d’une semaine pour produire suffisamment d’uranium pour cinq bombes nucléaires.

Les attaques militaires visant à détruire les installations nucléaires iraniennes sont plus complexes à mener et les chances de réussite plus faibles 6 que les frappes ciblées contre des commandants de l’armée. 

  • L’armée israélienne a déclaré avoir frappé l’installation d’enrichissement d’uranium de Natanz – la principale usine d’enrichissement de l’Iran — , ciblant un complexe souterrain renfermant des centrifugeuses ainsi que « des infrastructures vitales au fonctionnement continu du site et à l’avancement du projet nucléaire militaire iranien ».
  • Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, près de 14 000 centrifugeuses y sont actuellement en fonctionnement, tandis que plusieurs milliers supplémentaires sont installées mais inactives 7.
  • Rafael Grossi, le directeur de l’AIEA, a affirmé dans la matinée qu’aucun « niveau de radiation élevé » n’a été détecté autour du site nucléaire de Natanz. 
  • Il a ajouté qu’aucun signe d’attaque n’avait été observé sur deux autres sites nucléaires majeurs en Iran : l’usine d’enrichissement d’uranium de Fordo – située à environ 80/90 mètres sous terre, conçue pour résister aux tentative de bombardement – et l’usine de conversion d’Ispahan, qui produit surtout du combustible faiblement enrichi. L’usine de Bouchehr n’a pas non plus été touchée. 
  • Dans la soirée, Israël a toutefois déclaré que « des avions de chasse de l’armée de l’air ont mené une attaque contre le site nucléaire du régime iranien dans la région d’Ispahan » qui était « en cours de reconversion de l’uranium enrichi, l’étape suivante après l’enrichissement de l’uranium dans le processus de production d’armes nucléaires ». « L’attaque a détruit une structure de production d’uranium métallique, une infrastructure de conversion de l’uranium enrichi, ainsi que des laboratoires et d’autres infrastructures. » 8
  • Fordo, que les Israéliens pourraient viser prochainement, avait été développé en secret jusqu’en 2009. L’usine abrite aujourd’hui les centrifugeuses les plus avancées de l’Iran, et le site joue un rôle stratégique dans la capacité du pays à enrichir de l’uranium à 60 %, soit un niveau proche de celui requis pour un usage militaire. Il est peu probable qu’Israël puisse toucher l’usine sans le soutien militaire des États-Unis.

Alors qu’Israël continue à mener des frappes sur le territoire iranien, la réponse de Téhéran a commencé à 22h00 heure locale (20h30 à Paris) et Israël a appelé ses citoyens à rester à proximité des « espaces protégés ». 

  • Dans une manœuvre de dissuasion habituelle en pareilles circonstances, la Maison-Blanche redirige désormais certaines de ses ressources militaires vers les côtes israéliennes. 
  • La marine américaine a donné l’ordre à deux destroyers de se mettre en route vers le Levant afin de « se tenir prêt » si la Maison-Blanche venait à leur demander d’intervenir pour contrer une attaque iranienne. 
  • En avril 2024, l’armée américaine avait déjà intercepté près de 90 drones et missiles sur les 320 engins lancés par Téhéran sur le territoire israélien — assumant ainsi près de la moitié du coût associé à la défense d’Israël (plus de 140 millions de dollars).
  • Emmanuel Macron a également déclaré que la France participera à la défense d’Israël si elle est « en situation de le faire ».

Les perspectives d’une escalade régionale dépendront de la forme que prendra la riposte iranienne — en particulier si Téhéran choisit ou non de cibler les bases américaines dans la région — ce qui déterminera en grande partie le niveau d’implication des États-Unis.

  • Dans une lettre officielle du 22 mai adressée au secrétaire général de l’ONU, le ministère iranien des Affaires étrangères notait : « en cas d’attaque contre les installations nucléaires de la République islamique d’Iran par le régime sioniste, le gouvernement des États-Unis portera la responsabilité juridique d’avoir été complice » 9.
  • Une riposte circonscrite au territoire israélien — comme cela semble pour le moment être le cas — pourrait s’accompagner, en parallèle, d’une accélération délibérée du programme nucléaire. Une telle dynamique placerait l’administration Trump face à un dilemme stratégique : s’engager militairement ou non pour freiner ou neutraliser les avancées nucléaires de Téhéran.
Sources
  1. המבצע חשף : המוסד הקים בסיס רחפני נפץ בלב איראן, Ynet, 13 juin 2025.
  2. Meridith McGraw, Trump to WSJ : U.S. Was Aware of Israel’s Plans to Attack Iran, Wall Street Journal, 13 juin 2025.
  3. Barak Ravid et Dave Lawler, « Israel’s strike on Iran was 8 months in the making », Axios, 13 juin 2025.
  4. Betsy Klein, Kylie Atwood, Alejandra Jaramillo, Rob Picheta et Dana Bash, « Trump warns Iran to agree to a deal ‘before there is nothing left’ », CNN, 13 juin 2025.
  5. Barak Ravid, Trump to Axios : Israel’s attack could help me make deal with Iran, Axios, 13 juin 2025.
  6. Darya Dolzikova​, Justin Bronk, The Challenges Involved in Military Strikes Against Iran’s Nuclear Programme, RUSI, 21 mars 2025.
  7. Francois Murphy, Where are Iran’s main nuclear sites and what does it use them for ?, Reuters, 13 juin 2025.
  8. Communiqué sur Telegram, 13 juin 2025.
  9. Publication sur X, 22 mai 2025.