Les talents de négociateurs des diplomates iraniens font l’objet de multiples fantasmes : « inventeurs des jeux d’échecs », « tradition diplomatique plurimillénaire », « inventeurs des premières conventions internationales ».

  • L’hypothèse d’un talent diplomatique singulier s’explique en partie par la curiosité que suscite un système politique volontairement opaque et en partie par une forme d’orientalisme assumé par les commentateurs, parfois eux-mêmes issus de la diaspora iranienne.
  • Ainsi, alors que l’on apprenait que Steve Witkoff avait parlé « pendant 45 minutes » à son homologue iranien Abbas Araghtchi 1, des observateurs faisaient remarquer que « 45 minutes est à peu près le temps qu’un Iranien met à dire au revoir à ses hôtes à l’issue d’une réception » 2, évoquant ainsi les règles de politesse excessive en Iran, le taarof (تعارف), qui conduit les taxis à Téhéran à systématiquement refuser dans un premier temps qu’on règle une course — avant de l’accepter dans un second temps. 

Abbas Araghtchi a un parcours similaire à celui d’autres cadres dirigeants de la République islamique : issu de la bourgeoisie marchande pieuse, il a réussi à gravir les échelons de l’État grâce aux opportunités offertes par la Révolution.

  • Né en 1962 à Téhéran, dans une famille traditionnelle, il a trois sœurs et trois frères. 
  • Il obtient son baccalauréat et perd son père en 1979, au moment de la Révolution islamique. Il s’engage alors dans les corps des Gardiens de la Révolution pour combattre dans la guerre qui oppose l’Iran à l’Irak 3.
  • En 1985, il reprend ses études dans l’une des nouvelles universités créées par la République islamique, l’Université Azad de Téhéran, dont il sort diplômé en 1989 d’une maîtrise de science politique. Il rejoint alors le ministère des Affaires étrangères, mais poursuit ses études à l’étranger.
  • Il soutient en 1996 une thèse à l’université de Kent intitulée « The evolution of the concept of political participation in twentieth-century Islamic political thought » 4 (L’évolution du concept de participation politique dans la pensée politique islamique du XXe siècle), qui vise à justifier théoriquement la coexistence d’une double légitimité, démocratique et théologiquement, de la République islamique.
  • Il se distingue ainsi d’autres personnalités iraniennes, à l’instar de Saeed Jalili, négociateur iranien entre 2009 et 2013, qui ne parle pas anglais et qui est hostile à tout dialogue avec les puissances occidentales.
  • Sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères en 2024 était donc interprétée comme le signe d’une ouverture du régime à des négociations.

Araghtchi a eu une carrière rapide typique des nouveaux cadres du régime.

  • Il a notamment occupé les postes d’ambassadeur adjoint auprès de l’Organisation de la coopération islamique à Djeddah (1992-1997), d’ambassadeur en Finlande (1999-2003) et au Japon (2008-2011), puis celui de ministre adjoint des Affaires étrangères (2013-2021) sous Javad Zarif.
  • Il a publié plusieurs livres dont les Souvenir d’Abbas Araghtchi, Ambassadeur iranien au Japon en 2021, et a contribué à un ouvrage collectif en six volumes sur les conséquences des négociations qui ont conduit au JCPOA : Le JCPOA, un grand effort pour les droits, le développement et la sécurité de l’Iran (برجام؛ کوششی سترگ برای حقوق، امنیت و توسعه ایران، در شش جلد، نشر مؤسسه اطلاعات). 
  • De 2021 à 2024, il est secrétaire du Conseil stratégique des Affaires étrangères de la République islamique d’iran (شورای راهبردی روابط خارجی جمهوری اسلامی ایران), créé en 2006 par le Guide suprême Ali Khamenei, et qui soutient la définition de la politique étrangère du régime. 

Contrairement à Javad Zarif, Abbas Araghtchi n’est pas associé à un courant ou à une opinion politique précise et, à la différence de Witkoff, il a été au cœur des négociations nucléaires pendant huit ans.

  • Il a été ainsi impliqué dans un premier temps dans la phase de définition du JCPOA entre 2013 et 2015, puis lors de sa mise en œuvre entre 2015 et 2018, et enfin lors des tentatives de préserver l’accord à la suite du retrait américain entre 2018 et 2021.
  • Il était à ce titre l’interlocuteur principal des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères des autres parties prenantes aux négociations (France, Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, Chine, Russie, Union européenne), et l’interlocuteur permanent d’Helga Schmid puis d’Enrique Mora, coordinateurs des négociations en tant que directeur politique du Service européen pour l’action extérieure.
  • Au cours de ces années de négociations, il aurait acquis une réputation de professionnalisme — dans ses mémoires, Wendy Sherman, la Secrétaire d’État adjointe des États-Unis, décrit comment elle a établi une relation cordiale et de confiance avec  Araghchi, rythmée par l’échange annuel de cartes de vœux.