La doctrine Vance contre la mondialisation : le discours intégral à l’American Dynamism Summit
Le capitalisme politique américain entre dans une nouvelle phase.
La réindustrialisation et la sécurité nationale sont devenues des prétextes.
En prétendant réconcilier « populistes » et « techno-optimistes » — les deux tribus qu’il souhaite incarner — le vice-président J. D. Vance cherche en fait à réaliser le rêve des oligarques de l’IA et des nouvelles technologies.
- Auteur
- Alessandro Aresu •
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- © Samuel Corum/Sipa USA

Pour ceux qui voient dans J. D. Vance l’héritier naturel de Donald Trump, l’aura du vice-président américain serait très simple à expliquer : il incarnerait une synthèse des différents courants qui ont porté la victoire du candidat républicain en 2024.
Capable de parler à une Amérique profonde et périphérique tout en étant aussi à l’aise dans les couloirs du Capitole que derrière les baies vitrées de la Silicon Valley — où il a eu Peter Thiel pour mentor — Vance réaliserait la jointure entre Steve Bannon et Elon Musk. Sous ce prisme, il serait le produit le plus pur de ce que Lorenzo Castellani a appelé dans nos pages « l’accélération réactionnaire » ou de ce que Marlène Laruelle a défini comme un « trumpisme de gouvernement ».
Dans l’Amérique de l’auteur de Hillbilly Elegy, les « populistes » — dans le discours que nous traduisons ci-dessous, il emploie lui-même cette expression de manière méliorative plus d’une dizaine de fois — et les techno-optimistes doivent s’entendre. S’ils sont opposés, ce ne serait qu’en raison d’une prémisse erronée d’une mondialisation de la fin de l’histoire qui aurait éloigné les centres de conception des lieux de production — favorisant la désindustrialisation de l’Amérique.
Pour Vance, le programme de Trump s’énonce clairement : utiliser l’immense besoin d’innovation pour créer plus d’industries et plus d’emplois aux États-Unis.
Si quelques incitations fiscales sont prévues, l’essentiel repose sur la bonne volonté des géants du numérique — avec un mantra : « bâtir en Amérique ».
Il s’agit surtout d’opérer un renversement : au nom de l’innovation, subvertir la thématique électoralement porteuse de la réindustrialisation pour donner encore plus de pouvoir aux techno-césaristes qui soutiennent Trump.
Face à la puissance industrielle et technologique chinoise, la guerre des capitalismes politiques se poursuit donc — mais avec une inflexion importante du côté de Washington. Derrière un impératif vague — « bâtir, bâtir, bâtir » — et au prétexte de la « sécurité nationale », la nouvelle administration Trump semble bien plus chercher à accommoder les géants de la Tech qu’à reconstituer le tissu industriel américain.
Bonjour à tous.
Merci à tous de m’avoir invité aujourd’hui. C’est un plaisir d’être avec vous tous et de parler de l’importance du dynamisme américain (American Dynamism) et de ce que notre administration va faire pour soutenir tant d’entreprises parmi les plus innovantes et les plus convaincantes du pays.
Je sais que vous travaillez dur chaque jour.
Et c’est une très bonne nouvelle que, depuis quelques mois, vous ayez une administration qui travaille avec vous et qui facilite votre travail au lieu de rendre l’innovation plus difficile, comme l’a fait, je pense, l’administration précédente.
Le concept d’« American Dynamism » a été lancé début 2022 par Katherine Boyle, associée fondatrice du fonds de capital-risque a16z. Son objectif est d’agréger l’investissement dans des entreprises dont l’activité a un impact positif pour les États-Unis, — en particulier celles « qui soutiennent l’intérêt national : l’aérospatiale, la défense, la sécurité publique, l’éducation, la construction, la chaîne d’approvisionnement, les activités industrielles et la fabrication. »
Depuis la première édition de l’American Dynamism Summit début 2023, les investisseurs et les entreprises se sont réunis à Washington, à la recherche d’une relation de plus en plus étroite avec les décideurs politiques et à la faveur du rapprochement entre la Silicon Valley et Washington, qui définit cette nouvelle phase du capitalisme politique américain.
À la décharge de Joe Biden, je dirais qu’il dormait la plupart du temps : je ne pense pas qu’il ait totalement eu conscience de ce qu’il faisait. Toujours est-il qu’il n’a certainement pas facilité les choses. Son administration n’a pas facilité la vie de nos innovateurs.
Même si J.D. Vance profite de cette tribune pour dénigrer Joe Biden, le travail de l’American Dynamism s’est poursuivi y compris pendant l’Administration démocrate, témoignant d’une relation déjà très profonde qui s’est certainement accélérée sous la nouvelle administration Trump.
En 2024, la vice-secrétaire à la Défense, Kathleen Hicks, avait également pris la parole lors du sommet, soulignant l’importance du partenariat entre la Silicon Valley et Washington et affirmant que, dans le contexte de la compétition avec la Chine, « les histoires et les destins » du Pentagone et de la communauté technologique sont profondément liés.
J’ai pris la parole lors d’une conférence à Paris le mois dernier, et mon message à un parterre de PDG et de dirigeants étrangers était que nous devrions accueillir le futur à bras ouverts.
Nous ne devons pas avoir peur de l’intelligence artificielle. Surtout, pour ceux d’entre nous qui ont la chance d’être américains, nous ne devons pas craindre les nouvelles technologies productives.
Nous devrions de fait chercher à les dominer. Et c’est ce que cette administration est déterminée à accomplir. La plupart d’entre vous dans cette salle sont, je pense, dans le même état d’esprit.
Si ce n’est pas le cas, je ne vois pas pourquoi vous seriez présents à la conférence « American Dynamism ».
J’ai reçu quelques critiques de la part de personnes qui s’inquiètent des effets perturbateurs de l’IA.
Un journaliste a notamment suggéré que mon discours soulignait la tension entre — je cite — les techno-optimistes et la droite populiste de la coalition du président Trump.
Aujourd’hui, en tant que membre fier de ces deux tribus à la fois, je vais parler de cette prétendue tension.
En raison de ses ambitions politiques en tant que candidat numéro un à la succession de Donald Trump et de par son parcours personnel, J. D. Vance se positionne explicitement comme le point de jonction entre la technologie et le populisme. On note d’ailleurs que, dans sa bouche, le mot n’est pas utilisé de manière péjorative. Dans la logique trumpienne, il ne faut pas, dit Vance, opposer la thèse et l’antithèse — illustrées par Bannon et Musk — mais s’intéresser à la synthèse — qu’il est censé représenter lui-même.
Plus précisément, il est fait ici référence à son histoire et à son succès personnel, lequel vient à la fois de son implication directe dans le secteur du capital-risque par l’intermédiaire de Peter Thiel et de l’expérience de son enfance et de son adolescence racontée dans son livre Hillbilly Elegy.
S’affirmant comme l’exemple que la conjonction entre les deux mondes est possible, il doit avancer un discours qui englobe à la fois l’innovation technologique — où l’ennemi est le ralentissement — la production industrielle et manufacturière et la valeur travail.
Permettez-moi de vous dire simplement que, bien que cette inquiétude soit bien intentionnée, je pense qu’elle repose sur une prémisse erronée. L’idée selon laquelle les personnes à la pointe de la technologie et le reste de la population devraient inévitablement s’opposer est erronée.
La réalité est que, dans toute société dynamique, la technologie va progresser.
En tant que catholique, je repense aux premières lignes de l’encyclique Laborem Exercens du pape Jean-Paul II : « C’est par le travail que l’homme doit se procurer le pain quotidien et contribuer au progrès continuel des sciences et de la technique, et surtout à l’élévation constante, culturelle et morale, de la société dans laquelle il vit en communauté avec ses frères. » Fin de citation.
Si je cite le Saint-Père, ce n’est pas seulement parce que je suis l’un de ses admirateurs, mais aussi parce qu’il a compris à juste titre que, dans une économie saine, la technologie doit être quelque chose qui renforce la valeur du travail plutôt qu’elle ne le supplante. Je pense que l’on craint trop que l’IA ne fasse que remplacer des emplois au lieu d’augmenter le nombre de choses que nous faisons.
Dans les années 1970, beaucoup craignaient que le distributeur automatique de billets ne remplace les caissiers de banque. En réalité, l’avènement du guichet automatique a rendu les guichetiers plus productifs. Aujourd’hui, le nombre de personnes travaillant au service de la clientèle dans le secteur financier est plus élevé qu’à l’époque de la création des guichets automatiques.
Aujourd’hui, ces personnes effectuent des tâches légèrement différentes, bien sûr. Elles effectuent également des tâches plus intéressantes. Et surtout, elles gagnent plus d’argent que dans les années 1970.
Il arrive que, lorsque nous innovons, nous provoquions parfois des perturbations sur le marché du travail. Mais l’histoire de l’innovation américaine montre que nous avons tendance à rendre les gens plus productifs, et à augmenter leurs salaires par la même occasion.
Je pense que nous sommes tous convaincus que c’est une bonne chose. Après tout, qui pourrait prétendre que l’homme a été rendu moins productif par l’invention du transistor, du laminoir ou de la machine à vapeur ?
Non seulement l’innovation réelle nous rend plus productifs, mais je pense aussi qu’elle rend nos travailleurs plus dignes, qu’elle augmente notre niveau de vie, qu’elle renforce notre main-d’œuvre et la valeur relative de son travail. En tant qu’Américains, nous devrions tous être particulièrement fiers de notre extraordinaire héritage.
Il en va de l’héritage américain en matière d’inventions et du statut de notre nation en tant que premier moteur de recherche et de développement au monde. Mais tout cela — le rôle que joue la technologie sur un marché du travail, comme le fait que nous accueillions les percées novatrices avec enthousiasme ou inquiétude — dépend en premier lieu de la finalité de notre système économique.
Et c’est là que les populistes ont un point important à faire valoir.
Il n’est pas surprenant que, lorsque nous envoyons une grande partie de notre base industrielle dans d’autres pays, nous arrêtions de fabriquer de nouvelles choses intéressantes chez nous.
Prenons l’exemple de la construction navale. Si vous remontez à la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique a construit des milliers de « liberty ships » pour transporter des troupes, des marchandises et bien d’autres choses.
Ils ont été construits au rythme de trois navires tous les deux jours : aujourd’hui, les États-Unis construisent environ cinq navires commerciaux par an.
Cela peut paraître surprenant, mais il n’y a rien de plus viral aujourd’hui dans le discours de la tech américaine que la construction navale.
La comparaison impitoyable entre la capacité de construction navale de la République populaire de Chine et celle des États-Unis a déjà été répétée à maintes reprises par le plus jeune des entrepreneurs de la nouvelle génération de « bâtisseurs » américains, l’inventeur Palmer Luckey, fondateur d’Oculus et d’Anduril.
Luckey répète méthodiquement cette comparaison dans les podcasts qui dominent de manière écrasante la communication politique. Il l’a par exemple citée dans l’émission de Shawn Ryan, où sa conversation de près de 4 heures a déjà obtenu près d’un million de vues.
Le message est clair : pour relever le défi chinois, il faut construire. Selon ce paradigme, construire aux États-Unis devient un impératif fondamental car cela crée des emplois et renforce la cohésion sociale.
Par conséquent, nous représentons aujourd’hui 0,1 % — un dixième de 1 % — de la construction navale mondiale.
En face, la Chine construit à elle seule aujourd’hui plus de navires commerciaux que le reste du monde réuni.
L’une des entreprises publiques de Pékin a construit l’année dernière plus de navires commerciaux que l’ensemble des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Bien que nous restions le leader en matière de technologie et d’innovation, je pense que des signes inquiétants se profilent à l’horizon. Je soulève tout cela pour vous poser une question simple : ce régime — je parle de la Chine — laissera-t-il passer l’occasion d’utiliser l’IA, ou toute autre technologie, pour faire avancer ses propres intérêts et saper davantage les intérêts de ses rivaux ?
Je pense que la réponse est évidente.
C’est pourquoi l’Amérique doit être à la pointe de la technologie.
Oui, il y a des inquiétudes, oui, il y a des risques. Mais nous devons nous tourner vers l’avenir de l’IA avec optimisme et espoir — car je pense que l’innovation technologique véritable ne pourra que rendre notre pays plus fort.
Selon l’interprétation de Vance, la désindustrialisation représente un risque pour la sécurité nationale. La réindustrialisation devient dès lors un impératif du capitalisme politique qui, avec l’élargissement de la sécurité nationale, guide l’action des États-Unis sur le plan intérieur et extérieur.
Sur ce point également, il serait erroné de voir une rupture spécifique entre l’administration Biden et l’administration Trump.
Comme l’a affirmé de manière convaincante Adam Tooze, le concept de « politique étrangère pour les classes moyennes » de Jake Sullivan a en réalité remobilisé les concepts de désindustrialisation et d’industrialisation qui étaient déjà présents dans le premier mandat Trump, en essayant de les rendre plus acceptables pour le monde démocratique.
La Représentante au Commerce de Biden, Katherine Tai, a ainsi eu des déclarations que Vance lui-même aurait pu approuver. Ainsi de sa définition du concept de sécurité économique, exprimé en 2024 : « La sécurité économique a deux dimensions : l’une est la sécurité économique des États-Unis, la sécurité économique de la nation ; et l’autre est la sécurité économique des personnes aux États-Unis, la sécurité économique de nos travailleurs. C’est à travers ce prisme qu’il est important d’analyser la relation entre les États-Unis et la Chine ».
La désindustrialisation présente donc des risques à la fois pour notre sécurité nationale et pour notre main-d’œuvre. J’insiste bien sur ces deux aspects à la fois. Le résultat est la dépossession d’une grande partie de la population de ce pays des processus de production.
Lorsque nos usines disparaissent et que les emplois qui y sont créés partent à l’étranger, les travailleurs américains sont confrontés non seulement à l’insécurité financière, mais aussi à une profonde perte d’identité personnelle et collective.
Pour en revenir à la prétendue tension entre les populistes et les techno-optimistes, je peux comprendre une réaction de scepticisme lorsque nous parlons du potentiel révolutionnaire des nouvelles inventions, de l’intelligence artificielle et de toutes les autres technologies incroyables sur lesquelles vous travaillez.
Mais je pense que cette tension est un peu exagérée.
Je vais donc revenir sur ce qui diviserait les populistes et les techno-optimistes.
Les populistes, lorsqu’ils envisagent l’avenir et qu’ils le comparent au passé, voient pour la plupart une aliénation des travailleurs par rapport à leur emploi, à leur communauté, à leur sens de la solidarité. L’aliénation comme perte de sens (sense of purpose). Ils voient surtout une classe dirigeante qui croit que l’aide sociale peut remplacer un emploi et qu’une application sur un téléphone peut remplacer la quête de sens.
Vance revient donc ici à son histoire personnelle, axée sur la double appartenance à l’Amérique industrielle sinistrée et à celle, florissante, du capital-risque de la Silicon Valley.
Vance se présente comme celui qui a été recruté par la principale figure intellectuelle de la Silicon Valley à l’époque du capitalisme politique, Peter Thiel, au sein d’un « temple » de l’orthodoxie libérale comme la Yale Law School, mais qui, parce qu’il est resté « fidèle » à ses racines, peut réussir à concilier les deux incarnations de l’Amérique.
Pour que cela se produise, cependant, la Silicon Valley doit reconnaître ses péchés et se repentir en se convertissant à la nouvelle doctrine — celle des « bâtisseurs ».
Je me souviens d’un dîner, à l’époque où je travaillais dans une entreprise technologique de la Silicon Valley. Ma femme et moi étions assis autour d’une table et parlions avec certains des dirigeants des principales entreprises technologiques des États-Unis. C’était probablement en 2016 ou 2017. Je parlais alors de ma réelle inquiétude quant au fait que nous nous dirigions vers une situation où l’Amérique ne pourrait plus subvenir aux besoins des familles de la classe moyenne — c’est-à-dire travaillant avec des salaires de la classe moyenne. Et surtout que, même si nous étions suffisamment dynamiques économiquement pour fournir la richesse nécessaire pour que ces personnes puissent se permettre d’acheter une maison et de se nourrir, nous détruirions quelque chose qui était digne et utile dans le travail lui-même.
Je me souviens qu’alors, l’un des PDG d’une entreprise de la tech à plusieurs milliards qui était présent, et dont vous reconnaîtriez le nom si je le mentionnais, m’a dit : « Je ne m’inquiète pas de la perte de sens lorsque les gens perdent leur emploi. » Je lui ai répondu : « D’accord, mais à votre avis, qu’est-ce qui va remplacer ce sentiment d’utilité ? » Il m’a répondu : les jeux vidéos entièrement immersifs. »
À ce moment-là, mon épouse a pianoté un texto pour moi sous la table : « Filons d’ici ! »
Ces gens sont complètement fous.
Je ne pense pas, bien sûr, que l’opinion de ce PDG soit représentative de celle de la plupart des personnes présentes dans cette salle. Mais je pense qu’un grand nombre de travailleurs, sur la base de ce qu’ils ont vu dans le passé, sont très inquiets pour l’avenir : et on ne peut pas leur en vouloir car, très franchement, leurs dirigeants n’ont pas réussi à les servir.
Du point de vue des techno-optimistes maintenant. Un grand nombre d’entre eux sont frustrés par la surréglementation et ce qu’ils perçoivent comme un étouffement de l’innovation. Ils sont des bâtisseurs. Vous êtes des bâtisseurs.
Même s’ils compatissent avec ceux qui ont perdu leur emploi, ils sont bien plus frustrés de ce que le gouvernement ne leur permette pas de créer les emplois du futur.
Ils savent que, s’il est difficile de créer une entreprise dans le domaine des médias en ligne, il est encore plus difficile d’en créer une dans le domaine de la robotique, des sciences de la vie ou de l’énergie, ou dans ce que nous appelons le monde des atomes. Ils voient un gouvernement qui leur rend la vie plus difficile et ils se méfient de tous ceux qui se tournent vers ce gouvernement pour obtenir de l’aide.
Chaque groupe, les populistes d’une part, les techno-optimistes de l’autre, ont été déçus par l’administration.
Non seulement la dernière administration, mais aussi, d’une certaine manière, toutes celles des quarante dernières années.
Notre classe dirigeante avait en effet deux idées préconçues sur la mondialisation.
La première consistait à penser que nous pouvions séparer la fabrication des choses de leur conception.
Le présupposé de cette mondialisation était que les pays riches progresseraient dans la chaîne de valeur, tandis que les pays pauvres fabriqueraient les choses les plus simples.
Si vous ouvrez la boîte d’un iPhone, vous verrez évidemment qu’il a été conçu à Cupertino, en Californie. Mais cela implique qu’il a été fabriqué à Shenzhen ou ailleurs. Selon cette logique, si certaines personnes pourraient perdre leur emploi dans l’industrie manufacturière chez nous, elles pourraient apprendre à concevoir — ou, pour utiliser une expression très populaire, apprendre à coder.
Or je pense que nous nous sommes gravement trompés.
Il s’avère que les zones géographiques où sont fabriqués nos produits deviennent terriblement douées pour la conception de ces produits.
Comme vous le savez tous, les effets de réseau sont puissants.
Les entreprises qui conçoivent des produits travaillent avec des entreprises qui les fabriquent. Elles partagent la propriété intellectuelle, les bonnes pratiques et parfois même les employés les plus importants. Nous pensions que les autres pays seraient toujours derrière nous dans la chaîne de valeur. Mais il s’avère qu’en s’améliorant au bas de la chaîne de valeur, ils ont également commencé à nous rattraper : nous avons été écrasés par les deux bouts.
C’était le premier présupposé de la mondialisation.
Le second était que la main-d’œuvre bon marché serait fondamentalement une béquille.
Or si c’est une béquille, elle inhibe l’innovation. Je dirais même que c’est une drogue à laquelle trop d’entreprises américaines sont devenues addictes. Si nous fabriquons un produit à moindre coût, c’est qu’il est devenu plus facile de le faire plutôt que d’innover.
Qu’il s’agisse de délocaliser des usines dans des économies où la main-d’œuvre est bon marché ou d’importer de la main-d’œuvre bon marché par le biais de notre système d’immigration, la main-d’œuvre bon marché est devenue la drogue des économies occidentales.
Si l’on observe presque tous les pays — du Canada au Royaume-Uni — qui ont importé de grandes quantités de main-d’œuvre bon marché, on constate à chaque fois que la productivité stagne. Ce n’est pas une simple coïncidence : le lien est, je pense, très direct.
L’un des débats que l’on entend souvent sur le salaire minimum, par exemple, serait que les augmentations de celui-ci forcerait les entreprises à aller vers plus d’automatisation. Un salaire plus élevé chez McDonald’s se traduirait mécaniquement par une augmentation du nombre de bornes de commande automatiques.
Quelle que soit votre opinion sur le bien-fondé du salaire minimum, je ne ferai pas de commentaire à ce sujet ici. Les entreprises qui innovent en l’absence de main-d’œuvre bon marché sont une bonne chose.
Mais je pense que la plupart d’entre vous ne s’inquiètent pas d’une main-d’œuvre de moins en moins chère.
Ce qui vous préoccupe davantage, c’est d’innover, de bâtir de nouvelles choses, de faire plus avec moins, comme le veut une vieille formule répandue dans le monde de la technologie. Vous essayez tous de faire plus avec moins chaque jour.
C’est pourquoi je demande à mes amis — tant du côté des techno-optimistes que de celui des populistes — de ne pas considérer l’échec de la mondialisation comme un échec de l’innovation.
Je dirais en fait que la soif de main-d’œuvre bon marché de la mondialisation est un problème précisément parce qu’elle a été néfaste pour l’innovation.
Nos travailleurs, nos populistes et nos innovateurs réunis ici aujourd’hui ont le même ennemi. Et la solution, je crois, c’est l’innovation américaine.
Car sur le long terme, c’est la technologie qui augmente la valeur du travail.
La relance industrielle est un concept qui a une très longue histoire aux États-Unis, remontant au moins à la période de l’essor économique du Japon — le « défi » de Tokyo. Pendant des années, les dirigeants à la tête d’Intel, le géant de l’innovation américain, ont souligné à plusieurs reprises — sans être entendus — l’importance de construire et de produire en Amérique, de créer les conditions économiques et de main-d’œuvre pour rendre cela possible
Dès les années 1980, Robert Noyce disait par une boutade que le plus important pour la capacité d’innovation des États-Unis était que les mères rêvent d’avoir des enfants ingénieurs en mécanique. En 2010, dans l’une de ses dernières interventions, Andy Grove, le légendaire PDG d’Intel dans les années 1990 au moment du triomphe du personal computer, affirmait que la concurrence de la Chine dans le secteur manufacturier était l’arène essentielle pour l’innovation aux États-Unis.
Des innovations comme le fordisme ou la révolution de la chaîne de montage ont fait grimper en flèche la productivité de nos travailleurs. C’est grâce à celles-ci que l’industrie américaine est l’objet des convoitises du monde entier.
C’est de cela que je voudrais vraiment parler aujourd’hui.
Pourquoi l’innovation est-elle essentielle pour remporter la compétition mondiale dans le domaine de l’industrie manufacturière ?
Pour donner à nos travailleurs un traitement équitable et pour récupérer notre héritage par le biais du grand retour industriel de l’Amérique. Car oui, c’est ce que nous sommes en train de vivre, un grand retour de l’industrie américaine.
Dans ce contexte, c’est l’innovation qui produira une augmentation des salaires.
C’est elle qui protègera nos territoires.
Je sais que nous avons beaucoup d’entreprises de technologie de la défense ici : ce sont elles qui sauveront des troupes, des vies sur le champ de bataille.
Tout le monde ici aujourd’hui est largement d’accord. C’est la raison pour laquelle nous avons dans cette salle certains des plus grands inventeurs et penseurs sur l’énergie, l’usinage de précision, d’innombrables industries critiques à haute valeur ajoutée… Mais l’autre chose qui vous réunit, c’est que vous êtes des bâtisseurs.
J’utilise ce mot à dessein.
J’ai été très ému par le manifeste de Marc sur l’Amérique, publié il y a quelques années. Nous sommes une nation de bâtisseurs.
J. D. Vance fait ici référence au Manifeste du Techno-optimisme de Marc Andreessen, l’un des membres de la « Pay Pal Mafia » et fondateur du fonds Andreessen-Horowitz, qui finance la conférence d’American Dynamism.
Le Grand Continent publie la traduction française de ce texte clef dans sa prochaine édition papier.
Nous fabriquons des choses.
Nous créons des choses.
Chacun d’entre vous est venu à ce sommet non pas parce qu’il a mis au point une application qui prétend faire feu de tout bois mais parce qu’il construit quelque chose de très concret.
Quand vous ouvrez de nouvelles usines, vous réinvestissez les bénéfices dans la recherche et le développement et vous créez de nouveaux emplois bien rémunérés pour vos concitoyens américains.
C’est la raison pour laquelle je suis un grand fan de vous, Marc, et de l’ensemble des efforts que nous déployons pour aligner les intérêts de notre travail sur ceux de chacun d’entre vous.
Il est temps d’aligner les intérêts de nos entreprises technologiques sur ceux des États-Unis d’Amérique !
Aujourd’hui, vous avez tous, à votre manière, répondu à cet appel. Après tout, rien n’oblige quiconque à être présent dans cette salle aujourd’hui. Chacun d’entre vous aurait pu établir son siège en Asie du Sud-Est ou en Chine. Je suis sûr que vous vous en seriez très bien tiré financièrement.
Mais vous êtes ici, je l’espère, parce que vous aimez votre pays, vous aimez son peuple et les opportunités qu’il vous a offertes.
Vous savez que bâtir, que créer de nouvelles innovations dans l’économie ne peut pas non plus se faire par un nivellement par le bas. L’Amérique ne gagnera pas l’avenir en abrogeant les lois sur le travail des enfants ou en payant ses travailleurs moins que les Chinois ou les Vietnamiens.
Ce n’est pas ce que nous voulons. Et d’ailleurs, ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous ne pouvons gagner qu’en faisant ce que nous avons toujours fait : en protégeant nos travailleurs et en soutenant nos innovateurs — en faisant ces deux choses en même temps.
Entrons dans le vif du sujet.
Le grand plan de l’administration Trump pour organiser le grand retour de l’industrie manufacturière américaine est simple : fabriquer de nouvelles choses intéressantes ici, en Amérique.
Si vous le faites, nous allons réduire vos impôts, nous allons réduire les réglementations, nous allons réduire le coût de l’énergie pour que vous puissiez bâtir, bâtir, bâtir.
Notre objectif est d’encourager les investissements à l’intérieur de nos frontières, dans nos entreprises, nos travailleurs et nos innovations.
Nous ne voulons pas de gens qui recherchent une main-d’œuvre bon marché.
Nous voulons qu’ils investissent et construisent ici, aux États-Unis d’Amérique.
J’aimerais aborder quelques façons dont l’administration Trump promeut déjà une économie favorable à l’innovation qui permet à nos travailleurs de prospérer et à nos entreprises de surpasser leurs homologues étrangers. En bref, une économie qui fait vibrer l’Amérique d’abord et qui sert les Américains de tous les horizons.
Tout d’abord, le président Trump commence par réorganiser notre régime commercial et tarifaire à l’échelle internationale — et très sérieusement.
Nous pensons que les droits de douane sont un outil nécessaire pour protéger nos emplois et nos industries des autres pays, ainsi que la valeur de la main-d’œuvre de nos travailleurs dans un marché mondialisé. En fait, combinés à la bonne technologie, ils nous permettent de ramener des emplois aux États-Unis d’Amérique et de créer les emplois de demain.
Il suffit de regarder l’industrie automobile au cours des derniers mois pour s’en convaincre.
Lorsque vous érigez une barrière tarifaire autour d’une industrie critique comme la construction automobile et que vous combinez cela avec une robotique avancée, des coûts énergétiques plus bas et d’autres outils qui augmentent la productivité de la main-d’œuvre américaine, vous donnez aux travailleurs américains un effet multiplicateur. Cela permet aux entreprises de fabriquer des produits chez nous à des prix compétitifs.
Notre président comprend cela.
C’est pourquoi, le mois dernier, nous avons créé 9 000 nouveaux emplois dans le secteur automobile, après de très nombreuses années de stagnation, voire de déclin, de ce secteur.
C’est pourquoi, seulement quelques semaines après, nous avons déjà de nouveaux plans ou des annonces de production de la part de Honda, Hyundai et Stellantis qui représentent des milliards de dollars et des milliers d’emplois supplémentaires qui s’ajoutent à ceux qui ont déjà été créés.
Cela demande du travail. Pendant le premier mandat du président, il a fallu qu’il déchire l’ALENA et crée un nouvel accord pour les fabricants américains en Amérique du Nord. C’est un travail important et nous allons le faire.
D’autre part, c’est pour toutes ces raisons que le président aborde la question de l’immigration clandestine de manière aussi agressive qu’il l’a fait, parce qu’il sait qu’une main-d’œuvre bon marché ne peut se substituer aux gains de productivité qui découlent de l’innovation économique.
C’est pourquoi nous avons pris des mesures énergiques contre l’immigration clandestine à la frontière — et les résultats parlent d’eux-mêmes. Le mois dernier, les passages de migrants ont diminué de 94 % pour atteindre leur niveau le plus bas de tous les temps, et cela s’est produit en deux mois d’application rigoureuse de la législation frontalière, grâce au leadership du président Trump.
Le mois dernier, pour la première fois depuis plus d’un an, la majorité des gains d’emplois sont allés à des citoyens américains nés sur le sol américain. Et c’est important. Pour la première fois depuis plus d’un an, la majorité des créations d’emplois sont allées à des citoyens américains.
Ce point du discours de Vance est particulièrement faible et fragile : il doit en effet donner forme à un programme positif de Trump — et donc à une véritable réindustrialisation plutôt qu’à des annonces dont les résultats restent à prouver — dans lequel la condition de vie des Américains pourrait être affectée par l’inflation sur les biens de consommation et la récession.
Surtout, Vance continue de se présenter comme le point de suture entre les deux ailes du trumpisme — Bannon et Musk, pour simplifier. Mais il ne peut pas gommer le conflit interne sur l’immigration au sein de l’administration Trump. Cette fracture continuera de travailler l’action du président américain.
La vérité dérangeante est en effet que la capacité de production des États-Unis — ce « bâtir » comme impératif de l’époque de Trump — repose de manière décisive sur les migrants.
Des usines de TSMC en Arizona aux clusters de centres de données au Texas ou en Géorgie, les travailleurs mexicains sont clefs pour « bâtir » cette Amérique de l’accélération réactionnaire.
De plus, la capacité technologique des États-Unis dans les universités et les entreprises repose littéralement sur les communautés chinoises et indiennes : sans un flux continu de ces talents, la puissance des États-Unis serait actuellement vouée à s’effondrer.
Troisièmement, cette administration se concentre sur la réduction des coûts des intrants pour nos fabricants et pour tous les autres, et sur la réalisation de l’abondance énergétique.
C’est une priorité, car lorsque nous examinons certaines des applications les plus passionnantes des nouvelles technologies, nous nous rendons compte qu’il faudra beaucoup d’énergie pour les faire fonctionner.
Nous sommes ravis d’accueillir nos amis des Émirats arabes unis, un certain nombre de chefs d’entreprise et de responsables gouvernementaux cette semaine pour des réunions avec notre gouvernement.
L’une des choses qu’ils ne cessent de répéter — et que, malheureusement, trop peu de nos alliés européens ont tendance à comprendre — c’est que si vous voulez être à la pointe de l’intelligence artificielle, vous devez être à la pointe de la production d’énergie.
Nous allons donc donner le la dans ce domaine et prendre les devants.
Nous voyons déjà les bonnes nouvelles et les signes de progrès, même après quelques mois de baisse des prix de l’essence et du diesel.
Le coût du baril de pétrole brut américain est en forte baisse. Mercredi dernier, l’administration a pris des mesures importantes pour rendre l’énergie encore moins chère et libérer nos entreprises de réglementations environnementales asphyxiantes.
Cette partie du discours de Vance contient deux clefs de lecture importantes.
La première est la mention des Émirats arabes unis. C’est l’un des pays qui, grâce au leadership de longue date du Sheikh Mohammed Bin Zayed, a la stratégie la plus forte et la plus ambitieuse pour articuler capitaux privés, défense et technologie. Les Émirats investissent non seulement dans l’industrie de la défense mais aussi de plus en plus dans l’intelligence artificielle et l’écosystème des centres de données, puisqu’ils ont été impliqués dans pratiquement toutes les annonces importantes dans ce domaine — des États-Unis à la France en passant par l’Italie.
Le deuxième point est la mention du concept d’« abondance » qui, avec la « domination » (dominance), constitue le nouveau paradigme de l’administration Trump en matière d’énergie qui a attiré l’attention des géants technologiques américains en tant qu’opérateurs de centres de données — c’est-à-dire d’usines à intelligence artificielle qui ont besoin d’un système réglementaire aux ordres pour obtenir de l’énergie et des autorisations.
La faillite du Parti démocrate auprès de ces entrepreneurs peut s’expliquer en partie par l’image d’un parti qui empêcherait de « bâtir » — tant dans l’énergie que dans les infrastructures.
Tout cela est formidable, mais il reste bien sûr beaucoup de travail à accomplir au cours des quatre prochaines années.
Il est particulièrement important pour vous tous et pour tous vos travailleurs d’avoir une bonne législation fiscale.
Nous savons à quel point il est important de rétablir l’amortissement majoré à 100 % pour les investissements en capital, ainsi que l’amortissement intégral pour la recherche et développement.
Encore une fois, nous voulons que les gens investissent en Amérique, et nous allons nous assurer que le code des impôts le reflète.
Afin de tirer parti du succès de la loi fiscale initiale — c’est-à-dire de la loi fiscale adoptée par le premier gouvernement du président — notre administration s’efforce d’élargir certaines dispositions essentielles pour la base industrielle, comme l’extension de l’amortissement intégral à la construction d’usines.
Pour les chefs d’entreprise, y compris les fabricants, le fait de rendre permanentes les réductions d’impôt de 2017 renforcera la confiance et la prévisibilité pour investir dans de nouvelles technologies et de nouveaux équipements, embaucher davantage de travailleurs américains et développer toutes vos entreprises.
Nous avons encore beaucoup à faire, mais le pays commence déjà à voir les résultats du programme économique audacieux de cette administration.
Pour les producteurs comme pour les consommateurs, l’inflation commence enfin à diminuer. La semaine dernière, l’indice de base des prix à la consommation est tombé à son niveau le plus bas depuis avril 2021. En ce qui concerne le marché du travail, le rapport sur l’emploi du mois dernier a reflété un renversement massif.
10 000 nouveaux emplois ont été créés dans l’industrie manufacturière tandis que, l’année précédente, nous avions perdu plus de 100 000 emplois dans ce secteur. Comme vous l’avez peut-être entendu, en moins de deux mois depuis son entrée en fonction, le président a déjà obtenu plus de 1 700 milliards de dollars de nouveaux investissements dans l’ensemble des États-Unis.
Cela représente des centaines de milliers de nouveaux emplois dans l’industrie manufacturière, l’IA et d’autres secteurs des technologies de pointe. Nous pensons donc qu’il y a beaucoup de raisons de se réjouir.
Nous sommes très enthousiastes et nous espérons que vous l’êtes aussi.
Mais l’objectif fondamental qui est au principe de la politique économique du président Trump, c’est de défaire quarante années de politique économique ratée dans ce pays.
Pendant trop longtemps, nous sommes devenus dépendants de la main-d’œuvre bon marché — à la fois à l’étranger et en l’important dans notre propre pays. Nous sommes devenus paresseux. Nous avons surréglementé nos industries au lieu de les soutenir.
Nous avons surtaxé nos innovateurs au lieu de faciliter la création de grandes entreprises. Et nous avons rendu beaucoup trop difficile la construction et l’investissement aux États-Unis d’Amérique. Cela a cessé il y a deux mois.
Je tiens donc à vous remercier pour deux choses.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour ce que vous faites. Encore une fois, vous auriez pu choisir la voie de la facilité. Chaque personne présente dans cette salle — comme le dirait le président — a un QI très élevé. Vous faites partie des personnes les plus talentueuses des États-Unis d’Amérique et vous avez choisi de créer une entreprise ici-même, aux États-Unis.
Je vous en suis reconnaissant.
Mais la deuxième chose que je voudrais vous dire, c’est que vous ne construisez pas seulement votre propre entreprise : vous faites partie d’une grande renaissance industrielle américaine.
Qu’il s’agisse de la guerre du futur, des emplois du futur, de la prospérité économique du futur, nous pensons que nous devons bâtir tout cela ici — aux États-Unis d’Amérique.
Merci à vous de bâtir en Amérique.
Et merci à vous de bâtir le type de société dans laquelle je veux élever mes enfants.
Que Dieu vous bénisse. Merci de m’avoir reçu.