1 — Au cœur du grand raout annuel de la politique chinoise : qu’attendre des Deux Sessions 2025 ?

Dans la politique chinoise, les Deux Sessions sont ce qui se rapproche le plus d’un carnaval. Des milliers de dirigeants, de bureaucrates, d’experts, de journalistes et de célébrités de tout le pays vont affluer à Pékin pour une semaine de pur spectacle politique. Bien que le discours annuel du Premier ministre ne soit pas aussi enlevé que le discours l’état de l’Union de son homologue américain — le président américain Donald Trump doit s’adresser aujourd’hui même à une session conjointe du Congrès — il reste un indicateur clef de l’orientation économique de la Chine.

Comme nous le rappelions dans notre synthèse l’an dernier, l’expression de Deux Sessions fait référence aux réunions annuelles simultanées du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), qui s’ouvre aujourd’hui, le 4 mars, et de l’Assemblée populaire nationale (APN), qui commence le 5 mars. Cette série de réunions devrait se terminer le 11 mars ou aux alentours de cette date.

Ces deux institutions dépendent du Parti communiste chinois, dirigé par le secrétaire général Xi Jinping. Le Comité national de la CCPPC, qui compte 2 169 membres, est l’organisation qui chapeaute le système du Front uni, qui mobilise lui-même divers groupes sociaux pour soutenir et conseiller le Parti. Quant à l’ANP, qui compte 2 977 délégués, il s’agit d’un parlement monocaméral qui est, du moins en théorie, l’organe suprême du pouvoir de l’État.

Les attentes autour de cet événement ont été renforcées cette année par un événement rarissime : un « symposium sur les entreprises privées » 1, organisé par Xi le 17 février auquel ont participé certains des plus grands entrepreneurs du pays. Inhabituel, un tel rendez-vous s’était tenu pour la dernière fois en 2018. Cette année, il a suscité des espoirs pour une économie chinoise en difficulté, en particulier après le retour en janvier du président Trump, autoproclamé « roi des droits de douane », qui a déjà imposé une taxe supplémentaire de 10 % sur les importations chinoises. Aujourd’hui, l’attention se porte sur la volonté de Pékin de stimuler la relance, de soutenir les entreprises et de répondre aux politiques commerciales de Trump.

Les attentes autour des Deux Sessions ont été renforcées cette année par un événement rarissime : un « symposium sur les entreprises privées », organisé par Xi le 17 février.

Neil Thomas et Jing Qian

Les Deux Sessions devraient révéler un programme plus favorable à la croissance par rapport à l’année dernière, avec des objectifs approximatifs de 5 % pour la croissance du PIB, 4 % du PIB pour le ratio du déficit budgétaire et 2 % pour l’inflation des prix à la consommation. D’autres mesures de relance devraient être prises, avec environ 3 000 milliards de yuans d’obligations du Trésor spéciales à très long terme et 4 500 à 5 000 milliards de yuans d’obligations à vocation spéciale des gouvernements locaux. Des mesures visant à stimuler les dépenses de consommation et à encourager l’innovation dans le secteur privé seront également introduites. Si Pékin vise à stabiliser la croissance, il est peu probable que le Parti déchaîne cette fois-ci l’énergie du proverbial « bazooka » de la relance : il doit ménager ses ressources budgétaires en prévision d’une éventuelle guerre commerciale. 

De même, des réformes structurelles radicales restent improbables, car le gouvernement reste attaché à la vision de Xi d’une autosuffisance industrielle de haute technologie.

2 — Quelques moments clefs

Si Pékin ne publiera pas les ordres du jour des réunions de la CCPPC et de l’APN avant la toute dernière minutes, les dates indiquées dans le tableau ci-dessous devraient être des estimations raisonnables. 

Afin de déterminer la date de clôture, on peut utilement consulter le prochain avis annuel du Bureau municipal de la sécurité publique de Pékin sur les restrictions relatives aux vols à basse altitude pendant les Deux Sessions. Une grande partie du temps sera consacrée aux membres de la CCPPC et aux délégués de l’APN qui délibéreront sur les projets de rapports, bien que des révisions significatives soient rarement apportées avant l’adoption finale à la fin des deux sessions.

Si Pékin vise à stabiliser la croissance, il est peu probable que le Parti déchaîne cette fois-ci l’énergie du proverbial « bazooka » de la relance : il doit ménager ses ressources budgétaires en prévision d’une éventuelle guerre commerciale.

Neil Thomas et Jing Qian

3 — Quelle sera l’ampleur des mesures de relance dans le rapport de travail du gouvernement (R.T.G) ?

L’un des principaux thèmes des Deux Sessions sera le rapport de travail du gouvernement (ou R.T.G), que le Premier ministre Li Qiang présentera à l’Assemblée populaire nationale au nom du Conseil des affaires de l’État le 5 mars. 

Le rapport passera en revue le travail du gouvernement en 2024, présentera les priorités économiques pour 2025 et définira les principales tâches politiques pour l’année à venir. Les gros titres porteront sur les objectifs annuels de croissance, de déficit et d’inflation.

Le « R.T.G » devrait renforcer les priorités fixées par le Parti à la fin de l’année dernière. Le 9 décembre, le Politburo a annoncé un changement d’orientation de la politique monétaire chinoise, qui est passée de « stable et prudente » à « suffisamment souple » — c’est la première mesure expansionniste depuis 2010. Il a également annoncé un renforcement des mesures de relance budgétaire, appelant à une « politique budgétaire plus proactive » et à une amélioration des « ajustements contracycliques extraordinaires ». 

Quelques jours plus tard, lors de la Conférence centrale sur le travail économique (C.C.T.E) qui s’est tenue les 11 et 12 décembre, les responsables se sont engagés à « augmenter le ratio du déficit budgétaire » et à donner la priorité à « la relance vigoureuse de la consommation, l’amélioration de l’efficacité des investissements et l’expansion de la demande intérieure globale ». En d’autres termes, Pékin est prêt à prendre de nouvelles mesures pour soutenir la croissance au cours de l’année à venir, même s’il est peu probable que la Chine s’écarte de la stratégie économique globale de Xi.

Des réformes structurelles radicales restent improbables, car le gouvernement reste attaché à la vision de Xi d’une autosuffisance industrielle de haute technologie.

Neil Thomas et Jing Qian

4 — La relance chinoise en quelques signaux faibles : les indicateurs clefs des Deux Sessions

La Chine devrait maintenir un objectif de croissance du PIB d’« environ 5 % » pour la troisième année consécutive. Les gouvernements provinciaux, qui présentent des rapports de travail aux assemblées parlementaires locales avant les deux sessions, ont fixé des objectifs de croissance avec une moyenne pondérée de 5,1 %. Cet objectif est ambitieux, compte tenu de la hausse des droits de douane américains, du scepticisme eu égard à l’affirmation officielle selon laquelle la Chine aurait atteint son objectif pour 2024, et des difficultés persistantes liées à une correction du marché immobilier, à la faiblesse du moral des consommateurs et aux finances locales sous tension. 

Pour atteindre cet objectif, Pékin va renforcer les mesures de relance budgétaire, abaisser les réserves obligatoires des banques et réduire les taux d’intérêt, même si les craintes d’une éventuelle fuite des capitaux limiteront ses politiques monétaires. Plus les tensions commerciales et technologiques entre les États-Unis et la Chine s’intensifieront, plus Pékin pourrait mettre en œuvre des mesures de relance de manière agressive.

Selon certaines informations, la Chine pourrait fixer un objectif record de 4 % du PIB pour le taux de déficit budgétaire 2. Cela impliquerait des dépenses supplémentaires de 1 300 milliards de yuans dans le budget général, mais ne reflète pas pleinement l’ampleur de la relance budgétaire. Pékin augmentera également les fonds hors budget par le biais d’obligations spéciales du Trésor à très long terme, introduites pour la première fois l’année dernière avec une émission de 1000 milliards de yuans, et d’obligations à vocation spéciale des gouvernements locaux, dont l’émission cible était de 3 900 milliards de yuans en 2024. Selon les spéculations, ces chiffres augmenteront considérablement cette année, pour atteindre respectivement au moins 3 000 milliards de yuans et 4 500 milliards de yuans 3.

La Chine devrait abaisser son objectif de plafond d’inflation à la consommation de 3 % à environ 2 %. Cet ajustement s’inscrit dans le cadre de politiques monétaires et budgétaires expansionnistes, Pékin n’ayant pas atteint ses objectifs ces dernières années, enregistrant une inflation de seulement 0,2 % en 2023 et 2024. Les pressions déflationnistes persistent alors que la correction immobilière en cours continue d’éroder la richesse des ménages et de freiner les dépenses de consommation. Chaque gouvernement provincial a ainsi fixé un objectif d’inflation de 2 % : s’il était appliqué à l’échelle nationale, cela marquerait l’objectif le plus bas depuis le début des années 2000 et la première fois en plus de deux décennies que ce chiffre tombe en dessous de 3 %.

La Chine annoncera également des objectifs annuels pour les nouveaux emplois urbains et la lutte contre le taux de chômage dans les villes. L’année dernière, Pékin a fixé ces objectifs à 12 millions de nouveaux emplois et 5,5 % de chômage. Les chiffres de cette année seront probablement similaires. L’emploi reste une question politiquement très sensible car il peut être à l’origine de troubles sociaux : c’est la raison pour laquelle le taux de chômage est l’un des rares indicateurs économiques pour lesquels les objectifs officiels sont toujours atteints — du moins selon les statistiques du gouvernement.

5 — Pourquoi les fondamentaux de la politique économique chinoise ne changeront pas

Le Parti a défini l’économie politique de la Chine pour le reste de cette décennie lors du Troisième Plénum de juillet 2024

Xi avait alors réaffirmé son engagement envers le concept de « développement de haute qualité » qui privilégie l’orientation centrale, la capacité industrielle, l’autonomie technologique, la protection de l’environnement et le bien-être social par rapport à la croissance rapide et aux forces du marché. Cette approche a favorisé l’investissement dans les « nouvelles forces productives » de haute technologie — c’était l’expression à la mode aux Deux Sessions de l’année dernière — plutôt que de stimuler la consommation des ménages.

L’emploi reste une question politiquement très sensible car il peut être à l’origine de troubles sociaux : c’est la raison pour laquelle le taux de chômage est l’un des rares indicateurs économiques pour lesquels les objectifs officiels sont toujours atteints — du moins selon les statistiques du gouvernement.

Neil Thomas et Jing Qian

Bien que la « C.C.T.E » place la consommation en tête de ses priorités, Pékin a l’habitude de ne pas respecter ses engagements en matière de stimulation de la demande intérieure. De même, aucune politique de transformation ne semble être en préparation, bien que le « R.T.G » devrait tout de même annoncer un programme élargi de subventions de type « prime à la casse » pour encourager le remplacement des appareils et des machines obsolètes. Les efforts visant à stabiliser le marché du logement et à augmenter les dépenses sociales en matière de retraites, de soins de santé et d’éducation des enfants pourront partiellement soulager les ménages, mais la plupart des mesures de relance devraient encore profiter aux entreprises et aux gouvernements locaux.

Tout plan de relance que Li Qiang dévoilera lors des Deux Sessions de cette année devrait être considéré comme une mesure de stabilisation à court terme visant à soutenir la stratégie économique à plus long terme de Xi Jinping.

Un membre de l’équipe de déminage de la police chinoise et des forces spéciales regarde depuis un bus le Grand Palais du Peuple lors de la conférence de presse précédant l’ouverture de la Conférence consultative politique du peuple chinois à Pékin — la première des Deux Sessions — le lundi 3 mars 2025. © Photo AP/Andy Wong

Le résultat le plus optimiste qui pourrait vraisemblablement figurer dans le rapport final serait un engagement à mettre en œuvre de manière agressive les réformes structurelles proposées lors du troisième plénum mais pas encore adoptées de manière significative. Celles-ci comprennent la décentralisation des responsabilités fiscales, le renforcement du système budgétaire et la suppression des obstacles au marché intérieur, qui ont tous été mis en évidence dans le rapport du « C.C.T.E ». Toutefois, la volonté politique de mettre en œuvre de telles réformes reste incertaine, les détails concrets et les plans d’action précis n’ayant pas encore été dévoilés.

Au-delà de ces mesures générales, ce rapport avait défini sept domaines prioritaires pour stimuler la consommation en 2025, indiquant les domaines dans lesquels le soutien politique est susceptible de se concentrer. Il s’agit notamment de positionner la Chine comme une plaque tournante pour le lancement de produits, le tourisme d’hiver et l’« économie des seniors » axée sur les services à une population vieillissante. D’autres priorités consistent à réajuster la réglementation de l’économie de plateforme, à stimuler l’activité économique dans les petites villes, à intégrer la région de la Grande Baie de Guangdong–Hong Kong–Macao et à accroître les investissements dans les industries maritimes. Le 20 février, Li a organisé une session d’étude du Conseil d’État qui avait pour thème : « Stimuler vigoureusement la consommation pour accroître la demande intérieure » 4 dans laquelle il mettait l’accent sur les services basés sur l’expérience en tant que priorité absolue.

Pékin mise sur une impulsion massive du Parti en faveur de la recherche, de l’innovation, de la commercialisation, de la fabrication et de la numérisation pour créer de nouveaux moteurs de croissance économique qui remplaceront le secteur immobilier et généreront des gains de productivité qui contribueront à atténuer les problèmes liés à la dette, à la démographie et à la dépendance vis-à-vis de l’Occident. Le retour de Trump a accru les inquiétudes concernant ce dernier point, incitant Li à déclarer au Conseil d’État le 5 février que le rapport qui sortirait des Deux Sessions devait « intégrer la résolution des problèmes économiques intérieurs à la réponse aux défis extérieurs et être capable de transformer la pression en motivation ». Le Premier ministre a également souligné la nécessité de « créer des points forts plus remarquables qui puissent donner un élan à notre situation globale ». Il s’agit peut-être d’une allusion à DeepSeek — le phénomène chinois qui a secoué le monde de l’IA — sur lequel Liang Wenfeng, son fondateur, l’avait briefé deux semaines auparavant 5.

Tout plan de relance que Li Qiang dévoilera lors des Deux Sessions de cette année devrait être considéré comme une mesure de stabilisation à court terme visant à soutenir la stratégie économique à plus long terme de Xi Jinping.

Neil Thomas et Jing Qian

L’impulsion donnée par Pékin à l’IA prend de l’ampleur, les entreprises publiques centrales étant désormais explicitement chargées de faire de l’IA une priorité stratégique dans le 15e plan quinquennal.

La Commission de supervision et d’administration des actifs publics du Conseil des affaires de l’État leur a récemment adopté une directive ordonnant de se saisir de la « fenêtre stratégique » pour le développement de l’IA en tirant parti de la vaste demande du marché chinois, des chaînes d’approvisionnement profondes et des divers scénarios d’application 6. Au-delà du déploiement, Pékin met l’accent sur la maîtrise des « technologies de base » et encourage les percées « de zéro à un », en particulier dans les modèles de langage (LLM) et les écosystèmes en source ouverte (open source). La directive appelle notamment à des investissements majeurs dans les données, la puissance de calcul et le « capital patient » pour soutenir l’innovation à long terme.

Cependant, le processus actuel de changement structurel renforce un modèle de croissance dépendant des exportations, ce qui pourrait avoir des conséquences à long terme sur l’économie chinoise. Il déprime la consommation, fait baisser les prix et les revenus, et freine les bénéfices et les investissements privés. Cela rend les exportations encore plus cruciales, tant sur le plan économique que politique, ce qui risque de créer un cercle vicieux politique difficile à briser et d’exacerber les tensions commerciales en alimentant les craintes de surcapacité à l’étranger.

6 — Des évolutions positives pour les entreprises privées et les investisseurs étrangers

Le symposium sur les entreprises privées organisé par Xi Jinping en février a réussi à attirer l’attention du grand public, renforçant ainsi la perspective d’un environnement plus favorable aux entreprises à Pékin. 

Il a serré la main des plus grands entrepreneurs, dont Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, jadis ostracisé, et s’est engagé à « promouvoir le développement sain et de haute qualité de l’économie privée ». Pékin s’efforce clairement de rétablir la confiance après des années de répression réglementaire, d’ingérence bureaucratique et de faiblesse des investissements privés. Ce faisant, le gouvernement chinois envoie un message fort non seulement aux entrepreneurs mais également aux organismes de régulation et aux gouvernements locaux pour leur faire comprendre que la Chine a besoin de son secteur privé. Ces derniers jours, des mesures ont été prises pour améliorer l’accès au marché, accroître la participation du secteur privé aux grandes politiques gouvernementales et faire avancer rapidement la loi sur la promotion de l’économie privée 7.

Le processus actuel de changement structurel engagé par Xi renforce un modèle de croissance dépendant des exportations, ce qui pourrait avoir des conséquences à long terme sur l’économie chinoise.

Neil Thomas et Jing Qian

Ce soutien vise évidemment à améliorer le climat des affaires en général, mais son objectif principal est surtout de mobiliser le secteur privé pour faire progresser la productivité technologique et la résilience de la chaîne d’approvisionnement — deux éléments clefs de la stratégie économique étatique de Xi. 

Le Secrétaire général du Parti a souligné que les entrepreneurs devraient « se consacrer au service du pays », les exhortant à s’aligner sur les politiques nationales et à soutenir les priorités du gouvernement. Sans surprise, de nombreux intervenants au symposium représentaient des industries qui se trouvent au cœur de la guerre des capitalismes politiques entre les États-Unis et la Chine. L’événement a largement réaffirmé les engagements existants du Parti envers le secteur privé, ce qui signifie que la plupart des entreprises sont susceptibles d’attendre des améliorations tangibles avant d’apporter des changements significatifs à leurs business plans.

Les inquiétudes suscitées par la chute record d’investissements directs étrangers (IDE) de l’année dernière et la baisse de 27,1 % des investissements étrangers effectivement utilisés pourraient inciter à adopter de nouvelles politiques visant à attirer les investisseurs étrangers. Le « C.C.T.E » a confirmé l’appel de Xi en faveur d’une plus grande « ouverture indépendante » et d’une « ouverture unilatérale » lors du sommet de l’APEC en novembre dernier. La publication d’un plan d’action pour la stabilisation des investissements étrangers le 19 février marque le premier recalibrage autonome de la politique chinoise en matière d’IDE depuis près de quatre décennies. Ce revirement témoigne de l’urgence pour Pékin d’endiguer la fuite des capitaux.

Ce plan reflète un changement stratégique dans l’approche chinoise, qui s’éloigne des allégements fiscaux et des subventions pour se tourner vers la libéralisation sectorielle, la rationalisation de la régulation et les incitations au réinvestissement. Il codifie de nouvelles mesures offrant un accès élargi aux services de télécommunications à valeur ajoutée, aux hôpitaux à capitaux entièrement étrangers et à la rationalisation des autorisations de mise sur le marché des médicaments, alignant ainsi plus étroitement les IDE sur les priorités gouvernementales. Il existe également une forte volonté de retenir les investissements en assouplissant les restrictions sur les fusions et acquisitions et en améliorant l’accès aux canaux de financement nationaux.

Pékin cherche de toute urgence à endiguer la fuite des capitaux.

Neil Thomas et Jing Qian

Cette stratégie souligne un objectif plus large de Pékin : ancrer les entreprises étrangères dans le cadre réglementaire chinois pour en faire des acteurs à long terme, en rendant l’expansion locale plus attrayante que la réallocation des capitaux vers d’autres marchés. Cependant, si le plan en matière d’IDE témoigne d’une volonté marquée, les investisseurs mondiaux chercheront au-delà de la rhétorique des améliorations réglementaires concrètes, un accès élargi aux marchés et une plus grande flexibilité des flux de capitaux. Il faudra suivre de près les tendances des IDE dans des secteurs clefs comme les télécommunications, la santé, l’industrie pharmaceutique et l’éducation.

7 — Sur Taïwan et la politique étrangère, une stratégie de diversion

Il est peu probable que le Premier ministre Li Qiang annonce des changements majeurs dans la politique étrangère ou la politique à l’égard de Taïwan. 

Chaque année, les analystes passent au crible le R.T.G à la recherche de nouveaux changements de formulation sur ces questions, mais ces variations sont rarement significatives. Sur ces questions, Xi reste le seul et principal décideur. Li avait par exemple sciemment omis l’expression « unification pacifique » dans le Rapport de l’année dernière — avant que Xi, le lendemain, n’exhorte les membres de la CCPPC à promouvoir ce principe précis.

Le data point le plus important des Deux Sessions sur la politique étrangère est le budget militaire de Pékin.

L’année dernière, la Chine avait annoncé des dépenses militaires de 1 670 milliards de yuans, soit une augmentation de 7,2 % par rapport à 2023 et la même variation annuelle proportionnelle que l’année précédente. Mais ces chiffres doivent être interprétés avec prudence lorsqu’ils sont comparés aux statistiques du PIB : ils représentent des augmentations nominales plutôt que réelles.

En parallèle du grand raout des Deux Sessions, Wang Yi devrait tenir sa conférence de presse annuelle comme ministre des Affaires étrangères le 7 mars. Au cours de celle-ci, il donnera un aperçu plus détaillé de la politique étrangère chinoise que ce qui sera indiqué dans le « R.T.G ». Il mettra probablement l’accent sur les lignes rouges de la Chine et abordera la question délicate des relations économiques et commerciales entre Washington et Pékin. Toutefois, il est peu probable que des changements politiques majeurs soient annoncés ou que des déclarations révolutionnaires soient faites. Une interrogation clef demeure : Xi fera-t-il lui-même des commentaires directs sur les relations entre les États-Unis et la Chine ? Cela fait partie des points à surveiller de très près.

Sur Taïwan et la politique étrangère, Xi reste le seul et principal décideur.

Neil Thomas et Jing Qian

8 — La Chine répondra-t-elle à l’Empire Trump ?

L’une des questions les plus pressantes de la politique chinoise, en particulier pour les observateurs internationaux, est de savoir comment Xi réagira aux droits de douane et aux menaces du président américain Donald Trump. 

Jusqu’où Pékin sera-t-il prêt à faire des compromis pour conclure un accord ? 

Comment la Chine ripostera-t-elle aux futures mesures économiques américaines ? 

Xi adoptera-t-il une attitude de retenue ou s’engagera-t-il dans une escalade mutuelle avec Washington ? E

Et comment la Chine se positionnera-t-elle face au rapprochement en cours entre les États-Unis de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine ?

Il est impossible de répondre à l’avance à ces questions. Mais il est clair que les messages que pourraient faire passer Xi seront à cet égard déterminants.

Des visiteurs se rendent au Musée du Parti communiste chinois à Pékin, en Chine, avant la semaine décisive des Deux Sessions, le dimanche 2 mars 2025. © AP Photo/Vincent Thian

9 — Xi Jinping aux Deux Sessions : un rôle officiel limité — une influence considérable

Xi ne prononcera pas de discours majeur. 

Mais il s’adressera à une délégation provinciale de l’ANP, à un groupe sectoriel de la CCPPC et à la délégation de l’ANP de l’Armée populaire de libération (APL) et de la Police armée populaire. L’année dernière, il avait rencontré la délégation de l’ANP de la province du Jiangsu et des membres de la CCPPC représentant le Comité révolutionnaire du Kuomintang chinois, le secteur de l’environnement et le secteur technologique.

Xi pourrait utiliser ces interventions pour faire passer des messages clefs sur les relations entre les États-Unis et la Chine.

Il y a deux ans, il avait déclaré à un groupe de la CCPPC que « les pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en œuvre une politique globale d’endiguement, d’encerclement et de répression contre la Chine ». 

S’il reprenait ce langage cette année, cela suggérerait un retour à la confrontation avec les États-Unis — surtout après son omission l’année dernière, suite à la stabilisation des relations bilatérales lors du sommet de Woodside en novembre 2023.

Jusqu’à présent, la disruption Trump a surtout permis à la Chine de se positionner comme un défenseur de l’économie mondiale et de l’ordre international — une dynamique qui semble plutôt servir les intérêts de Xi. La réponse de Pékin aux droits de douane initiaux de 10 % de Trump a été à la fois suffisamment mesurée pour signaler une ouverture aux négociations, mais aussi suffisamment ferme pour démontrer sa volonté d’intensifier les mesures si nécessaire. Xi avance prudemment, cherchant sans doute à éviter de provoquer Trump car il pourrait considérer une rencontre en personne comme un moyen de ralentir la dynamique des droits de douane, des sanctions et des contrôles à l’exportation des États-Unis.

Les remarques de Xi révèlent souvent sa position sur les questions économiques, parfois en des termes étrangement personnels.

L’année dernière, il avait ainsi exprimé son scepticisme à l’égard des mesures de relance directes en faveur des consommateurs, déclarant que le Parti devait « motiver les larges masses à compter sur leurs propres mains pour créer une vie heureuse ». Il a également présenté les trois volets de la politique industrielle de Pékin : « moderniser les industries traditionnelles, développer les industries émergentes et cultiver les industries du futur ». Toute concession aux préoccupations étrangères concernant la surcapacité semblait douteuse après qu’il eut rendu un long hommage à la « lutte ardue de la Chine pour l’autonomie » dans le secteur manufacturier.

Xi avance prudemment, cherchant sans doute à éviter de provoquer Trump.

Neil Thomas et Jing Qian

Cette année, l’un des développements les plus significatifs serait que Xi donne des éléments sur le 15e plan quinquennal qui définira les priorités de développement économique et social de la Chine pour 2026-2030. Le plan devrait être publié lors des deux sessions de mars 2026, et Xi devrait convoquer un quatrième plénum du Comité central du Parti plus tard cette année pour fournir des orientations de haut niveau sur son contenu.

La plus grande surprise des Deux Sessions de l’année dernière fut l’annulation de la conférence de presse annuelle du Premier ministre — une tradition qui remontait pourtant aux années 1990. L’absence de Li Qiang sous les projecteurs avait souligné la subordination du Conseil d’État au Parti sous Xi Jinping, une réalité politique qui avait été officiellement codifiée lors du même événement par une révision de la loi organique du Conseil d’État. Le retour du format de la conférence de presse primo-ministérielle semble peu probable cette année. Si elle devait avoir lieu, elle témoignerait de la confiance croissante de Xi en Li.

Car les Deux Sessions fournissent également des informations sur le paysage politique chinois au sens plus large. Tout changement dans la visibilité des hauts dirigeants pourrait indiquer une évolution de la dynamique politique. Les médias d’État mettront en avant certains délégués et certaines propositions politiques, donnant ainsi un aperçu des priorités du gouvernement — ou du moins de ce qu’il veut faire passer pour ses priorités. Certains participants pourraient même profiter de l’attention des médias pour faire des déclarations audacieuses ou provocantes, à l’instar du professeur Jia Qingguo de l’université de Pékin, qui avait appelé l’année dernière à assouplir les restrictions sur les échanges universitaires et les voyages 8.

Les interventions de deux hauts responsables en particulier sont à surveiller : Pan Gongsheng, gouverneur de la Banque populaire de Chine, et Zheng Shanjie, directeur de la Commission nationale du développement et de la réforme. 

Le retour du format de la conférence de presse primo-ministérielle semble peu probable cette année. Si elle devait avoir lieu, elle témoignerait de la confiance croissante de Xi en Li.

Neil Thomas et Jing Qian

Pan a joué un rôle central dans la mise en œuvre de la dernière relance de Pékin, en animant une conférence de presse le 24 septembre qui a présenté une série de mesures de politique monétaire — une initiative qui avait immédiatement redynamisé les marchés financiers chinois. Deux jours plus tard, Xi a présidé une réunion du Politburo qui a réaffirmé cette nouvelle orientation. Cependant, la conférence de presse de Zheng qui a suivi avait refroidi l’enthousiasme du marché, car elle n’avait pas permis d’identifier de nouvelles mesures tangibles de politique budgétaire. 

Or l’influence de Pan semble s’accroître — le « C.C.T.E » s’engageant à « explorer l’élargissement des fonctions macroprudentielles et de stabilisation financière de la banque centrale ». Dans le même temps, Zheng a été mis sous pression pour améliorer ses performances en matière de politique économique.

10 — Aucun remaniement majeur du personnel politique n’est attendu

Si la session annuelle de l’ANP a le pouvoir de nommer et de révoquer les dirigeants du Conseil d’État, elle est rarement le lieu de tels remaniements — sauf lors du renouvellement quinquennal suivant un congrès du Parti.

L’année dernière, des rumeurs avaient circulé selon lesquelles Pékin aurait pu nommer une nouvelle figure au poste de ministre des Affaires étrangères en remplacement de Qin Gang, mais c’est Wang Yi — dont le rôle principal restait celui de directeur du Bureau central des Affaires étrangères du PCC — qui a conservé ce poste après l’avoir repris à la suite du licenciement de Qin.

L’ANP pourrait également promouvoir le ministre de la Défense Dong Jun au poste de conseiller d’État, un poste de rang supérieur occupé par nombre de ses prédécesseurs. 

Cependant, cela semble peu probable car Xi a déjà laissé passer plusieurs occasions de promouvoir Dong. Son statut inférieur pourrait servir de représailles politiques contre l’APL pour les scandales de corruption en cours qui continuent de secouer ses plus hauts rangs.

Crédits
Cette étude a été produite par Asia Society. En plus des auteurs, les experts du Center for China Analysis Lizzi C. Lee, Lobsang Tsering et Shengyu Wang y ont également contribué.