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Malgré ses tentatives d’institutionnalisation conservatrice — en Italie et en Europe — et l’atlantisme inébranlable de Giorgia Meloni en matière de politique étrangère, le parti Fratelli d’Italia est-il contaminé par la nostalgie fasciste et l’antisémitisme — ou bien compte-t-il seulement en son sein « quelques » éléments indésirables ?

Depuis le 13 juin, la question embrase l’Italie. À cette date, une enquête vidéo publiée par Fanpage 1 en deux épisodes raconte de l’intérieur — par l’intermédiaire un infiltré du journal dirigé par Francesco Cancellato se faisant passer pour un militant — les activités des jeunes de la Gioventù Nazionale, la formation de jeunesse de Fratelli d’Italia. Insultes contre les Juifs, propos racistes contre les Noirs, chants nazis. L’impact et le retentissement du reportage ébranlent l’Italie. L’affaire prend une ampleur encore plus grande après la diffusion du deuxième épisode de l’enquête, au cours duquel Ester Mieli, sénatrice de Fratelli d’Italia, est ouvertement insultée parce que juive.

Le gouvernement a d’abord réagi officiellement à la Chambre — après une question du Parti démocrate — par l’intermédiaire du ministre des relations avec le Parlement, Luca Ciriani, pour lequel il ne s’agirait que d’une « instrumentalisation » et d’une « intoxication de la confrontation démocratique ». 

Pour Ciriani, le reportage serait basé sur « des images fragmentées, décontextualisées et filmées dans un cadre privé ». Dans l’intervalle, certains des jeunes leaders du mouvement de Meloni ont quitté leurs fonctions institutionnelles. Flaminia Pace, présidente de Gioventù Nazionale Pinciano, a démissionné du Conseil national de la jeunesse — « le plus beau, c’est qu’hier on s’est foutu sur la gueule à cause de croix gammées et que c’est moi qui ai dû me taper le communiqué de presse de solidarité avec Ester Mieli » — et Elisa Segnini — « je n’ai jamais cessé d’être raciste et fasciste » — a quitté ses fonctions de secrétaire en chef d’Ylenja Lucaselli, chef de groupe de Fratelli d’Italia à la commission du budget de la Chambre des Députés. Une autre dirigeante de l’organisation, Ilaria Partipilo, collaboratrice de Giovanni Donzelli, chef national de l’organisation Fratelli d’Italia et proche du sous-secrétaire à la santé Marcello Gemmato, a quant à elle été accusée d’être l’autrice de messages racistes et antisémites écrits via Whatsapp et rapportés par l’enquête de Fanpage.

Pour mieux situer ce qu’il est en train de se passer au sein de Fratelli d’Italia depuis la parution de ce reportage, nous avons sélectionné et mis en contexte dix phrases qui décrivent la relation du parti de Meloni avec son passé. Une clarification s’impose néanmoins : comme le fait remarquer l’historien Claudio Vercelli dans son ouvrage intitulé : « Il n’y a aucun fondement politique, et encore moins historique, à évoquer le « retour du fascisme ». Il y a au moins deux raisons à cela : un phénomène historique ne se répète jamais de la même manière ; de même, on ne peut pas parler du retour de quelque chose qui n’a jamais complètement quitté les sociétés continentales, pas même avec la fracture épochale de 1945. » 2 (p. 4).

1 — « Je n’ai jamais cessé d’être raciste ou fasciste, alors pas d’inquiétude : j’aurai toujours des nègres et des communistes au cul » (Elisa Segnini Bocchia)

Née en 1995, d’origine noble, originaire de Bergame et titulaire d’une maîtrise en affaires et relations internationales de la LUISS, Segnini n’a manifestement pas lu les thèses politiques du XVIIe Congrès national du MSI-DN, intitulé « Pensons l’Italie. Demain est déjà là. Valeurs, idées et projets pour l’Alleanza Nazionale ».

Ce sont ces thèses qui conduisirent à la « svolta di Fiuggi » 3 et à la dissolution du Mouvement social italien (MSI) en 1995. « La haine raciale est une forme de totalitarisme : la plus cruelle est la non-reconnaissance de la dignité du ‘différent’, de ‘l’étranger’, peut-on lire à la page 9 du chapitre deux, « Valeurs et principes » : « Notre condamnation du racisme est une condamnation du totalitarisme et d’usage de la force comme moyen d’abuser de son pouvoir » 4.

La naissance de l’Alleanza Nazionale (AN) a représenté un moment de rupture avec la tradition de l’après-guerre et le début d’un chemin qui a conduit à l’institutionnalisation de la droite politique que Giorgia Meloni a fait entrer au Palazzo Chigi.

2 — « Ces personnes sont dans le mauvais parti et il est juste qu’elles soient mises à la porte. Avant même notre projet, l’antisémitisme et le racisme sont incompatibles avec notre nature » (Fabio Rampelli, vice-président de la Chambre des députés, dans une interview accordée au Corriere della Sera 5)

Bien qu’il soit désormais exclu du cercle rapproché de la Présidente du Conseil, le romain Fabio Rampelli, député depuis 2005, est l’un des mentors de Giorgia Meloni.

Il est issu du Fronte della Gioventù, une organisation de jeunesse du MSI, et de la section romaine du Colle Oppio. Une section si politiquement hétérodoxe qu’elle était même considérée comme « de gauche » en raison de l’importance qu’elle accordait aux questions environnementales et sociales. 

Rampelli a déclaré à plusieurs reprises qu’il était agacé par les références de Fratelli d’Italia à son passé fasciste. Il a déclaré un jour qu’il voulait répondre à ces accusations « par amitié pour Don Luigi Di Liegro » 6 — fondateur de la Caritas diocésaine de Rome, dont il était le directeur, décédé en 1997 : « J’étais secrétaire du Fronte della Gioventù lorsqu’un comité de Parioli dirigé par deux députés du MSI a tenté de prendre d’assaut son centre pour les malades du sida à Villa Glori. J’ai emmené tous les jeunes du MSI dans le centre pour le défendre. Le Fronte della Gioventù contre le MSI, c’est une page historique, mémorable, d’une jeunesse qui en avait assez d’une certaine droite rustre », se souvient Rampelli qui, dans les années 1980, a fondé l’association écologiste « Fare Verde » avec Paolo Colli.

3 — « Ce n’est pas nous qui sommes racistes, ce sont eux qui sont nègres » (Elisa Segnini Bocchia, toujours elle)

Le Florentin Achille Totaro, ancien député de longue date de Fratelli d’Italia, a expliqué un jour que la section du Colle Oppio était considérée comme la plus à gauche du monde de la droite politique, parce que sur certains combats — comme l’écologie, la protection de l’environnement — elle était à l’avant-garde : « Mais je pense aussi à l’immigration. C’était une section qui rejetait le racisme et la discrimination. Dans ces régions, on pensait que les immigrés qui arrivaient ici étaient exploités par un certain type de colonialisme et de capitalisme ; c’étaient des victimes, pas des gens à maltraiter. Je me souviens que dans cette section, Rampelli et les autres collectaient de l’aide humanitaire pour ces pauvres gens, rejetant ainsi un certain stéréotype de droite, qui existait bel et bien » 7.

En bref, Meloni « aurait vécu dans ces milieux où la défense sociale des plus faibles était très présente », explique encore Totaro. « Ce n’étaient pas des positions faciles à tenir, à l’époque, parce qu’il s’agissait de minorités de droite. Mais la question qu’ils se posaient était la suivante : pourquoi être si virulent à l’égard des immigrés ? »

4 — « Ce que j’ai et ce que j’avais à dire sur le fascisme, je l’ai dit cent fois et je ne pense pas devoir le répéter davantage » (Giorgia Meloni, le 18 avril dernier, en réponse à la question d’un journaliste : « Vous déclarez-vous antifasciste ? »)

La devise de Giorgio Almirante, secrétaire historique du MSI avant Gianfranco Fini, était : « ne pas renier et ne pas restaurer ».

Ce slogan semble revenir cycliquement dans le discours public des héritiers de la tradition post-MSI, bien que sous des formes différentes, dans l’analyse politico-historique de la droite italienne.

On le retrouve sous une autre forme parmi les thèses politiques du XVIIe congrès national du MSI-DN : « S’il est juste de demander à la droite italienne d’affirmer sans réticence que l’antifascisme a été le mouvement historiquement essentiel pour le retour des valeurs démocratiques que le fascisme avait conciliées, il est tout aussi juste de demander à tous de reconnaître que l’antifascisme n’est pas une valeur en soi et fondatrice et que la promotion de l’antifascisme d’un moment historique contingent à une idéologie a été opérée par les pays communistes et le Parti communiste italien pour se légitimer tout au long de la période de l’après-guerre. Dans la période d’après-guerre, tous les antifascismes n’étaient pas, de fait, des antitotalitarismes ».

5 — « Il n’y a pas de place à Fratelli d’Italia pour des positions racistes ou antisémites, tout comme il n’y a pas de place pour les nostalgiques du totalitarisme du XXe siècle, ou pour toute manifestation de folklore stupide. Les partis de droite dont beaucoup d’entre nous sont issus ont déjà fait leur deuil du passé et du fascisme il y a plusieurs décennies. C’est d’autant plus vrai pour un jeune mouvement politique comme le nôtre qui, depuis sa fondation, a fait le choix de s’ouvrir à des cultures politiques compatibles avec la nôtre, en accueillant des personnes qui, elles aussi, sont issues de parcours politiques différents de celui de la droite historique ». (Giorgia Meloni dans une lettre envoyée aux dirigeants de Fratelli d’Italia le 2 juillet 2024)

Ce n’est pas la première fois que Giorgia Meloni tente de catéchiser les dirigeants de son parti. 

« Je serai implacable, je chasserai les nostalgiques : lorsque nous entrerons au gouvernement, nous devrons être impeccables », déclarait-elle déjà en février 2022 lors d’une réunion des dirigeants de Fratelli d’Italia. Elle réitérait en octobre 2022 après avoir remporté les élections, devant les parlementaires élus : « Dehors ceux qui s’égarent ». 

Une fois de plus, la Présidente est obligée de prendre ses distances avec certains dirigeants de son parti en raison de leur comportement.

6 — « Je suis heureux qu’après une première phase d’hésitation, des mesures fermes aient été prises. Dans certains cas, les expulsions sont nécessaires. Mais une action pédagogique est également indispensable. Il faut faire comprendre que la droite est incompatible avec ces attitudes, qui ne doivent pas être minimisées comme de la simple goliardise. (…) Ce qui m’a le plus dégoûté, ce sont les moqueries contre Ester Mieli. On ne peut pas non plus dire que ces dernières années, il y aurait eu un manque d’information sur ce qu’était l’antisémitisme nazi-fasciste. Je suis fier que le prix Nobel Elie Wiesel ait pu s’exprimer dans l’hémicycle ». (Gianfranco Fini au Corriere 8)

L’enquête de Fanpage montre que le problème ne touche pas seulement la jeunesse du parti. En 2016, une photo de Galeazzo Bignami, l’actuel vice-ministre des transports et des infrastructures, a ressurgi : elle le montre habillé en nazi. À l’époque, lorsque la controverse a éclaté, Bignami avait expliqué qu’il s’agissait « d’un enterrement de vie de garçon, d’une plaisanterie goliarde entre amis ».

Mais ce n’est pas un épisode isolé pour le vice-ministre : en 2019, une vidéo dans laquelle Bignami passait en revue les interphones de logements sociaux à Bologne, mettant à l’index des locataires étrangers, avait suscité la controverse. Cependant, tout le monde ne semble pas partager la même sensibilité que Fini qui, comme l’a observé Marco Tarchi dans Foglio, « n’a pas produit de véritable innovation dans son environnement politique. Il s’est contenté de s’adapter aux circonstances. Il a eu un sens tactique mais aucune vision stratégique, du début à la fin de son aventure ».

Le ministre de l’intérieur, Matteo Piantedosi, ancien préfet de Rome, choisi par la Lega au sein du gouvernement, a tenté de minimiser l’affaire : « arrêtons-nous sur l’antisémitisme : c’est l’un des sentiments les plus inquiétants qui émergent également à la suite du 7 octobre », déclare-t-il à SkyTg24 9. « Du point de vue des comportements dangereux, du point de vue de la résurgence de l’antisémitisme, ce n’est pas de ce groupe de jeunes qu’il s’agit [les jeunes du reportage de Fanpage], mais d’autres qui sont sur nos places, parfois même dans les universités. Il n’y a pas de doute : cela doit être condamné sans aucune indulgence. Mais si l’on parle d’antisémitisme, je suis davantage préoccupé par ce qui a parfois émergé dans la rue : l’incendie de drapeaux israéliens, l’agression de la Brigade juive le 25 avril. Ces actes sont, d’un point de vue opérationnel, concret, beaucoup plus dangereux que ceux de ce groupe de jeunes — sans préjudice de la condamnation à laquelle doivent être soumis ceux qui se sont vus faire des gestes et des références condamnés par l’histoire ». 

En bref, avant de faire le ménage dans la maison des Fratelli d’Italia, il faudrait regarder ce qui se passe à gauche, dit en substance le ministre de l’Intérieur.

Cependant, on peut regarder autour de soi et constater avec amertume, selon les mots de la sociologue Betti Guetta et des chercheurs de l’Observatoire de l’antisémitisme de la Fondation CDEC à Milan, que « quelque chose n’a pas fonctionné dans le travail de lutte contre l’antisémitisme en Italie ». 

Ce constat se fonde sur le Rapport annuel sur les actes et discours antisémites en Italie, présenté en février de cette année. « Les données recueillies dans le cadre de l’enquête 2023 sont inquiétantes : l’Italie connaît une forte augmentation des actes antisémites. Suite à 923 signalements, 454 incidents ont été identifiés l’année dernière : 259 en ligne, 195 hors ligne, dont une agression et 40 cas de menaces. Dans l’ensemble, les 241 incidents recensés en 2022 ont presque doublé ». 

L’antisémitisme est aujourd’hui beaucoup plus agressif et en même temps moins caché : « Insulter les Juifs n’est plus tabou. Surtout après le 7 octobre, qui a déclenché cette vague de haine et presque un sentiment de libération : le conflit à Gaza a été utilisé comme un bouclier pour insulter sans avoir à se justifier » : « les sondages montrent que 10 % des Italiens expriment explicitement leur antisémitisme, un chiffre auquel il faut ajouter une vaste zone grise de préjugés antijuifs qui vont des conspirations sur les riches juifs qui tireraient les ficelles de l’économie et de l’information, à l’image du juif vengeur. En Italie, la matrice idéologique de l’antisémitisme est principalement d’extrême droite, flanquée de l’extrême gauche, du radicalisme islamique et de ‘l’antijudaïsme catholique’ ».

7 — « Vous avez estimé le ‘fascisme’ au sein de Fratelli d’Italia à 2 %. Êtes-vous sûr de ce pourcentage ? — Je dirais même moins. Il y a des votes qui se comptent — les nostalgique, les anti-systèmes, les populistes — et des votes qui comptent — le monde qui nous regarde, l’industrie, tout ce qui constitue le corps électoral du parti. Je crois qu’on peut sans risque renoncer à ces 2 %, à leur incohérence anti-historique et à la trahison qu’ils infligent à un parti libéral-conservateur de masse comme l’est aujourd’hui Fratelli d’Italia », (Alessandro Giuli, président du MAXXI, au Corriere 10)

Giuli, ancien codirecteur du Foglio et actuel président de la Fondation MAXXI, est l’un des intellectuels les plus proches de la droite au pouvoir, avec Pietrangelo Buttafuoco, président de la Fondation de La Biennale de Venise.

Il est impossible de vérifier si le pourcentage identifié par l’auteur de Gramsci est vivant (Rizzoli) correspond à la réalité. 

Selon Fanpage, Ilaria Partipilo, présidente de Gioventù Nazionale à Bari, collaboratrice de Giovanni Donzelli, députée et responsable de l’organisation nationale de Fratelli d’Italia, et proche du sous-secrétaire à la santé, Marcello Gemmato, postait des photos de Mussolini et d’Hitler dans les boucles de messages internes avec ses militants et écrivait que « les trisomiques sont des infirmes ». Toujours dans ces messageries, elle aurait parlé d’un « nègre » et d’un « infâme juif ». 

Si le pourcentage est « faible », il n’en est pas moins frappant.

8 — « Nous sommes le témoignage concret que la droite conservatrice peut bien gouverner dans son pays tout en renforçant le cadre des alliances internationales et en attirant les grands investisseurs. Nous sommes la démonstration que le récit des grands médias et des observateurs partisans était faux, qu’il existe une alternative crédible au marécage social-démocrate européen et occidental. C’est exactement la raison pour laquelle nous faisons si peur — pas seulement en Italie d’ailleurs —  à ceux qui veulent défendre le statu quo. C’est le grand défi que nous devons relever. C’est la révolution pour laquelle beaucoup d’entre nous sacrifient des pans entiers de leur vie sans se plaindre. Et c’est surtout pour cela que nous recevons des attaques de toutes sortes, sans règles, sans limites, sans exclusion. Nous ne pouvons pas arrêter ces attaques, mais nous pouvons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour être à la hauteur du rôle que les Italiens nous ont confié ». (Giorgia Meloni dans la lettre susmentionnée adressée aux parlementaires de Fratelli d’Italia)

Il peut arriver que les hommes politiques se sentent encerclés. Or plus on occupe un poste important sur le plan institutionnel, plus l’encerclement — ou à tout le moins le sentiment d’encerclement — augmente. Ces jours-ci, Giorgia Meloni voit des adversaires partout et elle en a probablement plus d’un. Mais la Présidente du Conseil et les Fratelli d’Italia semblent emprunter une pente rhétorique hasardeuse : ils seraient « gênants » ; persécutés et attaqués de toute part simplement parce qu’ils mettent un coup de pied dans la fourmilière (« le marécage social-démocrate européen »). Il n’est pas rare que le sentiment d’encerclement se transforme en un auto-encerclement : la phrase « ils en ont après nous » semble être le symptôme même de cette paranoïa du pouvoir. 

La paranoïa peut sans doute servir des fins politiques — elle peut être un outil précieux car elle permet de vivre dans un état de vigilance utile. Mais jusqu’à un certain point. Au-delà, elle emprunte à la rhétorique conspirationniste.

9 — « Cette flamme ? C’est le symbole historique qui accompagne l’histoire de la droite républicaine, d’abord le MSI puis l’AN. Comme nous nous inscrivons dans la continuité de cette histoire, nous l’avons stylisée et reprise » (Giorgia Meloni dans une interview accordée à Skuola.net 11)

En 2022, la sénatrice Liliana Segre avait demandé à Giorgia Meloni de « retirer la flamme du logo de son parti » 12 après que celle qui n’était pas encore Présidente du Conseil se fut exprimée en termes très clairs sur le fascisme : « La droite italienne a relégué le fascisme dans l’histoire depuis des décennies, en condamnant sans ambiguïté la privation de démocratie et les infâmes lois antijuives ».

Pourtant, comme l’a fait remarquer Andrea Romano, historien et ancien député du PD, « cette flamme, comme le sait parfaitement Giorgia Meloni, a toujours été une référence explicite à celle qui brûle sur la tombe de Benito Mussoli et constitue donc le principal symbole du néo-fascisme italien ».

10 — « Le 30 mai 1924, Giacomo Matteotti prononçait à la Chambre des députés son dernier discours, qui allait lui coûter la vie. Dans ce discours, Matteotti défendait la liberté politique, incarnée par la représentation parlementaire et les élections libres. Aujourd’hui, nous sommes ici pour commémorer un homme libre et courageux qui a été tué par des squadristi fascistes pour ses idées. Honorer sa mémoire est fondamental pour nous rappeler chaque jour, 100 ans après ce discours, la valeur de la liberté d’expression et de pensée face à ceux qui s’arrogent le droit d’établir ce qu’il est permis de dire et de penser et ce qui ne l’est pas. La leçon de Matteotti, aujourd’hui plus que jamais, nous rappelle que notre démocratie est telle si elle est fondée sur le respect des autres, sur la confrontation, sur la liberté, et non sur la violence, l’oppression, l’intolérance et la haine de l’adversaire politique ». (Giorgia Meloni le 30 mai 2024 13)

Cette note de la présidence du Conseil à l’occasion des commémorations du 100e anniversaire de la mort de Giacomo Matteotti a fait l’objet de nombreuses spéculations. Une lecture intéressante en a été faite par Fabio Martini dans La Stampa : « Pour elle, Matteotti a été ‘tué par des squadristi fascistes’. Eliminé non pas sur ordre du Duce, mais par un groupe de ‘têtes brûlées’ : telle est la théorie sur laquelle l’historiographie de la culture du MSI s’est arrêtée depuis 1946. »

On pourrait croire qu’il s’agit d’un exposé de philologues endurcis, mais il contient un passage clef. À partir de 1946, le récit de la droite italienne a toujours été imprégné d’une idée : le fascisme aurait été capable de reconstruire l’État national et sa chute aurait été déterminée par une série de graves erreurs concentrées dans la phase finale du régime — les lois raciales et l’entrée en guerre aux côtés d’Hitler. Évidemment, la Présidente du Conseil n’avait pas l’obligation « formelle » d’exprimer un jugement sur les années du fascisme, mais l’expression qu’elle a utilisée laisse ouverte une question cruciale : la résistance de la droite italienne à converger vers ce que les historiens de toutes tendances répètent — à savoir qu’il n’y a pas eu de ‘bon avant’ et de ‘mauvais après’ dans le fascisme mais que c’est précisément l’assassinat de Giacomo Matteotti qui a constitué le véritable point de non-retour » 14.

Sources
  1. Voir l’enquête en vidéo à ce lien.
  2. Claudio Vercelli, Neofascismo in grigio. La destra radicale tra l’Italia e l’Europa, Einaudi, 2021.
  3. Enclenché par Gianfranco Fini, le tournant de Fiuggi désigne le moment où le Movimento Sociale Italiano – Destra Nazionale (MSI-DN) décide d’abandonner les références au fascisme pour engager un processus de légitimation. La dissolution du MSI donnera naissance à un nouveau parti : Alleanza Nazionale.
  4. Archives : MSI, 66 XVII Congresso nazionale, Fiuggi, 1995, en ligne.
  5. ‘Fabio Rampelli sui giovani di Fratelli d’Italia coinvolti nell’inchiesta di Fanpage : « Hanno sbagliato partito, è giusto metterli alla porta »’, Open, 30 juin 2024, en ligne.
  6. ‘Fdi, Rampelli : ombre nere su Meloni ? Ma di che si parla… Don Di Liegro venne nella sezione Colle Oppio a parlare di antirazzismo insieme a noi del dg’, Conquiste del lavoro, 12 août 2022, en ligne.
  7. David Allegranti, ‘Il problema principale di Meloni saranno i suoi alleati, Public Policy, 24 octobre 2022, en ligne.
  8. Virginia Piccolillo, ‘Fini sull’inchiesta di Fanpage : « Oscenità impensabili, Giorgia Meloni deve fare di tutto per estirpare quel virus »’, Corriere, 29 juin 2024, en ligne.
  9. ‘Piantedosi fa la classifica dell’antisemitismo : peggio gli studenti che Gioventù nazionale’, Huffpost, 1er juillet 2024, en ligne.
  10. Paolo Conti, ‘Giuli : « Bisogna prosciugare le pozzanghere di fascismo. Il partito sostenga Meloni »’, Corriere, 24 juin 2024, en ligne.
  11. ‘Meloni : “La fiamma nel simbolo di Fdi segna la continuità con Msi e An »’, La  Stampa, 31 mai 2024, en ligne.
  12. ‘Liliana Segre : « Meloni inizi a togliere la fiamma dal logo »’, ANSA, 12 août 2022, en ligne.
  13. Présidence du Conseil des ministres italien, ‘Cerimonia celebrativa del centenario della morte di Giacomo Matteotti presso la Camera dei deputati, dichiarazione del Presidente Meloni’, 30 mai 2024, en ligne.
  14. Fabio Martini, ‘Matteotti, la svolta di Meloni : « Fu squadrismo fascista »’, La Stampa, 31 mai 2024, en ligne.