Macron : « Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale ». L’annonce intégrale

Jamais, en France, des élections européennes n’avaient à ce point bouleversé le paysage politique national. Face aux résultats attendus mais historiques du Rassemblement National, le président de la République a pris la parole. Le coup de tonnerre de la décision de dissolution de l’Assemblée nationale ouvre une nouvelle phase d’incertitude. Nous publions le verbatim de cette annonce.

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Le Grand Continent
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© Romuald Meigneux/SIPA

Les premiers résultats venaient de tomber sous les coups de 20h, lorsqu’un message de l’Élysée envoyé aux rédactions déclarait d’une manière laconique : « Suite aux résultats des élections européennes, le président de la République s’adressera dans la soirée aux Français ».

Ceux-ci étaient certes impressionnants, mais largement attendus. Tous les sondages donnaient depuis plusieurs mois le Rassemblement National mené par Jordan Bardella à plus de 30 %, en distanciant de plus d’une dizaine de points la liste de la majorité présidentielle menée par Valérie Hayer. Pris dans une séquence internationale marquée par les commémorations du D-Day et la visite d’État de Joe Biden, l’Élysée n’avait pas laissé transparaître ses intentions.

C’est ce qui rend cette annonce particulièrement étonnante. « Je dois avouer que je suis un peu sonné », dit en off un poids lourd de la majorité. 

Comment comprendre cette annonce ? Son tempo et le rythme qu’il impose à la politique française sont impressionnants. S’agit-il d’un coup à la Sánchez, provoquant des élections sans donner le temps à son opposition de s’organiser ? Suivra-t-il l’exemple de Mitterrand — cohabiter pour mieux régner — ou se trouvera-t-il dans une impasse à la Chirac ?

Il est pour l’instant impossible de trancher. Nous observons toutefois un point clef : rarement une élection européenne a eu un tel effet sur les dynamiques internes d’un pays.

Au-delà de l’effet de choc et de sidération, c’est ce qui rend ce document important — et c’est ce qui nous a décidé à le rendre disponible en format écrit en français et dans les autres langues de la revue.

Les partis d’extrême droite qui, ces dernières années, se sont opposés à tant d’avancées permises par notre Europe — qu’il s’agisse de la relance économique, de la protection commune de nos frontières, du soutien à nos agriculteurs, du soutien à l’Ukraine —, ces partis progressent partout sur le continent.

En France, leurs représentants atteignent près de 40 % des suffrages exprimés. Pour moi qui ai toujours considéré qu’une Europe unie, forte, indépendante est bonne pour la France, c’est une situation à laquelle je ne peux me résoudre.

Comme l’analyse le politiste spécialiste de l’extrême droite Cas Mudde, « L’augmentation du nombre de sièges est principalement due au fait que l’extrême droite a obtenu des bons scores dans quelques pays dont la taille démographique assure une représentativité au Parlement européen — la France et l’Italie, et dans une moindre mesure l’Allemagne ». Au niveau européen, en réalité, les partis d’extrême droite semblent moins performants en Belgique, en Tchéquie, au Danemark, en Finlande, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie et en Suède… La Grèce, les Pays-Bas et l’Espagne ne se distinguent pas non plus.

Certes, l’extrême droite gagne, avec un nouveau record de sièges, mais sa victoire ne semble à ce stade pas majeure dans l’ensemble.

La montée des nationalistes, des démagogues, est un danger pour notre nation mais aussi pour notre Europe, pour la place de la France en Europe, et dans le monde.

Et je le dis alors même que nous venons de célébrer avec le monde entier le débarquement en Normandie, et alors même que dans quelques semaines nous aurons à accueillir le monde pour les Jeux Olympiques et paralympiques.

Oui, l’extrême droite est à la fois l’appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays. Je ne saurais donc, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était. 

Les premières estimations publiées par le Parlement européen dimanche soir à 20h15 donnent le Rassemblement National vainqueur des élections européennes en France, avec 31,5 % des suffrages exprimés. Mais le résultat définitif de la liste menée par Jordan Bardella pourrait en réalité être bien plus élevé. Selon le décompte officiel du ministère de l’Intérieur français, le RN serait crédité de 34,5 % des suffrages exprimés à 23h30 (Paris), sur la base de près de 80 % des bulletins dépouillés. La liste de la majorité présidentielle, « Besoin d’Europe », n’atteindrait quant à elle pas les 15 % selon ces mêmes chiffres.

À cette situation s’ajoute une fièvre qui s’est emparée ces dernières années du débat public et parlementaire dans notre pays. Un désordre qui, je le sais, vous inquiète, parfois vous choque, et auquel je n’entends rien céder.

Or aujourd’hui les défis qui se présentent à nous — qu’il s’agisse des dangers extérieurs, du dérèglement climatique, et de ses conséquences ou des menaces à notre propre cohésion —, ces défis exigent la clarté dans nos débats, l’ambition pour notre pays et le respect pour chaque Français.

C’est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. 

Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale.

Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour, et le 7 juillet pour le second.

Comme le fait remarquer sur X l’ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, le calendrier extrêmement resserré annoncé par le président de la République peut surprendre. L’article 158 du Code électoral prévoit que : « les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin. » En respectant cette procédure, le premier tour devrait avoir lieu le 7 juillet — date à ce stade annoncé pour le second. Un tel calendrier peut s’expliquer en interne par une double contrainte impondérable dans l’agenda français : les « grandes vacances » d’été et le début des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris le 26 juillet. Il a également une dimension politique évidente : les oppositions – mais cela semble tout aussi vrai pour la majorité présidentielle – auront très peu de temps pour s’organiser.

Une autre raison de fond peut aider à comprendre cet empressement. Comme l’expliquait Klaus Welle dans ces pages, la séquence qui s’ouvre à partir des résultats des élections européennes est aussi celle des tractations au Conseil pour la nomination des top jobs et, du même coup, des grandes priorités politiques du prochain cycle européen. Après le triomphe du RN le 9 juin, le Président français fait un pari sur le temps bref pour ne pas apparaître comme un chef de l’État affaibli politiquement alors que les négociations au Conseil s’annoncent délicates.

Cette décision est grave, lourde, mais c’est avant tout un acte de confiance. 

Confiance en vous, mes chers compatriotes, en la capacité du peuple français à faire le choix le plus juste pour lui-même et pour les générations futures.

Confiance en notre démocratie. Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires, c’est un temps de clarification indispensable.

Confiance en la France qui, face à la rudesse des temps, sait toujours s’unir et résister pour dessiner l’avenir et non se replier ou céder à toutes les démagogies.

Dans les prochains jours je dirai l’orientation que je crois juste pour la nation. J’ai entendu votre message, vos préoccupations, et je ne les laisserai pas sans réponse. Et vous me connaissez, le goût de l’avenir, celui du dépassement, de la fédération, continueront de nourrir ce projet.

Mais en ce moment de vérité démocratique, et alors même que je suis le seul responsable politique à n’avoir aucune échéance électorale personnelle en 2027, soyez certains d’une chose : ma seule ambition est d’être utile à notre pays que j’aime tant, ma seule vocation est de vous servir.

Je sais pouvoir compter sur vous pour aller massivement voter les 30 juin et 7 juillet prochains. La France a besoin d’une majorité claire pour agir dans la sérénité et la concorde.

À quoi pourrait ressembler l’Assemblée nationale après la dissolution ? En mars 2023, à partir d’un sondage IFOP/JDD, nous avions montré qu’il aurait fallu s’attendre à un doublement du nombre de sièges du RN. Celui-ci s’expliquerait d’une part par l’élimination d’un nombre plus importants de candidats Renaissance dès le premier tour, conduisant à des seconds tours RN-NUPES assez fréquemment remportés par le RN, et d’autre part par la victoire du RN dans de nombreux duels serrés. Des proches du président expliquent : « il va jouer sur le fait que les législatives se jouent en scrutin majoritaire à deux tours ». C’est en ce sens qu’il faudrait comprendre la proposition de Stéphane Séjourné : Renaissance ne présenterait personne face aux députés sortants issus du « champ républicain ».

Être français est toujours se hisser à la hauteur des temps quand ils l’exigent, connaître le prix du vote et le goût de la liberté, agir quelles que soient les circonstances, en responsabilité.

C’est au fond choisir d’écrire l’histoire plutôt que de la subir.

L’insistance sur la passivité est un élément qui ressort de plusieurs proches du Président. « Le Président n’avait pas le choix. S’il ne dissolvait pas, il s’exposait à une motion de censure. Mieux valait prendre les devants ». 

Dans son discours à la Sorbonne, Emmanuel Macron consacrait un développement à « une forme de ruse de l’histoire » qui semble anticiper cette annonce : « Notre Europe peut mourir, je vous le disais, et elle peut mourir par une forme de ruse de l’histoire. C’est qu’elle a fait énormément de choses ces dernières décennies ; c’est qu’en quelque sorte, les idées européennes ont gagné le combat gramscien ; c’est que tous les nationalismes à travers l’Europe n’osent plus dire qu’ils vont sortir de l’Euro et de l’Europe… Et le risque, c’est que tous les autres sont en train de devenir timides en disant : ‘les nationalistes, les anti-européens sont très forts partout dans nos pays’. C’est normal, il y a de la crainte, il y a de la colère dans les moments de choc que nous vivons, précisément parce que nos compatriotes, partout en Europe, sentent que nous pouvons mourir ou disparaître… La réponse n’est pas dans la timidité, elle est dans l’audace. La réponse n’est pas dans le constat de dire : ‘ils sont en train de monter partout’ mais de se dire : ‘on a le choix’. Cette année, les Britanniques vont choisir leur avenir, les Américains vont choisir leur avenir ; le 9 juin, les Européens aussi ».

Selon l’économiste Olivier Blanchard, co-auteur d’un rapport commandé début 2020 par le président de la République : « La décision de Macron de dissoudre l’assemblée et de convoquer de nouvelles élections est intelligente et judicieuse. Soit l’incohérence du programme du RN devient évidente au cours de la campagne et il perd les élections. Soit le RN gagne, se met à gouverner et fait rapidement n’importe quoi. Dans ce cas, nous aurons deux mauvaises années, contre cinq s’il avait remporté les élections de 2027 ».

C’est maintenant.

Vive la République ! Vive la France ! 

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