Les visites d’État à Washington sont des événements rendus rares par la lourdeur du protocole qu’elles impliquent. Elles sont particulièrement difficiles à organiser lorsque le président est en campagne pour sa réélection.

  • Depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden en janvier 2021, cinq dirigeants étrangers ont eu le droit à cet honneur : Emmanuel Macron (premier chef d’État à être invité par Trump en 2018 puis Biden en 2022), le président sud-coréen Yoon Suk-yeol, le Premier ministre indien Narendra Modi et le Premier ministre australien Anthony Albanese.
  • Avec l’arrivée à Washington du Premier ministre japonais Fumio Kishida pour une visite d’État mercredi 10 avril, la France fait d’autant plus figure d’anomalie parmi cette liste dominée par les pays de l’Indo-Pacifique. Comme pour chaque administration, les dirigeants des pays à qui un tel honneur est accordé traduit les priorités américaines en matière de politique étrangère.
  • En 1987, le secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, était invité à Washington à l’occasion de la signature du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. En 2011, Barack Obama accueillait Hu Jintao pour la première visite d’État d’un dirigeant chinois depuis celle accordée à Jiang Zemin en 1997.

Le Japon cherche à renforcer ses liens avec les États-Unis quel que soit le président en exercice. Kishida s’apprête à rappeler l’ancien interprète de Shinzō Abe, Sunao Takao — vanté pour sa « familiarité » avec Trump —, afin de « renforcer le dialogue avec l’équipe de campagne du candidat républicain » 1. Tokyo travaille dans le même temps très étroitement avec l’administration Biden dans un grand nombre de domaines : défense et sécurité, industrie, technologie, spatial, changement climatique 2

Hier, les deux dirigeants ont procédé au renforcement de leur alliance sécuritaire le plus important depuis plusieurs décennies.

  • Les structures de commandement et de contrôle (Command and Control) connaîtront leur première modernisation en profondeur depuis les années 1960. Concrètement, le Japon passera d’un rôle de « plateforme » pour les opérations militaires américaines en Indo-Pacifique à un rôle d’acteur à part entière plus intégré.
  • La coopération bilatérale en matière de surveillance et de reconnaissance (ISR) et de partage d’informations sera approfondie. Selon un haut responsable américain, cette visite d’État acte le passage d’une « relation de protection de l’alliance » à une phase de « projection de l’alliance » 3.
  • La Chine, mentionnée à une seule reprise dans la déclaration conjointe Biden-Kishida 4, est au cœur de cette transformation de l’alliance sécuritaire américano-japonaise. Dans les derniers wargames organisés par le CSIS, l’utilisation des bases aériennes situées au Japon sera cruciale pour défendre Taïwan dans le scénario d’une invasion chinoise 5.

La menace que Pékin fait peser en mer de Chine méridionale sera au cœur du premier sommet trilatéral États-Unis-Japon-Philippines qui se tiendra dans l’après-midi (heure de Washington) à l’occasion de la venue du président philippin Ferdinand Marcos Jr.

  • Face au harcèlement des navires de pêche et de patrouille maritime philippins par les garde-côtes chinois, les États-Unis, le Japon et l’Australie ont lancé en novembre dernier des patrouilles conjointes en mer de Chine méridionale 6.
  • À la fin de l’été 2023, le ministère chinois des Ressources naturelles publiait la nouvelle édition de sa « carte standard » sur laquelle un dixième trait, marquant les revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale, avait été ajouté — suscitant la vive condamnation de ses voisins.

Selon l’ambassadeur américain à Tokyo Rahm Emanuel, la « vision stratégique chinoise » (qui consiste en une hégémonie de Pékin en Indo-Pacifique) serait en train de perdre du terrain face à la « vision américaine », qui vise à promouvoir une présence permanente des États-Unis dans le Pacifique — une affirmation qui va à l’inverse des conclusions d’un sondage conduit auprès des populations des pays d’Asie du sud-est 7.