Vous êtes un penseur du système international et en particulier du libéralisme international. Vous releviez en 2018 que les grands principes de l’ordre international libéral se trouvaient affaiblis 1. Cet ordre peut-il survivre, selon vous, au conflit qui a actuellement lieu à Gaza ?

Il s’agit tout d’abord d’un conflit qui a mis en lumière les contradictions du monde occidental, notamment des États-Unis, qui ont bénéficié pendant longtemps d’une position hégémonique au Moyen-Orient.

Par ailleurs, la crise actuelle intervient dans une région qui a longtemps occupé une place particulière au sein de l’ordre international, dans la mesure où elle n’est pas située directement dans le monde occidental, bien qu’elle demeure profondément influencée par lui.

Dans ce contexte, la crise à Gaza représente un moment éprouvant pour les démocraties : ces dernières doivent trouver un moyen de tenir leur engagement à défendre l’universalité des droits de l’homme, l’État de droit et le droit des peuples à l’autodétermination. Face à cette crise, les États-Unis devront effectuer des choix très difficiles pour utiliser leur influence de façon positive et pour créer une issue plus juste, qui prendrait en compte le sentiment de ceux qui auront le plus souffert dans le conflit. 

Que pourrait répondre un défenseur de l’ordre international libéral à l’argument selon lequel les pays occidentaux pratiqueraient aujourd’hui une forme de double standard  ?

Je voudrais tout d’abord préciser que lorsque l’on se réfère à la notion d’ordre international libéral, on évoque en fait deux choses distinctes. 

D’une part, cette expression désigne un ordre politique qui porte en lui des caractéristiques du libéralisme, parmi lesquelles figurent des principes tels que l’État de droit, la réciprocité, la solidarité démocratique et l’ouverture des sociétés. À cela s’ajoute une orientation plus générale  : la conviction profonde que la défense de ces valeurs permet d’aller dans le sens du progrès humain. 

D’autre part, ce terme renvoie à un ordre historique spécifique, qui a émergé en 1945 à la fin de la Seconde guerre mondiale. La défense de cet ordre historique dépend étroitement de la préservation d’un système d’alliances et de l’état de la relation transatlantique. On pourrait même dire que le substrat, le fondement même de cet ordre est l’idée d’une entente atlantique, qui vise à préserver les valeurs communes que les démocraties libérales veulent défendre — et dont leurs adversaires souhaitent voir l’érosion. 

Dans ce cadre, la défense de cet ordre historique peut parfois supposer des actions qui sont en tension avec les principes libéraux. Certaines des actions des démocraties libérales s’inscrivent ainsi dans une logique de sécurité collective, afin de se protéger contre les agissements d’États illibéraux comme la Chine et la Russie. Or concilier la défense des principes libéraux avec la défense de l’intérêt national n’est pas une chose aisée. Cela place les démocraties dans une situation où elles agissent tantôt pour préserver certains de leurs principes, tantôt pour assurer leur survie. Cela donne naissance à une équation dont les termes sont complexes. 

Concilier la défense des principes libéraux avec la défense de l’intérêt national n’est pas une chose aisée. Cela donne naissance à une équation dont les termes sont complexes.

G. John Ikenberry

Cet ordre international est parfois percuté par des points de bascule. Comment définiriez-vous l’impact de la guerre en Ukraine sur le système international  ? 

La guerre en Ukraine a marqué le début d’une nouvelle ère de contestation des règles régissant l’ordre mondial.

On aurait pu s’attendre à ce que la communauté internationale s’unisse face à cette invasion, notamment aux Nations Unies. Après tout, la Russie a violé les termes les plus importants de la Charte des Nations Unies, en s’en prenant à la souveraineté et aux frontières d’un État indépendant et reconnu. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Cette invasion a contribué à fragmenter le monde, et les pays se sont dispersés au sein de différents ensembles. 

[Lire plus : cartographier les réactions à l’invasion de l’Ukraine]

Sur ce point, dans un écrit récent, vous décrivez la restructuration de la compétition mondiale entre «  trois mondes  » distincts, le premier étant l’Ouest, le deuxième l’Est, et le troisième le Sud 2. Une coopération globale entre les pays appartenant à ces trois ensembles est-elle possible  ?

En effet, dans cette reconfiguration que j’évoquais, le mouvement le plus visible me semble être la bascule vers un système international fragmenté entre trois mondes.

Le premier ensemble est constitué par le monde occidental, qui désigne une réalité qui n’est pas statique ni géographique. Il recouvre les pays qui font partie de l’Occident, ainsi que d’autres qui aspirent à en faire partie, comme l’Ukraine. Ce qui le définit, en somme, ce n’est pas tant la géographie que l’adhésion à des principes. Il s’agit d’un ensemble qui a eu l’ascendant au cours des derniers siècles. Il est appuyé par le libéralisme démocratique qui lui donne un fondement, une assise théorique et conceptuelle.

Le monde de l’Est, le deuxième ensemble, se définit par opposition à ce premier groupe. Il gagne en cohérence à l’heure où nous parlons. Il est constitué de la Chine et de la Russie, de leurs alliés, comme la Corée du Nord ou l’Iran. Ces pays ne sont pas unis par une vision commune de l’ordre international  ; ils cherchent à obtenir la fin de l’ordre mondial existant, qu’ils jugent contraire à leurs intérêts. 

La troisième force est constituée des pays dits du «  Sud global  ». Cet ensemble n’avait pas disparu au cours du XXe siècle  : il prenait, à l’époque de la guerre froide, la forme des non-alignés. Mais les pays qui le composent connaissent aujourd’hui une nouvelle dynamique, illustrée par la position de certains États comme le Brésil et l’Afrique du Sud, qui cherchent à maximiser leurs intérêts en s’appuyant parfois sur l’Ouest, parfois sur l’Est. Ce qui caractérise ces États, c’est le refus de choisir un camp.

Une telle structuration a vocation à perdurer. Dans la compétition pour la prééminence entre l’Ouest et l’Est, le Sud occupera une place de plus en plus importante. Il en va ainsi parce que la Russie et la Chine, les États-Unis et leurs alliés, qu’il s’agisse du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie, ne peuvent obtenir ce qu’ils souhaitent sans la coopération du Sud, s’agissant tant, par exemple, de leur capacité à fixer des règles nouvelles, que de leur capacité à influer sur les organisations internationales.

Dans la compétition pour la prééminence entre l’Ouest et l’Est, le Sud occupera une place de plus en plus importante.

G. John Ikenberry

La guerre en Ukraine aurait ainsi joué un rôle de catalyseur, augurant une nouvelle phase de contestation des règles mondiales. Qu’en est-il de la guerre entre Israël et le Hamas ?

Ce conflit a montré les tensions qui peuvent émailler le partenariat, par ailleurs très étroit, qui existe entre les États-Unis et Israël. Si l’engagement des États-Unis à défendre l’ordre international existant a toujours été très fort, la «  relation spéciale  » unissant Washington et Tel-Aviv a eu ses propres règles. Cet état de fait a longtemps coexisté avec la défense par les États-Unis d’autres alliances et plus largement du multilatéralisme. 

Mais ce décalage prend un relief particulier aujourd’hui. Dans le cadre du conflit à Gaza, l’administration Biden essaie de mettre fin à la violence et d’œuvrer pour faciliter la protection des civils, tout en développant une réponse de long terme, prenant en compte la Charte des Nations Unies qui reconnaît le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dont bénéficient également les Palestiniens. 

À long terme, une issue pourrait être un scénario où il existerait une solution à deux États, avec des caractéristiques et des modalités particulières, que les diplomates devront imaginer.

En tout cas, pour les libéraux qui ont longtemps défendu les vertus des démocraties libérales, en soulignant leur capacité non seulement à créer plus d’efficacité et de croissance économique, mais également plus de justice sociale, il s’agit d’un moment difficile. Derrière l’idée libérale, figure en effet le présupposé que ces principes permettront de bâtir un ordre mondial supérieur à l’ancien système qui a longtemps prévalu, fondé sur une vision réaliste des relations internationales et les logiques d’empire. C’est ce qui explique qu’il faille mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter que ce qui arrive aujourd’hui ne se reproduise à l’avenir.

Aide humanitaire larguée au-dessus du nord de la bande de Gaza, le 5 mars 2024. © Xihnua

Dans un monde où les valeurs libérales sont remises en cause de façon croissante par des États autoritaires, quelle attitude les démocraties doivent-elles selon vous adopter  ?

Les démocraties libérales doivent défendre leur modèle tout en reconnaissant leurs imperfections et leurs échecs. 

Cela me fait songer à une analyse de Raymond Aron formulée lors de sa conférence «  Liberté et égalité  » donnée au Collège de France en 1978. Il réfléchissait aux implications de la guerre froide, soulignant qu’il y avait, de l’autre côté du rideau de fer, une autre vision de la modernité. 

L’essentiel était selon lui de se préparer à faire face aux temps les plus sombres, avec sobriété et conviction, en gardant à l’esprit que les gouvernements qui peuvent compter sur la confiance de leurs propres citoyens jouissent d’une plus grande stabilité à long terme. Dans le moment actuel, qui constitue un point de bascule pour l’ordre international, défendre une vision de la politique interne et internationale durable me semble prioritaire.

L’ordre international libéral est également caractérisé par l’importance des libertés individuelles et l’ouverture de la société. Ces éléments ne sont-ils pas durablement remis en cause, chez les États, par le retour du paradigme de la sécurité nationale  ?

Historiquement, la notion de sécurité nationale et d’ordre international libéral ne s’opposent pas. Les grands moments fondateurs ayant permis la construction d’un ordre international libéral ont eu lieu dans des contextes où il existait une compétition mondiale entre les démocraties et leurs adversaires illibéraux. Ce schéma n’est pas nouveau  : il s’est déjà produit à trois reprises au cours du XXe siècle. 

D’abord, lorsque l’Allemagne wilhelmienne a affronté les Alliés, parmi lesquels figuraient les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, lors du premier conflit mondial. 

Ensuite, lors de la Seconde guerre mondiale, où on retrouve une coalition de démocraties qui se sont également opposées de façon très nette à l’Allemagne nazie, au terme d’un conflit qui avait également une coloration idéologique, bien qu’il y ait eu, au cours des dernières années de la guerre, une alliance de facto entre ces démocraties libérales et l’URSS stalinienne.

Les grands moments fondateurs ayant permis la construction d’un ordre international libéral ont eu lieu dans des contextes où il existait une compétition mondiale entre les démocraties et leurs adversaires illibéraux.

G. John Ikenberry

D’ailleurs, le terme Nations Unies a d’abord été utilisé par Roosevelt pour désigner les États qui combattaient alors l’Allemagne hitlérienne et le Japon, avant que l’expression ne soit employée pour désigner l’institution que nous connaissons aujourd’hui. 

Enfin, une troisième configuration est celle qui a structuré le monde au cours de la guerre froide, qui opposait ce que l’on a appelait le «  monde libre  » à l’URSS. 

Aujourd’hui, nous faisons face à un quatrième moment, dans le cadre d’une compétition qui oppose les démocraties libérales à un groupe de pays menés par la Chine et la Russie. L’enjeu derrière cette rivalité que nous connaissons aujourd’hui est donc bien plus large  : s’opposent, d’une part, un modèle de société ouvert, faisant la part belle à la société civile, et, d’autre part, un modèle politique où la société est surveillée par l’État.  

Votre analyse fait songer à un point parfois mis en avant par l’administration Biden, qui souligne que la compétition stratégique actuelle pourrait être lue comme recouvrant une forme d’opposition entre les démocraties et les autocraties.

Un élément est constant : les menaces extérieures ont toujours permis de mettre en lumière l’importance des principes sur lesquels le modèle libéral est fondé.

C’est ce qui explique également que cette compétition ait un impact profond sur la politique intérieure des États libéraux. Par le passé, ces épreuves ont donné lieu à des initiatives politiques de grande ampleur, comme le New Deal, qui a eu pour effet de reconfigurer le rapport entre l’État et la société. 

Si Biden ne se trouve pas dans une situation comparable à Roosevelt, il essaie d’orienter les États-Unis vers une politique visant à mettre en œuvre une transition vers une économie plus verte et plus avancée. Cela s’inspire des grands changements de politique intérieure mis en œuvre à la fin des années 1920 et dans les années 1940. Si cette compétition stratégique n’est pas choisie, elle représente également une opportunité qui pourrait déboucher sur des réformes internes qui auront un impact durable sur nos sociétés.

Quels risques la montée de la désinformation fait-elle peser sur les démocraties et leur capacité à faire preuve de résilience ?

La question de la désinformation soulève des enjeux épistémologiques majeurs. Elle touche à ce que l’on sera en mesure de savoir à l’avenir, notre capacité à distinguer le vrai du faux. Les démocraties libérales ont été marquées par l’héritage des Lumières, qui postule qu’il existe des faits sur lesquels on peut s’accorder, une réalité empirique, des choses que l’on peut voir, mesurer, tester. L’idée, au fond, c’est qu’il existe une seule réalité, à partir de laquelle le débat politique procède. 

Lorsque cette réalité peut être manipulée, altérée, cela touche aux fondations du savoir. Comment protéger à l’avenir les infrastructures du savoir, la clarté et la véracité du flux de l’information, pour que celui-ci ne soit pas instrumentalisé ou pollué par des acteurs extérieurs  ? Il s’agit là d’un changement majeur dont nous commençons à peine à imaginer les conséquences.

Le libéralisme international suppose également le libre-échange économique. Comment cette doctrine peut-elle survivre et s’adapter dans un monde où le commerce international souffre de divisions croissantes ?

Ce changement qui affecte le commerce international est fondamental. L’ordre international qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale a facilité une période de croissance constante. Celle-ci était portée par une forte relation transatlantique, l’essor du Japon puis de la Chine, et la réconciliation franco-allemande en Europe. Ces évolutions sont intervenues de façon progressive, succédant à des siècles marqués par les affrontements et les guerres. 

Les menaces extérieures ont toujours permis de mettre en lumière l’importance des principes sur lesquels le modèle libéral est fondé.

G. John Ikenberry

Cette transition a bien été permise par l’ouverture commerciale des économies. Celle-ci ne consistait en revanche pas en un état de libre-échange absolu et non régulé  : l’ouverture commerciale a supposé des négociations constantes et une gestion mesurée des intérêts commerciaux nationaux. À titre d’exemple, l’agriculture a toujours occupé une place à part au sein des négociations commerciales, sans être soumise à une logique de libre-échange absolu.

De même, s’agissant des institutions multilatérales, l’action de l’OMC a toujours été marquée par la recherche d’un compromis entre les États, oscillant entre une volonté d’ouverture et le besoin de protéger les industries. Cela explique l’importance des accords de stabilisation et l’existence de clauses d’opt out, sans lesquelles une telle ouverture économique n’aurait pu avoir lieu.

Pourtant, certains commentateurs avancent que la politique commerciale défendue par les États-Unis sera marquée de façon croissante par le retour d’un certain protectionnisme, loin du modèle d’ouverture économique qui aurait donné naissance au « Consensus de Washington ». 

Nous assistons aujourd’hui à un recalibrage. Les États-Unis ne partagent plus la croyance qui les animait dans les années 1990, selon laquelle le libre-échange mondial contribuerait à unifier la communauté internationale, en permettant notamment d’arrimer la Chine au monde occidental. Ce pari stratégique n’a pas porté ses fruits. 

C’est pourquoi l’administration Biden propose aujourd’hui de nouvelles négociations. Avec l’Europe, avec la Chine et avec Taïwan. Au cœur de cette approche, figure une idée centrale : nos technologies les plus critiques ne doivent plus finir dans l’industrie de défense de nos rivaux, à commencer par la Chine. Il s’agit donc de configurer certaines règles. 

Cela ne signifie toutefois pas la fin de l’ouverture commerciale. Le commerce international se porte très bien et les statistiques le montrent. Le poids croissant des pays du Sud fait également qu’il y aura de nouvelles pressions, de la part d’États avec lesquels les pays occidentaux voudront coopérer, comme le Brésil ou l’Inde, pour bénéficier d’un accès égal à l’économie mondiale et à ses dividendes. L’ouverture commerciale perdurera, mais on observera en parallèle une plus grande segmentation des échanges.  

On observe aujourd’hui l’essor du « minilatéralisme », avec la multiplication de coalitions d’affinitaires qui se réunissent pour discuter de sujets d’intérêt commun. Comment éviter la fragmentation de l’ordre international face à la multiplication des groupes  ?

Structurellement, je pense que nous verrons à l’avenir une multiplication des coalitions. Ce phénomène ne signifie toutefois pas que des accords ou des consensus ne pourront pas être trouvés hors de ces groupes. 

Cette évolution suppose un ajustement de notre rhétorique, notamment lorsque les démocraties libérales s’adressent aux pays du Sud, pour échanger et discuter avec ces pays sans faire preuve de condescendance. Si le discours que nous mettons en avant avec eux consiste simplement à défendre les valeurs de la démocratie libérale, nous n’irons pas loin. Regardez déjà nos propres systèmes  : ils sont imparfaits et comportent bien des fragilités. Aux États-Unis, la violence liée aux armes à feu, la polarisation de la vie politique, l’érosion de l’ordre politique et civique posent par exemple des défis redoutables.

Structurellement, je pense que nous verrons à l’avenir une multiplication des coalitions.

G. John Ikenberry

Une meilleure approche dans le cadre de ce dialogue avec le Sud consisterait ainsi à mettre en avant ce que nous avons en commun. Parler de nos interdépendances, des mesures de transparence que nous pourrions mettre en œuvre, des bonnes pratiques à partager tout en plaçant nos interactions sous le signe de la réciprocité  : c’est ce langage qui pourrait permettre de surmonter les divisions. En somme, cela consiste à admettre que nous avons des vulnérabilités communes. 

Enfin, s’agissant en particulier des enceintes multilatérales, cette rhétorique doit être doublée d’une véritable impulsion politique pour réformer l’OMC et le Conseil de sécurité des Nations Unies pour le rendre plus représentatif. 

Vous mettez en avant dans vos réponses l’importance de la relation transatlantique. Les États-Unis peuvent-ils continuer à défendre leur vision de l’ordre international sur le long terme alors qu’ils connaissent tant de divisions en matière de politique intérieure  ? 

Pour contribuer à la stabilité internationale, les États-Unis vont devoir agir, non pas pour faire perdurer l’ordre international existant, mais pour aider à le réimaginer. 

Cela suppose que l’Europe prenne ses responsabilités, d’une façon bien plus nette que ce qu’elle a fait jusqu’ici. Les agissements de Vladimir Poutine clarifient cette nécessité, et les prises de position récentes tenues par le candidat républicain Donald Trump lors de sa campagne électorale également. 

L’OTAN a dépassé de très loin les attentes de ses fondateurs.

G. John Ikenberry

Les propos de Donald Trump auxquels vous faites référence, suggérant que les États-Unis pourraient ne pas défendre dans le cadre de l’OTAN les pays ne consacrant pas une partie suffisante de leur PIB à la défense, ont été abondamment commentés en Europe. Comment concevez-vous la contribution de l’OTAN à la sécurité internationale sur les dix prochaines années  ?

L’OTAN est à mes yeux l’organisation la plus importante au monde en matière de sécurité collective. Elle a dépassé de très loin les attentes de ses fondateurs. Les engagements pris par les États qui la composent prennent un sens renouvelé à l’heure de la guerre en Ukraine, ce qui est illustré par le fait que de nombreux États aspirent à rejoindre l’organisation, plutôt que de la quitter. 

Ce qui permet à l’OTAN d’être durable et résiliente, c’est son fonctionnement, qui repose sur des principes tels que le consensus, la réciprocité, le partage des tâches et du fardeau en matière de défense. Derrière cette alliance, on retrouve en filigrane l’idée que, en dépit d’une disparité des forces des membres qui la composent, l’organisation continue de fonctionner au moins comme un consortium. L’OTAN possède ainsi toutes les qualités intrinsèques pour durer.

Dans ce contexte, tout propos qui pourrait avoir pour effet de remettre en cause la dissuasion de l’organisation me semble très préjudiciable. À long terme, toutefois, les cycles électoraux feront se succéder les chefs d’État, tandis que l’organisation perdurera. Et pour comprendre cette dynamique, il faut prendre en compte la façon dont l’organisation est perçue par les nouvelles générations : il me semble que ces dernières sont de plus en plus convaincues de la contribution positive de l’organisation à la sécurité collective, ce qui est encourageant.

Sources
  1. G. John Ikenberry, The end of liberal international order ?International Affairs, Volume 94, Issue 1, January 2018, pp. 7–23.
  2. G. John Ikenberry, Three Worlds : the West, East and South and the competition to shape global orderInternational Affairs, Volume 100, Issue 1, January 2024, Pages 121–138,