La guerre de Soukkot marque-t-elle un tournant dans le conflit israélo-palestinien ?
C’est encore difficile à dire aujourd’hui. La deuxième Intifada avait par exemple été marquée par des tensions accrues entre Israël, le Liban et le Hezbollah. Ce précédent laissait donc craindre que la frontière israélo-libanaise bascule dans la guerre après l’attaque du Hamas le 7 octobre : c’était un vrai risque. Heureusement, malgré les nombreux échanges de tirs entre le Hezbollah et Israël, il n’y a pas eu d’escalade. À l’heure actuelle, la situation n’a pas dégénéré en conflit à grande échelle.
Il existait aussi un risque majeur, que des individus, poussés par des États ou des organisations terroristes, commettent des attaques aux États-Unis ou en Europe, où le danger était particulièrement important, dans le sillage des nombreux attentats que les pays européens ont connus au cours de la dernière décennie. Des violences contre les populations immigrées étaient également à craindre. Elles auraient pu considérablement fragiliser l’architecture globale de sécurité.
Dans l’ensemble, ces craintes ne se sont pas concrétisées. Il ne s’agit pas de négliger les répercussions de la guerre au-delà du Levant. D’un côté, il y a eu des cas de désinformation, qui s’inscrivaient notamment dans la stratégie russe de déstabilisation des pays occidentaux — je pense notamment à la dégradation de bâtiments à Paris avec des étoiles de David. De l’autre, on a recensé des violences atroces, mais isolées. Aux États-Unis, par exemple, un enfant musulman a été assassiné à Chicago ; dans le Vermont, trois étudiants palestiniens ont été abattus par un de leurs voisins ; en Californie, un vieil homme de confession juive a été tué par un manifestant pro-palestinien. Il n’en demeure pas moins que le conflit est resté largement confiné à Israël.
Cela est sans doute difficile à comprendre pour les opinions publiques, mais avoir réussi à endiguer des répercussions, qui auraient pu être potentiellement dramatiques, est une vraie réussite. La relative retenue observée dans cet épisode est peut-être l’indicateur le plus révélateur de sa singularité et de son potentiel perturbateur. Tout le monde est conscient que les conséquences globales pourraient être terribles si la situation en Israël devenait totalement incontrôlable.
Les attentats du 7 octobre ont-ils effectivement détruit toute chance de paix dans les cinquante prochaines années ?
La possibilité d’une paix durable dépend d’un certain nombre de facteurs, dont certains sont encore inconnus.
Commençons par la question d’Israël et du Hamas. Le premier ne peut pas coexister avec le second. Il est inconcevable que ce groupe terroriste puisse continuer à gouverner un territoire comme Gaza alors qu’il vient de commettre les atrocités du 7 octobre contre des civils innocents qui faisaient la fête ou qui étaient simplement chez eux.
Il existe peu d’exemples de groupes terroristes ayant gouverné et administré des territoires. La conquête par l’État islamique d’une grande partie de la Syrie et de l’Irak a été insupportable pour les populations civiles locales. La brutalité de l’organisation et ses violations répétées des droits humains ont dévasté la vie de millions de personnes, à commencer par les femmes. Ce modèle totalitaire, fondé sur des idéologies de terreur, était fondamentalement intolérable.
Le Hamas, qui est également une organisation terroriste, contrôle la bande de Gaza depuis 15 ans. Sous son administration, selon l’Organisation internationale du travail, ce territoire se classe régulièrement parmi les régions du monde où le taux de chômage est le plus élevé, en particulier chez les moins de trente ans. Avant le 7 octobre, la situation sociale à Gaza était désastreuse, marquée par des possibilités d’emploi limitées qui permettaient à peine de survivre. Cette détresse économique a transformé Gaza en une enclave où, pour la majorité de la population, il est impossible d’avoir une vie normale. Au lieu de faire tout ce qui était en son pouvoir pour en faire un endroit où les gens ordinaires pourraient améliorer leurs vies, le Hamas s’est uniquement consacré à un projet fou, la destruction d’Israël : c’était la voie toute tracée vers une catastrophe, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.
Il est impensable que le Hamas puisse jouer le moindre rôle dans le futur politique des Palestiniens. Ce groupe a démontré son incapacité à gouverner par les violences répétées qu’il a commises, autant que par sa stratégie massive de prise d’otages. Comment peut-on enlever un bébé ? Comment peut-on kidnapper de jeunes enfants et leurs mères et être considéré comme civilisé ? C’est ce que faisait l’État islamique. C’est ce qu’a fait le Hamas le 7 octobre dernier. Ce n’est pas ce que fait un gouvernement responsable.
Personnellement, je pense que l’un des objectifs du Hamas était de provoquer délibérément des réactions extrêmes de la part des Israéliens afin de faire pencher la balance du pouvoir et de la sympathie en faveur des Palestiniens : je suis fermement convaincu qu’il s’agissait d’une provocation calculée. Aucun pays, et encore moins Israël, ne peut rester les bras croisés face à un massacre qui comprend des mutilations physiques, des violences sexuelles, des attaques contre des personnes à leur domicile, ou le meurtre de parents devant leurs enfants.
Ceci dit, il faut aussi admettre que les politiques de Netanyahou ont favorisé le Hamas en empêchant l’émergence de toutes alternatives politiques. À l’époque où je travaillais pour le gouvernement américain, mes collègues aux États-Unis et en Israël s’accordaient à dire que Benjamin Netanyahou avait démontré au fil des décennies qu’il n’était pas en mesure de créer les conditions nécessaires à la paix : il est plus que nécessaire de procéder à des changements importants au sein du gouvernement israélien. Le départ de Netanyahou pourrait créer les conditions d’un changement dans la dynamique israélo-palestinienne.
Pour avancer, il est impératif d’adopter une solution à deux États, qui reconnaisse l’existence et les droits des Palestiniens et des Israéliens. De ce point de vue, le moment que nous vivons pourrait bien constituer un tournant quand bien même l’établissement d’une paix à long terme resterait très incertaine.
Par delà les acteurs locaux, l’un des facteurs clefs à prendre en compte est la gouvernance de Gaza. Il n’est pas réaliste de penser que ce territoire puisse passer sous contrôle israélien. Des exemples historiques, tels que l’occupation américaine de l’Irak, démontrent régulièrement qu’une force occupante est presque systématiquement confrontée à la résistance des populations — comme cela fut aussi le cas en Tchécoslovaquie et en Hongrie pendant la Guerre froide. C’est une réaction naturelle que de résister à une domination étrangère.
Mais il reste un défi de taille, sans lequel il sera impossible de mettre fin à ce conflit : la gouvernance de Gaza. Il est impossible qu’Israël gère Gaza sur une base permanente. Par ailleurs, la réticence de l’Égypte à gouverner ce territoire est ancienne : elle découle de son opposition au Hamas, émanation des Frères musulmans, que le président Al Sissi a activement réprimés avec le soutien des Émiratis. L’Autorité palestinienne en Cisjordanie, actuellement dirigée par un leader vieillissant, perçu comme inefficace, n’est pas non plus une solution. Malgré cela, l’Autorité palestinienne tente de collaborer avec Israël pour stabiliser la Cisjordanie et éviter les crises potentielles. Finalement, la Jordanie, qui a été une clef dans les tentatives de stabilisation de la Cisjordanie, doit être soulignée : elle pourrait faire partie intégrante de la solution.
En définitive, si l’on veut sortir de la crise, il est essentiel qu’émerge un gouvernement palestinien capable d’administrer efficacement à la fois Gaza et la Cisjordanie, tout en garantissant la sécurité d’Israël. Cela nécessite non seulement du leadership politique, mais aussi une connexion géographique entre les deux régions, qui est une condition absolument nécessaire pour envisager la création d’un État palestinien unifié.
Comment votre expérience en matière de consolidation et de reconstruction de l’État, notamment en Libye, vous aide-t-elle à comprendre la situation actuelle ?
Lors de ma mission en tant qu’envoyé spécial en Libye, une coopération avec l’ONU avait été mise en place pour aider les Libyens à former un gouvernement de transition d’une durée d’un à deux ans. L’objectif était de mettre fin à la guerre civile en remplaçant les deux gouvernements rivaux qui existaient à l’époque. Cette initiative a permis de mettre fin à la guerre civile pendant quelques années. Cela a duré un temps, avant que le général Haftar, un seigneur de la guerre, ne tente, sans succès, de devenir dictateur.
Ce compromis n’aurait pas été possible sans la coopération de plusieurs pays, dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Qatar, la Turquie, l’Algérie, le Maroc, les États-Unis et le Canada. Tous ont travaillé à une solution satisfaisante pour permettre aux différentes factions libyennes de se mettre d’accord sur un plan de création d’un gouvernement intérimaire sous la direction d’un premier ministre provisoire. Ceci dit, malgré ces immenses efforts diplomatiques, la solution n’a pas été durable : aujourd’hui, la Libye reste instable et divisée.
Maintenant si l’on considère la situation actuelle à Gaza, tout effort sera caduque tant que Benyamin Netanyahou sera au pouvoir. C’est lui qui a clôturé Gaza et l’a laissée telle quelle, la considérant comme une menace à contenir plutôt que comme une zone dont la population aurait besoin d’emplois et d’opportunités pour construire une société durable. Il s’agissait d’une stratégie délibérée de sa part. Les États-Unis considèrent que le refus de Netanyahou de négocier une solution à deux États est dangereux et menace la survie à long terme d’Israël tout en contribuant à la dégradation de la situation des Palestiniens.
À l’inverse, Washington s’est longtemps engagé en faveur d’une solution à deux États et pensait qu’il était possible d’y parvenir. D’immenses progrès avaient du reste été réalisés dans les années 1990, laissant entrevoir une résolution du conflit israélo-palestinien. Hélas, nous continuons aujourd’hui d’éprouver les conséquences de l’assassinat de Yitzhak Rabin.
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Comment analysez-vous la réponse internationale ?
Le manque actuel de coordination internationale est problématique. Tout d’abord, on a l’impression que les puissances occidentales sont totalement impuissantes. Ailleurs, la Turquie promeut le néo-ottomanisme, qui est devenu le discours par défaut d’Erdogan. La Chine est silencieuse. Quant à la Russie, qui soutient le Hamas aux côtés de l’Iran, elle est un acteur clef dans la dégradation de la situation au Proche-Orient. Il reste à savoir quelle a été exactement la nature de ce soutien avant l’attaque, et ce que Vladimir Poutine et son entourage savaient de sa préparation : j’ai effectué des recherches approfondies sur cette question et les données disponibles suggèrent que la Russie a joué un rôle. Il faudra attendre une analyse approfondie impliquant des agences de renseignement, des chercheurs indépendants et des universitaires pour le confirmer.
Que savons-nous à l’heure actuelle ? Le 15 mars 2023, la Russie a invité les dirigeants militaires et politiques du Hamas à Moscou. À l’issue de la réunion, ces derniers ont déclaré que la situation avait changé à cause du contexte ukrainien. A l’époque, un an après l’invasion de l’Ukraine, la guerre était au point mort : la dynamique russe paraissait épuisée. Cette réunion était peut-être une manière pour la Russie de donner au Hamas le feu vert pour créer des tensions ailleurs afin d’affaiblir la détermination de l’Occident en Ukraine.
Si l’on se tourne vers les autres acteurs internationaux, et dans l’attente d’un règlement négocié, il existe d’autres solutions que de donner le contrôle de Gaza au Hamas ou à Israël. Je pense qu’une force arabe multinationale à laquelle se joindrait également la Turquie serait la solution intérimaire la plus probable pour stabiliser Gaza avant une relance des négociations en vue d’une solution à deux États. Bien que cette proposition, qui implique effectivement une forme de néo-ottomanisme, ne soit pas parfaite, elle semble être la solution la plus plausible pour assurer la stabilité, la sécurité et les moyens de subsistance des Palestiniens dans l’attente d’un règlement politique négocié plus large entre Israël et la Palestine.
Israël déclare actuellement qu’il a l’intention de maintenir sa présence à Gaza jusqu’à l’élimination du Hamas. Les victimes palestiniennes vont continuer d’augmenter : cette stratégie ne peut être poursuivie indéfiniment. Il faut mettre fin au conflit dès que possible car sa cessation rapide est l’une des conditions qui pourraient favoriser l’émergence d’un gouvernement alternatif non lié au Hamas.
Il faut surtout que cessent les pertes en vies humaines. Sans cela il sera impossible d’établir la paix. Il ne faut jamais cesser d’espérer que les générations futures puissent surmonter les traumatismes de ce conflit interminable. Les sociétés peuvent guérir des pires horreurs : c’est ce que démontrent des cas tels que le Rwanda après le génocide ou la France et les États-Unis après la guerre du Vietnam.
Il est impératif d’éviter une situation où les gens sont privés d’espoir, d’opportunités professionnelles, d’emplois et d’un avenir viable. Dans la situation actuelle à Gaza, gouvernée par le Hamas, le fait d’abandonner les jeunes hommes en ne leur offrant pas de possibilités d’emploi expose la société à des conséquences potentiellement graves : a minima, cela crée des problèmes socio-économiques dangereux, et au pire, cela alimente la rhétorique des groupes terroristes.
Quels sont les risques d’escalade ? Ce conflit local pourrait-il devenir régional ? Quel est le degré de dangerosité de la situation à la frontière libanaise ?
Juste après l’attentat, le risque était réel que le Hezbollah et l’Iran mobilisent des individus passés par la Syrie et l’Irak pour commettre des enlèvements ou mener des attaques contre l’Europe ou les États-Unis. Pire, pendant un moment j’ai vraiment craint que le Hezbollah, sur ordre ou en concertation avec l’Iran, n’agisse directement en Israël, mais cela ne s’est pas produit. J’ai vu des rapports faisant état de tentatives d’enlèvement et d’attaques contre les forces américaines dans le Kurdistan voisin. Dans le même temps, il y a eu des salves de roquettes et des contre-attaques israéliennes. Mais , il n’y a pas eu d’escalade.
Pour l’empêcher, les États-Unis et les pays occidentaux ont su efficacement utiliser leurs services de renseignement afin de se protéger et sécuriser les zones où ils sont vulnérables. La présence de deux destroyers américains dans la région a clairement incité le Hezbollah à maintenir une attitude prudente. Pour cette organisation, qui exerce un contrôle stable sur une grande partie du Liban et jouit d’importantes ressources financières, le déclenchement d’un conflit avec Israël mettrait en péril ces acquis. La prise de contrôle de Gaza ou d’une ville du nord d’Israël n’a pas non plus d’intérêt stratégique pour eux. Bien que les discours du Hezbollah puissent inquiéter en Israël, leur mise en œuvre reste globalement inexistante. Et alors que le Hezbollah revendique une cohérence totale entre ses discours et ses actes, le moment était idéal pour invoquer la solidarité avec les Palestiniens afin de justifier une action militaire, mais il ne l’a pas fait. C’est une preuve qu’il ne cherchera pas à envenimer la situation.
Cet exemple illustre la stabilité des organisations politiques qui contrôlent la région. Dans l’ensemble, celles-ci sont très réticentes à abandonner des positions souvent acquises avec difficulté. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis plus confiant aujourd’hui qu’il y a un mois dans la possibilité de contenir ce conflit, malgré la nature déplorable de l’attaque initiale contre Israël et la réponse dévastatrice de ce dernier.
Pensez-vous que les accords d’Abraham survivront au conflit actuel ?
Moins on parle des Accords, mieux ils se portent. Les Émirats arabes unis entretiennent depuis longtemps des relations commerciales avec Israël, qui comprennent des échanges fréquents vers Dubaï et la vente de nombreuses technologies israéliennes au gouvernement des Émirats arabes unis. En ce qui concerne les accords d’Abraham, si je conseillais l’une ou l’autre des parties concernées, j’insisterais pour que la question ne soit pas mise sur la table pour l’instant, afin d’attendre la fin du conflit pour évaluer la situation.
L’opinion publique européenne, contrairement à celle des États-Unis, est divisée depuis longtemps sur la question du conflit israélo-palestinien. Mais le consensus américain semble aujourd’hui vaciller : une évolution est perceptible, notamment au sein du parti démocrate, où la frange la plus à gauche s’oppose à Joe Biden. Cela peut-il peser sur les prochaines élections présidentielles ?
Il est vrai qu’une partie de l’électorat — les jeunes et une partie des minorités — s’identifie aux Palestiniens. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a été réactivée par l’horreur actuelle. Cette tendance est également exacerbée par la tendance à l’extrémisme sur les campus universitaires. Les étudiants — et j’ai connu les turbulences de la fin des années 1960 et des années 1970 — ne sont pas connus pour leurs positions nuancées ou pour leur propension à adopter une position équilibrée…
Aux États-Unis, il y a eu une évolution significative vers les identity politics. Ce nouveau discours transcende évidemment les clivages existant puisque c’est l’identité — raciale, culturelle ou de genre — qui détermine la position politique. Ce phénomène est exacerbé par des événements très médiatisés tels que la guerre israélo-palestinienne. Cela met en évidence un problème plus large dans la société américaine qui nécessite un retour à un sens collectif : les Américains doivent s’efforcer de renouer avec l’idée qu’ils font partie d’une grande nation, diverse, mais unie par des intérêts communs. De ce point de vue, la promotion de la diversité humaine et la création de conditions égales pour tous est une idée politique fondamentale qui peut trouver un fort écho aux États-Unis, mais aussi en Europe et dans le reste du monde. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas exagérer l’impact des identity politics — ou a fortiori du conflit israélo-palestinien — sur les prochaines élections.
Après l’Ukraine, la guerre de Soukkot est le deuxième conflit qui détourne les États-Unis de son pivot Indo-Pacifique. Cela peut-il durer ?
Je pense que ce pivot ne sera pas remis en question sur le long terme, parce qu’il est déjà bien ancré. En réalité, la question n’est pas de savoir s’il pourra se maintenir, mais pourquoi il fallait la mener. Au départ, la « transition indo-pacifique » visait à créer un équilibre des pouvoirs entre les États-Unis, la Chine, les nations du Pacifique, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette nouvelle alliance aurait ainsi rééquilibré les relations avec la Chine et favorisé la prospérité régionale.
De nombreux préjugés culturels ont entravé le développement de ce projet. L’initiative menée par Kurt Campbell, qui a été nommé secrétaire d’État adjoint, visait à créer des opportunités qui profiteraient à toutes les parties, y compris à la Chine — car la diversification l’aide en fin de compte plus qu’elle ne l’entrave — en encourageant une diversification bénéfique à toute la région. J’insiste sur ce point : même si la Chine n’avait pas été consultée au préalable, cette approche n’était pas anti-chinoise, mais plutôt axée sur la promotion de la diversification, une idée fructueuse d’un point de vue économique, politique et environnemental.
Voilà pourquoi les États-Unis ont mené cette politique. Elle n’a pas encore été complètement mise en œuvre, mais ses fondements ont été posés. Les États-Unis se sont rapprochés de l’Inde, explorant les possibilités de développement économique. Leur engagement en Asie du Sud-Est et en Océanie s’est intensifié, avec des partenaires tels que l’Indonésie, la Malaisie, le Vietnam, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Philippines. Ce rapprochement est avant tout commercial plutôt que militaire, l’objectif étant d’accroître la prospérité générale. Cette approche rappelle la relation équilibrée entre les États-Unis et l’Europe, où les intérêts des deux régions s’influencent mutuellement.
Le seul défaut du pivot était la volonté américaine de détourner son attention du Moyen-Orient et d’y réduire son implication : personnellement, je n’ai jamais été d’accord avec cette approche. Les deux politiques ne devraient pas s’exclure mutuellement.
Quel regard portez-vous sur l’axe vertical de la géopolitique européenne aujourd’hui ?
C’est une région cruciale. Selon moi, la France, l’Italie et l’Espagne ont manqué des occasions de renforcer l’Afrique dans son ensemble en stimulant le commerce avec le Maghreb, par exemple en soutenant le secteur agricole en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Ces pays auraient également pu créer des opportunités d’emploi en promouvant le développement technologique dans les villes côtières et en contribuant au progrès économique et technique des pays africains.
Les raisons pour lesquelles cela n’a pas eu lieu sont nombreuses. Le retrait français d’Afrique occidentale est à mon avis tragique et il n’y a aucun moyen d’y remédier aujourd’hui. Les Russes en ont profité pour remplacer les Français dans les pays qui leur sont ouverts. Du point de vue américain, la présence française en Afrique francophone était évidemment préférable à l’influence russe.
Cela pose à nouveau la question de la Russie et de l’influence globale de Vladimir Poutine, qui, selon moi, contribue au chaos mondial en promouvant des régimes autoritaires et en essayant de remodeler d’autres nations à l’image de la Russie. Son esprit de revanche le pousse à vouloir reconstruire l’Union soviétique : cette vision impacte négativement la sécurité mondiale.