Quel a été l’élément déclencheur de votre engagement en tant qu’activiste contre le pouvoir de Paul Biya au Cameroun ?
Ma décision de devenir activiste est venue petit à petit, mais un événement en particulier m’a vraiment secoué. Tout a commencé par des souffrances personnelles au Cameroun – j’ai été arrêté à plusieurs reprises, j’ai même eu un poignet cassé. J’avais 27 ans à l’époque. La violence que j’ai endurée m’a poussé à me retirer du débat, du moins pour protéger ma famille.
Mais ce qui a véritablement allumé la mèche, c’est mon départ du Cameroun pour la France. Quand je suis parti, je cherchais simplement à réclamer ma citoyenneté française, à laquelle j’avais droit grâce à mon père, qui était français, comme son propre père, et avait fait son service militaire en France. En chemin, et notamment en passant par le Niger, ce que j’ai vu a changé ma perspective. J’ai été témoin de la perte, de la souffrance de tant de jeunes Africains qui, comme moi, cherchaient une vie meilleure. Et leurs histoires étaient souvent bien plus dures que la mienne.
Ici, l’oppression n’était pas seulement le fait d’un gouvernement, mais d’un système qui déshumanisait ceux qui cherchaient désespérément une vie meilleure. La prise de conscience de la barbarie – la traite d’êtres humains, la torture, la mort qui entourait les migrants – a provoqué une révolte profonde en moi. Cette révélation m’a donné une nouvelle orientation : lutter contre les causes profondes qui poussent les gens à fuir, à savoir la mal gouvernance et la dictature. J’ai continué mon chemin vers la France, mais les expériences de cette migration m’ont transformé : j’ai moi-même été vendu, torturé ; j’ai vu des gens mourir. Il est devenu clair pour moi que je ne pouvais pas simplement m’installer en France et oublier tout cela. Je devais faire quelque chose.
Donc, même une fois en sécurité en France, j’ai été poussé à agir, non seulement en souvenir de mon propre périple, mais pour tous ceux qui souffrent encore. Mon engagement est devenu une lutte contre la mauvaise gouvernance et la dictature qui chassent les gens de chez eux. Des hommes comme Paul Biya, que j’avais combattu lorsque j’habitais au Cameroun, étaient à la racine profonde du problème. Mais l’horreur des routes de la migration est aussi ce qui m’a amené à travailler avec les autorités françaises pour aider à démanteler un réseau de trafic d’êtres humains en Libye en 2018. Malheureusement, j’ai découvert récemment que le principal passeur que j’avais contribué à faire tomber avait été libéré pour un vice de forme… Il est évident qu’il va recommencer très vite.
Comment qualifieriez-vous l’évolution du régime au Cameroun ?
Le régime dictatorial de Paul Biya s’est extrêmement durci. Les droits de l’homme sont bafoués au quotidien au Cameroun. Vous avez peut-être suivi les récents événements, où les autorités ont explicitement interdit aux citoyens d’exprimer leurs opinions, allant jusqu’à accuser certains opposants d’avoir « pensé » à mener un coup d’État. En réalité, la peur est palpable de la part du gouvernement, exacerbée depuis les élections de 2018, qui ont déclenché une répression sans précédent après la contestation des résultats par l’opposition.
Un exemple frappant de cette répression est le cas d’Olivier Bibou Nissack, le porte-parole de Maurice Kamto, le principal leader de l’opposition. Nissack a été arrêté non pas pour avoir manifesté, mais pour avoir simplement eu l’intention de le faire. Il a été pris chez lui et condamné à sept ans de prison — juste avant la Coupe d’Afrique des nations pour que le moins de gens possibles ne contestent ce déni de justice —, montrant clairement que les autorités n’avaient pas besoin de faits concrets pour incarcérer des opposants. Des citoyens qui mangeaient des beignets pas loin de manifestations, et qui n’avaient participé à aucune marche, ont été jugés et condamnés par des tribunaux militaires. Il est extrêmement difficile de faire prévaloir une opinion contraire à celle du régime.
Ce régime se sent renforcé par un soutien tacite de certains pays occidentaux, et malgré ce que peuvent dire des leaders comme Emmanuel Macron, on a observé peu de changements concrets. Actuellement, le Cameroun est plongé dans une guerre de clans au sein du pouvoir, et la situation ne fait qu’empirer à l’approche de la fin du règne de Biya. Les rivalités et les luttes pour la succession risquent d’entraîner le pays dans une situation encore plus chaotique, exacerbée par une corruption et un détournement de fonds endémiques. Une intervention de l’armée n’est pas non plus à exclure.
Le peuple est maintenu dans la peur, avec des forces de l’ordre qui agissent en toute impunité, brutalisant et torturant les citoyens. La situation actuelle est alarmante et il y a un risque réel que le Cameroun bascule dans l’horreur. Beaucoup aspirent à remplacer Biya, mais avec tant de personnes bénéficiant des privilèges du pouvoir, un changement pacifique semble improbable. Nous sommes à la veille d’une élection pleine d’incertitudes, avec un gouvernement déterminé à perpétuer un état de peur et une psychose générale. C’est une période très grave pour le Cameroun.
Vous évoquez la possibilité d’une intervention de l’armée. Il y a eu une série de coups d’État militaires dans les pays du Sahel d’Afrique de l’Ouest. Pensez-vous que c’est une possibilité réelle au Cameroun ? Pourrait-elle être le vecteur du changement que vous appelez de vos vœux ?
Tout est possible au Cameroun aujourd’hui. Il y a une mouvance qui a embrasé l’Afrique. Autrefois, on ne croyait pas que l’Afrique centrale, le berceau de la Françafrique, basculerait dans cette mouvance. Prenons l’exemple du Gabon, que certains peuvent considérer comme un coup de palais.
Ce qui est clair, c’est que les militaires sont au pouvoir. Cela est factuel, indépendamment de comment cela a été orchestré ou préparé. Au Cameroun, avec la multitude de clans, tout est envisageable. On pourrait se réveiller un matin, et avant même la diffusion de cette interview, les militaires pourraient avoir pris le pouvoir. Rien n’est à exclure.
Personnellement, je suis contre les régimes militaires. Ils sont, par nature, anti-démocratiques, et moi, je suis profondément attaché à la démocratie. Je milite pour un pouvoir civil, élu démocratiquement. Cependant, il est crucial de reconnaître la volonté de changement qui anime la population camerounaise. Je vous assure que 90 % des Camerounais aspirent à un changement, à voir un nouveau visage à la tête du pays.
Certains espèrent que l’armée pourrait apporter une sérénité, un élan vital pour le progrès économique et démocratique du Cameroun. La peur règne parmi mes compatriotes, beaucoup vivent dans une psychose, effrayés à l’idée de s’exprimer librement de peur d’être arrêtés. Je vais illustrer mes propos par un exemple récent : un jeune Camerounais, diplômé du baccalauréat et sans emploi, a été arrêté après s’être indigné dans un bar sur l’impossibilité pour les jeunes de trouver du travail dans notre pays. Heureusement, il a été libéré.
Cela montre l’état d’esprit de répression qui prévaut, où les Camerounais sont enfermés dans une spirale de peur, hésitant à sortir ou à parler. C’est dans ce contexte précis, parce que je me battrai pour une véritable transition démocratique, que je pourrais, à contrecœur, envisager favorablement un changement de régime, même par des moyens non démocratiques. On sait que l’armée, une fois au pouvoir, tend à ignorer les revendications populaires, rendant son départ difficile. Mais pour ce souffle de changement, oui, j’y serai favorable.
Comment décririez-vous les forces d’opposition ?
L’une des principales forces d’opposition au Cameroun, c’est le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Cette opposition a été sévèrement affaiblie : plusieurs de ses membres influents sont incarcérés, condamnés à de longues peines simplement pour avoir manifesté. Certains parmi eux ont écopé de sept ans de prison, jugés par des tribunaux militaires.
Maurice Kamto, qui avait été le candidat du MRC en 2018, a été attaqué chez lui et a été contraint de quitter Douala juste pour avoir dédicacé son livre. Il y a moins d’un mois, des membres de l’opposition se sont réunis dans un hôtel pour discuter des prochaines élections et de possibles améliorations du code électoral, mais ils ont été expulsés par la force.
À part le MRC, l’opposition n’existe pas au Cameroun. Nombreux sont les opposants qui ne pensent qu’à leur intérêt personnel. Les fonds destinés au peuple sont détournés pour les satisfaire. La majorité des analystes politiques camerounais se concentrent sur le MRC, un parti qui est actuellement fragilisé. Beaucoup de ses cadres démissionnent, certains peut-être sous influence ou par intimidation — je ne peux l’affirmer catégoriquement, mais connaissant les pratiques du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (le parti de Paul Biya), cela ne me surprendrait pas.
Il est devenu très difficile de parler d’opposition dans notre pays. Le Cameroun compte plus de 300 partis politiques, mais ces partis sont pour la plupart des satellites du parti au pouvoir, le RDPC. Ils ne représentent pas une réelle force politique.
À l’Assemblée nationale, l’opposition qui est représentée est inefficace. Elle n’a pas la capacité d’amender ne serait-ce qu’une virgule dans les textes de loi. Malgré vingt-cinq à trente ans de ce que l’on nomme « démocratie », c’est-à-dire de pluralisme au sein de l’Assemblée, l’opposition n’a pas réussi à introduire une proposition de loi qui soit sienne.
Nous sommes en réalité dans un système de parti unique déguisé. Biya a peut-être voulu donner l’illusion d’un changement démocratique suite au discours de La Baule de Mitterrand, qui liait démocratie et aide au développement. Cependant, à ce jour, aucune force d’opposition camerounaise n’est en mesure de se mesurer à Biya. Le MRC, qui sortait du lot, est constamment diabolisé. Ses militants luttent pour survivre, mais pour combien de temps ? Même s’il demeure toujours un espoir, le Cameroun semble s’enfoncer dans une impasse très préoccupante.
Vous êtes passé d’un rôle d’opposant à l’intérieur, à celui d’opposant en exil. Est-ce que votre perspective politique a changé ?
Oui, ma perspective a certainement changé. Pour un activiste désireux de s’exprimer librement, rester au Cameroun n’est pas une option viable aujourd’hui. La plupart des activistes que vous verrez en dehors du pays ne sont pas là pour les papiers ou pour des raisons superficielles ; ce sont des personnes engagées qui ont été poussées à l’exil parce qu’elles ne pouvaient plus exercer leur engagement face à la répression étatique.
Ma propre expérience est parlante. Au Cameroun, j’ai été torturé à plusieurs reprises — des faits attestés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Comment exprimer ses opinions librement quand on vit dans la crainte constante, quand chaque apparition publique peut conduire à une arrestation ? Même aujourd’hui, les gens hésitent à parler ouvertement, de peur de représailles du RDPC.
De l’extérieur, ma vision du Cameroun est différente. J’ai pris des risques considérables pour interpeller le président Macron et attirer son attention sur la situation dans notre pays. Il est un secret de polichinelle que si la France souhaitait réellement se défaire de ce dictateur, qui non seulement asphyxie l’Afrique mais nuit également à l’influence française sur le continent, elle saurait comment procéder.
Il faut se rendre compte qu’en 2023, la jeunesse camerounaise en n’a jamais connu qu’un seul président. Il y a des pères, voire des grands-pères, qui n’ont connu que lui : depuis 1975, lorsque Biya est devenu premier ministre, et, en réalité, dès 1962 lorsqu’il a commencé à évoluer dans les hautes sphères de l’administration. Le pouvoir est monopolisé par Biya et son clan. Comment peut-on envisager un développement dans un pays régi par des dirigeants sans scrupules qui l’ont fait régresser ?
En France, je peux désormais entrevoir une autre réalité pour le Cameroun. Nous travaillons à sensibiliser les Camerounais à reconnaître leur force et à surmonter la peur. Nous encourageons la population à réaliser que la souveraineté réside en elle. L’exemple durant la pandémie de Covid-19 est révélateur : un chef de village, dans une région pourtant considérée comme un bastion du président, a refusé l’aide présidentielle qui était parfaitement inadéquate puisqu’elle consistaient en quelques seaux et morceaux de savon pour des milliers de personnes. Ce refus a entraîné des menaces de destitution par le préfet, qui en réalité n’a pas ce pouvoir.
Notre rôle en tant qu’activistes en exil est donc d’éveiller les consciences et de montrer que même à l’extérieur du Cameroun, nous pouvons apporter du changement.
La Brigade Anti-Sardinards (BAS), que vous avez fondée, est très écoutée au sein de la diaspora camerounaise. Avez-vous l’impression que la diaspora peut peser de l’intérieur en parlant par des contacts interpersonnels familiaux ? Est-ce qu’il est possible de l’extérieur d’amener la population camerounaise à rentrer en rébellion ou est ce que c’est en gestation ?
La Brigade Anti-Sardinards (BAS) est profondément investie dans sa mission, au point que le RDPC a tenté de nous neutraliser en détournant l’attention avec des manœuvres financières et en soutenant de petits groupes contre notre cause. Cependant, la BAS a réussi à éveiller la conscience politique de nombreux Camerounais quant aux abus commis par le gouvernement. La différence est notable entre la situation actuelle et celle de 2018, pendant les dernières élections présidentielles. De plus en plus de Camerounais s’expriment contre le régime, en prenant parfois de grands risques : c’est par exemple le cas d’un jeune à Penja, arrêté pour avoir soutenu les enseignants qui réclament leurs arriérés de salaire (qui n’ont parfois pas été payés pendant des décennies).
Avant 2018, de telles actions auraient été rapidement étouffées, mais aujourd’hui, grâce à notre lutte, cela a changé. Les réseaux sociaux sont le champ de bataille que nous avons conquis. Nous avons su utiliser Facebook efficacement et maintenant, nous nous tournons vers Tiktok pour nous adresser à la jeunesse. Ces plateformes sont devenues les voix de ceux qui autrement ne seraient pas entendus. Il est pratiquement impossible maintenant d’occulter un scandale au Cameroun, car nous sommes là pour en assurer l’écho.
En ce qui concerne l’influence de la diaspora, nous avons démontré que les contacts entre les Camerounais à l’étranger et leurs familles au pays peuvent inciter au changement. La BAS a joué un rôle clef en libérant la parole. Les actions comme l’expulsion de la fille de Biya d’un hôtel parisien ont suscité une grande fierté parmi les Camerounais. L’impact de notre travail sur la population camerounaise ne peut être sous-estimé. Ils regardent désormais les choses différemment, avec un esprit plus critique. La diaspora a apporté un souffle nouveau, inspirant ceux qui sont restés au pays à croire que le changement était possible.
C’est aussi notre action qui a mené à la libération de nombreux prisonniers politiques, grâce à l’intervention d’Emmanuel Macron que nous avions interpellé, et notre collecte de fonds pour la lutte contre la Covid-19, bien que contrariée, a montré notre force de mobilisation. Le MRC a pu distribuer des masques et des équipements sanitaires grâce à notre soutien médiatique.
À vrai dire, je suis convaincu que les Camerounais sont sur le point de prendre un tournant décisif. Le mécontentement est palpable, la souffrance quotidienne. Les gens ne se contentent pas de notre activisme ; ils y sont connectés émotionnellement. La peur règne, c’est vrai, mais le jour où elle sera vaincue, nous assisterons à un soulèvement populaire. La fin du régime actuel est ardemment désirée par un peuple qui aspire à un avenir meilleur.
Pensez-vous que la communauté internationale devrait s’impliquer dans la situation politique au Cameroun ?
Il est évident que la communauté internationale, notamment l’ONU, devrait s’engager plus fermement dans la situation politique des pays en proie à des régimes dictatoriaux, comme le Cameroun. La Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, avait pour objectif de prévenir l’émergence de telles figures autoritaires. Or, il semble que l’ONU soit devenue un espace où chaque dictateur peut s’exprimer sans vraiment être confronté à des mesures de contrôle effectives. Les principes de la démocratie sont clairs et ils se distinguent nettement de ceux de la dictature. Si la communauté internationale ne joue pas son rôle en appliquant ces principes, la question se pose alors de son efficacité réelle.
Ce désengagement apparent contribue également au sentiment anti-français qui se répand en Afrique. Les Africains n’ont pas de problème avec la France ou les Français en tant que peuple, mais plutôt avec l’oligarchie française qui soutient ces dictatures. Ce n’est pas un rejet de la France en elle-même, mais de la politique de la « Françafrique»qui semble perdurer. L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron avait suscité de l’espoir, mais beaucoup se sont rapidement rendu compte que les promesses de rupture avec le passé colonial de la France n’étaient pas tenues, et que, dans les faits, le soutien aux régimes autoritaires semblait se renforcer.
Ainsi, il y a une dichotomie entre la perception du citoyen français moyen, qui peut se sentir blessé par ces cris « à bas la France », ne comprenant pas qu’il s’agit d’une condamnation de la politique française envers les dictateurs africains, et non pas d’une hostilité envers les Français ou la France elle-même. De plus, cette animosité est parfois instrumentalisée par les dirigeants africains eux-mêmes, qui s’en servent pour détourner l’attention des détournements de fonds et de la corruption au sein de leur propre gouvernement.
Il est temps que la France et la communauté internationale révisent leur approche et prennent des mesures concrètes pour promouvoir la démocratie et lutter contre les dictatures. Le rejet anti-français en Afrique n’est qu’un symptôme d’un problème beaucoup plus profond auquel la France, mais aussi l’ensemble de la communauté internationale doivent répondre.
Justement, que disent ces dirigeants autoritaires de la France ?
Les dirigeants autoritaires africains ont souvent une rhétorique accusant la France d’être responsable de leurs difficultés économiques. Ils désignent le franc CFA comme un outil de contrôle économique qui entrave leur capacité à financer le développement. Ils prétendent que c’est la France qui les empêche de progresser, faisant d’elle un bouc émissaire pour leurs échecs dans le développement national. Cette idée est profondément ancrée dans l’esprit de nombreux jeunes Africains, qui grandissent convaincus que la France a une emprise sur les ressources africaines et que c’est elle qui soutient des dirigeants comme Paul Biya au Cameroun, empêchant ainsi le développement du pays. Ils sont conditionnés à penser que la stagnation économique de leurs pays est due à l’ingérence française, et non aux lacunes de leurs propres gouvernements.
Bien que ces accusations puissent avoir été plus pertinentes dans les années qui ont suivi l’indépendance, en 1960, la dynamique mondiale a évolué. Il est attendu que la France aussi évolue dans ses relations avec ses anciennes colonies, en reconnaissant que soutenir des dictateurs qui pillent leur pays n’est pas dans son intérêt à long terme. La jeunesse africaine actuelle aspire à plus de liberté, de démocratie et de développement, et la France doit ajuster sa politique pour s’aligner avec ces aspirations, sinon elle risque de perdrede son influence et de sa réputation en Afrique, avec des conséquences économiques tangibles, comme l’érosion significative de sa part de marché au Cameroun au profit de nouveaux acteurs comme la Chine.
La France devrait reconsidérer sa position et être plus ferme vis-à-vis des présidents autoritaires, plutôt que de défendre de soi-disant « intérêts français » qui semblent de plus en plus illusoires. L’argument est qu’il serait dans l’intérêt de la France elle-même de rompre complètement avec ces dictateurs pour se réaligner avec les valeurs de démocratie et de liberté, et se reconnecter avec la nouvelle génération africaine. Cela signifie reconnaître les erreurs du passé et s’engager sur une nouvelle voie qui pourrait redorer son image en Afrique et renouveler ses partenariats sur le continent dans un esprit de respect mutuel et d’intérêt partagé. Autrement, la France restera ce qu’elle est devenue : un paria, dont personne ne veut en Afrique.
Mais pourquoi le rejet de la France est-il si prononcé ?
La réponse est simple : parce que la France a soutenu les dictateurs. Ce soutien est perçu comme un héritage des accords qui ont suivi les indépendance qui, selon les critiques, doivent être révisés pour refléter les aspirations d’une jeunesse africaine revendicatrice qui représente 70 % de la population du continent. C’est cette même jeunesse qui émigre massivement vers l’Europe, en particulier depuis les anciennes colonies françaises. Pourquoi particulièrement depuis ces pays-là ? Parce que ces pays vivent dans la misère, exacerbée par des régimes dictatoriaux qui limitent les opportunités économiques et la liberté politique. Les pays les plus touchés par cette vague migratoire, tels que le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, sont des exemples frappants des échecs perçus des politiques françaises en Afrique.
Il y a un appel pour que la France fasse amende honorable, qu’elle se détache et dénonce ces régimes dictatoriaux ouvertement, en dépassant l’accusation d’ingérence. L’argument se fonde sur des précédents où la France est intervenue militairement, comme à Benghazi en Libye, sous le prétexte de protéger les civils. Une telle action est comparée à l’inaction apparente en Afrique subsaharienne, comme dans les régions anglophones du Cameroun, où les violences et les abus de droits humains sont monnaie courante. La perception de ce double standard français s’est intensifiée lorsque la France a ouvertement soutenu certains gouvernements autoritaires, comme au Tchad, et en a condamné d’autres, renforçant l’idée d’une politique incohérente qui ne tient pas compte des aspirations démocratiques de la jeunesse africaine.
Cette dernière perçoit négativement les dirigeants français successifs, qui semblent reproduire des schémas politiques parfaitement obsolètes. Cette perception est renforcée par les contradictions dans les politiques françaises, d’autant plus que celle-ci est complètement obsédée par la question de l’immigration, sans jamais s’interroger sur ses causes : les dictatures qui maintiennent des peuples entiers dans la misère.
Prenez Marine Le Pen, par exemple. Elle ne cesse de s’exprimer contre l’immigration, mais en 2018, le groupe parlementaire auquel elle appartient n’a pas soutenu la condamnation du régime de Paul Biya au Parlement européen. Les débats nationaux en France, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, échouent à traiter les causes profondes de l’immigration, comme le fait la recherche médicale qui cherche les causes d’une maladie avant de trouver un remède. Sans identifier et aborder ces causes racines, la France et la communauté internationale continueront à être mal perçues, un état de fait qui constitue un terreau fertile pour les coups d’État militaires, souvent justifiés par la promesse d’alléger les souffrances des populations et d’apporter de l’espoir.
La France, ainsi que l’Union européenne, doit prendre des mesures décisives contre les dictateurs et envoyer un message clair à la jeunesse africaine : le soutien aux dictateurs est terminé. Cela passe aussi par des mesures sur le territoire européen : empêcher par exemple une partie des élites africaines de faire des achats immobiliers somptuaires à Paris avec des fonds dont l’origine est douteuse, et par la suite les poursuivre pour blanchiment d’argent. La France doit adopter une politique de tolérance zéro vis-à-vis de ces pratiques et envoyer un message fort.
Est-il vraiment possible de restaurer cette relation ?
Oui, cela passera par beaucoup d’intransigeance. Restaurer les relations entre la France et l’Afrique, notamment avec des pays comme le Cameroun, implique une nouvelle ère de relations internationales basée sur l’équité plutôt que sur les intérêts économiques étroits de certaines entreprises ou oligarchies. La France, qui jouit encore d’une influence considérable au sein de la communauté internationale, doit utiliser ce pouvoir pour soutenir les intérêts supérieurs des peuples africains.
Cette démarche exige de la France de parler clairement aux dictateurs, de les confronter directement, comme cela a été fait avec des figures telles que Kadhafi ou, plus récemment, avec Poutine. Les récentes mesures prises par la communauté internationale à l’encontre de la Russie démontrent qu’une action concertée et ferme est possible. La question demeure : pourquoi ces mesures ne sont-elles pas appliquées aux dictateurs africains qui oppriment leur peuple depuis des décennies ?
La politique migratoire européenne, fortement liée à la crise de la dictature en Afrique, ne peut être résolue en ignorant les causes sous-jacentes. Tant que l’Europe et la France ne s’attaqueront pas de front à ces régimes autoritaires, les jeunes Africains continueront de risquer leur vie pour échapper à la misère. La migration n’est pas simplement un choix, mais une nécessité dictée par la quête d’une vie meilleure, en l’absence de possibilités dans leur pays d’origine, souvent ravagé par la corruption et le despotisme. L’Union européenne doit également conditionner son aide à des progrès démocratiques concrets en Afrique et encourager le développement réel des nations africaines. Sans cela, l’Europe restera une destination privilégiée pour les migrants.
Il est crucial que des restrictions soient imposées aux dirigeants africains, limitant leur accès aux avantages de l’Europe, comme l’éducation de leurs enfants ou les soins de santé, tant qu’ils ne s’engagent pas à améliorer les infrastructures dans leurs pays. Ces dirigeants ne devraient pas pouvoir bénéficier des services européens qu’ils ne peuvent ou ne veulent fournir à leurs citoyens.
C’est une question de volonté politique et de moralité internationale. Les jeunes Africains continueront de voir l’Europe comme le seul moyen d’échapper à la misère tant que leurs dirigeants mèneront des vies de luxe sur le dos de leurs citoyens. Seule une position ferme et conséquente de la communauté internationale, incluant l’Union européenne et des acteurs globaux comme les États-Unis, peut commencer à inverser cette tendance et à restaurer la dignité et l’espoir en Afrique.