Jamais auparavant l’attention des analystes européens ne s’était autant portée sur le rôle que l’Italie pourrait assumer comme garante de la sécurité énergétique européenne. L’axe Est-Ouest — fondé sur l’interdépendance énergétique entre les États membres de l’Union et la Fédération de Russie — s’est en effet désintégré, laissant un immense espace pour le développement éventuel d’un nouvel axe vertical, Sud-Nord. Dans ce scénario, les gouvernements italiens dirigés par Mario Draghi puis par Giorgia Meloni ont tous deux avancé l’idée de transformer la péninsule italienne en une ceinture énergétique, proposant un nouveau rôle stratégique pour l’Italie en Europe. Les deux dirigeants se sont notamment penchés sur le rôle central du gaz naturel dans cette crise et sur le potentiel du continent africain et de la Méditerranée élargie en tant qu’alternatives stratégiques au partenariat énergétique avec Moscou.
L’expression « pôle énergétique », qu’a employée le gouvernement à plusieurs reprises pour caractériser un ensemble d’éléments infrastructurels, économiques et politiques qui définissent le rôle de l’Italie, a jusqu’à présent été largement utilisée dans le débat politique et médiatique italien. Pourtant, l’on a encore du mal à identifier exactement en quoi une plaque tournante énergétique diffère d’un pays dit de transit ou d’un corridor énergétique, ou comment, par exemple, le processus de transition énergétique influence ce statut dans la géopolitique de l’énergie contemporaine1. Une tentative de définition semble nécessaire. Selon une étude récente, la meilleure définition d’une plaque tournante énergétique est un pays qui exporte des fournitures d’énergie vers d’autres pays ; s’engage financièrement dans la réalisation de grands projets d’infrastructure ; signe des accords à long terme ; et maintient un contrôle politique et économique sur les flux d’énergie, en tirant des avantages de diverses natures, y compris la création d’emplois dans l’industrie de l’énergie et l’influence dans des scénarios géopolitiques clefs2.
La réalisation d’un pôle énergétique en Italie, stratégiquement positionné au centre de la Méditerranée, doit cependant aujourd’hui faire face à des réalités politiques et de marché qui posent plusieurs défis critiques. Ce sont des défis que l’Italie doit et devra affronter dans un contexte international de plus en plus instable, où les tensions entre sécurité et transition énergétique émergent avec une force de plus en plus grande et perturbatrice.
L’Italie au centre du nouvel axe de la sécurité énergétique européenne
Depuis les premières semaines qui ont suivi l’invasion russe, des aspects cruciaux du nouveau cadre géopolitique sont apparus, qui sont utiles pour comprendre l’évolution du système énergétique italien. La réduction des livraisons de gaz russe, qui a commencé sous une forme légère et progressive à partir du second semestre 2021, est immédiatement devenue l’un des principaux points de discorde entre les chancelleries du Vieux Continent et le Kremlin. En effet, le gaz joue un rôle primordial pour les systèmes énergétiques européens et l’interdépendance russo-européenne est l’un des piliers de la sécurité énergétique continentale, y compris celle de l’Italie, depuis des décennies.
Parallèlement au déroulement d’opérations militaires sur le territoire ukrainien et à une série de sanctions sans précédent contre le secteur énergétique russe, la politisation du commerce du gaz naturel a conduit au blocage complet de l’utilisation de certaines infrastructures telles que les gazoducs Nord Stream et Yamal-Europe, réduisant les exportations de gaz russe vers les pays d’Europe occidentale à leur niveau le plus bas depuis l’Union soviétique. En octobre 2023, les seuls canaux restants d’approvisionnement en gaz russe vers l’Europe, dans des volumes beaucoup plus faibles que dans un passé récent, sont les gazoducs passant par la Turquie et, paradoxalement, par l’Ukraine.
En ce qui concerne plus spécifiquement la géopolitique de l’énergie, la dissolution des flux énergétiques traditionnels sur l’axe Est-Ouest a entraîné une perturbation rapide de l’ordre énergétique, renouvelant l’attention portée à l’utilisation du commerce des ressources énergétiques en tant qu’instrument de politique internationale3. Les tensions croissantes dans les relations entre l’Union européenne et la Fédération de Russie se sont répercutées sur la quasi-totalité des marchés de l’énergie. Le marché du gaz naturel est notamment devenu l’épicentre d’une crise énergétique aux implications mondiales, entraînant des prix records pour le gaz et l’électricité4. Une caractéristique importante du bouquet électrique italien reste la très forte présence du gaz naturel parmi les différentes sources, un facteur qui expose doublement le pays aux fluctuations des prix.
La tension entre sécurité et transition énergétique en Italie
L’analyse des données pour 2022 est éloquente à plusieurs égards. Malgré une baisse de la consommation de gaz sans précédent dans l’histoire européenne, due en grande partie à des prix devenus insoutenables pour les citoyens et des secteurs industriels entiers, les combustibles fossiles ont tout de même renforcé leur présence dans le mix de consommation primaire, restant ainsi fondamentaux pour garantir la sécurité et la stabilité des systèmes énergétiques européens. Les prix du gaz naturel restent supérieurs à une moyenne historique et ils sont très instables. Malgré d’innombrables investissements dans le secteur, les énergies renouvelables (solaire et éolienne) représentent encore moins de 10 % de la consommation totale d’énergie en Europe5. Le processus de décarbonation, avancé dans le paquet Fit-for-55 et réaffirmé par REPowerEU, l’initiative avec laquelle Bruxelles entend accélérer la transition et réduire définitivement la dépendance de l’Europe aux combustibles fossiles, se trouve aujourd’hui à un tournant6. L’Union doit désormais trouver un équilibre entre les objectifs de sécurité et de transition, compte tenu également de l’effondrement de la demande de gaz prévu par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) tout au long du processus menant à la neutralité carbone d’ici à 20507. Une voie sur laquelle l’annulation de la production de gaz sera compensée par une vaste expansion des énergies renouvelables et une électrification générale de la consommation d’énergie.
Dans ce contexte, l’Italie reste massivement dépendante des importations d’hydrocarbures étrangers. D’autre part, les énergies renouvelables, y compris l’hydroélectricité, représentent environ 16,5 % de la consommation primaire. En outre, en 2022, la part des importations nettes d’énergie dans les disponibilités brutes a atteint 79,7 %, ce qui représente une augmentation inquiétante de 6 % sur une base annuelle, et ce, alors que la consommation finale d’énergie et la consommation d’électricité ont globalement diminué8. Ce résultat est le fruit d’une baisse constante de la production d’énergie à partir de sources renouvelables et d’une contribution réduite du gaz dans le système énergétique italien. Dans cette situation, Rome a été contrainte d’importer des volumes alternatifs très coûteux de combustibles fossiles solides (+41,6 % sur l’année), de pétrole et de produits pétroliers (+10,5 % sur l’année) pour compenser la baisse de la contribution du gaz. De même, en 2022, seuls 4 % de la demande de gaz étaient couverts par la production nationale. Le reste correspond aux importations, dont environ 80 % par gazoducs et environ 20 % du total par GNL.
L’Italie, comme d’autres États membres de l’Union, est devenue plus dépendante des importations de GNL, qui ont augmenté d’un peu moins de 50 % d’une année à l’autre. Des volumes plus importants que les années précédentes peuvent être observés en provenance d’exportateurs tels que le Qatar et les États-Unis. En octobre 2023, Eni a conclu un contrat avec QatarEnergy qui, à partir de 2026, prévoit la fourniture d’un volume maximum de 1,5 milliard de mètres cubes par an à livrer au terminal GNL flottant situé dans la ville de Piombino. Le contrat, similaire à celui conclu entre QatarEnergy et les sociétés européennes Shell et TotalEnergies, prévoit une durée de 27 ans et donc des livraisons de GNL bien au-delà de l’année fatidique 2050, fixée par la Commission européenne pour la réalisation de l’objectif de neutralité carbone. Cette diversification est justifiée par le plan REPowerEU et elle a conduit plusieurs États membres à investir dans la construction de nouvelles infrastructures d’importation de gaz9. La nécessité de la diversification vers le GNL est confirmée à la fois par la déclaration finale du G7 à Hiroshima, signée par le gouvernement italien10, mais aussi par la Commission européenne, qui l’a réaffirmée à plusieurs reprises au cours des 20 derniers mois.
Accablés par la crise, les gouvernements Draghi et Meloni ont tous deux dû faire face à la pauvreté énergétique de plus en plus évidente des Italiens, en soutenant les consommateurs dans cette phase11. Cependant, les deux exécutifs n’ont pas utilisé les fonds dédiés de manière efficace et ils n’ont pas dirigé l’aide vers les classes sociales les plus démunies. Le déboursement des ressources a donc été excessif et a fini par peser de manière asymétrique sur des finances publiques déjà lourdement grevées12. Tout cela aggrave la position de l’Italie sur les marchés financiers, à quelques mois du retour du pacte de stabilité et de croissance au sein de l’Union : c’est un sujet de discussion passionné dans le débat politique italien et un point de désaccord très problématique dans les relations entre Rome et Bruxelles.
La subversion des flux gaziers traditionnels et le bouleversement des marchés de l’énergie ont ainsi ramené les exécutifs européens au cœur des politiques et des stratégies nationales, inversant une tendance qui, depuis les années 1990, a vu une libéralisation inéluctable des marchés. L’objectif d’assurer un approvisionnement suffisant pour l’hiver 2022/2023 a ramené les entreprises à forte participation publique dans le rôle d’acteurs principaux de la défense des intérêts de l’État, leur ouvrant la possibilité de développer davantage leur influence sur les politiques et stratégies énergétiques nationales13. Dans cette nouvelle phase, le gouvernement italien a dû faire face en parallèle aux retards chroniques dans les processus bureaucratiques concernant la mise en place de nouveaux projets d’énergie renouvelable, après que plusieurs distorsions législatives ont sapé leur développement pendant des années. Une relation centre-périphérie difficile (État-Régions), la multiplication des organismes intermédiaires et des autorités de régulation ont entravé l’installation des sources d’énergie renouvelables. Le gouvernement Meloni a proposé un objectif de 65 % de la consommation d’électricité provenant de sources vertes d’ici 2030 et, au premier semestre 2023, l’installation d’énergies renouvelables a plus que doublé par rapport à l’année dernière14. Si les avantages d’un point de vue économique et social sont évidents, en particulier sur les zones rurales du pays, l’ensemble du secteur a besoin d’un soutien financier supplémentaire et d’investissements continus dans la recherche et le développement pour maintenir cette tendance à long terme15.
La dimension internationale du pôle énergétique italien
Rome a développé sa propre recette pour résoudre la crise énergétique et éliminer la dépendance au gaz russe d’ici 2025, à travers une stratégie à fort caractère nationaliste et un équilibre particulier entre transition et sécurité. D’une part, le gouvernement Draghi a immédiatement remis sur le tapis cette dernière question, qui avait été négligée par les gouvernements précédents et avait conduit à une « sous-estimation de la politique étrangère, de la politique internationale » dans la dépendance à l’égard de la Russie16. Cette réalité a imposé une diversification rapide des importations et une accélération de la mise en place de nouvelles sources d’énergie renouvelables pour garantir l’indépendance énergétique du pays. La revitalisation du Sud, dont on parle depuis longtemps, s’est accompagnée d’une présentation du pays comme un « pont » entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et comme un lieu à partir duquel des partenariats stratégiques peuvent être proposés17. La nouvelle coalition de droite dirigée par Giorgia Meloni a encore renforcé les connotations nationalistes de la stratégie énergétique de l’Italie, fondée sur la transformation du pays en « centre stratégique et économique de la Méditerranée ». Cette ambition est soutenue par l’objectif ultime de l’indépendance énergétique qui, selon Meloni, conduirait à la « renaissance de la nation ». Selon présidente du Conseil, grâce à son « positionnement géostratégique », l’Italie peut se présenter comme une « plateforme en Méditerranée » et « devenir le centre d’approvisionnement énergétique de l’Europe », en se projetant dans un dialogue avec l’Afrique, un continent que Rome représente comme capable de résoudre le problème de l’insécurité énergétique européenne18.
Les concepts de « hub énergétique européen » et de « corridor d’approvisionnement en énergies renouvelables dans la zone méditerranéenne » imprègnent également le Plan national intégré pour l’énergie et le climat (PNIEC) présenté en juillet 2023 par le ministère de l’Environnement et de la Sécurité énergétique (MASE) et envoyé à Bruxelles, et qui vise à aligner la transition européenne sur les objectifs de Fit-for-5519. Ce plan passe nécessairement par le renforcement de certaines structures de transport internes et notamment de la ligne Adriatique elle-même. Un projet de 2,4 milliards d’euros avec lequel la SNAM vise à augmenter la capacité du réseau de 10 milliards de mètres cubes par an le long de l’axe Sud-Nord, considéré comme essentiel pour transporter des volumes de gaz plus importants provenant de projets tels que TAP, EastMed et les gazoducs connectés au Nord20. Selon les promoteurs, la même infrastructure pourrait un jour transporter de l’hydrogène vert produit à partir de sources renouvelables. D’autre part, l’horizon temporel de ce nouveau projet se projette dans le futur. L’achèvement de la ligne Adriatique est prévu pour 2027 et le projet s’inscrit dans la trajectoire de décarbonation des systèmes énergétiques européens, suggérant une possible reconversion complète à l’hydrogène d’ici 2040-2050.
Ce plan vise à accélérer le déploiement des énergies renouvelables, mais il prévoit une diversification grâce aux six points d’entrée existants du méthanoduc, aux trois terminaux opérationnels pour les importations de GNL et aux deux unités flottantes de stockage et de regazéification de Piombino, déjà en service, et à celui de Ravenne, qui entrera en service fin 2024, comme architecture fondatrice pour l’établissement d’un « hub en Méditerranée ». À ces hubs pourraient s’ajouter trois grands terminaux terrestres d’importation de GNL, maintes fois appréhendés par les forces gouvernementales, mais mentionnés dans le PNIEC comme étant en cours d’évaluation. Des partenaires européens tels que Malte, la Slovénie, la Slovaquie et l’Autriche sont directement mentionnés dans le PNIEC en tant qu’importateurs possibles de l’Italie. Dans le même temps, pourtant, Rome envisage des connexions possibles avec les marchés d’Europe centrale, en particulier l’Allemagne. En réalité, en 2022, les exportations de gaz de l’Italie ont augmenté d’environ 200 % par rapport à l’année précédente, mais elles ne représentaient que 6,3 % du volume total de gaz importé.
L’Algérie est désormais la principale alternative aux importations de gaz russe pour l’Italie et elle est devenue le principal pays exportateur de gaz vers l’Italie en 2022. Draghi et Meloni ont tous deux rencontré à plusieurs reprises les dirigeants algériens, signant des partenariats énergétiques entre Eni et Sonatrach dans le but d’augmenter les volumes de transit via le gazoduc Transmed, utilisé en 2022 à moins de deux tiers de sa capacité, et via le GNL, grâce également aux nouvelles unités flottantes de stockage et de regazéification. Le PNIEC lui-même a mentionné Transmed comme l’infrastructure qui formera le corridor sud H2, développé par la SNAM avec des partenaires autrichiens et allemands dans le cadre de la dorsale européenne de l’hydrogène. Le plan stratégique suggère qu’une reconversion de l’infrastructure pour le transport de l’hydrogène produit en Afrique du Nord sera possible dans un avenir proche.
Ce n’est donc pas un hasard si Giorgia Meloni a choisi l’Algérie pour inaugurer son Plan Mattei, dont le nom inspiré du nom du fondateur d’Eni et dont la notoriété au Moyen-Orient et en Afrique du Nord garantirait, selon Rome, une voie diplomatique préférentielle pour projeter les intérêts nationaux dans la Méditerranée élargie, en rupture avec le modèle de relations établi par d’autres pays européens, tels que la France et le Royaume-Uni, avec leurs anciennes colonies21. Les autorités de l’Union ont approuvé l’approfondissement de la « codépendance » gazière avec l’Algérie à plusieurs reprises au cours des deux dernières années, suggérant qu’il existerait une coopération fructueuse dans les domaines des ressources renouvelables, de l’hydrogène vert, de la réduction des émissions de méthane et du brûlage à la torche22. Alger a répondu en soulignant que les investissements européens dans les hydrocarbures, et en particulier dans le gaz naturel, sont actuellement insuffisants pour augmenter la production et les exportations. Le ministre Arkab a ensuite appelé les partenaires européens à tirer le meilleur parti de la nouvelle « loi sur les hydrocarbures » approuvée en 2019 et spécifiquement conçue pour accroître la présence des entreprises étrangères en Algérie23.
L’appel européen à une réduction de la pratique du torchage a été bien accueilli par Alger, qui s’est engagé à atteindre zéro émission d’ici 2030 et éventuellement à augmenter les exportations vers les pays. Cependant, il est tout aussi symptomatique de constater que l’exportation d’hydrogène vert est une perspective totalement secondaire dans la stratégie énergétique de l’Algérie par rapport à l’augmentation de la production de gaz naturel24. La nomination très récente et inattendue de Rachid Hachichi au poste de PDG de Sonatrach à la place de Toufik Hakkar révèle une insatisfaction fondamentale des institutions algériennes. Incapable de profiter des prix très élevés pour optimiser les recettes d’exportation, qui ont baissé en 2022 par rapport à l’année précédente, l’Algérie n’a même pas réussi à respecter son engagement de canaliser les 4 milliards de mètres cubes promis en 2022 à l’Italie lors de la visite de Mario Draghi à Alger et il est peu probable que les exportations augmentent de 4 milliards supplémentaires au cours de l’année 2023, comme cela a été affirmé à Giorgia Meloni. D’autre part, l’Algérie reste déterminée à ancrer l’économie du pays à long terme dans les exportations d’hydrocarbures, qui constituent la principale source du budget national. Dans cette perspective, le renforcement du partenariat énergétique avec l’Italie et la croissance des approvisionnements sont des objectifs complémentaires, auxquels Rome ne peut renoncer si elle entend réellement devenir un hub énergétique en Méditerranée.
Le PNIEC prévoit la possibilité d’un doublement du gazoduc TAP, une infrastructure qui a fait de l’Azerbaïdjan un fournisseur de gaz toujours plus important pour l’Italie. Pourtant, malgré le protocole d’accord signé entre la présidente von der Leyen et le président azerbaïdjanais Ilham Alyiev, le chemin paraît semé d’embûches. L’incapacité manifeste de parvenir à un accord final sur l’expansion des trois gazoducs qui composent le réseau reliant la mer Caspienne à la côte italienne, en passant par la péninsule anatolienne et le sud des Balkans, ralentit l’investissement de Bakou dans de nouvelles capacités gazières25. La récente annexion manu militari du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan et la fuite de la population civile arménienne de la région augmentent également les tensions entre Bakou et les capitales européennes, en particulier Paris, où l’on craint de plus en plus une possible intervention de l’armée azerbaïdjanaise visant à contrôler le corridor de Zangzeur, avec l’approbation de Moscou et d’Ankara26.
En ce qui concerne les gisements de la Méditerranée orientale, les zones économiques exclusives (ZEE) d’Israël, de Chypre et d’Égypte sont considérées comme de nouvelles sources de diversification de l’approvisionnement de l’Italie. Là encore, un mémorandum signé en 2022 entre la Commission européenne et les gouvernements des trois pays prévoit la possibilité d’un développement partagé des gisements et des infrastructures pour les exportations de gaz et de GNL vers l’Union. Ici, cependant, la géopolitique du gaz reste fortement polarisée, entre concurrence et coopération. Outre l’influence exercée par la Turquie en tant que puissance régionale, Israël a réussi ces dernières années à établir une coopération fructueuse avec l’Égypte, Chypre et le Liban, des pays où, entre autres, Eni est devenue l’une des entreprises énergétiques les plus actives au cours des quinze dernières années27. L’escalade militaire très récente entre le Hamas et Israël, la crise de production des champs égyptiens et la récente contre-proposition chypriote de développer un partenariat bilatéral avec Israël, excluant ainsi l’Égypte et s’opposant à la volonté du département d’État américain, compromettent la construction d’infrastructures régionales imposantes et très coûteuses destinées à l’exportation vers l’Union28. Bien que n’affectant pas directement les relations entre l’Italie et l’Afrique, les tensions croissantes au Moyen-Orient ont notamment conduit le gouvernement italien à reporter au début de l’année 2024 l’important sommet avec les pays africains annoncé pour le début du mois de novembre. De l’aveu même du Premier ministre Giorgia Meloni, ce sommet aurait été l’occasion de présenter et de faire avancer le plan Mattei de coopération énergétique avec les pays africains. Ce cadre diplomatique très complexe, une situation renforcée par la crise au Moyen-Orient, entrave encore davantage la mise en place d’un pôle énergétique italien.
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