Après presque un an sans progrès formel dans les négociations entre le gouvernement de Nicolás Maduro et un groupe de partis d’opposition (connu sous le nom de Plateforme unitaire), les deux camps se sont retrouvés le 17 octobre à la Barbade pour signer un accord qui prévoit des améliorations dans les garanties électorales pour les élections présidentielles prévues en 2024. Ils étaient accompagnés de représentants de la Colombie, du Brésil, des États-Unis, de l’Union européenne, de la France, de l’Argentine, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Russie, du Mexique et de la Norvège, qui a parrainé le processus de négociation débuté en 2021.
La question fondamentale est maintenant de savoir si le gouvernement aura la volonté politique de mettre en œuvre cet accord, ce qui dépendra de plusieurs facteurs. Pour l’instant, l’accord de la Barbade a eu une conséquence immédiate : le gouvernement américain a annoncé un large allègement, pour une durée initiale de six mois, de certaines sanctions économiques imposées sous l’administration Trump. La volonté du gouvernement de mettre en œuvre l’accord sera largement dépendante d’une amélioration substantielle de l’économie vénézuélienne, sur laquelle le gouvernement pourra capitaliser pour retrouver un niveau de soutien politique qui le rendra compétitif sur le plan électoral.
Un accord pour garantir les élections
Parmi les garanties électorales incluses dans l’accord figure l’engagement de proposer au Conseil national électoral contrôlé par le gouvernement d’organiser l’élection présidentielle « au cours du second semestre de 2024 ». De même, il a été convenu d’une mise à jour complète du registre électoral permanent, une question ignorée depuis des années et qui explique pourquoi environ 3 millions de jeunes au Venezuela n’ont pas pu s’inscrire sur les listes électorales. Cela comprend également l’organisation de journées de mise à jour à l’étranger, un détail important si l’on considère qu’en août 2023, les agences de l’ONU estimaient qu’il y avait près de huit millions de migrants et de réfugiés vénézuéliens dans le monde.
Le document établit également que le Conseil national électoral invitera des missions d’observation, notamment de l’Union européenne, des Nations unies, de l’Union africaine et de la Fondation Carter ; c’est une question fondamentale pour l’opposition, qui considère la présence d’observateurs internationaux comme un frein ou une modération possible aux abus du gouvernement, en particulier le jour des élections. Cependant, le gouvernement a réussi à inclure dans l’accord que les missions d’observation seront « techniques », ce qui vise à éviter une mission d’observation de l’Union européenne, qui a généralement une composante politique et publique. Cela limitera probablement l’Union à évaluer l’envoi d’une mission d’experts électoraux, comme l’a fait la mission de l’ONU déployée lors des élections régionales de 2021, qui n’a pas fait de déclaration à la presse et a envoyé un rapport confidentiel au Conseil national électoral.
L’accord prévoit également que « toute mesure susceptible d’affecter la sécurité des candidats soit levée », une référence implicite à la récompense de 15 millions de dollars que maintient le Département d’État américain pour toute information conduisant à l’arrestation et/ou à la condamnation de Nicolás Maduro. Pour son gouvernement, la levée de cette mise à prix est une condition nécessaire pour que le président vénézuélien puisse mener sa campagne électorale, car elle représente une condition importante pour garantir sa sécurité, même sur le territoire du Venezuela.
Le point le plus controversé est sans doute l’accord visant à promouvoir « l’autorisation de tous les candidats à la présidence et de tous les partis politiques, à condition qu’ils remplissent les conditions requises pour participer, à l’élection présidentielle, conformément aux procédures établies par la loi vénézuélienne ». Il s’agit d’une référence claire à la disqualification de certaines figures politiques, notamment, María Corina Machado, la candidate élue par une majorité écrasante d’opposants le 22 octobre pour affronter Maduro en 2024. À la Barbade, quelques minutes après la signature de l’accord, le négociateur en chef du gouvernement vénézuélien, Jorge Rodríguez, a interprété la clause comme signifiant que les personnes disqualifiées par le contrôleur général de la République ne peuvent pas être candidates à un mandat électif.
À qui profite l’accord ?
Cette question de la disqualification est primordiale. En réaction à la signature de l’accord, le secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré avoir communiqué au gouvernement de Maduro ses demandes. Il attend notamment que, d’ici à la fin du mois novembre, la libération des citoyens américains et des prisonniers politiques vénézuéliens injustement emprisonnés au Venezuela débute. Il ajoute également qu’un calendrier et une procédure précise devront être établis pour la qualification des candidats.
Un conditionnement de ce type n’est pas anodin si l’on considère que les États-Unis, grâce à cet accord, ont délivré une licence générale de six mois autorisant la réinsertion du secteur pétrolier et gazier vénézuélien sur le marché américain, en plus d’autres flexibilités liées au secteur aurifère et à la gestion de la dette vénézuélienne. Il s’agit d’une décision capitale qui ouvre la possibilité pour le Venezuela de commencer à exporter du pétrole sur le marché américain et, par conséquent, pour le gouvernement de percevoir et de gérer des ressources économiques bien plus importantes. Toutefois, le gouvernement américain a prévenu que le non-respect des termes de l’accord entraînerait l’annulation de ces mesures.
Or, l’accord de la Barbade prévoit textuellement qu’il y aura une procédure en conformité avec la loi vénézuélienne pour désigner les candidats à l’élection présidentielle. Le même communiqué du département d’État parle d’un « processus spécifique » et il n’est donc pas certain qu’il consacre l’obligation pour le gouvernement d’autoriser María Corina Machado ou d’autres politiciens de l’opposition. Les déclarations des responsables américains soulignant que leur priorité est l’existence d’un « processus démocratique » et non la nomination d’un candidat ou d’un individu spécifique, suggèrent qu’il n’est pas encore clair si, pour le gouvernement américain, l’échec éventuel de Machado à se qualifier amènerait Washington à revenir sur les concessions qu’il a accordées. La décision est actuellement en cours d’évaluation par les autorités américaines. Un haut fonctionnaire de la Maison Blanche a mentionné que cela dépendrait de l’argent que le Venezuela gagnerait avec l’allègement des sanctions et des garanties électorales offertes en retour. L’administration examinera aussi la crédibilité et les conséquences d’un éventuel retour des sanctions économiques levées temporairement.
Cela suggère que le gouvernement américain est conscient que, pour Maduro, l’octroi de garanties électorales est étroitement lié au niveau de revenu que l’économie vénézuélienne pourrait retrouver grâce à l’allègement des sanctions et à la question de savoir si cette reprise serait suffisamment importante pour accroître également la popularité de son gouvernement. Dans le même temps, l’administration Biden ne semble pas vouloir renforcer les restrictions économiques à l’encontre du Venezuela en raison de leurs répercussions sur le phénomène d’exacerbation des migrations vénézuéliennes.
Étant donné que l’impact de I’allègement des sanctions pourrait être limité, on ne peut exclure un scénario dans lequel, en l’absence d’amélioration économique ou si celle-ci n’est pas suffisante pour que Maduro retrouve du soutien politique, le gouvernement finisse par conclure qu’il ne peut pas se permettre d’accorder les garanties électorales convenues, et décide de revenir sur l’accord.
Ce dilemme souligne la nécessité, même si cela est peu probable aujourd’hui, qu’au-delà de l’accord électoral, il y ait un effort pour promouvoir une négociation sur des questions plus complexes telles que la restauration de l’État de droit et les réparations pour les victimes de la violence. Ces questions sont déjà prévues dans le protocole d’accord signé en 2021 entre le gouvernement et la Plateforme unitaire, mais elles n’ont pas été abordées. Il sera également nécessaire d’établir des canaux de communication plus importants, au moins de manière informelle, afin d’explorer les conditions d’une éventuelle coexistence politique, y compris avec certains pans du chavisme. C’est peut-être l’élément qui pourrait éventuellement générer une stabilité politique qui, à son tour, permettrait une croissance économique soutenue qui, elle, aurait un impact sur la grande majorité du pays, qui se trouve actuellement dans une situation très difficile.
Et la communauté internationale ?
Dans ce scénario, pour les pays qui ont accompagné la signature de l’accord de la Barbade, il est crucial de déployer un effort diplomatique qui, non seulement, exige, mais aussi rende plus probable la mise en œuvre des garanties électorales qui ont été décidées. Cela nécessitera non seulement une diplomatie publique, mais aussi des efforts discrets pour résoudre tout blocage dans la mise en œuvre de l’accord électoral.
Il est important de reconnaître qu’une majorité de gouvernements latino-américains, Bruxelles et Washington s’accordent désormais à dire que la politique de « pression maximale », qui visait à précipiter le départ de Nicolás Maduro du pouvoir par l’isolement et les sanctions économiques, n’a pas donné de résultats. Ils estiment plutôt qu’elle a fini par exacerber l’émigration vénézuélienne, une question qui est devenue un grave problème pour l’administration Biden (et la région), et l’une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont travaillé pendant des mois pour parvenir à l’accord de la Barbade et ainsi alléger les sanctions sur l’économie vénézuélienne.
Jusqu’à la fin du mois de novembre, une période s’ouvre pendant laquelle María Corina Machado et ses partisans chercheront vraisemblablement à accroître la pression pour que sa candidature soit approuvée par le gouvernement. Pendant ce temps, celui-ci poursuivra sa stratégie visant à provoquer de nouvelles divisions au sein de l’opposition. Comme l’affirme Crisis Group, Maduro aspire à ce que, malgré sa faible popularité, il ait une chance de vaincre une opposition fracturée en 2024. Il ne veut pas seulement que le mécontentement se reporte sur des candidats différents. Il veut aussi qu’au moins une partie de l’opposition en vienne à la conclusion qu’il n’y a pas d’autre solution que d’appeler à nouveau à l’abstention électorale et à une nouvelle campagne de pression internationale maximale, ce qui serait possible si le parti républicain remportait les élections présidentielles américaines en novembre 2024. Pour que ce scénario reste une spéculation, il faut que l’opposition parvienne à une coordination stratégique solide. C’est actuellement très incertain.