Après la pensée stratégique de Machiavel, l’analyse de la rupture polémologique des guerres d’Italie, les pratiques de la guerre dans le monde grec, l’ère stratégique de la guerre du Golfe et les mamelouks d’Austerlitz, notre série d’été « Stratégies : de Cannes à Bakhmout » fait le point sur un siège oublié et pourtant absolument décisif de la Seconde Guerre mondiale : Dunkerque. Alors que l’évacuation de cette ville en 1940 fait l’objet d’une mémoire documentée et populaire — en partie aussi grâce à une adaptation hollywoodienne — la libération tardive de la ville est moins connue. Mathieu Geagea en fait le récit.
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Lorsqu’à la fin de l’été 1944, les forces allemandes se retranchèrent à l’intérieur et aux abords de la forteresse de Dunkerque, elles formèrent ce qui allait bientôt être qualifiée de « poche ». Il faut entendre par ce terme une zone militarisée totalement encerclée, qui donc, de fait, se trouve au beau milieu du territoire adverse.
Lors de la Première Guerre mondiale, il n’est fait mention d’aucune poche. La guerre s’étant majoritairement révélée être une guerre de position, où les soldats sont répartis tout le long d’un gigantesque front, on imagine difficilement comment des poches ennemies auraient pu se former. Au moment où les soldats d’un des deux camps sortaient de leur tranchée pour se lancer à l’assaut, ils progressaient plus ou moins simultanément sur toute l’étendue d’un territoire défini. Aucune parcelle n’était oubliée et, par conséquent, la conquête d’une zone était pleine et entière — si elle avait lieu.
En revanche, lors de la Seconde Guerre mondiale, la guerre de mouvement succède à la guerre de position et ce conflit motorisé amène les véhicules blindés d’une armée à beaucoup plus souvent emprunter les grands axes routiers dans le but de gagner le plus rapidement possible l’intérieur du territoire du pays adverse. Ainsi, des armées défendant leur propre territoire se trouvent, parfois sans le savoir instantanément, en terrain déjà conquis et donc derrière le front. D’autre part, il arrivait également qu’une armée à la conquête d’un territoire adverse anticipe les zones qui se révéleraient plus difficiles à envahir car mieux défendues. Par conséquent, l’armée conquérante faisait le choix de contourner ces zones, plutôt que de s’y attarder, pour poursuivre son avance. Le but étant de faire tomber ces positions par encerclement plutôt que par une attaque frontale. C’est ainsi que se formaient des poches de résistance derrière la ligne de front. Ces poches n’étaient pas nécessairement rédhibitoires à la conquête ou à la libération d’un territoire à condition qu’elles ne soient pas trop nombreuses, au risque de se coaliser et de devenir dangereuses. Dans tous les cas, leur survie était plutôt limitée.
Il arrive alors que l’on utilise plus souvent le terme d’« enclave » qui se confond avec celui de « poche ». Une nuance, cependant, différencie les deux qualificatifs. Une enclave représente un terrain ou un territoire complètement entouré par un autre et, par conséquent, sans accès direct à la mer. Ainsi, lors de la libération de la France, en 1944, aux abords de la ville normande de Falaise, située à une quarantaine de kilomètres du littoral de la Manche, des milliers d’Allemands appartenant à la VIIème armée se retrouvèrent encerclés par les armées américano-britanniques et résistèrent plus de deux semaines dans la première moitié du mois d’août. Dans la mémoire collective fut souvent évoquée « la poche de Falaise », même si les Alliés préférèrent parler d’un simple « îlot de résistance ». Une « poche », de façon littérale, signifie la même chose qu’une « enclave » mais amène à une définition plus large qui englobe également les zones de résistance bénéficiant d’une ouverture sur la mer, telle que ce sera le cas de Dunkerque entre 1944 et 1945.
La Seconde Guerre mondiale, guerre « éclair », guerre de mouvement, guerre motorisée, guerre aérienne et sous-marine, se métamorphosa donc aussi en une guerre de siège. Ces sièges, que ce soit autour de Dunkerque, de Lorient, de Saint-Nazaire, de La Rochelle, de Royan ou de la Pointe de Grave sont, pour le moins, aux antipodes de la conception que l’on pouvait se faire de la guerre moderne. En effet, pratiquement toutes les poches de résistance allemandes qui se sont formées sur le territoire français en 1944, entouraient des villes portuaires transformées en forteresses par les nazis, dotées d’un système de défense très élaboré, qui furent donc quadrillées puis assiégées par les armées alliées.
Face à ce phénomène singulier de la Seconde Guerre mondiale, et largement occulté par les récits populaires qui en sont donnés, il faut essayer de comprendre comment se constitue une poche : l’exemple de Dunkerque, l’un des derniers « fronts » actifs de la guerre en Europe, est à cet égard éclairant.
La formation de la poche de Dunkerque
L’isolement de la ville et du port n’est certes pas un bon présage, mais, pourtant, à la fin du mois d’août 1944, l’optimisme des Dunkerquois est toujours de rigueur. Comment en serait-il autrement puisqu’ils savent que Paris a été libéré à la fin du mois d’août et que la traversée de la région Picardie par les armées alliées s’est effectuée en l’espace de quelques jours ? C’est-à-dire plus rapidement encore que celle des Allemands en 1940. Les troupes alliées étaient elles-mêmes surprises de cette libération éclair tant elles s’attendaient à heurter une ligne de défense le long de la Somme. Cela augure, dès lors, un effondrement des armées allemandes, telle une débandade.
Les Dunkerquois ne peuvent donc croire qu’en leur libération prochaine et, imprudemment, minimisent les risques de leur situation. Pour eux, l’attente est de mise. Certains se révèlent néanmoins plus inquiets que d’autres, à l’image de Paul Brisswalter, directeur de la centrale électrique de l’usine Lesieur, qui écrivait déjà, dans le journal qu’il tenait, à la date du 24 août 1944 : « Ici, tout semble indiquer que les Allemands résisteront pour la prise de la forteresse de Dunkerque. Ce n’est pas sans inquiétude de voir tous ces soldats affluer actuellement dans la région. N’anticipons pas. Attendons courageusement la suite des événements. Il semble bien que cette période sera fertile en changement de situation ». Dans ses écrits du lendemain, Paul Brisswalter se faisait encore plus lucide, presque prophétique : « L’anxiété recommence à nous étreindre pour les conséquences des prochains jours. Vont-ils partir sans coup férir ? Vont-ils s’obstiner à vouloir résister inutilement ? Ces jours passés, on entrevoyait une liquidation pacifique de la situation. Devant la débâcle qui se déroule en ce moment, on pouvait prétendre que la sagesse allait prendre place à l’entêtement. Avec les nouveaux préparatifs en cours, notre confiance se trouve un peu déroutée. A coup sûr, nous allons être enfermés dans une énorme poche qui commence à se dessiner actuellement. En somme, nous allons nous trouver dans les mêmes conditions qu’en 1940 avec la grande différence que les moyens d’action seront décuplés. Ne cherchons pas à devancer les événements et à quoi bon se lamenter sur les futures possibilités ? ». Le 27 août, le doute ne lui semble pratiquement plus permis et il indique alors : « D’après les nouveaux préparatifs en cours, il se confirme bien que la forteresse de Dunkerque sera en mesure de résister coûte que coûte. Notre optimisme sur la façon dont devait se terminer la guerre s’évanouit. Mais, les situations peuvent très bien changer d’un jour à l’autre ».
Une fois la ville de Lille libérée par les armées américaines, le 3 septembre 1944, les Alliés ont pour objectif de gagner le littoral de la Manche et de la Mer du Nord le plus rapidement possible. La 2ème Division d’infanterie canadienne était alors au repos et en réapprovisionnement depuis la veille, le 2 septembre, dans le secteur de Dieppe. Elle reçut donc, le 4 septembre, par le IIème corps canadien, l’ordre de progresser vers Dunkerque en suivant un itinéraire qui devait l’amener à libérer tout d’abord les villes d’Eu et d’Abbeville dans la Somme, puis, non pas le long du littoral mais davantage à l’intérieur des terres, Montreuil, Samer, Desvres et Ardres dans le Pas-de-Calais, tandis que la 3ème Division d’infanterie devait, quant à elle, assiéger les forteresses de Boulogne-sur-Mer et Calais. Conformément à ces instructions, la 2ème Division d’infanterie mit fin à son séjour à Dieppe le 6 septembre et convergea, en respectant l’itinéraire assigné et avec une grande facilité, jusqu’aux abords de Dunkerque. Cette rapidité ne constitua en rien une surprise, car les Canadiens sont pleinement conscients que les armées allemandes ont délibérément fait le choix de battre en retraite sans attendre leur arrivée et donc sans livrer combat pour massivement converger et se retrancher derrière les places fortes mentionnées par Hitler. À partir du 6 septembre, les grandes villes portuaires du Nord-Pas-de-Calais sont assiégées bien que le dispositif d’encerclement ne soit pas encore totalement dessiné.
Autour de Dunkerque, des villes une à une libérées
Alors que les armées alliées gagnent les portes de Dunkerque, les Allemands en profitent pour dynamiter des ouvrages, des ponts et des maisons, ainsi que les routes menant à la ville portuaire qui traversaient des champs inondés par leurs soins. Leur explosion pratiquait de larges coupures remplies d’eau croupissante. Le 4 septembre 1944, ils détruisirent de fond en comble les ateliers des Chantiers de France, une entreprise dunkerquoise de construction navale. Trois jours plus tard, le 7 septembre, à douze kilomètres au Sud-Est de la forteresse, les Canadiens entrent, sans trop de difficultés, dans la ville de Hondschoote, tandis qu’à l’Ouest et au Sud-Ouest, c’est au tour de Gravelines et de Bourbourg, le 8 septembre, d’être libérées. En libérant la ville de Gravelines, les Canadiens devenaient maîtres des écluses qui règlent le niveau des inondations dans la région. Dès leur arrivée dans cette localité, les armées libératrices ouvrirent les écluses qui rejettent l’eau à la mer, mais cela ne permit finalement que de faire légèrement baisser le niveau des inondations.
Dans la ville de Bourbourg, l’église offrait aux Allemands un excellent poste d’observation puisque tous les abords pouvaient être couverts, notamment la route par laquelle les troupes canadiennes avançaient et qui était balayée par deux canons en batterie à l’intérieur de la ville. Mais, au terme de quelques combats, au soir du 8 septembre, la ville de Bourbourg était bel et bien délivrée. Il faut noter que dans cette commune, la résistance était passée à l’action dès le 4 septembre afin d’essayer de neutraliser le minage des ouvrages et notamment un pont indispensable à l’avancée des troupes alliées. D’autres ponts, en revanche, ne furent pas épargnés par les Allemands, notamment celui sur lequel circulait la ligne de chemins de fer reliant Calais à Dunkerque. Les Allemands, en effet, détruisirent tous les ponts situés entre Bergues et Hondschoote, au même titre que trois des quatre ponts reliant Dunkerque à sa banlieue.
Après avoir libéré Gravelines où les résistants avaient fait une quarantaine de prisonniers allemands qu’ils regroupèrent dans une école maternelle, les Canadiens décidèrent de pousser leur avance jusqu’au littoral et atteignirent ainsi la Pointe-du-Clipon. Quelle ne fut pas leur stupéfaction de découvrir que cette modeste parcelle du littoral ne comportait pas moins de dix-neuf pièces d’artillerie braquées vers la mer et abandonnées par les Allemands en très bon état. Aussitôt après, donc, les Canadiens décidèrent de poursuivre leurs efforts afin de se porter en direction de Dunkerque. Pour cela, ils choisirent de procéder à la libération de la petite localité de Loon-Plage, située à moins de quatre kilomètres à l’est de Gravelines et seulement à une dizaine à l’Ouest de Dunkerque. Trois compagnies d’assaut quittèrent Bourbourg pour se diriger vers Loon-Plage, mais rencontrèrent, à mi-chemin, souvent lorsqu’elles se trouvaient sur des routes très exposées, une résistance corsée. De durs combats aux abords de Loon-Plage laissaient présager un assaut coûteux en vies humaines.
La réaction des Allemands fut on ne peut plus violente avant qu’ils ne se retirent de la ville. Loon-Plage fut donc, à son tour, libérée, le 9 septembre. Point commun entre toutes ces localités libérées, bien que géographiquement dispersées, elles se situent toutes à la lisière des zones inondées ou minées par les Allemands. Jusqu’alors, ces derniers n’avaient pas offert aux Alliés une forte résistance. A telle enseigne que ces libérations se déroulèrent sans trop de bombardements, ce qui amena les quelques milliers de Dunkerquois restés dans la ville à difficilement croire que les Alliés étaient si proches d’eux sans que cela s’entende davantage. En réalité, les communes jusqu’à présent libérées n’étaient pas celles que le commandant de la garnison allemande de Dunkerque, le vice-amiral Friedrich Frisius, avait envisagé d’englober dans son système de fortification.
À l’approche de Dunkerque, la farouche résistance des Allemands
La résistance fut beaucoup plus nette lorsque les armées canadiennes se présentèrent, le 8 septembre, devant les localités de Bergues et de Spycker, toutes deux situées à moins de huit kilomètres au Sud de Dunkerque et qui appartenaient au dispositif de Frisius, où l’intensité du feu les stoppa net. Les soldats du Reich arrosaient d’obus les véhicules alliés qui tentaient d’approcher tandis qu’aux abords de Bergues, un char canadien fut immobilisé et tout son équipage tué. Il faut comprendre qu’après avoir libéré Bourbourg, les Canadiens souhaitaient mener à terme l’encerclement de Dunkerque et, dans cette optique, gagner le Sud de la poche. Leur objectif était alors le modeste village du Grand Millebrugghe, situé le long du canal de la Haute Colme.
Leur avance fut contenue en raison d’une présence constante des Allemands dans le village à mi-chemin entre Bourbourg et le Grand Millebrugghe, appelé Coppenaxfort. Après de violents échanges de tirs, aux premières lueurs du 9 septembre, les Canadiens pénétrèrent enfin à Coppenaxfort, évacuée par les Allemands. Progressant le long du canal de la Haute Colme, les Canadiens entrèrent dans le Grand Millebrugghe où, tandis qu’ils nettoyaient la résistance ennemie dans les environs immédiats, ils essuyèrent continuellement le feu de l’artillerie et des mortiers.
Le 10 septembre, les Canadiens commencèrent à achever l’encerclement de Dunkerque et le contour de la poche sembla se préciser. Le surlendemain, le 12 septembre, à plusieurs dizaines de kilomètres à l’Ouest, les 12 000 défenseurs allemands du Havre se rendent au terme de bombardements massifs qui engendrèrent la mort de 11 000 personnes, dont 9 000 civils, sans compter les nombreux blessés. Le siège du Havre a duré environ deux semaines. Le lendemain, le 13 septembre, pour encourager la garnison allemande de Dunkerque à la reddition, l’aviation alliée largua sur l’agglomération des tracts annonçant la prise du Havre et le bombardement massif dont cette ville avait été l’objet. Peine perdue.
Des voies d’accès verrouillées
Quelques heures plus tard, pour la première fois depuis le commencement de son siège, Dunkerque était de nouveau la cible de bombardements aériens qui visaient principalement les batteries de D.C.A. (Défense Contre les Aéronefs) allemandes, mais bientôt aussi les communes environnantes. Le 12 septembre, les Canadiens, à l’issue d’une attaque conduite par deux compagnies, étaient parvenus à s’emparer du village de Spycker, qui était compris dans le dispositif de fortification de Dunkerque comme avant-poste. Cela explique pourquoi, pour la première fois depuis le début de ce siège, les Allemands contre-attaquèrent. Deux jours durant, Spycker fut soumis au feu continuel de l’artillerie et des mortiers allemands. Dès lors, dans la nuit du 13 au 14 septembre 1944, les Canadiens furent contraints d’évacuer le village. Ce fut leur premier échec et l’exemple de la résistance que les Allemands pouvaient déployer en cas de pénétration à l’intérieur du périmètre fortifié de la poche. Le 14 septembre 1944, tenus en échec devant Bergues et Spycker, qu’ils assiégeaient depuis six jours, les Canadiens choisissaient de percer la résistance dunkerquoise à un autre endroit du front. Dans ce but, ils se dirigèrent vers l’est de Dunkerque, où ils ne parvinrent à libérer qu’une partie de la petite ville de Bray-Dunes, le long du littoral, après avoir lancé simultanément deux assauts, l’un à travers les dunes, l’autre à travers la ville. En dépit de ce « demi-succès », force est de constater, en ce 14 septembre, que les Canadiens venaient de boucler le périmètre de la garnison allemande cantonnée à Dunkerque, puisque toutes les voies d’accès étaient maintenant verrouillées.
La réduction des avant-postes allemands de la forteresse de Dunkerque était la préoccupation primordiale des Canadiens. Le lendemain, le 15 septembre, l’armée canadienne libérait, non sans difficulté, le village de Ghyvelde, toujours à l’est de Dunkerque, après une première tentative infructueuse deux jours plus tôt, en raison d’un manque de renseignements et d’un appui d’artillerie insuffisant. Dans cette prise de Ghyvelde, le bataillon des Canadiens français perdit une douzaine d’hommes, mais il put s’enorgueillir d’avoir fait 119 prisonniers allemands. La conquête, certes partielle de Bray-Dunes, et de Ghyvelde marqua la limite Est du front de la poche et mit fin aux opérations dans ce secteur. La nécessité pour les Alliés de disposer de renseignements précis relatifs à un objectif, ainsi que l’importance d’une bonne intercommunication entre l’artillerie et l’infanterie étaient le gage de la bonne conduite des opérations. Durant ces dernières journées, de nombreux éléments des Forces Françaises de l’Intérieur traversèrent les lignes allemandes, tant à l’Est qu’à l’Ouest, afin de venir au-devant des Canadiens et prendre part à la libération des localités voisines de Dunkerque. Ainsi, une douzaine de FFI quitta les villages de Rosendaël et de Leffrinckoucke, situés à l’intérieur de la poche, afin de se porter à la rencontre des Canadiens. Entre Ghyvelde et Bray-Dunes, sur le front Est, soixante-dix FFI franchirent les lignes pour rejoindre les Alliés, tandis qu’une vingtaine arrivait à Hondschoote. Il en allait de même pour les réseaux de résistance dunkerquois.
Les armées canadiennes stoppées par les Allemands
Pendant ce temps, à l’intérieur de la poche, dans la nuit du 15 au 16 septembre 1944, les Allemands détruisirent le village de Grande-Synthe, après avoir expulsé les derniers habitants de leurs demeures, pour qu’il ne puisse servir de repère à l’artillerie ennemie qui se trouve à peine à cinq kilomètres à l’Ouest. Le cœur historique du village est anéanti après le dynamitage de l’église et de certaines habitations. Durant cette même nuit du 15 au 16 septembre, Frisius, qui avait longuement hésité, choisit de faire évacuer ses troupes de la ville de Bergues qui sont alors harcelées par l’artillerie canadienne. L’objectif des Allemands n’est plus de gagner du terrain, mais de gagner du temps.
Le beffroi de Bergues est alors dynamité par les Allemands juste après leur départ tôt dans la matinée, ainsi que l’église et un dépôt de munitions que les Allemands ne pouvaient emporter avec eux et qu’ils ne souhaitaient pas laisser entre les mains de leurs ennemis. Puis, en se retirant de Bergues, les Allemands coupent la route reliant Bergues à Dunkerque en creusant une large et profonde tranchée, mettant en communication le canal de Bergues avec les terrains en contrebas de la route.
Après avoir investi Bergues, les Canadiens, accompagnés de résistants locaux, poursuivirent leur avance en direction de Dunkerque en empruntant la départementale 916 afin de contracter le périmètre défensif. Ils sont arrêtés 1 600 mètres plus loin aux abords du village de Coudekerque où les Allemands ont conservé la position fortifiée du Fort Vallières. Entre les 14 et 16 septembre 1944, les unités canadiennes présentes aux abords de Dunkerque, accrochées à leurs positions, rapportèrent, à travers des patrouilles de reconnaissance, que les Allemands renforçaient leurs lignes défensives fortifiées tout le long du front. Le lendemain, le 17 septembre 1944, survint la dernière libération puisque la 5ème brigade d’infanterie canadienne s’empara de la ville de Mardyck, à huit kilomètres à l’Ouest de Dunkerque. La conquête de cette localité marqua la fin des opérations des troupes canadiennes.
Après cela, et à peu de choses près, le front n’évoluera plus. Les effectifs alliés sont alors étirés sur l’ensemble d’un front long de cinquante kilomètres. La poche de Dunkerque s’est donc maintenant stabilisée. Ce même jour, et pour la première fois, l’aviation alliée bombarde le quartier d’état-major du vice-amiral Frisius à Malo-les-Bains et ce, de façon intensive, de l’après-midi jusqu’à la tombée de la nuit, tuant au passage plusieurs civils. Après quoi, l’artillerie succède à l’aviation et la ville de Dunkerque est visée pour la première fois. Pour répondre à ces bombardements, Frisius propose de poser de nouvelles mines dans tous les endroits susceptibles d’être bombardés et de lui faire parvenir des moyens antichars. Le commandant de la forteresse de Dunkerque semble, plus que jamais, redouter une offensive alliée d’envergure, sachant qu’il ne pourra pas la stopper indéfiniment.
Dunkerque sacrifiée pour des raisons stratégiques
Dans la périphérie de Dunkerque, la centrale électrique de l’usine Lesieur fonctionnait sans interruption, sur ordre et sous la surveillance de l’occupant. Après une visite de repérage opérée par le Génie allemand pour le positionnement de charges explosives, le site de la centrale, position avancée vers Bergues, devint aussi un camp retranché au sein de la forteresse. En effet, une compagnie allemande y prit position, entreprit des travaux de défense et s’isola par destruction des ponts et sabordage des péniches afin que les Alliés ne puissent s’en servir pour remplacer les ponts détruits.
Le directeur de la centrale électrique, Paul Brisswalter, écrivit à ce sujet dans son journal : « L’usine est occupée militairement. Des mitrailleuses sont pointées vers l’extérieur à travers des trous pratiqués dans la clôture. (…) Pire que jamais, nous craignons pour l’usine. En ce moment, du nouveau renfort est arrivé, armé jusqu’aux dents. (…) Des engins meurtriers sont braqués de toutes parts. (…) Ces préparatifs laborieux de défense nous laissent supposer que la bataille sera serrée et que l’usine sera le siège d’âpres combats ». Un violent bombardement aérien, qui visait la centrale, le 27 septembre, mit un terme à toute production électrique. Les troupes allemandes quittèrent alors cette position pour refluer vers Dunkerque et s’abriter dans la forteresse.
Par leurs observations aériennes, les Alliés avaient pu constater que les ports de Boulogne-sur-Mer et de Calais n’étaient que partiellement endommagés alors que celui de Dunkerque, détruit et ensablé, était totalement inexploitable. Dans ce contexte, il en ressort que la conquête des forteresses de Boulogne-sur-Mer et de Calais était importante et prioritaire pour la menace que ces places faisaient peser sur la Manche. En revanche, Dunkerque n’avait pas d’intérêt immédiat. Par ailleurs, le Commandant en chef des armées alliées, Dwight Eisenhower estimait qu’une fois les ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer libérés, ils permettraient l’acheminement du ravitaillement des armées qui s’effectuait toujours alors à partir de la Normandie, plus exactement depuis Cherbourg et depuis le port artificiel d’Arromanches. Tout ceci constitua un argument majeur dans les choix qui furent faits. Dès lors, le sort de Dunkerque était scellé : la ville portuaire était, ni plus ni moins, sacrifiée sur l’autel de la stratégie.
Dunkerque ne fut pas attaquée, mais assiégée. La libération de cette ville, symbole du « miracle » de 1940, est différée à la fois par les choix stratégiques des Alliés et par l’acharnement obsessionnel des forces allemandes qui y sont retranchées. Les Alliés restent cependant persuadés qu’isolée, pour ne pas dire marginalisée, la poche de Dunkerque peut cependant capituler d’un jour à l’autre. Au moins, sera faite l’économie des combats et des pertes humaines qui en résultent. Ainsi, dans les jours qui suivent, les éléments de l’armée canadienne, commandées par le général Crerar, défilent les uns après les autres à quelques kilomètres de la forteresse de Dunkerque, portant au passage quelques coups contre ce bastion, sans jamais l’attaquer de front. Il en sera ainsi jusqu’au début du mois d’octobre 1944 lorsque les derniers éléments de l’armée canadienne, qui viennent tout juste de faire tomber Calais, passent non loin du front dunkerquois.
Les FFI prêtent main forte aux Canadiens
D’autres éléments militaires vont donc se déployer autour de la forteresse de Dunkerque en remplacement de la 2ème Division d’infanterie canadienne. Le 22 septembre 1944, le commandant français Edouard Dewulf, entré dans la résistance en 1942 dans le secteur de Dunkerque, reçoit le commandement de toutes les forces FFI du front dunkerquois. Le lendemain, le 23 septembre 1944, le chef d’escadron français Raoul Lehagre est nommé par le commandant la 1ère Région militaire, le général Deligne, commandant de la zone territoriale de Dunkerque avec pour mission la structuration des divers groupes des Forces Françaises de l’Intérieur.
Une tâche difficile l’attend, celle de transformer en troupes régulières des francs-tireurs issus de la clandestinité qui ont, certes, brillé par leur audace, leur combativité, leur mépris du danger et qui sont animés d’une foi et d’un idéal, mais ne sont absolument pas préparés à des opérations de campagne et encore moins à la servitude et à la discipline de troupes régulières. Selon l’ordonnance du Gouvernement Provisoire de la République Française, en date du 9 juin 1944, soit à peine trois jours après le débarquement des Alliés en Normandie, les FFI font partie intégrante de l’armée française et bénéficient de tous les droits et avantages reconnus aux militaires par les lois en vigueur. En ce mois de septembre, pratiquement 1 200 combattants volontaires, de toutes opinions et de formations militaires assez hétérogènes, se virent donc proposer un engagement « pour la durée du siège de Dunkerque plus trente jours », ce qui constituait une formule inédite.
De toute façon, seules comptaient pour eux la participation à la libération de Dunkerque et la possibilité de reprendre, aussitôt après celle-ci, leurs occupations antérieures. Si la très grande majorité de ces volontaires accepta de souscrire à cet engagement, il est à noter que certains jeunes s’engagèrent pour une plus longue durée, tandis qu’une minorité préféra décliner la proposition et rejoindre leurs familles. Les volontaires, qui reçoivent une carte d’identité militaire, sont alors répartis en deux unités : le bataillon « Dunkerque », dirigé par le commandant Bienassis, qui regroupe des hommes de la région de Lille auxquels est adjointe une compagnie FFI de Cassel, et le bataillon « Jean Bart », constitué majoritairement d’éléments locaux évacués de Dunkerque et commandé par Edouard Dewulf qui a autorité sur tous les FFI. Du point de vue du commandement, la situation était devenue plus claire puisque les FFI dépendaient, à présent, d’un état-major français, lui-même en liaison avec celui des Alliés. De plus, l’arrivée progressive de renforts allégea petit à petit l’effort demandé aux résistants locaux, et les effectifs, répartis plus judicieusement, formèrent une ligne cohérente derrière le front, ce qui était loin d’être le cas jusqu’à présent.
Du matériel de combat rudimentaire et des conditions météorologiques difficiles
En ce début de siège, les armes des FFI étaient pour le moins hétéroclites : il y avait celles qu’ils conservaient depuis 1940 ; celles qui avaient et récupérées sur les Allemands ; à cela s’ajoutèrent, petit à petit, les armes gracieusement offertes par les Canadiens, les Anglais et les Tchèques. Le 30 septembre 1944, le 2ème Régiment canadien d’artillerie anti-aérienne lourde fit mouvement depuis Calais, qui capitula le même jour, pour se positionner aux abords de Dunkerque. Mais, les Canadiens s’aperçurent rapidement que leur équipement et leur matériel ne convenaient pas à des combats de siège. Leur artillerie antiaérienne lourde devait désormais être adaptée à un usage terrestre et les Canadiens ne disposaient pas, dans un premier temps, d’obus à percussion pour un éclatement lors de l’impact au sol. Sans compter qu’en cette fin du mois de septembre 1944, les conditions météorologiques sont on ne peut plus défavorables car, avec les pluies de l’automne, les soldats et le matériel pataugent dans la boue des Flandres. Heureusement, les cantonnements, progressivement aménagés, tels de véritables petits villages posés sur le sol, se révèlent assurer un minimum de confort. De part et d’autre d’un front maintenant stabilisé, les soldats allemands assiégés et les soldats alliés vont camper sur leurs positions, se toiser et se combattre. Il en sera ainsi durant les sept mois suivants.
La situation des civils
À l’issue d’une trêve organisée dans les premiers jours du mois d’octobre 1944 entre armées adverses, plus de 17 000 civils ont décidé de quitter la poche de Dunkerque pour rejoindre les territoires libérés. Environ 800 vont, au contraire, faire le choix de demeurer à l’intérieur de la forteresse nazie. L’attachement à leurs modestes biens immobiliers ou la présence de personnes âgées au sein de la cellule familiale sont les raisons les plus courantes qui expliquent le comportement de ceux qui furent bientôt appelés : « les irréductibles ». Trois mois plus tard, le 3 janvier 1945, le vice-amiral Frisius annonce, dans une proclamation, sa décision de créer des camps d’internement, pour les civils restés dans la forteresse. Pour des raisons d’intendance, cette décision ne fut effective que le mois suivant. Cette mesure d’internement de quelques centaines de civils fut, semble-t-il, prise après que l’aérodrome, aménagé par les Allemands sur le site de l’ancien hippodrome de Rosendaël, eut essuyé une concentration de tirs alliés, pouvant laisser supposer une activité d’espionnage au sein de la forteresse.
Les futurs internés français sont naturellement peu enthousiastes à l’idée de quitter leur logis. Le 12 février 1945, Frisius inspecta, pour la première fois, ce qui allait devenir les camps d’internement, c’est-à-dire des pâtés de maisons ceinturés de grillage et de fils barbelés avec une sentinelle à l’entrée, dans lesquels les civils allaient devoir s’entasser. Le soir, dans son journal, Frisius révèle, en quelques phrases, les véritables raisons de cette décision : « Les camps d’internement sont pitoyables à voir. Mais qu’y faire ? Il me faut d’abord les enfermer tous pour mieux me rendre compte de la situation. Ce pourrait être la seule fois dans l’histoire de la guerre, qu’on laisse si longtemps ses ennemis se promener librement dans une forteresse encerclée. J’espère quand même, à cette occasion, pouvoir attraper quelques personnages suspects ». Les civils sont ainsi présentés comme les ennemis des armées d’occupation, Frisius exprimant à leur égard davantage de méfiance que de compassion.
L’internement intervient le 18 février. L’effectif total des civils parqués dans ces camps s’élève alors à 740 personnes, répartis de la façon suivante : 119 personnes rassemblées à Saint-Pol-sur-Mer, à l’Ouest de Dunkerque, 182 personnes regroupées à Malo-les-Bains, à l’Est de Dunkerque, et 266 personnes internées à Coudekerque-Branche, au Sud de Dunkerque. À ces trois camps, il convient d’ajouter 173 personnes âgées qui furent conduites en résidence à la maison de retraite des Petites Sœurs des Pauvres, à Rosendaël. Les « irréductibles » sont, dès lors, bel et bien devenus des prisonniers. Outre les personnes âgées et les enfants, tous les autres civils, âgés au minimum de quatorze ans, sont astreints au travail obligatoire. Cette décision singularise encore davantage la poche de Dunkerque par rapport aux autres poches du littoral atlantique, puisque, dans aucune de celles-ci, les populations civiles, certes plus nombreuses, ne durent quitter leur toit pour se retrouver concentrées dans des camps de prisonniers.
Plusieurs mois d’enlisement
Dans les trois premiers mois de l’année 1945, le siège de Dunkerque balance entre immobilisme et escarmouches. Oublié de tous les communiqués, ce n’est plus qu’une bataille sans le moindre enjeu dans le froid et la boue, ponctuée de duels d’artillerie. Des patrouilles, des accrochages autour d’une ferme isolée, des attaques limitées de part et d’autre du front, tel est le quotidien des combattants. Par ailleurs, l’immobilisme est toujours vecteur d’exacerbation et c’est ce qui émerge, de chaque côté de la ligne de feu, au sein des armées combattantes. Tandis que les troupes alliées sont gagnées par une certaine apathie, les désertions se multiplient au sein de la garnison allemande.
Dans son premier numéro, en date du 10 février 1945, l’hebdomadaire Le Nouveau Nord compare le siège de Dunkerque : « à une guerre du chat et de la souris ». On ne saurait mieux résumer la situation. Plus grave encore, le sort de Dunkerque est totalement ignoré, même dans les informations radiodiffusées, à l’instar de cette émission retransmise par la radio française au soir du 10 mars 1945. Un reporter de guerre y présente alors un exposé consacré « aux fronts oubliés de l’Ouest », et évoque les poches de Lorient, Saint-Nazaire, la Rochelle, Royan et celle de la Pointe de Grave, mais elle ne dit pas le moindre mot de la situation dunkerquoise.
Il ne peut exister pire disgrâce, et ce n’est pas la première fois que la forteresse de Dunkerque se retrouve être la grande oubliée « des fronts oubliés ». Les milieux officiels paraissent donc avoir perdu de vue cette importante cité et son triste destin, et la population française s’en désintéresse au plus haut point. Ignore-t-elle ou feint-elle d’ignorer que des milliers de soldats alliés, dont leurs propres compatriotes, continuent de mener une guerre pénible et meurtrière à l’extrémité septentrionale de la France ? Le siège de Dunkerque semble avoir été totalement occulté par une large partie du pays déjà libéré. Rien ne l’illustre mieux qu’un autre article du Nouveau Nord, le 10 avril 1945. Une enquête, effectuée dans deux communes méridionales, à savoir Albi, préfecture du Tarn, et Nice, chef-lieu des Alpes-Maritimes, révèle que la très grande majorité des habitants de ces deux cités ignore que la ville de Dunkerque et son alentour proche demeurent entre les mains allemandes. En réponse à la question posée, un Niçois s’exclame : « Si Dunkerque était toujours occupé, ça se saurait ». Ailleurs, une Albigeoise lança à sa locataire dunkerquoise : « Rentrez dans votre pays ! », impatiente de louer son bien à des personnes capables de payer un loyer plus élevé. Dunkerque a sombré dans l’oubli.
Le mois d’avril 1945 met néanmoins fin à cette léthargie. L’offensive lancée le 9 avril par le vice-amiral Frisius représente l’ultime initiative allemande et, par ailleurs, la dernière de toute la Seconde Guerre mondiale en territoire français. Cette offensive, aussi périlleuse qu’inattendue, qui permit aux troupes assiégées de progresser de deux kilomètres, entraîna, quelques jours plus tard, l’organisation d’une nouvelle trêve entre armées adverses avec l’échange des soldats faits prisonniers lors de cette offensive et une deuxième évacuation des civils restés dans la poche.
Une libération tardive
La libération de la forteresse de Dunkerque n’intervient qu’au début du mois de mai 1945, à la suite de la capitulation de la garnison allemande, consécutivement à la chute du IIIème Reich. Lorsque Dunkerque recouvra la liberté, la déception fut cependant grande pour les civils « irréductibles », car ces derniers pensaient pouvoir rester. Or aussitôt délivrés, ces quelques centaines de personnes durent immédiatement être évacuées par camions, sur ordre des Britanniques qui prirent possession de la place forte qui leur avait résisté si longtemps.
Le représentant de la mairie de Malo-les-Bains, informé de l’évacuation de la population civile demeurée dans la poche, écrivit à ce sujet : « La consternation et le découragement éclatèrent. Nous décidâmes de ne partir que par la force et sous la menace d’être mitraillés ! Il fallut néanmoins s’exécuter ». Les civils internés au camp de Saint-Pol-sur-Mer résistèrent toutefois aux injonctions britanniques et ne furent évacués que trois jours plus tard, le 12 ou 13 mai 1945. Entassés pêle-mêle dans les camions et conduits à Hazebrouck, tous les civils se virent servir un copieux repas, tandis que la Sécurité Militaire vérifiait leurs papiers. Puis, ils eurent à subir, individuellement, un interrogatoire, afin de connaître les raisons qui les avaient poussés à demeurer dans la poche : les Alliés étaient à la recherche, parmi les civils, de personnes ayant collaboré ou fraternisé avec les Allemands. Les quelques centaines de personnes demeurées dans la forteresse allemande n’avaient pas bonne presse auprès des autres civils qui avaient quitté la poche l’année précédente, persuadés qu’il ne pouvait s’agir que de collaborateurs. Sur les 600 civils, une cinquantaine environ fut maintenue sous surveillance par les autorités alliées. Quelques-uns d’entre eux eurent à rendre des comptes aux cours de justice.
À l’issue de cet interrogatoire, la plupart des civils gagnèrent le centre d’accueil de Lille. A l’unanimité, ils auraient encore préféré rester quelques jours dans leur camp respectif plutôt que d’être obligés de s’éloigner à plusieurs dizaines de kilomètres de l’agglomération dunkerquoise, qu’ils étaient parvenus, du moins jusqu’à présent, à ne pas quitter.
Pendant les huit mois du siège, s’était creusé un hiatus entre l’état de guerre prolongé à Dunkerque et une France qui, presque entièrement libérée, s’attelait déjà à sa reconstruction. Pour la majorité des Français, la Libération avait déjà été célébrée et consommée durant l’année 1944. La chute de la forteresse de Dunkerque est d’autant plus passée inaperçue dans le reste de la France que l’annonce de sa reddition fut largement couverte par la proclamation officielle de la capitulation du IIIème Reich. Les grands mouvements de foule de Parisiens euphoriques dans la capitale, le 8 mai 1945, ne célébraient évidemment pas la libération de Dunkerque ou des autres poches du littoral atlantique, mais bien la chute de l’Allemagne nazie.
Par ailleurs, la France est alors en pleine période électorale, entre les deux tours des élections municipales. Premier scrutin organisé depuis 1937, soit depuis huit ans, il est d’autant plus important que, pour la première fois, les femmes sont autorisées à voter. L’organisation d’une telle élection démontre parfaitement que la situation de Dunkerque et des autres forteresses était largement occultée par le Gouvernement Provisoire de la République Française. Le général de Gaulle, à la tête de ce gouvernement, pressé d’organiser des consultations électorales, n’attendit donc pas la fin de la guerre pour en arrêter les dates.
Outre les dizaines de milliers de Français encore sous le joug nazi, d’autres électeurs étaient également privés de ce scrutin, comme les prisonniers de guerre, pas encore de retour, les survivants des camps d’extermination et les civils engagés dans l’armée française. L’organisation de ce premier scrutin post-guerre témoigne d’une France à deux vitesses. Ce n’est que quelques semaines plus tard que l’agglomération dunkerquoise en ruine assista au retour progressif de ses habitants.
C’est alors que l’été 1945 marque, non sans difficultés, la renaissance du territoire dunkerquois. Celle-ci passe, avant tout, par le déminage du territoire fraîchement libéré, mené par les prisonniers de guerre allemands, avant que ne soient mesurées l’ampleur des destructions et l’énormité de la tâche qui attend les pouvoirs publics.
Avant la fin de l’année 1945, place est faite à l’ébauche de la reconstruction…