Comment analysez-vous et expliquez-vous les résultats des dernières élections générales ? Êtes-vous d’accord avec l’idée que le PSOE aurait connu une douce défaite et le PP une victoire amère ?
Le PSOE a progressé d’un million de voix depuis 2019, réunissant 31,7 % des suffrages, et il a aussi gagné des sièges après une législature extraordinairement difficile. Aujourd’hui, il est le seul parti qui pourrait gouverner, en coalition avec Sumar, s’il obtient suffisamment de soutien des autres groupes parlementaires. Au contraire, malgré sa victoire en voix et en sièges, il semble que le PP serait incapable d’obtenir la majorité absolue. Pour qu’il y parvienne, il faudrait que Junts décide d’ouvrir la porte à un gouvernement de droite et d’extrême droite.
Le recomptage du vote des étrangers, qui donne un siège supplémentaire au PP, au détriment du PSOE, ne change rien à la situation : c’est Junts qui devra décider s’il s’allie au PP et à VOX, ou s’il préfère s’associer aux autres forces politiques pour l’éviter et faciliter l’investiture de Pedro Sánchez.
Rappelons, une fois encore, que nous sommes dans une démocratie parlementaire et que, par conséquent, le fait d’être le parti ayant obtenu le plus de voix ne garantit pas la présidence du gouvernement, comme cela s’est déjà produit dans de nombreuses mairies et communautés autonomes.
S’attendait-on à de tels résultats dimanche ?
Pendant la campagne, nous avons constaté une mobilisation croissante de l’électorat progressiste, notamment parmi les travailleurs, les femmes, les organisations environnementales, le monde de la culture, les groupes LGBTQIA+… Bien sûr, notre perception ne coïncidait pas du tout avec la majorité des sondages, qui donnaient même la majorité absolue au PP. Et le vote de l’étranger a confirmé la poussée socialiste, à l’exception de Madrid.
Qu’est-ce qui a permis d’inverser les résultats des élections locales du 28 mai dernier ? Y a-t-il eu un véritable changement de stratégie au sein du PSOE ou peut-on dire que le PP a mené une mauvaise campagne ?
Je pense que notre stratégie de campagne a été cruciale, tout comme la capacité de Pedro Sánchez à répondre avec pugnacité aux attaques et aux mensonges de ses adversaires. Fort de d’une importante présence médiatique, il a été capable d’expliquer l’importance des actions du gouvernement de coalition. La campagne a aussi fait clairement apparaître les convergences entre le PP et Vox : Feijóo a approuvé la politique menée par les coalitions PP-Vox dans les gouvernements locaux et régionaux sans le moindre scrupule. Il n’a cessé de recourir au mensonge comme arme politique.
Pedro Sánchez a déclaré qu’il ne voulait pas de nouvelles élections. Comment l’éviter et quelles sont les perspectives aujourd’hui ?
Le président Sánchez attache une grande importance à la stabilité. À juste titre. C’est un moment crucial pour l’Espagne, avec de grandes opportunités, grâce au plan de relance, de transformation et de résilience (PRTR), financé par des fonds européens. Le PRTR nous permet d’avancer la transition verte et numérique de notre économie, de renforcer notre cohésion sociale et territoriale, de progresser dans l’égalité effective entre les hommes et les femmes… Une autre élection pourrait ralentir la mise en œuvre de ces fonds et freiner les investissements étrangers, qui atteignent les niveaux les plus élevés de ces vingt dernières années. Je suis donc certaine que Pedro Sánchez fera tout ce qui est en son pouvoir pour garantir cette stabilité, en obtenant le soutien des groupes parlementaires qui souhaitent un gouvernement progressiste.
Pedro Sánchez cherchera-t-il à obtenir l’investiture coûte que coûte ? Peut-il outrepasser certaines de ses lignes rouges ?
Notre ligne rouge est la Constitution. Nous ne ferons aucune concession qui franchirait cette ligne rouge.
Que pensez-vous de la proposition de coalition PSOE-PP qu’a faite Alberto Nuñez Feijóo ?
C’est du pur cynisme. Elle n’est pas crédible, pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, Feijóo a axé sa campagne sur la promesse d’« abroger le Sanchismo », et il l’a insulté et discrédité à plusieurs reprise, ainsi que son gouvernement. Dans l’hypothèse où le PSOE ouvrirait la porte à une alliance le PP, quel pourrait être le programme du gouvernement qui en résulterait ?
Deuxièmement, il y a 50 municipalités et 2 communautés autonomes où le parti arrivé en tête lors des élections du 28 mai était le PSOE, mais où le PP a décidé de gouverner avec le soutien de Vox, en acceptant sans honte des conditions qui, me semble-t-il, embarrassent de nombreux électeurs du PP. Nous assistons à une dangereuse dérive du PP, même lorsqu’il gouverne avec une majorité absolue et qu’il n’a pas besoin du soutien de Vox, qui démontre sa droitisation croissante.
Et troisièmement, il est clair qu’au sein du PP il y a des positions très différentes : certaines, comme celle de Isabel Díaz Ayuso, la très droitière présidente de la Communauté de Madrid, plus en ligne avec Vox, sont absolument opposées à tout accord avec le PSOE. La proposition de Feijóo n’a même pas le soutien unanime de son parti…
Par contre, il serait possible de conclure des pactes ponctuels avec le PP sur des questions telles que la politique étrangère, la lutte contre le djihadisme, la violence de genre ou l’urgence climatique… ces questions devraient être très transversales. Pourtant, même dans ces domaines, le PP ne fait pas preuve du sens de l’État nécessaire.
Les clefs d’un monde cassé.
Du centre du globe à ses frontières les plus lointaines, la guerre est là. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine nous a frappés, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.
Notre ère est traversée par un phénomène occulte et structurant, nous proposons de l’appeler : guerre étendue.
Pensez-vous que quelque chose devra changer dans un éventuel nouveau gouvernement et dans le mandat de Pedro Sánchez par rapport au précédent ? Faudra-t-il faire certaines choses différemment ?
Nous avons tiré certaines leçons. Pour obtenir un large soutien de l’électorat, il ne suffit pas d’adopter de nombreuses mesures qui bénéficient à la grande majorité de la population : les prêts ERTE et ICO qui ont permis de maintenir 3 millions d’emplois et 150 000 entreprises pendant la pandémie ; la revalorisation des pensions de neuf millions de retraités, conformément à l’évolution de l’IPC ; l’augmentation de près de 50 % du salaire minimum, qui bénéficie à deux millions de personnes, en particulier les femmes et les jeunes. Une réforme du travail qui a permis d’intégrer deux millions de personnes supplémentaires sur le marché de l’emploi et de réduire considérablement le chômage et les emplois précaires n’est pas suffisante pour relancer la perspective du plein emploi en Espagne.
Non, tout cela ne suffit pas si chaque citoyen ne perçoit pas clairement l’effet de ces actions. Il est donc nécessaire de lutter efficacement contre la désinformation et les mensonges qui ont gravement empoisonné l’opinion publique, en utilisant tous les canaux existants pour favoriser le contact le plus étroit possible avec les citoyens. Il est également nécessaire d’améliorer leur accès aux administrations publiques et aux prestations sociales auxquelles ils ont droit.
Nous sommes bien conscients qu’il n’est pas facile de répondre à ces questions dans un contexte politique et médiatique qui n’est pas favorable : 140 conseils municipaux et la plupart des communautés autonomes ont des gouvernements PP (alliées — ou non — avec Vox), tandis que la plupart des médias sont favorables à la droite… Cependant, les résultats des élections générales démontrent qu’il est possible de faire entendre la vérité à l’opinion publique et à mobiliser ainsi une bonne partie de l’électorat.
Que peuvent nous dire les élections législatives des élections européennes de l’année prochaine ? Quelle sera la stratégie du PSOE ?
En Espagne, l’extrême droite a reculé : Vox a perdu 19 députés, brisant ainsi une tendance qui s’était clairement renforcée ces dernières années. Il ne fait aucun doute que de nombreux citoyens (en particulier des citoyennes) ressentent déjà directement les conséquences de la présence de Vox dans les institutions. Le PSOE fera tout son possible pour que ce déclin se confirme lors des élections européennes : il est crucial d’empêcher la progression des partis qui défendent une idéologie eurosceptique, révisionniste, climatosceptique, xénophobe, sexiste… Pour les combattre, le PSOE identifiera et, le cas échéant, dénoncera toutes les actions de Vox qui sont contraires à la loi et aux droits de l’homme — y compris le droit à la sécurité face au changement climatique, qui est déjà inscrit dans de nombreuses Constitutions.
Ces résultats permettront-ils à l’Espagne d’assurer pleinement la présidence du Conseil de l’Union européenne ?
Oui, tout à fait. Je sais à quel point les institutions européennes sont soulagées que le risque d’un gouvernement d’extrême droite en Espagne ait disparu. L’agenda de cette présidence est particulièrement intense, puisque la suivante sera marquée par les élections au Parlement européen. Il existe beaucoup de sujets de grande importance pour les pays membres — l’élaboration de nouvelles règles fiscales ; la réforme du marché de l’électricité ; la politique migratoire ; notre ligne face à l’invasion de l’Ukraine, etc. — et il est important de faire bon usage de cette période de six mois pour parvenir à tous les accords possibles sur ces sujets. Le gouvernement de Pedro Sánchez a fait preuve de leadership au sein de l’Union européenne dans des moments extraordinairement difficiles, et son probable maintien est perçu positivement.