• Les premiers mois de mandat de Lula ont notamment été marqués par une politique volontariste en faveur de l’Amazonie  : création inédite d’un ministère des peuples autochtones, opération humanitaire pour secourir les Yanomami, lutte contre l’orpaillage, proposition d’accueillir la COP30 dans la ville de Belém — aux portes de l’Amazonie —, reprise du Fonds Amazonie. Cependant, depuis le 23 mai le Congrès National (Chambre des députés et Sénat) manœuvre pour réécrire ces politiques selon des objectifs rappelant ceux de l’ancien locataire du Palais du Planalto, Jair Bolsonaro. 
  • La politique environnementale a généré des débats après le refus le 17 mai de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA, dépendant du Ministère de l’Environnement) d’octroyer une licence de forage à l’entreprise Petrobras dans la baie de l’embouchure de l’Amazone. Cette décision a pris une telle importance que la ministre de l’environnement Marina Silva est allée jusqu’à défendre son administration, en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’une opposition idéologique à toute forme d’exploitation de l’Amazonie1.

Le 23 mai, une Commission mixte parlementaire composée de députés et sénateurs a approuvé la mesure provisoire (MP) 1154 visant à réorganiser l’ « Esplanade des Ministères » (en référence à l’avenue centrale de Brasilia le long de laquelle s’alignent tous les ministères)  : comprendre les attributions du ministère de l’environnement et du ministère des peuples indigènes. Cette mesure provisoire prévoit que la démarcation des terres indigènes passe du ministère des peuples indigènes au ministère de la justice, ne lui laissant que les prérogatives de la défense et de la gestion de ces terres. Le ministère de l’environnement perdrait de son côté la gestion du cadastre environnemental rural et de l’Agence Nationale des Eaux et de l’Assainissement Public2. Dans les faits, les changements prévus par cette mesure provisoire reviendraient à une organisation administrative similaire à celle en vigueur sous le gouvernement Bolsonaro. Marina Silva a ainsi déclaré qu’il s’agit d’une tentative « d’instaurer le gouvernement Bolsonaro dans le gouvernement Lula ». 

  • En parallèle, le 24 mai la Chambre des Députés a voté en faveur d’une demande de passage en urgence de la proposition de loi 490/07 sur le cadre temporel de la démarcation des terres indigènes3. Cette proposition comprend deux mesures phares  : que les terres indigènes soient définies en fonction de leur occupation au moment de la proclamation de l’actuelle Constitution brésilienne, le 5 octobre 1988, et que cette démarcation ne soit plus réalisée par la Fondation Nationale des Peuples Indigènes (FUNAI) mais par le pouvoir législatif4. Concernant la première mesure, il s’agit d’un accroissement des critères restrictifs de démarcation des terres. Il faudrait en effet pouvoir prouver qu’elles sont habitées de manière permanente depuis 1988, qu’elles soient utilisées dans le cadre d’activités de production et que leur démarcation soit nécessaire à la préservation des ressources naturelles et la reproduction physique et culturelle, des éléments difficiles à fournir pour des peuples entretenant peu (voire pas) de contact avec l’extérieur et n’étant pas intégrés dans la société de consommation. 
  • La seconde mesure, justifiée par le fait qu’il s’agit d’un sujet qui dépasse la seule politique indigéniste, se comprend par l’influence très importante du lobby de l’agro-négoce au Congrès National, qui souhaiterait pouvoir influer sur la démarcation des terres. 

Ces manœuvres politiques ne seraient cependant pas possibles sans l’aval tacite de Lula lui-même, qui cherche très certainement à s’assurer des alliés dans le centrão — groupe de petits partis politiques sans idéologie membre de la plupart des coalitions gouvernementales. 

  • En effet la relative faiblesse du Parti des Travailleurs au Congrès (il n’y a pas de majorité absolue) conditionne la réalisation de ces alliances dangereuses par l’exécutif pour pouvoir gouverner. Marina Silva étant une des principales figures de l’aile la plus à gauche du camp Lula, son départ permettrait un rapprochement du gouvernement vers le centre de l’échiquier politique. Il est à noter que le compte Twitter du Parti des Travailleurs au Sénat a célébré la mesure provisoire5.

Cette volonté de se rapprocher de ces partis est renforcée par une divergence croissante entre Lula et Marina Silva6. Le refus de l’octroi de licence à Petrobras dans l’embouchure de l’Amazone n’est pas du goût du président de la République, qui prône le développement économique de l’Amazonie7, au risque de faire des concessions sur la politique environnementale — il souhaite par ailleurs relancer cette entreprise publique stratégique, en perte de vitesse depuis la campagne anti-corruption Lava Jato.

  • Le fait de ne pas avoir été informé au préalable de la décision de l’IBAMA par sa ministre aurait été vécu par Lula comme une trahison. Une crise similaire entre ces deux personnalités a déjà eu lieu en 2008, entraînant le départ de Marina Silva de ce même ministère. 

Il est donc probable que ces manœuvres amènent des changements à Brasilia. À ce stade la démission de Marina Silva semble très probable, mais elle pourrait être suivie de celle d’autres ministres de la gauche du camp présidentiel, comme Sônia Guajajara, la ministre des peuples autochtones, qui s’est montrée très critique quant à cette nouvelle orientation de la politique environnementale de Lula, et dont le ministère se trouverait vidé de sens par la mesure provisoire.

  • Ces changements internes auront aussi des répercussions sur l’accord commercial Union européenne-Mercosur. La question environnementale, en particulier celle de la protection de l’Amazonie, avait été abondamment utilisée sous Jair Bolsonaro pour bloquer les négociations et contraindre le Brésil à des actions concrètes sur ce sujet. Les concessions de Lula à la frange pro-exploitation de l’Amazonie au Congrès pourraient se traduire par un nouveau ralentissement des négociations avec les Européens.

Enfin une personne reste absente de ces manœuvres politiques  : Jair Bolsonaro. L’ancien président, de retour au Brésil depuis le 30 mars, essaie de se poser en tête de l’opposition mais sans mandat électoral, ne dirige pas ce processus législatif. Au contraire, Arthur Lira, président de la Chambre des Députés et proche de Bolsonaro, défend fortement la mesure provisoire.

Sources
  1. Compte Twitter de Marina Silva, 24/05/2023, https://twitter.com/MarinaSilva/status/1661428439939727361?t=HADq-tQ4Bpd-bSmkG6ywTQ&s=19.
  2. Eduarda Esteves, Noticias UOL, Guajajara se diz frustrada com Lula sobre MP que afeta demarcação de terras, 24/05/2023.
  3. Carol Siqueira, Agência Câmara de Notícias, Câmara aprova urgência para marco temporal na demarcação de terras indígenas, 24/05/2023.
  4. Murilo Souza, Agência Câmara de Notícias, Projeto transfere ao Poder Legislativo a competência para demarcar terras indígenas, 01/11/2007.
  5. Compte Twitter du groupe du Parti des Travailleurs au Sénat, 24/05/2023, https://twitter.com/PTnoSenado/status/1661469628068159489?t=3yYbhG3X3815ojdGJnfHRA&s=19.
  6. Ana Carolina Amaral, Folha de São Paulo, Lula se sentiu traído por Marina em decisão do Ibama, dizem interlocutores do governo, 25/05/2023.
  7. Compte Twitter de Luiz Inácio Lula da Silva, 22/05/2023, https://twitter.com/LulaOficial/status/1660426550993383426?t=i402P6GmZNZnZo7FWgqaFg&s=19