Dimanche 14 mai, le président Recep Tayyip Erdoğan, au pouvoir depuis 2014, est arrivé en tête du premier tour avec 49,52 % des suffrages contre 44,88 % pour Kılıçdaroğlu. Faute d’avoir atteint le palier de 50 % des voix, un second tour se tiendra dimanche 28 mai.

Bien qu’il s’agisse de son score le plus faible depuis 2014, l’actuel président semble bien positionné pour être réélu.

  • Erdoğan avait été élu dès le premier tour en 2014 (avec 51,79 % des voix) et en 2018 (52,59 %), contre des candidats qui ne disposaient pas d’une base aussi importante que celle de Kılıçdaroğlu.
  • S’il n’a pas été élu dès le premier tour cette année, sa coalition — l’Alliance populaire — a obtenu une majorité de 323 sièges à la Grande Assemblée nationale, contre 212 pour l’Alliance de la nation au sein de laquelle le parti de Kılıçdaroğlu, le Parti républicain du peuple, est majoritaire.
  • Lundi 22 mai, le candidat Sinan Oğan, arrivé troisième au premier tour avec 5,17 % des voix, a annoncé soutenir le président Erdoğan pour le second tour. Il est toutefois incertain que ce soutien soit décisif, alors que l’Alliance électorale dont Oğan était le candidat a éclaté un jour auparavant1.

Le score obtenu (toutefois inférieur à la majeure partie des sondages) par Kılıçdaroğlu ainsi que le large soutien politique dont il bénéficie toujours (via la « Table des Six », autour du CHP) pourrait toutefois convaincre une partie des électeurs d’Oğan et de Muharrem İnce (0,43 % des voix au premier tour) — d’autant que le bilan d’Erdoğan, en particulier en matière d’économie, est marqué par une inflation largement supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE (72,3 % en augmentation annuelle en 2022).

Il est peu probable que l’élection potentielle de Kılıçdaroğlu dimanche change significativement la position de la Turquie vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie.

  • Au cours d’un entretien avec la chaîne américaine CNN vendredi 19 mai, Erdoğan évoquait la « relation spéciale » qui existe entre la Turquie et la Russie. Selon l’actuel président, les deux pays ont « besoin l’un de l’autre dans tous les champs possibles »2.
  • Depuis le début du conflit, la Turquie revendique une politique étrangère « indépendante » : le pays a fourni des drones tactiques Bayraktar TB2 à Kiev, des munitions ainsi que des véhicules de transport d’infanterie tout en continuant d’approfondir ses liens avec Moscou.
  • Si Kılıçdaroğlu serait probablement moins virulent vis-à-vis de l’Occident et pourrait plaider pour un retour à un « optimisme euro-atlantique », les deux candidats n’entendent pas « s’aligner » sur Moscou ou sur Kiev3.
  • Le principal conseiller en politique étrangère de Kılıçdaroğlu, Ünal Çeviköz, a néanmoins déclaré que le président du Parti républicain du peuple chercherait à redorer le blason de la Turquie en matière de droits de l’homme, notamment vis-à-vis de la minorité kurde4.

Tandis que l’écart significatif entre les prédictions des instituts de sondages et les résultats du premier tour ont conduit la livre turque a son niveau le plus bas vis-à-vis du dollar américain vendredi 26 mai, Kılıçdaroğlu déclarait dans The Economist vouloir faire de la Turquie « un modèle pour les autres pays qui luttent contre des gouvernements autoritaires », et ainsi rapprocher le pays de ses alliés occidentaux « sur les plans politique, économique, social et culturel »5.

Sources
  1. Ben Hubbard et Gulsin Harman, « Erdogan Secures Endorsement of Former Rival for President », The New York Times, 22 mai 2023.
  2. Tamara Qiblawi et Isil Sariyuce, « Erdogan hails ‘special relationship’ with Putin ahead of crucial Turkey runoff vote », CNN, 19 mai 2023.
  3. Maxim Edwards, « Erdogan Is a Key Player in Ukraine—on Both Sides », Foreign Policy, 22 mai 2023.
  4. Nektaria Stamouli, « Turkey’s anti-Erdoğan opposition vows a reset on EU and NATO », Politico, 15 mars 2023.
  5. Kemal Kılıçdaroğlu, « A more democratic Turkey is within grasp, says Kemal Kilicdaroglu », The Economist, 5 mai 2023.