La livre sterling n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. Si la monnaie anglaise a été la monnaie internationale au XIXème siècle1, elle a commencé à perdre son rôle de principale monnaie internationale dans l’entre-deux guerres, pour être définitivement supplantée par le dollar américain à compter de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Certes, la monnaie émise par la « vieille dame » a de beaux restes et continue d’être utilisée dans des opérations de financement internationaux et comme monnaie de réserve. Mais l’arrivée de l’euro a porté le coup de grâce de ce déclassement, auquel le Brexit n’a rien arrangé. 

Les fonctions d’une monnaie internationale sont généralement présentées comme étant triples  : moyen de paiement, unité de compte et réserve de valeur. Sur ces trois fonctions, l’utilisation de la livre sterling comme monnaie internationale est en déclin. Cependant, cette « sortie » n’est pas encore achevée. La monnaie britannique joue encore un rôle plus important que ce que l’économie britannique ne lui permettrait. Parmi les trois facteurs généralement étudié comme pouvant affecter le rôle international d’une monnaie, à savoir l’importance économique du pays d’origine, la capacité et la disponibilité en liquidités des marchés financiers et l’inertie historique (ou l’hystérésis) de la détention d’une monnaie internationale, le dernier est ici à retenir. Ce facteur est particulièrement important pour le cas de la livre sterling, dans la mesure où celle-ci reste une monnaie de réserve — elle représente environ 5 % des réserves de change mondiales2 alors que le Royaume-Uni ne représente qu’un peu moins de 3 % du PIB mondial. De ce point de vue, le Brexit pourrait apparaître comme l’événement déclencheur de la disparition de la livre sterling comme monnaie de réserve internationale, du fait de la faiblesse de l’économie britannique.

Le Brexit pourrait apparaître comme l’événement déclencheur de la disparition de la livre sterling comme monnaie de réserve internationale, du fait de la faiblesse de l’économie britannique.

Hubert de Vauplane

C’est néanmoins dans ce cadre que s’inscrit le projet de créer une livre sterling numérique.  

Le gouvernement britannique et la Banque d’Angleterre ont annoncé en février 2023 étudier officiellement la faisabilité d’une « livre numérique ». Bien que la décision ne soit pas prise, ils estiment qu’il est « probable » d’émettre une livre numérique à l’avenir. Cette annonce fait suite à des travaux préparatoires lancés en 2020 ; en mars de cette année-là, la Banque d’Angleterre a publié un document de discussion sur les opportunités et les défis potentiels des CBDC3 et a invité un large éventail de parties prenantes à lui faire part de leurs commentaires. 

D’autres documents et travaux ont suivis, lesquels ont essentiellement consisté à affiner les questions et les positions exposées dans le document de discussion initial. C’est ainsi qu’en novembre 2021, la Banque d’Angleterre et le Trésor britannique ont annoncé qu’ils continuaient à étudier la possibilité d’une CBDC au Royaume-Uni et qu’ils présenteraient leurs réflexions dans le cadre d’une consultation publique. Ils ont réaffirmé qu’il n’était pas encore prévu d’introduire une CBDC — et encore moins de remplacer les espèces4.

Si aucune décision n’est encore prise, la Banque d’Angleterre indique qu’il est nécessaire et souhaitable de se préparer à un tel lancement, au regard de l’évolution du contexte international, notamment des projets initiés par d’autres pays, et du rôle des « monnaies privées » comme les actifs numériques et les stablecoins. Sir John Cunliffe, gouverneur adjoint de la Banque, appuie cette position :  « Si l’on en croit les tendances actuelles, une livre numérique présenterait des avantages et serait probablement nécessaire ». En collaboration avec le Trésor britannique, la Banque d’Angleterre a ainsi lancé en février 2023 une consultation sur le besoin potentiel d’une livre numérique et sur ses idées de conception. Elle indique cependant qu’il faudra attendre plusieurs années avant qu’une décision ne soit prise sur son introduction. Selon Sir John Cunliffe, la phase de planification prendrait « deux à trois ans », suite à laquelle « une décision [quant au lancement] serait prise ». Toutefois, ce lancement n’interviendra pas avant la seconde moitié de la décennie.

Il faudra attendre plusieurs années avant qu’une décision ne soit prise sur l’introduction de la livre numérique.

Hubert de Vauplane

La Banque d’Angleterre suggère dans sa consultation de 2023 qu’un partenariat entre les secteurs public et privé serait l’approche la plus efficace. La Banque formerait l’infrastructure de base, tandis qu’une série de fournisseurs du secteur privé offriraient des services aux clients. Elle espère que cette approche favorise l’innovation et réduise les obstacles pour les nouveaux entrants.

La commission des affaires économiques de la Chambre des Lords a publié un rapport sur les CBDC en janvier 2022. Intitulé Central bank digital currencies : a solution in search of a problem, le rapport se montre prudent sur l’idée :

« L’introduction d’une CBDC au Royaume-Uni aurait des conséquences considérables pour les ménages, les entreprises et le système monétaire pour les décennies à venir et pourrait présenter des risques importants en fonction de la manière dont elle est conçue. Ces risques comprennent la surveillance par l’État des choix de dépenses des gens, l’instabilité financière lorsque les gens convertissent leurs dépôts bancaires en CBDC pendant les périodes de stress économique, une augmentation du pouvoir de la banque centrale sans contrôle suffisant, et la création d’un point de défaillance centralisé qui serait la cible d’un État-nation hostile ou d’acteurs criminels »5.

Le rapport conclut que, bien qu’il puisse y avoir certains avantages, la Commission « n’a pas encore entendu d’arguments convaincants pour expliquer pourquoi le Royaume-Uni a besoin d’une CBDC pour le commerce de détail ». Ce constat a été repris par la Chambre des Communes dans un rapport publié en mars 20236 ; selon celui-ci, les cas d’usage d’une CBDC n’apparaissent pas vraiment convaincants pour justifier du lancement d’une monnaie numérique pour les besoins quotidiens. Au-delà même des réticences psychologiques qui peuvent apparaître quant à l’utilisation d’une CBDC, les avantages pour les consommateurs et les entreprises ne semblent pas déterminants, tout au moins à ce stade. Enfin, et ce n’est pas là le moins important, la commission de la Chambre des Lords a souligné l’importance d’un contrôle parlementaire de toute décision et des dispositions associées découlant des futurs travaux de la task force. En Grande-Bretagne comme au sein de l’Union ou des États-Unis, le dernier mot revient ainsi au politique. 

Sources
  1. R. Viquéry, « The Rise and Fall of Global Currencies over Two Centuries », Banque de France, Working Paper n° 882, juillet 2022.
  2. Au 3ème trimestre 2022, la livre sterling représentait moins de 500 milliards de dollars de réserves de change utilisés par les banques centrales, contre 10.000 milliards pour le dollar US, 6.500 milliards pour l’euro et 550 milliards pour le yen. Voir à ce titre le site du FMI.
  3. « Central Bank Digital Currency : Opportunities, challenges and design : a discussion paper », Banque d’Angleterre, 12 mars 2020.
  4. Banque d’Angleterre, « Statement on Central Bank Digital Currency next steps », 9 novembre 2021.
  5. Commission des affaires économiques, « Central bank digital currencies : a solution in search of a problem ? », 13 janvier 2022, HL Paper 131.
  6. House of Commons, « Central bank digital currencies : the digital pound », 8 mars 2023, n° 9191.