Une première question est nécessaire pour bien cadrer le sujet dont nous traitons, à savoir le plan national italien de relance et de résilience (PNRR), le principal programme financé au niveau européen par les fonds de Next Generation EU, à hauteur de 191 milliards d’euros : qu’est-ce qui a conduit à ce que l’Italie soit le premier pays en termes de fonds alloués ?
Andrea Capussela
Le plan européen est important, surtout parce qu’il contraste avec la réponse de l’Union et des États membres à la crise financière mondiale, à la récession et à la crise de la dette souveraine de 2008. À l’époque, la réponse avait été tardive, timide, de nature à rompre la solidarité entre pays débiteurs et créanciers, selon les catégories utilisées à l’époque. Une réponse de nature qualitativement différente a été apportée, au contraire, à la pandémie : la solidarité européenne a été forte et il a été décidé d’utiliser la dette commune pour financer les investissements des pays membres. Bien sûr, cela n’a pas ouvert la voie vers des biens publics européens comme certains l’avaient espéré, probablement aussi en raison d’une question de temps nécessaire pour calibrer un tel projet, mais le financement et le transfert de ressources de l’Union vers les États soutenus par la dette commune est sans nul doute un pas en avant.
L’orientation du plan est évidente : transition verte, transition numérique, inclusion et cohésion. Or ce qui est important, indirectement, c’est qu’il clôt un chapitre du débat sur les euro-obligations qui dure depuis une quinzaine d’années : aujourd’hui, nous avons des obligations européennes qui soutiennent un programme d’investissement. Certains pourraient y voir une forme d’union fiscale, bien que temporaire. On peut aussi l’interpréter autrement, mais il est certain que cette initiative aura un impact sur l’avenir de ce débat : si elle réussit, elle sera un argument en faveur de ceux qui, à l’avenir, pousseront pour une plus grande union fiscale, naturellement soutenue par une union politique plus forte ; si elle échoue, elle donnera plus de substance aux arguments contre cette perspective. C’est en ce sens que la situation italienne est cruciale : le succès se mesurera avant tout en Italie, qui est d’une part le principal bénéficiaire des fonds mobilisés par Next Generation EU, et d’autre part le véritable homme malade de l’Europe depuis plus d’une décennie.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Ce potentiel moment hamiltonien pour l’Europe mentionné par Andrea Capussela est intéressant.
Avant même l’union fiscale, je dirais que Next Generation EU représente la prémisse d’un plan visant à créer des biens publics européens, ce qui, à son tour, est logiquement, philosophiquement et politiquement la prémisse de l’instrument financier. Est-il possible de créer des biens publics européens ? Pour moi, oui, sans aucun doute — et cela a commencé avec les politiques d’achats conjoints de vaccins. J’ai fait partie de la task force italienne sur le Covid-19 et j’ai participé au niveau européen aux discussions sur la création d’un green pass européen — une forme de bien public continental et un instrument beaucoup plus efficace au niveau européen que vingt-sept formats différents. Je parle d’un moment hamiltonien parce qu’au-delà du mérite, c’est-à-dire de l’argent, il y a une méthode commune, l’investissement d’impact : l’idée que le financement est lié à un objectif et qu’il est déboursé sur la base de sa réalisation. C’est là que le rôle de l’Union européenne change, car elle n’est pas seulement un émetteur de dette, mais plutôt un financier pour des projets partagés et gouvernés bilatéralement par l’État bénéficiaire et la Commission. Ce principe est, en soi, déjà hamiltonien : il introduit une méthode entièrement nouvelle.
Il faut donc juger le PNRR italien à la lumière de deux points.
Le premier est bien sûr financier. La question de savoir combien d’argent l’Italie pourra dépenser n’est pas secondaire. On peut avoir des opinions différentes sur le sujet mais, pour moi, l’argent sera de toute façon mal dépensé, car il a été mal réparti. Le choix du gouvernement Conte II, qui a négocié le plan original en 2020, a été celui de la boulimie financière : il a demandé 200 milliards d’euros sans avoir en même temps de bonnes idées sur la manière de les dépenser avec un multiplicateur positif. Le PNRR admet avec une franchise désarmante que l’Italie dépensera 200 milliards avec un multiplicateur moyen inférieur à un. Nous admettons donc que le rapport coût-bénéfice n’est pas rationnel, ce qui me semble déjà une limite considérable.
Le deuxième point est celui de la méthode, qui me semble quant à elle très positive. Ce qu’il reste du PNRR, c’est l’implantation d’un programme de dépenses composé d’objectifs, de jalons, d’une gouvernance partagée et d’un déboursement de fonds en échange de l’atteinte de résultats, auxquels s’ajoute le postulat de mener des réformes et pas seulement des projets de mise en œuvre. Ce gain institutionnel est incontestable, au-delà de la taille réelle du plan au niveau continental, car quelques centaines de milliards dans l’économie européenne, c’est une goutte d’eau dans l’océan. La méthode reste très intéressante et c’est une marche institutionnelle importante, que l’Europe a gravie et dont on peut espérer qu’elle ne redescendra pas. C’est déjà un succès, et un chemin sur lequel, à mon avis, on ne fera pas demi-tour.
Cela dit, le jugement sur la performance de l’Italie reste ouvert. Et ce tant sur la capacité de dépense réelle que sur les réformes, car le plan ne prévoit pas seulement une dimension monétaire, mais l’envisage comme une fonction des réformes : l’argent est nécessaire pour leur donner corps et substance. C’est la vue d’ensemble qu’il faut regarder, pas la liste des dépenses.
Andrea Capussela
Le montant total des investissements — les fameux 191 milliards — est un point qui peut effectivement être débattu et sur lequel pourtant, du moins jusqu’à présent, il n’y a pas eu beaucoup de débats, ni pendant le gouvernement Conte, ni pendant le gouvernement Draghi, qui aurait pu revenir ce choix. Il aurait été important de s’interroger sur le montant des fonds qui devront maintenant être dépensés, notamment parce qu’en plus des ressources européennes, quelques 40 milliards ont été alloués au fonds complémentaire italien. Autrement dit : nous mettons tous nos œufs dans le même panier — et c’est un choix risqué. Je ne suis pas en mesure de dire si c’est bien ou si c’est mal à ce stade, mais c’est un choix risqué.
Dans le même temps, je voudrais souligner un fait essentiel : les analyses de la Banque d’Italie nous disent que l’économie italienne, juste avant la fin de la pandémie et maintenant dans la reprise post-pandémique, connaît une phase de grande vitalité. C’est particulièrement le cas dans le secteur manufacturier, bien sûr, où les exportations sont en croissance et en bonne santé.
Les deux crises de ces dernières années — celle de la dette souveraine et celle de la pandémie — ont paradoxalement donné un coup de fouet à un mal qui couvait depuis deux décennies. Elles ont provoqué un changement, qui en retour a généré une réallocation des ressources. Le capital et le travail ont enfin commencé à se déplacer vers les secteurs les plus prometteurs et vers les entreprises qui ont les moyens de relever les défis du paradigme technologique actuel. L’Italie produit la moitié de sa valeur ajoutée grâce à 25 000 entreprises de plus de cinquante salariés, dont la productivité moyenne se situe au niveau allemand. Ce segment industriel emploie environ six millions de personnes. L’autre moitié de la valeur ajoutée est composée de 4,3 ou 4,4 millions de micro-entreprises qui emploient deux fois plus de personnes : elles comptent donc pour la moitié de la productivité des premières. Pourquoi ne sont-elles pas productives ? Parce que dans le paradigme technologique actuel, le fait d’être une micro-entreprise vous place typiquement derrière les autres.
La vitalité que nous observons vient précisément du fait que nous assistons à une réallocation vers les entreprises les plus solides, et c’est un très bon signe. Nous savons que la réaffectation n’est pas un processus indolore et qu’elle fonctionne mieux dans une économie en croissance, de sorte que l’idée de donner une grande impulsion est logique, même si nous sommes conscients qu’en raison de notre faible capacité d’absorption, une grande partie des fonds du PNRR sera dépensée de manière inefficace. Mais l’idée d’un grand investissement — pour stimuler une réponse positive de l’économie — a du sens.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Je suis d’accord. L’effet obtenu ressemble à celui de la fable du « vieillard en hiver ». Alors que tous les habitants d’un hameau voient que le vieillard du village coupe du bois en automne, ceux-ci s’attendent à un mauvais hiver et l’imitent. Dans ce cas, l’imitation est positive : si tous mes concurrents voient que j’investis, ils sont enclins à faire des choix similaires — et le mécanisme vertueux dont l’économie italienne avait besoin est enclenché.
Corrado Passera lorsqu’il était ministre du développement économique, il y a dix ans : il affirmait que l’Italie avait besoin d’une injection d’« adrénaline financière », sans se préoccuper des mérites des investissements, mais précisément pour le signal de renaissance qu’ils charrieraient. Ce qu’Andrea Capussela souligne est très juste : il suffit de regarder les graphiques de croissance des investissements pour constater qu’elle n’est certes pas à deux chiffres mais qu’elle se situe à des taux qui n’ont pas été observés depuis très longtemps. Le graphique de l’étude de la Banque d’Italie est très clair à cet égard : le taux d’investissement moyen attendu en 2022, 2023 et 2024 est bien supérieur à la moyenne historique des vingt dernières années.
Élaborer un plan de plus de 200 milliards de dépenses financées par des fonds publics en seulement six ans, en plus du budget normal de l’État, suppose une très grande capacité stratégique de la part du gouvernement. Comment évaluez-vous les choix stratégiques effectués par le gouvernement Conte II et légèrement modifiés par le gouvernement Draghi ?
Malheureusement, de manière négative. La première chose que j’ai recommandée au gouvernement Draghi à ses débuts, lorsque le Palazzo Chigi a partiellement réécrit le plan hérité de Conte — qui ne l’avait pas encore achevé et discuté avec la Commission — a été de le renverser. J’ai toujours été convaincu que la bonne voie n’était pas de confier la gestion et la dépense de toutes les ressources à l’administration publique, mais de créer des formes de collaboration entre le secteur public et le secteur privé, avec des partenariats ou des crédits d’impôt, afin de rendre les choses plus rapides et plus rationnelles.
Un euro public devait être assorti d’un euro privé. Or c’est une approche qui aurait été multiplicative d’une part et chronophage de l’autre. L’administration publique n’a pas les ressources humaines pour dépenser cet argent, il ne faut pas se faire d’illusions, et c’est une limite que nous connaissions bien — ce n’est pas une surprise. Nous devions utiliser cet argent comme dépense publique pour entraîner la dépense privée, ce qui n’a malheureusement pas été le cas pour une grande partie du plan.
Andrea Capussela
J’ai quelques doutes théoriques sur cette approche. D’une certaine manière, nous avons contourné l’administration publique dans la gestion des investissements depuis les années 1930. C’est de l’histoire ancienne : Benito Mussolini avait créé l’IRI, l’Institut de reconstruction industrielle, précisément parce qu’il ne faisait pas confiance aux ministères, et l’IRI a très bien fonctionné jusqu’aux années 1960. Mais cette tendance récurrente à considérer l’administration publique comme inefficace et inadaptée tend à réaliser ce qu’elle craint : il est impossible que l’administration publique change si on ne lui en donne pas la possibilité. Il est peut-être temps de remettre le plan à l’administration publique et d’essayer de la réparer dans le même temps.
C’est ici que nous voyons la complémentarité entre les programmes d’investissement et les réformes. Car le plan est très clair à cet égard : une grande partie de la croissance potentielle provient des réformes et en particulier de la réforme de l’administration publique. Au cours des trente dernières années, l’Italie a connu quatre grandes réformes de l’administration publique : Cassese, Bassanini, Brunetta, Madia. Aucune d’entre elles n’a vraiment résolu les problèmes, mais il me semble difficile d’affirmer qu’elles ont été manifestement inadéquates. Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné à l’époque ? Il n’y avait probablement pas de véritable vision politique — suffisamment soutenue par une coalition de changement suffisamment forte — pour modifier les attentes de millions d’entreprises, de citoyens et de travailleurs qui sont régulièrement en contact avec l’administration publique – sans parler de ceux qui y travaillent.
La question qui se pose aujourd’hui est donc la suivante : cette vision est-elle à l’origine de la nouvelle réforme ? Peut-être pas.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
L’idée de brûler les vaisseaux — comme Hernán Cortés, qui arrive en Amérique et invite ses hommes à brûler les navires pour bien montrer qu’il n’y aura pas de retour en arrière — est très correcte du point de vue de la théorie du leadership, mais se heurte peut-être à l’état actuel de l’administration publique et au peu de temps dont nous disposons pour dépenser toutes les ressources. Il n’y avait techniquement pas de temps dans le cycle pour accumuler le capital humain nécessaire à la mise en œuvre du plan, notamment parce que les ressources humaines capables de traiter des dossiers très spécifiques tels que le numérique et la transition écologique sont quasiment inexistantes. Nous n’avons pas aujourd’hui les compétences professionnelles, et ce n’est pas une question de réforme.
Pour combler le déficit — entre autres raisons — le secteur public s’est mis en concurrence avec le secteur privé alors qu’il était confronté à une grande pénurie de talents, faisant preuve de peu d’anticipation. Il était déjà clair que la réorientation vers le numérique et la transition écologique imposée par l’Union européenne aurait obligé les entreprises, qui manquaient déjà de main-d’œuvre qualifiée, à se doter de compétences numériques et écologiques. Or l’État, au lieu de renforcer cette demande privée de personnes par des crédits d’impôts et des partenariats public-privé, est entré sur le même segment du marché du travail, causant des dommages aux entreprises. De plus, il demeure peu, voire pas vraiment compétitif, car les salaires qu’il offre sont plus bas et, surtout, les contrats sont à durée déterminée.
Andrea Capussela
Ces limites sont évidentes, malgré ce que je disais tout à l’heure, à savoir qu’il fallait peut-être prendre un risque en essayant d’améliorer la situation de l’administration publique.
Mais j’ajouterais à cela un autre argument : la tension entre ce plan et l’incapacité de l’administration publique à le gérer conduit alors le gouvernement à prendre des décisions contradictoires et tendanciellement néfastes. Vous avez peur d’être en retard ? Vous constatez que l’administration publique ne réagit pas comme vous le souhaitiez ? Alors vous modifiez les règles de passation des marchés en relevant les limites du gré à gré, en les multipliant par dix, de sorte qu’à l’heure actuelle, les appels d’offres ne seront lancés que pour des projets d’une valeur supérieure à 5,5 millions d’euros. C’est un problème considérable dans un pays où la corruption n’est pas inconnue et où l’État de droit est faible — à un niveau proche de celui de certains pays des Balkans.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Il faut aussi compter avec le prisme à travers lequel la politique regarde les projets publics. Je cite le cas de la campagne de vaccination, que j’ai pu observer de près. À l’époque, nous avions proposé de faire comme au Royaume-Uni ou en Allemagne, c’est-à-dire utiliser toutes les ressources publiques et privées disponibles pour mener à bien la campagne de vaccination dans les plus brefs délais. Au lieu de cela, Domenico Arcuri, le commissaire extraordinaire du gouvernement Conte chargé de la gestion de l’urgence pandémique, a décidé d’engager 30 000 infirmières spécialement pour la campagne de vaccination, qui devait se dérouler dans des installations spéciales construites sur les places des villes italiennes, les fameuses primule.
Dans son approche, il y avait d’abord les dépenses publiques consacrées au projet de campagne de vaccination lui-même — en bref : il avait inversé les priorités. Heureusement, le changement de gouvernement et le remplacement d’Arcuri par le général Figliuolo ont modifié l’approche, et la vaccination a été effectuée partout : pharmacies, salles de sport, hôpitaux, permettant à toute personne capable de tenir une seringue de vacciner. Si nous avions laissé l’administration publique tout tester, aurions-nous gagné en efficacité ? Je ne le crois pas.
Le PNRR ne concerne pas seulement les programmes de dépenses, mais aussi les réformes : comment jugez-vous les progrès sur ce chapitre, notamment en matière de concurrence et de justice ? L’Italie a-t-elle progressé sur ces dossiers ?
Andrea Capussela
À mon avis, on touche là au point le plus sensible. L’une des raisons pour lesquelles il y a peu de réallocation en Italie, où une myriade d’entreprises inefficaces ne quittent pas le marché, est que dans le secteur des services internationalement non échangeables, nous avons un niveau de concurrence qui, comparé à nos pairs, est très faible. Cela se voit dans le taux des marges bénéficiaires sur les coûts. En Italie, la marge est d’environ 60 %, alors qu’elle atteint 35 % dans les mêmes secteurs dans le reste de la zone euro ; sans parler des secteurs exposés à la concurrence, où la marge est beaucoup plus faible, 15 ou 17 %. Cette situation est très mauvaise pour l’économie italienne, car une faible concurrence tend à faire monter les prix, à réduire la productivité et donc l’emploi. Selon la Banque d’Italie, si nous atteignions les niveaux d’intensité concurrentielle de la zone euro, l’effet serait considérable, l’estimation étant une augmentation permanente du PIB de 11 % sur cinq ans. C’est pourquoi la concurrence est cruciale : à long terme, elle rend l’économie plus dynamique et la croissance potentielle augmente.
Tout cela pour dire qu’en matière de réforme de la concurrence, nous avons peut-être une perception quelque peu erronée. Les médias évoquent souvent le cas des stations balnéaires 1 et des vendeurs à la sauvette, et il est juste de clouer au pilori le gouvernement qui défend ces rentes inacceptables. Cependant, un gouvernement qui se bat pour défendre des secteurs marginaux sera évidemment encore plus réticent à ouvrir à la concurrence d’autres secteurs qui disposent de capacités de persuasion et de lobbying beaucoup plus importantes.
Les réformes sont complémentaires aux investissements prévus dans le plan, même si l’on se place dans la perspective de la grande poussée dont nous parlions précédemment : si l’injection de capital est utile pour la réaffectation, ce qui la stabilise est avant tout la concurrence et l’élimination des incitations qui poussent les entreprises à rester de petite taille. Au lieu de cela, le gouvernement fait des clins d’œil à l’évasion fiscale, supprime les limites des marchés publics en étendant le gré à gré et se montre clairement hostile à l’idée d’une ouverture à la concurrence. Ce point est problématique car les attentes des entrepreneurs, qui doivent décider de fusionner, de reprendre ou de réaffecter des ressources, sont également basées sur la manière dont le décideur public agit. Les signaux ne sont pas positifs
Si ce que nous disions tous les deux plus haut sur l’importance du plan pour l’Italie et pour l’Europe est vrai. Je pense que le gouvernement n’est pas assez mis en question sur ces retards — d’autant plus avec de telles incertitudes sur les réformes. Il devrait être pressé par l’opinion publique et par l’opposition.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Le débat sur les stations balnéaires est paradigmatique : nous protégeons l’hyper-fragmentation alors que nous devrions prendre exemple sur l’Espagne, qui a la moitié de notre littoral utilisable, mais qui y attire deux fois plus de touristes. De fait, en Espagne, il y a eu une soudure entre les services côtiers, les infrastructures urbaines et les investissements des multinationales, ce qui a entraîné un effet d’entraînement, où le petit établissement de baignade bénéficie de la proximité de la grande piscine gérée par des professionnels. Le débat en Italie, au contraire, tend surtout à protéger les rentes et les positions hyper-fragmentées.
Dans ce contexte, il est intéressant d’expliquer le rôle des entreprises publiques : dans quelle mesure la capacité de ces grandes entreprises, dont le gouvernement vient de choisir la gouvernance pour les prochaines années, va-t-elle aider l’exécutif dans la gestion du PNRR ?
Je voudrais tout d’abord apporter une précision lexicale : il ne s’agit pas de nominations gouvernementales pour la direction mais de nominations qui seront ensuite confirmées par un vote de l’assemblée, qui est souveraine. Le fait que le gouvernement parle de nominations et que l’opinion publique l’accepte est révélateur : la culture de la gouvernance est inexistante en Italie. Cela dit, la qualité de la gestion des entreprises publiques s’est nettement améliorée par rapport à ce qu’elle était il y a dix ou quinze ans, lorsque le critère de la compétence et de l’aptitude semblait moins important que celui de l’appartenance politique.
Toutefois, là encore, c’est une occasion manquée : il aurait été beaucoup plus judicieux d’utiliser le véhicule des grandes entreprises pour ouvrir l’économie aux investissements internationaux, en favorisant leur expansion et leur déprovincialisation — en les faisant participer aussi à des appels d’offres internationaux, dans des projets qui dépassent le cadre italien.
Au lieu de cela, nous avons décidé de nous concentrer sur un modèle de dépenses nationales, en utilisant ces entreprises d’une manière exclusivement nationale. Il faut dire que l’Union européenne n’a pas encouragé ce processus, mais a poussé les États à dépenser sur leur propre territoire en s’inspirant plus ou moins des lignes directrices de la Commission. Les acteurs des grandes entreprises italiennes, et je parle aussi des entreprises européennes, se sont concentrés sur les fonds nationaux à dépenser au lieu de saisir l’opportunité de faire tomber les barrières et de construire des champions européens, comme cela était pourtant possible grâce aux ressources trouvées sur le marché.
Une grande partie des fonds italiens n’est pas gérée par l’administration centrale mais par les autorités locales, qui rencontrent des difficultés considérables dans la mise en œuvre. Est-ce une erreur de s’appuyer sur ce niveau de décentralisation administrative ?
Andrea Capussela
L’idée de recourir largement aux appels d’offres pour allouer les ressources et de s’intéresser principalement aux municipalités plutôt qu’aux régions est critiquable, car de cette manière le gouvernement n’assume pas la responsabilité de décider où iront les fonds en fonction de sa vision de l’avenir du pays, mais met simplement l’argent à disposition — les autorités locales qui ont les meilleures idées et la capacité de les mettre en œuvre remportent les appels d’offres.
Cela crée certainement une concurrence entre les différents organes politiques locaux, mais je doute que cela ait des conséquences positives, car le résultat est de confirmer et d’amplifier des différences déjà existantes. Regardons ce qui s’est passé avec les crèches, qui sont par ailleurs liées à un problème très grave, à savoir le faible taux d’emploi des femmes, l’un des nombreux freins au potentiel de croissance du pays. Très peu de municipalités ont répondu aux appels d’offres pour la construction de ces équipements, et beaucoup de celles qui l’ont fait disposaient déjà d’une bonne couverture. Nous avons donc donné des fonds à celles qui en avaient le moins besoin, tandis que celles qui étaient en retard ont peut-être perdu les appels d’offres, parce qu’elles n’avaient pas les compétences nécessaires pour participer, ou n’ont tout simplement pas posé leur candidature. Certains prétendent que de nombreuses municipalités n’ont pas participé aux appels d’offres parce qu’elles n’avaient pas de demande pour de nouveaux jardins d’enfants, mais il s’agit également d’une vision déformée : le manque de demande est un problème endogène, qui peut être résolu en mettant le service à disposition.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Dans ce dossier, l’effet régressif est évident, parce qu’avec ce système, vous avez donné l’argent à ceux qui savent comment le dépenser. Regardez Milan : il est compréhensible que le maire de Milan demande plus de fonds parce qu’il a la capacité de les dépenser, alors que les municipalités plus petites, peut-être coupées des grandes agglomérations, n’ont tout simplement pas la compétence pour participer aux appels d’offres ou pour utiliser les fonds.
L’effet régressif est donc évident, car les fonds sont allés aux municipalités riches, creusant le fossé au lieu de le réduire. J’aurais préféré des dotations municipales réduites, très ciblées et standardisées, tout en concentrant les ressources, comme l’ont fait l’Allemagne et la France, sur trois ou quatre secteurs industriels, technologiques ou logistiques, en m’appuyant sur les régions. La commune a un champ d’action qui n’est pas compatible avec un projet européen, il faut de l’argent européen pour équilibrer l’Italie avec l’Europe, pas pour mettre un jardin d’enfants dans une petite commune périphérique. Les fonds nationaux suffisent pour cela !
Le ministre des Affaires européennes et du PNRR, Raffaele Fitto, a clairement indiqué au Parlement, fin avril, que certains projets ne seraient pas achevés à l’échéance de 2026. Si vous nous avez dit qu’il n’était pas encore possible de qualifier le plan de succès ou d’échec, cet aveu d’incapacité ne semble pas très prometteur…
Andrea Capussela
Ce gouvernement gère le dossier avec beaucoup trop de légèreté : les avancées sur les réformes cruciales ne sont pas particulièrement rassurantes. L’opinion publique et l’opposition devraient mettre plus de pression sur l’exécutif pour qu’il respecte les délais. Même sur la renégociation, j’aurais des critiques à formuler : le plan aurait pu être modifié avant la fin du mois d’avril, comme l’ont fait l’Allemagne, la Finlande et le Luxembourg, alors que l’Italie n’a pas été en mesure de formuler une proposition. Les trois pays qui ont renégocié certains aspects l’ont fait de manière transparente, ils ont expliqué à la Commission que l’inflation, la guerre et la situation économique avaient rebattu les cartes et ils ont agi en conséquence. Pourquoi le gouvernement italien, qui avait pourtant affirmé vouloir renégocier le plan, n’a-t-il pas envoyé sa nouvelle proposition ? Il y a, dans ce domaine, un manque de transparence inquiétant.
Carlo Alberto Carnevale Maffè
Je voudrais ajouter que la transparence n’est pas seulement un impératif moral, c’est une condition préalable au débat public qui vit de données, de délais, de rapports… Il ne devrait même pas être question que chaque projet et son état d’avancement soient accessibles sur un portail spécial : nous parlons toujours et dans tous les cas d’une dette que l’Italie devra rembourser — pas d’un cadeau. Le contrôle de l’action gouvernementale se fait avec des chiffres, sinon nous ne sortirons pas de la polémique et des querelles de chapelles. Or le fait est que, dans l’Italie d’aujourd’hui, nous ne disposons pas d’informations complètes sur l’état d’avancement du plus grand instrument de dépenses publiques depuis la guerre. C’est vraiment inquiétant.
Sources
- Depuis 2006, date d’entrée en vigueur de la directive européenne Bolkestein sur la concurrence, l’Italie doit lancer des appels d’offres « transparents et non discriminatoires » pour les concessions de terrains publics. Aucun gouvernement ne l’a jamais fait, les prolongeant chaque année : cette règle s’applique notamment aux concessions des établissements de stations balnéaires, qui occupent des terrains publics sans avoir à se soumettre à des appels d’offres, et qui paient une redevance très faible à l’État. En 2020, l’Italie a encaissé 92 millions d’euros pour 12 166 concessions. Le gouvernement Meloni avait prolongé les concessions actuelles jusqu’à la fin de 2024, mais en mars dernier le Conseil d’État a déclaré la mesure gouvernementale illégitime, suivi par une décision similaire de la Cour de justice de l’Union européenne en avril. Toutefois, l’exécutif n’a pas encore indiqué quand ni comment il compte publier les appels d’offres afin de se conformer aux décisions des tribunaux italiens et européens.