Politique

Joe Biden, Storyteller-in-Chief

Joe Biden vient d’annoncer sa candidature dans une courte vidéo sur Twitter. Trois minutes intenses qui concentrent images fortes et formules choc sur fond de musique héroïque. Renaud Lassus analyse les ressorts rhétoriques de la communication de Biden — qui entre en campagne, une deuxième fois, contre le trumpisme.

Auteur
Renaud Lassus
Image
© Chris Kleponis / CNP

Liberté.

Le thème central de l’annonce de campagne, c’est-à-dire la défense de la démocratie américaine, de la liberté, des libertés de tous les Américains, n’est pas usuel de la part d’un président américain en temps de paix. Joe Biden entend se placer sur ce plan car il estime que le niveau des risques reste très élevé — notamment dans la perspective d’un nouvel affrontement avec Donald Trump dont les agissements pour remettre en question les résultats de l’élection de 2020 ont été mis en évidence par la commission d’enquête parlementaire sur les événements de l’attaque contre le Capitole.

Mais au-delà de Donald Trump, Joe Biden dénonce surtout dans cette annonce les risques pour la démocratie américaine des pressions des courants extrémistes et radicaux, pour reprendre ses mots, présents au sein du parti républicain. Outre Donald Trump, la vidéo présente des images de l’actuel gouverneur de Floride Ron de Santis ou de Marjorie Taylor Greene qui mène avec d’autres membres du Congrès, l’aile la plus dure du parti républicain à la chambre des représentants.

La liberté individuelle est un élément fondamental de notre identité en tant qu’Américains.

« Il n’y a rien de plus important, rien de plus sacré. »

Ce fut le travail de mon premier mandat : me battre pour notre démocratie.

« Il ne devrait pas s’agir d’une question républicaine ou démocrate »

Dès les premières secondes, la courte vidéo de Joe Biden envoie un message très clair aux Américains. Elle commence par l’attaque du Capitole avant de rappeler le récent changement de la jurisprudence de la Cour Suprême sur l’avortement. C’est en effet le président qui propose aux États-Unis au vote du Sénat les désignations des membres de la Cour suprême, dont les décisions fixent ensuite la règle de droit, souvent pour plus d’une génération, dans des domaines essentiels à la vie des Américains.

Protéger nos droits, veiller à ce que tous les citoyens de ce pays soient traités sur un pied d’égalité et à ce que chacun ait une chance équitable de s’en sortir.

Mais vous savez, dans tout le pays, les extrémistes de MAGA s’allient pour s’attaquer à ces libertés fondamentales – en réduisant la sécurité sociale pour laquelle vous avez cotisé toute votre vie tout en baissant les impôts des plus riches – en dictant les décisions que les femmes peuvent prendre en matière de soins de santé ; en interdisant des livres et en disant aux gens qui ils peuvent aimer ; tout cela en rendant plus difficile le fait pour vous de pouvoir voter.

Joe Biden rappelle que les positions actuelles du parti républicain, sur de nombreux sujets — l’avortement, les armes à feu, les protections sociales, le refus d’augmenter la fiscalité sur les plus aisés, etc. — sont très éloignées du centre de gravité de l’opinion américaine et qu’il est et sera le garant dans un second mandat de positions équilibrées et des libertés personnelles des Américains.

Le message de la vidéo sur l’interdiction des livres fait référence aux lois votées en Floride sous l’impulsion du gouverneur républicain Ron de Santis, qui est considéré aujourd’hui comme le concurrent le plus sérieux de Donald Trump au sein du parti pour l’élection de 2024. Ces lois permettent d’exercer un contrôle strict sur les livres présents dans les bibliothèques scolaires au motif de lutter contre la pornographie et la promotion d’identités sexuelles. Des sanctions sont prévues contre les enseignants et des dispositions ouvrent un droit de plainte aux parents. Ces décisions en Floride, mais aussi dans d’autres États du sud des États-Unis contrôlés par les républicains, font l’objet d’une critique de plus en plus forte aux États-Unis. Certains membres du parti républicain commencent également à souligner les risques de cette approche qui irait trop loin et pourrait aliéner dans une perspective nationale les votes de la majorité des Américains.

Les adversaires présentés dans cette vidéo sont des adversaires politiques, l’extrémisme, le radicalisme pour reprendre les mots de Joe Biden. Ils ne sont pas économiques. Joe Biden mentionne sa volonté de lutter contre les inégalités et d’offrir des opportunités à tous les Américains mais son annonce n’est pas un plaidoyer contre les grands groupes de la Tech ou de l’industrie pharmaceutique et la concentration monopolistique croissante de l’économie, qui furent l’objet de ses critiques lors de son dernier discours sur l’État de l’Union. Il est cependant probable que Joe Biden reviendra sur ce thème pendant sa campagne.

Lorsque je me suis présenté à l’élection présidentielle il y a quatre ans, j’ai déclaré : « Nous nous battons pour l’âme de l’Amérique » — et c’est toujours le cas.

En invoquant « the soul of America », l’âme de l’Amérique, Joe Biden entend se placer très haut sur le plan des principes politique et moraux les plus essentiels : les valeurs de liberté, de modération, de tolérance, de tempérance, de respect, qui sont souvent mises en avant s’agissant de la tradition démocratique américaine. 

Cette référence à l’âme de l’Amérique évoque les ouvrages de l’historien Jon Meacham, proche de Joe Biden, sur les présidents américains et leur contribution à la défense de la démocratie et des droits civiques aux États-Unis au XXe siècle. Dans son intervention, Joe Biden établit clairement un lien avec les combats des générations précédentes.

La question à laquelle nous sommes confrontés est de savoir si, dans les années à venir, nous aurons plus de liberté ou moins de liberté, plus de droits ou moins de droits. Je sais ce que je veux comme réponse, et je pense que vous le savez aussi.

Ce n’est pas le moment de se reposer sur ses lauriers.

Il faut noter que si certains moments de la vidéo font écho aux investissements actuellement développés dans la transition énergétique grâce aux subventions fédérales du plan climat voté en août dernier, le plus important jamais voté sur ce thème aux États-Unis, Joe Biden ne fait pas de la lutte contre le changement climatique l’un des points principaux de son intervention, même s’il est probable qu’il reviendra sur cette question pendant sa campagne.

C’est pourquoi je me présente pour être réélu ; car je connais l’Amérique, je sais que nous sommes des gens bons et décents ; je sais que nous sommes toujours un pays qui croit en l’honnêteté et le respect, et le traitement des autres avec dignité.

Nous sommes une nation qui n’offre aucun refuge à la haine. Nous croyons que tous les hommes sont égaux, que tout le monde devrait avoir une chance équitable de réussir dans ce pays.

Comme il est d’usage dans les campagnes présidentielles américaines, l’annonce de Joe Biden ne fait pas allusion au reste du monde et aux événements qui peuvent s’y dérouler. Cette annonce est un message domestique — dans un contexte domestique. Le plaidoyer de Joe Biden sur la démocratie ne s’applique qu’au cadre américain et ne fait pas de liens, s’agissant de la relation des États-Unis avec le reste du monde, avec la compétition avec les régimes autoritaires.

Chaque génération d’Américains a été confrontée à un moment critique où elle a dû défendre la démocratie – défendre sa liberté personnelle, défendre son droit de vote et ses droits civiques.

La vidéo s’attache à montrer la diversité des communautés, des origines et des territoires des États-Unis. À ce titre, Joe Biden attache un soin particulier à montrer qu’il connaît tous les territoires, ruraux et urbains, de l’Amérique et qu’il n’en néglige aucun. Joe Biden insiste cependant sur le fait qu’il est le président de tous les Américains. Même s’il multiplie dans sa vidéo des hommages ou des références à des personnages éminents de la lutte pour les droits civiques comme John Lewis ou à la nouvelle juge à la cour suprême qu’il a nommé, Ketanji Brown Jackson, d’origine afro-américaine, il se tient à distance des identity politics promues par l’aile gauche du parti démocrate, car il semble estimer que ces questions ne sont pas celles dont souhaitent parler les Américains et qu’elles seraient contre-productives politiquement.

Le moment est venu pour notre génération.

Finissons le travail.

Certains analystes pourraient souligner la part de considérations plus politiques : la principale critique à l’égard d’une nouvelle candidature de Joe Biden, y compris au sein de son propre parti, est son âge. Pour éviter cette critique, il faut un thème essentiel pour briguer un nouveau mandat et « finir le travail » comme le dit Biden.

Parce que je sais que nous pouvons le faire — parce qu’il s’agit des États-Unis d’Amérique, et qu’il n’y a rien, tout simplement rien, que nous ne puissions faire si nous le faisons ensemble.

Le Grand Continent logo