Depuis l’hiver dernier, Kyiv annonce rassembler des forces afin de lancer une grande campagne de reconquête territoriale dans le sud et l’est du pays. Au 20 avril 2023, environ 18 % (106 000 km2) du territoire ukrainien est toujours sous contrôle russe, soit 4 % de moins qu’à l’été dernier.
Tandis que la saison hivernale se termine, entraînant une hausse des températures (qui provoque toutefois l’apparition de boue freinant l’évolution des véhicules), les hauts-responsables ukrainiens font savoir que la contre-offensive annoncée n’aura pas lieu sans une augmentation et une intensification du rythme des livraisons de matériel militaire occidental1.
- Dans une interview donnée à l’Associated Press le 17 avril, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense ukrainien, Oleksiy Danilov, a déclaré qu’il n’était qu’une « question de temps » avant que le pays atteigne un niveau de préparation militaire nécessaire pour lancer une contre-offensive.
- Celui-ci s’est également dit être « parfois frustré » lorsque les alliés de l’Ukraine « promettent une chose et en font une autre complètement différente », sans donner de détails ni citer de pays en particulier2.
- L’armée ukrainienne, bien qu’insuffisament préparée pour une opération de grande ampleur, n’est pas pour autant passive. Mercredi 19 avril, la vice-ministre de la Défense ukrainienne, Hanna Malyar, a indiqué que les forces de Kiev conduisaient déjà des attaques de nature « contre-offensive », ajoutant que celles-ci sont « à la fois offensives et défensives en raison de la nature complexe du champ de bataille »3.
Malgré les soutiens occidentaux à Kiev — réitérés jeudi 20 avril par le secrétaire-général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, lorsque celui-ci a déclaré que la place de l’Ukraine était « dans l’Alliance atlantique » lors de sa première visite en Ukraine depuis le début de l’invasion4 —, l’état-major ukrainien craint que l’échec (ou du moins une absence de victoire nette) d’une contre-offensive ne conduise à un essoufflement de l’assistance militaire qui pourrait déboucher sur un appel à des négociations avec Moscou5.
La situation semble être inextricable pour Kiev, d’autant que la relative baisse d’intensité des combats au cours des dernières semaines — plus de 500 soldats russes sont tués en moyenne chaque jour selon le ministère de la Défense ukrainien, soit des chiffres élevés mais en baisse par rapport aux mois de février et mars — bénéficie plus à l’armée russe qu’ukrainienne. Faute de pouvoir accumuler assez de ressources pour conduire une opération de grande ampleur en raison de ses impératifs de défense, l’armée ukrainienne subit les combats et ne dispose que d’une faible marge pour des initiatives. Ces dernières sont toutefois nécessaires pour atteindre les objectifs militaires qui permettraient de déboucher sur une éventuelle avancée politique en faveur de l’Ukraine.
- Dans l’attente de recevoir suffisamment de ressources (notamment des missiles, de l’artillerie et des chars d’assaut), l’armée ukrainienne continue de tenir la ville de Bakhmout — bien que les documents fuités du Pentagone indiquent que Washington considère que les forces ukrainiennes courent le risque d’être encerclées6.
- Pour Kiev, tenir la ville est important pour le moral de l’armée dans son ensemble ainsi que pour la population, mais également car l’état-major ukrainien considère que les forces russes s’y épuisent et gaspillent des ressources (notamment humaines et en termes de munitions).
Si l’armée ukrainienne parvient à mobiliser assez de ressources pour lancer une telle contre-offensive, l’issue de celle-ci demeure incertaine. Nombre d’experts s’accordent notamment à dire que la prise de la Crimée serait très difficile d’un point de vue militaire. Stephen Sestanovich du Council on Foreign Relations évoque une « entreprise ambitieuse » en raison des fortifications défensives russes construites dans la partie nord de la péninsule qui « entraveraient le mouvement des unités ukrainiennes et empêcheraient toute percée rapide »7.
Sources
- Jack Detsch, « Ukraine’s Spring Offensive Is Waiting on Weapons », Foreign Policy, 20 avril 2023.
- Hanna Arhirova, « Ukraine official : We will launch counteroffensive when ready », Associate Press, 17 avril 2023.
- Karolina Hird, Riley Bailey, Nicole Wolkov, Layne Philipson, George Barros et Frederick W. Kagan, Russian offensive campaign assessment, 19 avril 2023, Institute for the Study of War.
- Lili Bayer, « Your place is in NATO, alliance chief tells Ukraine on first wartime visit », Politico, 20 avril 2023.
- Christophe Miller, « ‘We need every man’ : Ukraine’s troops prepare for counter-offensive against Russia », Financial Times, 20 avril 2023.
- Susannah George et Serhii Korolchuk, « Ukraine defended Bakhmut despite U.S. warnings in leaked documents », The Washington Post, 20 avril 2023.
- Stephen Sestanovich, « Ukraine’s Counteroffensive : Will It Retake Crimea ? », Council on Foreign Relations, 19 avril 2023.