Jeudi 23 mars, lors de l’audition du PDG du réseau social TikTok, Shou Zi Chew, par la commission de la Chambre sur l’Énergie et le Commerce (bipartisane, composée de 29 élus républicains et 23 démocrates), les législateurs américains ont accusé la plateforme d’être directement affiliée à l’État et par conséquent au Parti communiste chinois (PCC). Malgré les dénégations de Shou Zi Chew, les élus de la Chambre, comme le représentant républicain du Michigan Tim Walberg, ont à maintes reprises cherché à faire reconnaître par le PDG de TikTok que les données des utilisateurs américains étaient bien accessibles par l’entreprise-mère de la plateforme ByteDance, et donc par le PCC1.

Les préoccupations des législateurs américains vis-à-vis des données collectées et utilisées par les plateformes de réseaux sociaux ne constituent pas un enjeu nouveau.

  • En 2018 et en 2021, le PDG et co-fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, avait lui aussi été auditionné par les commissions du Commerce et de la Justice du Sénat et par la commission de l’Énergie et du Commerce de la Chambre afin de répondre à des questions liées à l’utilisation des données des utilisateurs de la plateforme et de la désinformation en ligne2.
  • Ces auditions constituent l’opportunité pour les législateurs de faire part de leurs inquiétudes relatives à la protection des enfants et des mineurs sur les réseaux sociaux, mais également sur les interférences exercées par des États ou des acteurs étrangers — comme ce fût le cas avec le rôle joué par la Russie lors de l’élection présidentielle américaine de 2016 et lors d’autres scrutins.
  • Cependant, il s’agit de la première fois que le directeur d’un réseau social chinois se présente devant le Congrès américain pour répondre à des questions combinant des craintes vis-à-vis d’un acteurs technologique majeur et du Parti communiste chinois.

Dès 2020, l’administration Trump annonçait qu’elle considérait interdire l’application TikTok ainsi que d’autres réseaux sociaux chinois aux États-Unis3. En août, l’ancien président républicain signait deux ordres exécutifs visant à interdire la plateforme si celle-ci n’était pas vendue par l’entreprise-mère ByteDance à un acteur basé en-dehors de Chine4. Avec le RESTRICT Act — une proposition de loi déposée par le sénateur démocrate Mark Warner —, l’administration Biden indique que, comme dans bien d’autres domaines de politique étrangère, sa position reflète une continuité avec l’ère Trump5.

Le « Restricting the Emergence of Security Threats that Risk Information and Communications Technology » — ou RESTRICT — Act est une proposition de loi qui serait susceptible de constituer un risque pour toutes les entreprises technologiques chinoises ayant une activité aux États-Unis.

  • Le texte liste un grand nombre de technologies de l’information et de la communication qui constituent une « priorité » en matière d’évaluation : intelligence artificielle, biotechnologies, information quantique, drones, équipements de réseau…
  • Concrètement, la proposition vise à conférer à l’exécutif (Maison-Blanche, département du Commerce principalement) le pouvoir de mettre fin aux activités de toute entreprise technologique chinoise — mais également d’autres pays placés sur la liste des « adversaires étrangers »6 — sur le territoire américain si celle-ci présente un risque pour la « sécurité nationale » et particulièrement sur ses « infrastructures critiques », comme définies dans le Patriot Act de 20017.
  • Ainsi, les entités dont les applications ou services revendiquent au moins un million d’utilisateurs actifs annuels ou bien dont le matériel informatique a été vendu à un million d’unités pourraient faire l’objet d’un examen pouvant aboutir à l’interdiction des activités de l’entreprise sur le territoire américain.
  • Contrairement à la tentative de Donald Trump d’interdire TikTok en 2020 — qui avait été annulée par deux juges fédéraux8 —, l’interdiction du réseau social par l’exécutif serait largement facilitée par le RESTRICT Act en raison du cadre très large conféré par la loi.

Le 15 mars, l’administration Biden a « exigé que les propriétaires chinois de TikTok vendent leurs parts dans l’application » sous peine de s’exposer à une interdiction d’opérer sur le territoire américain, ce à quoi le ministère chinois du Commerce s’est fermement opposé car une telle vente « devrait être approuvée par le gouvernement chinois » — allant à l’encontre des déclarations de Shou Zi Chew quelques heures plus tard lors de son audition9. Si cette loi venait à être votée — ce qui, compte tenu du soutien bipartisan dont elle dispose, est très probable —, elle mettrait en péril les activités de nombreuses entreprises technologiques chinoises opérant aux États-Unis.