Le 8 novembre, la nomination du vice-président élu Geraldo Alckmin comme chef du cabinet de transition du gouvernement était publiée au journal officiel de l’État brésilien1. Parmi les 31 groupes techniques créés par l’arrêté, l’article 22 du chapitre 6 mentionne dans son 25ème intitulé « povos originários » : peuples autochtones, ouvrant la voie vers la possible création d’un ministère des peuples autochtones — promesse électorale de Lula.

  • Le Brésil a une longue histoire de persécution des peuples autochtones. Après l’esclavage de la période coloniale et impériale, ils restent considérés sous la République comme des citoyens de seconde zone qu’il convient d’assimiler à la société occidentale en cours dans le reste du pays. Ils ne sont pleinement reconnus qu’avec la Constitution de 1988, qui leur donne le droit de pratiquer leur culture, leurs traditions, de parler leur langue et qui s’engage à protéger et faire respecter leurs terres traditionnelles2.
  • Le gouvernement Bolsonaro s’est distingué par ses attaques contre ces derniers. Par la réduction drastique des fonds attribués aux organismes de protection des terres et peuples indigènes, la tentative d’une nouvelle démarcation des terres qui aurait réduit celles allouées à ces populations et l’invitation aux orpailleurs et entrepreneurs de l’agro-négoce de venir exploiter ces territoires, les violences à leur encontre se sont multipliées sous son mandat. En quatre ans, Jair Bolsonaro n’aura visité qu’une seule fois un village indigène.

Le Brésil accueille pourtant une multitude de peuples autochtones qui contribuent autant à sa diversité culturelle qu’à la protection environnementale d’une grande partie de son territoire. L’explosion des violences et des attaques contre leurs terres sous le gouvernement Bolsonaro ont poussé les indigènes vers toujours plus d’activisme pour défendre leurs droits. Les manifestations de peuples autochtones à Brasilia sous ce dernier mandat ont été très nombreuses.

  • L’augmentation de cet activisme s’est notamment traduit pendant les élections de 2022, qui ont vu une augmentation de 40 % du nombre de candidats autochtones ( passant de 133 en 2018 à 1863), l’élection de cinq députés — dont quatre font partie de la coalition de Lula et devraient constituer des soutiens de poids sur ces questions — et de deux sénateurs.
  • L’annonce du groupe technique sur les peuples autochtones amène donc la question du nom du potentiel futur ministre. Il semble que la plus probable soit Sonia Guajajara, première députée fédérale autochtone élue dans l’État de São Paulo (elle provient cependant du Maranhão, dans le Nord-est brésilien)4. Reconnue pour son militantisme, elle est coordinatrice-exécutive de l’Articulation des Peuples Autochtones du Brésil (ou APIB, association qui réunit les entités représentant les peuples indigènes du Brésil) et a été candidate à la vice-présidence de la République en 2018. Elle participe aussi à la COP 27.
  • L’autre nom évoqué est celui de Joenia Wapichana (première député autochtone de l’histoire du Brésil, élue en 2018), autre grande figure militante autochtone qui n’a pas réussi à se faire réélire en 2022.

La création d’un ministère des peuples autochtones au Brésil ne doit pas être vue uniquement comme une réponse à un problème social interne au pays, mais aussi comme l’amorce d’une nouvelle politique environnementale — essentielle dans le cadre de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.

  • Le gouvernement Bolsonaro a été caractérisé par sa stratégie de destruction des politiques environnementales mises en place par ses prédécesseurs. Son premier ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, appelait au début de la pandémie à profiter du fait que les médias et la société civile étaient focalisés sur cette question pour faire sauter toutes les lois de protection et « libérer » l’exploitation de la forêt amazonienne. Ce mandat a ainsi vu une réduction drastique du budget alloué à ce ministère et aux organismes de lutte contre la déforestation et de protection de la biodiversité. Il s’avère notamment que Ricardo Salles était soupçonné d’être impliqué dans le trafic de bois illégal5.
  • A contrario, les deux premiers mandats de Lula ont vu une réduction drastique de la déforestation en Amazonie. Si l’année de son premier mandat 25 000 km² de forêts ont été rasés, ce chiffre a été réduit à 7 000 km² en 2010, dernière année de son deuxième mandat. La déforestation ne repart véritablement à la hausse qu’à partir de 2019, lorsque débute le mandat de Bolsonaro. Pour son troisième mandat, Lula a promis un objectif de déforestation zéro — qui fait écho à celui de la faim zéro, promis et réalisé pendant ses deux premiers mandats. 

Les terres autochtones occupent actuellement 13 % du territoire brésilien, où vivent environ 650 000 personnes. Elles constituent des aires protégées de la déforestation, étant réservées aux activités de ces peuples, qui vivent traditionnellement de ce que la forêt leur apporte et refusent son exploitation. Si aujourd’hui 20 % de la forêt amazonienne a été déforestée, c’est le cas de seulement 2,4 % de celle-ci dans les terres autochtones. Le renforcement de la protection des peuples indigènes contribue donc pleinement à la protection environnementale.

À moyen terme, une politique environnementale plus ambitieuse — notamment grâce aux actions de protection des peuples autochtones — permettrait au gouvernement brésilien de débloquer l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercosur. Celui-ci est bloqué depuis 2019 en raison du manque d’action en faveur de la protection de la forêt amazonienne par le gouvernement Bolsonaro, et de la crise qui s’en est suivie entre les présidents brésilien et français.

Sources
  1. Portaria n°1 du 8 novembre 2022, Site officiel du gouvernement brésilien.
  2. Constitution de la République Fédérative du Brésil, Présidence de la République.
  3. Danielle Brant, João Gabriel et Renato Machado, « Indígenas querem ‘bancada do cocar’ no Congresso após retrocessos no governo Bolsonaro », Folha de São Paulo, 28 septembre 2022.
  4. Sandy Mendes et Flávia Said, « Sonia Guajajara é a mais cotada para Ministério dos Povos Indígenas », Metropóles, 10 novembre 2022.
  5. Bruno Meyerfeld, « Au Brésil, le ministre de l’environnement soupçonné de trafic illégal de bois », Le Monde, 20 mai 2021.