Si, ce mardi, les démocrates conservent leur majorité au Sénat, ce sera un franc succès. S’ils préservent leur majorité à la Chambre des Représentants, ce sera un vrai miracle. Traditionnellement, les élections de mi-mandat sont en effet un échec pour le parti du Président. Cette année, le contexte économique difficile et l’impopularité de Joe Biden renforcent encore les difficultés pour le parti au pouvoir à Washington. Et alors qu’au cours de l’été, on a pu croire que la décision de la Cour Suprême donnant aux États le droit de décider de leur législation en matière d’IVG allait mobiliser l’électorat démocrate, l’effet un temps bien réel de cette décision semble s’être dissipé. Comme à chaque midterms, le parti du Président semble se diriger vers une défaite, même si son ampleur reste à déterminer.
Les élections de mi-mandat, cauchemar récurrent des Présidents américains
Qu’ils soient démocrates ou républicains, qu’ils soient populaires ou rejetés, qu’ils aient servi au XIXème ou au XXème siècle, les Présidents américains subissent presque tous une défaite lors des élections de mi-mandat. Le scrutin à la Chambre des Représentants, qui est intégralement renouvelée par l’ensemble du pays tous les deux ans, offre un aperçu particulièrement net de cette loi d’airain de la vie politique américaine. Depuis 1860 et la mise en place progressive du bipartisme entre républicains et démocrates, 40 élections de mi-mandat se sont déroulées aux États-Unis ; sur ces 40 scrutins, 37 ont été marqués par un recul du parti du Président en termes d’élus à la Chambre. Si, dans la plupart des grandes démocraties, les élections intermédiaires sont généralement défavorables au parti au pouvoir au niveau national 1, on ne retrouve cependant une telle régularité dans la défaite dans aucun autre pays.
Au-delà de la Chambre des Représentants, le recul du parti du Président américain à mi-mandat se retrouve aussi dans les autres types de scrutins organisés le même jour, malgré les perturbations potentielles créées par le fait qu’ils ne concernent pas tous les États 2. Au cours des 40 dernières années, les dix scrutins au Sénat qui se sont déroulés à mi-mandat se sont soldés par six défaites pour le parti du Président ; pour les postes de Gouverneurs et pour les Législatures d’États 3, le parti du Président a même reculé dans huit cas sur dix.
Une telle régularité a vite été mise en lumière par les politistes : en 1958, V. O. Key écrivait que « le parti du Président, qu’il connaisse les faveurs de l’opinion ou qu’il décline dans son estime, perd généralement des sièges à la Chambre [à mi-mandat] – une observation qui, à une exception près, s’est toujours vérifiée depuis la guerre de Sécession » 4. Key note bien que ces pertes ne sont pas déterminées par la popularité de l’exécutif : que le Président, son bilan, ou son administration soient appréciés ou non, il perd des sièges à l’occasion des midterms. De fait, depuis que des enquêtes d’opinion sont disponibles, rien n’est venu contredire cette observation : des Présidents tels que Franklin Roosevelt en 1938, Dwight Eisenhower en 1958 ou Ronald Reagan en 1986, malgré leur popularité élevée à mi-mandat 5, n’en subissent pas moins des défaites parfois toutes aussi cuisantes que des Présidents peu appréciés des Américains à ce moment de leur mandat comme Harry Truman en 1946 et 1950, Lyndon Johnson en 1966, Ronald Reagan en 1982 ou Barack Obama en 2010 6.
L’ampleur du recul du parti présidentiel à mi-mandat varie en revanche très fortement. En moyenne, depuis 1862, le parti qui détient la Maison Blanche perd 34 sièges à la Chambre des Représentants à l’occasion des midterms. Mais, parfois, le parti du Président subit des défaites catastrophiques : depuis 1862, ces « pertes présidentielles » ont été à dix reprises supérieures à 50 sièges. La plus spectaculaire date de 1894 : dans la foulée de la grande crise financière de l’année précédente, les démocrates du Président Grover Cleveland, profondément divisés sur leur ligne idéologique 7, perdent 127 de leurs élus. Plus récemment, les élections de 2010, deux ans après l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, ont été particulièrement difficiles pour les démocrates qui ont perdu 64 sièges, soit le plus fort recul depuis 1938 pour le parti du Président. En d’autres occasions, les pertes subies par le parti du Président sont marginales. Sur les quarante midterms qui se sont tenues depuis 1862, neuf ont été l’occasion d’une diminution de la représentation du parti au pouvoir de quinze sièges ou moins 8. Ainsi, en 1962, le Président John Kennedy voit les membres de son parti perdre seulement quatre sièges à la Chambre, et en 1986, les républicains perdent cinq de leurs élus alors que Ronald Reagan occupe la Maison Blanche.
On doit cependant constater que, globalement, l’ampleur du phénomène est en diminution : entre 1862 et 1898, le parti du Président perdait en moyenne de 45 Représentants à mi-mandat ; depuis 1946, ce recul n’est en moyenne plus que de 27 élus. L’amplitude des pertes lors des midterms des dernières décennies reste parfois forte, mais l’on n’atteint plus désormais qu’exceptionnellement les reculs de 60 sièges voire plus qui étaient encore relativement courants jusqu’aux années 1940. Des explications de diverses natures ont été avancées pour expliquer ce phénomène, au premier rang desquelles on peut citer la diminution du nombre de districts compétitifs à la Chambre depuis les années 1950 9 et, depuis la même époque, l’augmentation de « l’avantage » électoral dont bénéficient les candidats sortants 10. Autant d’évolutions qui aboutissent à une diminution progressive du « swing ratio », c’est-à-dire du gain en termes de sièges qu’un parti obtient quand il progresse de 1 % en termes de voix 11. Plus largement, le phénomène de polarisation croissante de l’électorat, qui conduit de plus en plus d’électeurs à n’envisager de voter que pour un parti, réduit mécaniquement les chances de bascule des sièges à la Chambre 12.
Comment expliquer le phénomène des « pertes présidentielles » systématiques à mi-mandat ?
Naturellement, les tentatives pour expliquer cette quasi-systématicité de l’échec présidentiel à mi-mandat sont nombreuses. Elles peuvent se ranger en deux grandes catégories, qui ont été théorisées et débattues par les politistes américains depuis les années 1950.
La première théorie fait des élections de mi-mandat une sorte de référendum à l’occasion duquel les électeurs américains se prononceraient sur l’action menée par le Président au cours des deux années écoulées. Cette idée, ancienne 13, a été théorisée par le politiste Edward Tufte au cours des années 1970 14. Pour Tufte, « puisqu’il n’y a pas d’autres cibles disponibles lors des élections de mi-mandat, il n’est pas déraisonnable de penser que les électeurs opposés au Président reportent leur insatisfaction sur les candidats du parti du Président ». Il utilise deux éléments pour juger de la satisfaction ou de l’insatisfaction des électeurs : la popularité du Président et la situation économique du pays 15. D’après le chercheur, ces deux variables expliquent à elles seules 91 % de la variation en voix d’une élection de mi-mandat à une autre. Toutefois, la théorie ne permet pas bien de comprendre pourquoi des Présidents comme Dwight Eisenhower en 1954, John Kennedy en 1962 ou Ronald Reagan en 1986, populaires et évoluant dans un contexte économiquement favorable, ont vu leur parti reculer en voix comme en sièges à l’occasion des élections de mi-mandat.
En 1977, Samuel Kernell 16, en s’appuyant sur les travaux récents de la psychologie sociale 17, apporte une réponse en montrant que les opinions négatives ont une influence supérieure aux opinions positives dans le domaine du comportement électoral : à mi-mandat, l’électorat mécontent de la performance du Président et de son parti se mobilise généralement plus fortement que les électeurs qui s’en satisfont. Cette particularité permet alors d’expliquer le phénomène quasi-systématique des « pertes présidentielles » lors des midterms pour le parti présidentiel.
Mais étrangement, c’est un autre cadre théorique, plus complexe car expliquant les « pertes présidentielles » à mi-mandat par le résultat de l’élection présidentielle précédente, qui a longtemps été mis en avant par les universitaires comme par les journalistes américains. Cette théorie est illustrée par un dialogue relaté par Newsweek en 1956 lors duquel Hyman Schorenstein, leader démocrate influent à New York dans les années 1920-1930, tente de rassurer un jeune candidat à un scrutin local :
« – Mon garçon, dit Hymie, as-tu déjà vu un ferry arrivant à quai ?
– Bien sûr, répondit le jeune avocat.
– Alors tu as remarqué que, quand le ferry arrive à quai, il charrie avec lui beaucoup de débris, des morceaux de bois, des ordures, etc. ?
– Oui.
-Mon garçon, répond Schorenstein, cesse de t’inquiéter. Le Président Franklin Roosevelt est notre ferry, nous sommes les débris ». 18
Mais l’affirmation de Hyman Schorenstein a une conséquence obligatoire : quand le ferry/Président n’est pas en course, les débris/candidats ne sont pas poussés en avant. Pour le dire autrement, des candidats au Congrès du parti du Président qui ont pu être élus grâce à l’effet d’entrainement lié à sa dynamique risquent fort, deux ans plus tard, de subir le contrecoup de son absence et d’être battus.
Le politiste Angus Campbell a théorisé l’observation de Schorenstein, donnant le nom de « Surge & Decline » à son modèle explicatif 19. Selon lui, les Américains se mobilisent fortement à l’occasion des élections présidentielle, à la fois du fait de l’importance perçue de l’enjeu et de la forte médiatisation du scrutin. Ayant peu d’attaches idéologiques ou psychologiques pour un parti, les électeurs peu politisés ont tendance à voter pour le candidat qui est favorisé par le contexte dans lequel se tient le scrutin (enjeux de la campagne, situation économique ou internationale, qualités personnelles des candidats, etc.), et votent dans la foulée pour les candidats de son parti au Congrès. On constate en effet que les deux votes sont liés : plus un candidat à la présidentielle est largement élu, plus son parti tend à rencontrer un net succès lors du scrutin organisé le même jour à la Chambre 20.
Deux ans plus tard, la situation est très différente : l’enjeu des midterms est perçu comme plus secondaire, notamment par les électeurs peu politisés. Ceux-ci s’abstiennent en masse, et la participation électorale est systématiquement beaucoup moins forte — parfois de près de 20 points. Dès lors, les candidats du parti du Président qui avaient été élus deux ans auparavant dans des circonscriptions incertaines grâce à son effet d’entrainement sont particulièrement menacés. Une autre chercheuse, Barbara Hinckley, a par la suite fait une observation 21 qui tend à confirmer la théorie du « Surge and Decline » d’Angus Campbell : plus la victoire du Président est acquise avec une large marge d’avance, plus les pertes que les candidats de son parti subissent aux élections de mi-mandat sont lourdes.
Dans les années 1980 et 1990, l’universitaire James Campbell s’est attaché à réunir les deux grandes théories explicatives du phénomène des « pertes présidentielles » à mi-mandat. Dans The Presidential Pulse of Congressional Elections 22, il n’observe pas la base de la théorie du « Surge & Decline », à savoir la différence de participation entre la présidentielle et les midterms chez les électeurs peu politisés qui feraient d’abord la victoire du Président et de son parti avant de provoquer sa défaite par leur démobilisation. James Campbell montre en revanche que la baisse de mobilisation entre les élections à la Chambre couplée à la présidentielle et celles qui se déroulent à mi-mandat est liée à un phénomène de participation différentielle : les électeurs du parti favorisé par le contexte 23 lors de l’élection présidentielle sont sur-mobilisés, ce qui conduit à la victoire de leur candidat qui entraîne avec lui les candidats de son parti au Congrès ; inversement les électeurs de l’autre parti tendent à moins se rendre aux urnes, amplifiant la défaite de leur camp. Lors des élections de mi-mandat, le contexte de la campagne joue généralement moins sur la participation, et ce rééquilibrage défavorise mécaniquement le parti qui en a bénéficié deux ans auparavant.
Par ailleurs, James Campbell montre que l’aspect référendaire joue aussi un rôle majeur pour expliquer l’échec du parti du Président à mi-mandat, mais essentiellement chez les électeurs indépendants. Cet électorat hésitant entre les deux partis vote nettement en fonction du candidat qui est favorisé par le contexte de la campagne lors de l’élection présidentielle. Deux ans plus tard, il n’est pas significativement moins mobilisé que les électeurs proches des démocrates ou des républicains, mais son choix électoral se transforme en référendum basé sur sa perception du bilan du Président — notamment chez les électeurs mécontents, qui se rendent d’autant plus aux urnes qu’ils sont hostiles au locataire de la Maison Blanche. James Campbell livre donc un modèle empiriquement solide et qui explique non seulement parfaitement l’aspect systématique de la défaite du parti du Président à mi-mandat, mais aussi la très grande variabilité dans l’ampleur de cette défaite.
Un contexte qui ne devrait pas permettre aux démocrates de conjurer la malédiction des élections de mi-mandat
Si les élections de mi-mandat sont presque systématiquement un échec pour le parti du Président, les démocrates peuvent-ils former un espoir quant aux résultats ? Les fondamentaux ne leur sont clairement pas favorables. De l’avis même de la population américaine, le climat reste très sombre : 61 % des Américains estiment que « la vie aux États-Unis était meilleure dans le passé » et 65 % pensent que leur pays évolue dans la mauvaise direction 24. Ce sentiment est alimenté par une situation économique dégradée : les deux tiers des Américains (67 %) estiment en octobre 2022 que la situation économique du pays est mauvaise, un niveau en hausse régulière depuis l’été 2021.
C’est naturellement avant tout l’inflation qui conduit à de tels niveaux d’inquiétude. Si l’indice des prix à la consommation a un peu reculé au cours des derniers mois, il se situe néanmoins encore à 8,2 % pour septembre 2022, un niveau qui n’avait pas été atteint aux États-Unis depuis 1981. L’inflation est en conséquence au centre des inquiétudes des Américains depuis des mois : 65 % d’entre eux citent ce sujet parmi leurs principales préoccupations en octobre, bien devant l’extrémisme politique (32 %), l’insécurité et les violences armées (28 %), l’immigration (21 %) ou le changement climatique 25. Dans le détail, les enquêtes montrent des niveaux d’inquiétude records aussi bien sur le niveau des salaires que sur le prix des carburants ou celui des produits alimentaires.
Dans ce contexte, la popularité de Joe Biden s’est lentement érodée depuis son entrée en fonction en janvier 2021. Arrivé à la Maison Blanche avec un niveau de popularité déjà relativement limité 26, conséquence d’une polarisation exacerbée par une transition particulièrement chaotique, il est passé sous la barre symbolique des 50 % dès le début de l’été suivant, conséquence à la fois de la mauvaise gestion du retrait américain d’Afghanistan, mais aussi et surtout du début de l’emballement du niveau de l’inflation. Plusieurs succès législatifs lui ont permis de légèrement redresser la barre au cours de l’été dernier, mais avec une moyenne de 42 % de jugements positifs selon le site FiveThirtyEight 27, il se situe à un niveau très proche de Donald Trump en novembre 2018, Barack Obama en novembre 2010, Bill Clinton en novembre 1994 : autant de Présidents qui ont connu une sévère très défaite à mi-mandat.
La décision de la Cour Suprême de juin 2022 visant à laisser la liberté à chaque État de promulguer sa propre loi sur l’avortement, laquelle a été suivie de l’annonce par certains dirigeants républicains de leur volonté d’interdire l’IVG dans plusieurs États qu’ils contrôlent, a pu faire penser que les conservateurs retombaient dans le piège qui leur avait tant coûté lors des élections de mi-mandat de 1998. Cette année, la campagne électorale s’était déroulée parallèlement à la procédure d’impeachment menée par le Congrès à majorité républicaine contre Bill Clinton dans le cadre de l’affaire Monica Lewinsky. Si les Américains étaient majoritairement choqués par l’attitude personnelle de Bill Clinton, ils se montraient aussi très satisfaits de sa gestion du pays et ne souhaitaient pas qu’il quitte le pouvoir. La procédure d’impeachment avait donc été perçue comme une manœuvre politicienne de la part des républicains et les Américains avaient voté en faisant des élections de mi-mandat un référendum non pas sur l’action du Président, mais sur l’action de la majorité républicaine au Congrès. Conséquence : les démocrates avaient remporté 5 sièges à la Chambre des Représentants et n’avaient perdu aucun siège au Sénat, un succès historique.
Cette année, la décision de la Cour Suprême a bel et bien eu un effet positif pour le parti démocrate 28 : au-delà même de la progression dans les sondages des candidats démocrates pour les élections de mi-mandat tout au long de l’été, le parti a obtenu de très bons scores lors de plusieurs élections partielles qui se sont déroulées dans le Nebraska, le Minnesota, en Alaska ou à New York, autant d’États représentatifs de la diversité sociologique et politique du pays. Toutefois, l’importance de la question de l’avortement s’est lentement réduite au fil du temps : alors qu’en juillet dernier, 19 % des Américains citaient ce sujet parmi leurs principales préoccupations (en 4ème place), ils ne sont désormais plus que 11 % à le faire, en 8ème place de leurs sujets d’inquiétude. Le danger pour les républicains que la campagne tourne autour d’un enjeu sur lequel ils auraient été structurellement minoritaires dans l’opinion 29 s’est donc peu à peu écarté. Bien au contraire, la campagne électorale s’est organisée, en plus des enjeux liés à l’économie et à l’inflation, sur des enjeux liés à l’insécurité largement mis en avant par les médias conservateurs 30. L’éloignement progressif de l’enjeu de l’avortement, la mise à l’agenda politico-médiatique des sujets sécuritaires, le mécontentement vis-à-vis de la situation économique et le lancement de la campagne électorale ont réactivé les prédispositions des électeurs républicains modérés et/ou peu politisés : depuis la fin octobre, la moyenne des sondages nationaux pour les élections à la Chambre des Représentants du site FiveThirtyEight donne à nouveau une majorité de suffrages aux républicains 31.
Dans ce contexte, une perte par les démocrates de leur étroite majorité à la Chambre des Représentants 32 semble difficile à éviter : le découpage électoral très favorable au camp conservateur fait que même avec une majorité substantielle en termes de voix, les démocrates devraient perdre des sièges. De plus, anticipant une probable défaite de leur parti, 35 sortants démocrates ne se représentent pas, contre 27 républicains 33. Cet élément accroit encore le désavantage avec lequel partent les démocrates 34. La question de l’ampleur du recul du parti de l’âne à la Chambre reste en revanche largement ouverte, et elle déterminera en grande partie l’analyse qui devra être faite du scrutin. Au Sénat, les élections concernent 34 sièges répartis dans 33 États. Un maintien de la majorité démocrate très ténue 35 n’est pas impossible, car la carte électorale est équilibrée : à peu près autant de bastions conservateurs (Utah, Idaho, Dakota du sud et du nord, Oklahoma, Louisiane, Arkansas, Kentucky…) que libéraux (Hawaï, California, Oregon, Illinois, New York Maryland, Connecticut, Vermont…) sont appelés aux urnes. De plus, plusieurs Sénateurs républicains sortants ne se représentent pas, ce qui ouvre aux démocrates des perspectives de conquêtes en Pennsylvanie, voire dans l’Ohio. Néanmoins, les sondages se sont dégradés pour le parti démocrate au cours des dernières semaines, et une augmentation substantielle de leur nombre de sénateurs semble désormais hors de portée. Le champ des possibles semble donc contenu entre le maintien de l’étroite majorité démocrate et l’obtention par les républicains d’une majorité limitée au Sénat.
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Quoiqu’il en soit, le maintien par les démocrates d’un « Trifecta » — le fait de contrôler à la fois la Maison Blanche et les deux chambres du Congrès — à la suite des élections de mi-mandat semble improbable. Cet horizon bloque définitivement toute perspective d’évolutions institutionnelles ou de la réglementation électorale qui sont défendues par une partie des élus et des think tanks démocrates : admission de Puerto Rico ou de Washington DC comme États, loi fédérale unifiée sur le droit et les conditions du vote, régulations du découpage électoral au niveau des États, suppression ou modification du rôle du Collège électoral dans l’élection du Président, etc. Au fil du temps, ces règles favorisent en effet de plus en plus le parti républicain et lui permettent de plus en plus fréquemment de détenir le pouvoir tout en étant minoritaire en voix. De fait, il est probable que la tendance ne fera que se renforcer au cours des prochaines années, rendant un changement de trajectoire très douteux.
Sources
- Karlheinz Reif, Hermann Schmitt, « Nine Second Oder National elections : a conceptual framework for the analysis of European results », European Journal of Political research, 1980 ; Jean-Luc Parodi, « Dans la logique des élections intermédiaires », Revue politique et parlementaire, 1983.
- Les Sénateurs sont élus par tiers tous les deux ans. Il n’y a pas de règle fixe pour l’élection des Gouverneurs mais, à mi-mandat, un peu plus des deux tiers d’entre eux sont soumis à réélection.
- Les législatures d’États sont bicamérales, avec une chambre basse (Chambre des Représentants, Chambre des délégués ou Assemblée selon les États) et une chambre haute (Sénat). Unique exception, la législature du Nebraska qui, depuis 1937, est monocamérale et non partisane : pour y être élu, il est interdit d’avoir le soutien officiel d’un parti politique.
- Valdimer O. Key, Politics, Parties and Pressure Groups, Thomas Y. Cromwell, New York, 1958.
- Ils sont respectivement crédités de 57 %, 57 % et 63 % d’opinions positives dans les derniers sondages Gallup réalisés avant les midterms.
- Ils sont respectivement crédités de 33 %, 41 %, 44 %, 42 % et 44 % d’opinions positives dans les derniers sondages Gallup réalisés avant les midterms.
- Lors des élections présidentielles qui suivent en 1896, l’aile populiste du parti démocrate l’emporte avec la nomination de William J. Bryan face aux démocrates conservateurs du Président sortant.
- Trois ont même vu un gain en sièges du parti du Président : 1934 et 2002, lors de périodes de crises particulièrement fortes (Grande dépression et 11 septembre) accompagnées d’une très forte population des Présidents en exercice, et 1998, dans un contexte sur lequel nous reviendrons plus tard.
- David Mayhew, « Congressional Elections : The Case of the Vanishing Marginals », Polity, 1974.
- Robert Erikson, « The advantage of Incumbency in Congressional Elections », Polity, 1971 ; Robert Erikson, « Malaportionment, Gerrymandering, and Party Fortunes in Congressional Elections », The American Political Science Review, 1972.
- Edward Tufte, « The Relationship between Seats and Votes in Two-Party Systems », The American Political Science Review, 1973.
- James E. Campbell, Polarized : Making Sense of a Divided America, Princeton University Press, Princeton, 2016.
- Ainsi, le constitutionnaliste britannique James Bryce disait dès 1913 que « les membres [de la Chambre des Représentants] sont élus pour deux ans, et les élections ont lieu toutes les années paires, 1908, 1910, et ainsi de suite. Une élection au Congrès sur deux coïncide donc avec celle du Président. Les admirateurs de la Constitution voient dans cette caractéristique un contrepouvoir remarquable : cela permet au Président de disposer d’un Congrès dont on peut penser qu’il lui sera favorable pour les deux premières années de son mandat, et surtout, cela permet aux citoyens d’exprimer, deux ans après, leur satisfaction ou leur mécontentement envers l’action du Président en élisant au Congrès des Représentants qui vont soutenir ou s’opposer aux vues du Président ». Cf. James Bryce, The American Commonwealth, Macmillan and Company, Norwood, 1913.
- Edward Tufte, « Determinants of the Outcomes of Midterm Presidential Elections », The American Political Science Review, 1974 ; Edward Tufte, Political Control of the Economy, Princeton University Press, Princeton, 1978.
- Ces deux facteurs sont matérialisés par la question régulièrement posée par l’institut de sondage Gallup depuis 1938 (« Do you approve or disapprove of the way (le Président) is handling his job as President ? ») et par la variation annuelle du revenu personnel disponible par tête entre l’année précédant les élections de mi-mandat et l’année où elles se tiennent.
- Samuel Kernell, « Presidential Popularity and Negative Voting : An Alternative Explanation of the Midterm Congressional Decline of the President’s Party », The American Political Science Review, 1977.
- Nehemiah Jonas, « The Asymmetry of “Liking” and “Disliking” : A Phenomenon Meriting Further Reflections and Research », Public Opinion Quarterly, 1965.
- Harold Lavine, « Riding the Coattails », Newsweek, 22 octobre 1956.
- Angus Campbell, « Surge and Decline : A Study of Electoral Change », Public Opinion Quarterly, 1960.
- Aux États-Unis, le taux de participation est généralement calculé sur l’ensemble des citoyens âgés de 18 ans et plus, et non pas sur les électeurs inscrits sur les listes électorales comme en France. Il n’est donc pas possible de comparer directement les données entre les deux pays.
- Barbara Hinckley, « Interpreting House Midterm Elections : Toward a Measurement of the In-party “Expected” Loss of Seats », The American Political Science Review, 1966.
- James Campbell, The Presidential Pulse of Congressional Elections, The University Press of Kentucky, Lexington, 1993.
- La personnalité de leur candidat, la situation économique et internationale, les enjeux mis en avant durant la campagne…
- Ipsos / Future Investment Initiative Institute, septembre 2022.
- Ipsos / fivethirtyeight.com, octobre 2022.
- 55 % de jugements favorables les 20 et 21 janvier selon le baromètre Ipsos / Reuters.
- How popular is Joe Biden ?, FiveThirtyEight, https://projects.fivethirtyeight.com/biden-approval-rating/?ex_cid=rrpromo
- Nathaniel Rakich, « Yes, Special Elections Really Are Signaling A Better-Than-Expected Midterm For Democrats », FiveThirtyEight, 24 août 2022, https://fivethirtyeight.com/features/yes-special-elections-really-are-signaling-a-better-than-expected-midterm-for-democrats/
- Dans le dernier sondage ABC News/Washington Post réalisé du 18 au 21 septembre, 64 % des Américains se disent opposés à la décision de la Cour Suprême, contre 29 % qui y sont favorables.
- Philip Bump, « Crime is surging (in Fox News coverage) », The Washington Post, 6 octobre 2022, https://www.washingtonpost.com/politics/2022/10/06/crime-is-surging-fox-news-coverage/
- Do voters want Republicans or Democrats in Congress ?, FiveThirtyEight, https://projects.fivethirtyeight.com/polls/generic-ballot/
- Ils disposent actuellement de 220 élus, soit deux de plus que la majorité absolue de 218 sièges.
- Plusieurs d’entre eux ont été battus par des candidats pro-Trump lors des élections primaires
- David Wasserman, « A Persistent House GOP Advantage : Democratic Open Seats », The Cook Political Report, 14 octobre 2022, https://www.cookpolitical.com/analysis/house/house-overview/persistent-house-gop-advantage-democratic-open-seats
- Elle ne tient qu’au vote de la Vice-Présidente Kamala Harris, qui a rang de Présidente du Sénat et peut départager les votes à égalité.