• Les images du 14ème Sommet des BRICS, qui s’est tenu la semaine dernière en format virtuel, présidé par le président Xi Jinping, ont pu faire grincer quelques dents. Alors que la Russie est visée par un nombre important de sanctions internationales, régulièrement amplifiées, on a pu voir Vladimir Poutine ainsi que les présidents chinois, indien, brésilien et sud-africain trinquer virtuellement, alors que la guerre continue de faire rage en Ukraine.
  • Hier, alors que les présidents des principales puissances occidentales étaient réunis en Bavière pour un Sommet du G7 — auquel a assisté Volodymyr Zelensky par visioconférence — afin de discuter de nouvelles sanctions qu’ils pouvaient imposer à la Russie, deux missiles russes sont venus s’abattre sur un centre commercial de la ville de Kremenchuk, faisant au moins 18 morts1. S’il est possible d’interpréter cette grave violation du droit international comme un signe de défiance envers les principales puissances occidentales, dont les recours sont limités au-delà d’une condamnation, il n’en reste pas moins que Poutine semble pour le moment isolé sur la scène internationale, ne bénéficiant d’un soutien affirmé que par peu de puissances.
  • Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février dernier, Vladimir Poutine est resté en Russie, ne participant à des rencontres et à des sommets internationaux que par visioconférence, ou bien discutant avec d’autres leaders par téléphone — son dernier voyage remonte aux 4 et 5 février dernier, durant lequel il s’était rendu en Chine. Cependant, aujourd’hui Vladimir Poutine rompt avec cette position, et effectue son premier déplacement à l’étranger, au Tadjikistan, pour y rencontrer son homologue tadjik, Emomali Rahmon2.
  • Ancienne république soviétique devenue indépendante en 1991, le Tadjikistan est un pays membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) aux côtés de la Russie, ainsi que de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), aux côtés de la Russie ainsi que de la Chine. Au-delà de ces organisations régionales, la république d’Asie centrale héberge également la base militaire russe la plus importante au monde en-dehors de ses frontières — qui accueille entre 6 000 et 7 000 militaires —, dont les capacités ont été augmentées en janvier dernier3.
  • Comme tous les pays d’Asie centrale membres de l’ONU, le Tadjikistan n’a pas voté en faveur de la résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine lors du vote aux Nations unies du 2 mars dernier. Son président, Emomali Rahmon, est un allié très proche de Poutine dont il s’est assuré le soutien le 16 mai dernier lors de la répression sanglante de la population ismaélienne du plateau du Pamir, ainsi que le dirigeant en poste depuis le plus longtemps dans les pays de l’espace ex-soviétique4. Réélu à cinq reprises, il est à la tête du Tadjikistan depuis novembre 1992, soit 29 ans. De plus, depuis la tenue d’un référendum en 2016 qui a obtenu l’approbation de 94,5 % des votants, Emomali Rahmon pourrait, s’il le souhaite, rester à la tête du pays jusqu’à la fin de sa vie5.
  • L’Asie centrale est une région stratégique dans le contexte de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Comme en témoigne le conseil de coopération qui s’est tenu entre l’Union et le Kazakhstan le 20 juin dernier, une lutte d’influence s’exerce entre le bloc des 27 et la puissance russe, qui domine historiquement la région. Lors de sa venue en Russie au début du mois de juin, le président du Kazakhstan, Kassym Jomart-Tokayev, s’est détaché du narratif du Kremlin en ne reconnaissant pas l’indépendance des républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk, reconnue par la Russie le 21 février, soit trois jours avant le début de la guerre en Ukraine6.
  • Quelques semaines plus tard, dans son discours au 25ème forum économique de Saint-Pétersbourg, le président russe expliquait que le Kazakhstan et les autres ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale faisaient partie de la « Russie historique », faisant planer une menace à peine voilée sur ces pays pour qu’ils s’alignent sur les positions russes7. Le voyage de Vladimir Poutine au Tadjikistan puis au Turkménistan répond ainsi à deux objectifs : rassurer les leaders des républiques d’Asie centrale sur les objectifs du Kremlin, et également s’assurer du soutien de ces derniers, alors que la pression occidentale continue à se raffermir autour de la Russie.
Sources
  1.  Simon Lewis, « Russian missile strike kills 16 in shopping mall, Ukraine says », Reuters, 28 juin 2022
  2.  « Putin to Leave Russia for First Time Since the Ukraine Invasion », Bloomberg, 27 juin 2022
  3. « Russia’s military base in Tajikistan fully equipped to respond to any threats, says envoy », Tass, 28 janvier 2022
  4. Il est à noter qu’Emomali Rahmon est suivi de près par le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis presque 28 ans
  5.  « Tajikistan votes to allow president to rule indefinitely », The Guardian, 23 mai 2016
  6. « Putin To Meet Tajik Counterpart Rahmon In Dushanbe As War In Ukraine Continues », Radio Free Europe, 27 juin 2022
  7. James Kilner, « Vladimir Putin’s veiled threat to ex-Soviet states : ‘You’re part of historic Russia’ », The Telegraph, 18 juin 2022.