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Key Points
- À ce stade, on considère que l’on peut classer l’ensemble des souches virales de monkeypox responsables d’épidémies de variole du singe en deux « clades » soit deux familles, le clade du « Bassin Congo » et le clade « Ouest Africain ».
- L’incubation peut durer de 4 à 20 jours, la fièvre dure en général quelques jours, et la maladie guérit, le plus souvent spontanément, généralement en 2 à 4 semaines.
- L’épidémie de 2022 présente un nombre croissant de cas sans aucun lien direct, ni avec un pays d’Afrique, ni avec un animal contaminé. Or si l’on avait déjà observé des transmissions interhumaines communautaires du monkeypox virus, cela n’a jamais été le cas hors d’Afrique.
- Pour endiguer l’épidémie, une première solution pourrait être la ring vaccination ou vaccination ciblée. Un protocole éprouvé visant à créer « un anneau vaccinal autour d’un cas » afin d’empêcher la diffusion tout en préservant des moyens logistiques et sanitaires sérieusement mis sous pression par des campagnes de vaccination de masse.
1 — À tout instant, beaucoup de virus et de bactéries circulent. Quand doit-on s’y intéresser et éventuellement prendre des mesures particulières ?
Les virus sont des entités parasitiques intracellulaires obligatoires, ils sont en quelque sorte « condamnés » à l’air libre, et à passer d’hôte en hôte pour se reproduire en permanence, sans quoi ils disparaissent.
Le monde des virus est donc un monde condamné à la croissance permanente. Pas de quoi paniquer pour autant, car l’immense majorité des virus n’est pas pathogène pour l’homme, et même au sein de ceux qui sont pathogènes, l’immense majorité des nouveaux virus produits sera détruite par des systèmes immunitaires ou par l’environnement.
Ainsi, le SARS-COV-2 peut survivre plusieurs heures sur certaines surfaces, ce qui est à la fois préoccupant – car cela requiert une désinfection régulière de ces dernières – mais contient un aspect rassurant en creux : l’environnement extérieur est un lieu hostile pour les virus qui finissent par y être détruits au bout d’un certain temps. L’environnement contient donc, à chaque instant, un nombre extrêmement important de virus. On peut d’ailleurs dater la naissance de la microbiologie au sens large au XVIIe siècle, lorsque le tapissier néerlandais Antoine van Leeuwenhoek invente les premières lentilles de microscope, et, observant l’intérieur des cavités buccales avec déclare que « la bouche d’un seul homme contient plus de ces animalcules que tout le royaume ne contient d’habitants ». Sachant que les virus sont encore plus prévalents que les bactéries, on peut imaginer le choc qu’il aurait ressenti s’il avait pu observer des virus, trop petits pour être observables avec des microscopes optiques.
La question des bactéries est bien plus complexe que celle des virus. Déjà parce qu’il s’agit d’entités bien plus grosses que ne le sont les virus, et surtout parce que nos relations avec elles sont beaucoup plus riches, complexes et nuancées. De manière générale les virus sont soit pathogènes, pour l’homme, des végétaux ou des animaux, auquel cas ils ont un potentiel de nuisance pour l’espèce humaine plus ou moins important, soit non pathogènes, auquel cas ils sont globalement neutres. Un rare exemple « d’apport » supposé des virus à l’humanité consiste en la syncitine, une protéine humaine jouant un rôle clef dans la placentation, et qui nous aurait été apportée par les virus. En dehors de cela, les virus sont l’immense majorité du temps soit néfastes pour l’humanité, soit neutres.
Les bactéries quant à elles, sont tout autant voire même plus souvent bénéfiques à l’espèce humaine qu’elles ne sont pathogènes. Elles jouent entre beaucoup d’autres un rôle clef dans le développement des écosystèmes, mais aussi de nos systèmes digestifs et immunitaires. Souvent la même bactérie peut même être neutre, bénéfique ou pathogène en fonction des circonstances. Nos relations avec les bactéries, mais aussi les relations qu’entretiennent les bactéries entre elles, ainsi qu’avec les autres microorganismes – n’oublions pas que la pénicilline comme nombre d’autres antibiotiques sont des armes chimiques développées par les fungi contre les bactéries – constituent ainsi une sorte de « géopolitique microscopique » extrêmement complexe. Enfin, il existe un dernier acteur clef dans ces dynamiques, à savoir les virus infectant les bactéries. Appelés bactériophages, souvent abrégés en « phages » ils sont présents sur Terre en un nombre à proprement parler incalculable. Constituant une des perspectives thérapeutique et prophylactique les plus enthousiasmantes dans un monde post antibiotiques, ils constituent également un élément absolument essentiel de régulation de la population bactérienne mondiale. On a même coutume de dire pour forcer le trait que si les bactériophages disparaissaient du jour au lendemain, les bactéries recouvriraient toute la surface terrestre en un peu plus de 24 heures.
Mais si le monde est perpétuellement rempli d’un océan infini de virus et de micro-organismes, pourquoi se préoccuper soudainement d’un virus ou d’une bactérie en particulier, qu’il s’agisse du Sars-Cov-2, d’une nouvelle souche du monkeypox, de la grippe, ou de la bactérie E. Coli ? L’élément clef dans tout événement lié à un micro-organisme pathogène est la nouveauté.
Historiquement, il a tout d’abord été question de capacité nouvelle à détecter la présence des micro-organismes, puis du lien entre des micro-organismes et des maladies. La tuberculose pulmonaire et les personnes dites « bossues » existent depuis l’Antiquité. Mais ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, que Robert Koch, futur Prix Nobel de médecine 1905, va permettre de faire le lien entre ces pathologies et un micro-organisme, Mycobacterium Tuberculosis, qui en est la cause. La polio existe elle aussi depuis l’antiquité, en témoigne entre autres des représentations de personnes estropiées sur des stèles égyptiennes. Mais ce n’est qu’au XXe siècle qu’on fera le lien entre cette maladie et le poliovirus. La nouveauté des moyens techniques et du savoir scientifique va donc entraîner un intérêt aigu pour Mycobacterium Tuberculosis et le poliovirus, qui circulent pourtant au sein de l’humanité depuis des millénaires. Un début de réponse anachronique à ce paradoxe pourrait mettre en avant les conséquences qu’on eut cet « emballement ». Cet intérêt et cette prise de conscience de l’ensemble des dégâts infligés à l’humanité par ces microorganismes va entraîner une réaction, et notamment le développement d’antibiotiques et surtout de vaccins qui vont permettre de faire reculer de façon extrêmement significative leur circulation au sein des pays industrialisés. Des maladies qui ravageaient l’humanité depuis des siècles, voire des millénaires, ont pu voir leurs ravages très sérieusement réduits par la nouveauté des moyens dont on disposait.
Un autre cas de figure concerne des souches nouvelles, qui le plus souvent vont se retrouver dans des endroits nouveaux.
Des souches nouvelles avec des propriétés les rendant potentiellement plus pathogènes et ou plus transmissibles à l’être humain et entre êtres humains. Non pas pathogènes ou transmissibles, mais plus pathogènes et ou plus transmissibles. C’est un élément essentiel.
Des endroits nouveaux : c’est là un autre élément tout aussi essentiel. Pour qu’un danger devienne un risque, il faut que les populations vulnérables soient exposées à ce danger. Une souche d’Ébola enfermée dans le laboratoire à ultra haute sécurité P4 de Lyon présente un risque extrêmement faible. En revanche, une souche d’E.Coli pathogène présente au cœur même d’une usine d’agroalimentaire et qui va se retrouver dans des plats cuisinés comme les pizzas présente un risque très élevé. La même souche présente à quelques centaines de mètres, en dehors de l’usine, en considérant que l’usine dispose de mesures d’hygiène appropriées, présenterait un risque bien plus faible. De la même manière, un pathogène présent dans la ventilation d’un aéroport international présente un risque infiniment plus élevé que le même pathogène présent dans un étang isolé au cœur d’une forêt très enclavée. L’émergence de nouveaux pathogènes se fait souvent par l’arrivée de ce pathogène dans un endroit nouveau. Cela se fait aussi souvent en même temps que l’arrivée d’un pathogène infectant d’abord animal au sein d’un hôte nouveau à savoir l’être humain. Cela peut être dus à divers phénomènes, et on peut craindre que les destructions en chaîne d’écosystèmes et d’habitats naturels de nombreux organismes n’entraîne une recrudescence de nouveaux pathogènes arrivant dans des endroits nouveaux ou ils seront susceptibles de nuire – la grande revanche de la géographie.
Qu’entend-on par des souches « plus » pathogènes ou transmissibles ? Dans l’immense majorité des cas, les nouveaux pathogènes sont de nouvelles souches de pathogènes eux-mêmes déjà connus. Il existe des cas où une espèce relativement éloignée des espèces connues les plus proches émerge. Si l’on prend l’exemple du Sars-Cov-2, on connaissait déjà les coronavirus, et il est relativement proche du virus du SRAS, le Sars-Cov-1, responsable d’une épidémie en 2003. Cela vaut aussi pour la grippe, comme pour la variole du singe. Il s’agit ainsi rarement de virus entièrement nouveaux, mais de « nouvelles versions » : on a affaire à des phénomènes se rapprochant de l’émergence des variants, mais à une échelle plus importante. Pourquoi la question de la nouveauté est alors si importante ? De nombreux micro-organismes très pathogènes ont le potentiel d’infliger des dégâts considérables à l’humanité. La plupart sont connus et étudiés et presque aucun ne circule à grande échelle sans que l’on ne travaille activement sur des pistes thérapeutiques et prophylactiques. On dispose souvent au moins d’un minimum de perspectives thérapeutiques. Malaria, fièvre jaune, dengue, et tuberculoses résistantes aux antibiotiques sont des maladies dues à des agents infectieux qui tuent énormément d’êtres humains chaque année, et ce sur de larges zones géographiques. Mais aucun d’entre eux ne constitue « un sujet » du débat public. La nature des zones et des populations touchées participe probablement beaucoup à cela, à la fois par la perception que de meilleures conditions d’hygiène réduiraient fortement la prévalence de ces maladies, et parce que certains morts émeuvent moins que d’autres.
On peut cependant noter que le VIH, avec une prévalence considérablement réduite mais toujours loin d’être nulle en Occident, ne semble plus être un sujet si préoccupant dans le débat public. Le virus circule toujours en Occident, mais on le connaît, on l’a étudié, et on dispose maintenant de traitements extrêmement efficaces. À l’inverse, une des dernières épidémies d’Ebola (2014-2016) a eu beau se déclarer en Afrique centrale dans des zones très peu industrialisées et provoquer in fine moins de 20 cas et un seul mort en dehors d’Afrique , le monde entier s’en est immédiatement préoccupé et « The Ebola Fighters » ont été nommés 2014 Time Magazine Person of the year. Parce que le virus est extrêmement mortel et que l’on ne dispose pas de traitements, mais aussi parce que la souche était nouvelle. Si, demain, la même souche d’Ébola réapparaît au même endroit, cela fera toujours parler en raison du taux de mortalité et des symptômes très spectaculaires de ce virus, mais les autorités se montreront probablement bien plus rassurantes et seront probablement bien plus sûres d’elles que pour évoquer une nouvelle souche de variole du singe pourtant bien moins mortelle. Tout simplement parce qu’il y en a une que l’on connaît, et l’autre que l’on ne connaît pas et qui renferme donc un champ de dangers potentiels bien plus vaste. On sait ce que fait la souche d’Ébola de 2016, mais on sait également ce que, jusqu’à maintenant en tout cas, elle ne fait pas. Elle ne cause pas de pandémie car elle tue si vite que ses hôtes n’ont pas le temps de beaucoup la transmettre, ce qui entraîne un R0 faible, et fait que les épidémies n’évoluent jusqu’à maintenant pas en pandémie. Beaucoup de morts, donc, mais un foyer qui reste très restreint géographiquement. Mais qui peut prédire ce que fera une souche nouvelle ? Depuis la découverte du variant Omicron du Sars-Cov-2 fin décembre 2021, aucun nouveau variant n’a émergé et n’est devenu majoritaire.
On est passé d’une sous-famille de variant BA-2 à BA-5 et il existe de nombreux et passionnants débats sur le degré de différence génétique à partir duquel on passe d’une sous famille à une famille, et ou se situe la frontière avec ce que l’on qualifie de “nouveau” variant mais en simplifiant énormément on peut considérer qu’on à depuis Omicron pas vu émerger de souche du virus possédant des propriétés « significativement » différentes. Ainsi, quand bien même on a assisté à plusieurs remontées des courbes de contaminations et eu des dizaines de milliers de morts en Europe, cela a suscité bien moins de craintes que lors de l’émergence des variants « significativement différents » comme celui, dit « anglais », puis Delta et Omicron. Parce qu’on ignore les propriétés d’un nouveau variant, ce sont toutes ces propriétés potentielles qui font peur, plus que des propriétés avérées et connues, même très dangereuses. « Mieux vaut le diable qu’on connaît que celui qu’on ignore. »
La Haute Autorité de Santé française indiquait d’ailleurs dans son communiqué de presse du 24 mai 2022 que :
« La HAS adaptera cette recommandation préliminaire en fonction des nouvelles données épidémiologiques et cliniques disponibles et souligne l’importance de disposer prochainement de :
- Données plus précises sur le mode transmission interhumaine pour les cas actuellement identifiés ;
- Données de suivi de l’épidémie ;
- Données en vie réelle complémentaires relatives à l’efficacité et à la tolérance du vaccin antivariolique de 3e génération, administré en pré exposition et en post exposition au virus du Monkeypox, sur la prévention des formes graves et sur la transmission de la maladie ;
- Données relatives à l’efficacité et à la tolérance d’une dose de rappel chez les personnes qui ont été vaccinées contre la variole dans leur enfance »
Les situations, de la fin 2021 au printemps 2022, du variant omicron à la variole du singe en passant par la grippe, sont un mélange des deux cadres de nouveauté présentés. On a affaire à des souches nouvelles, mais on dispose également de moyens nouveaux.
Les capacités de séquençage du génome permettent désormais de détecter très rapidement l’apparition d’une nouvelle souche et de la transmettre aux laboratoires du monde entier pour leur permettre de la détecter eux aussi. Or on ne trouve que ce que l’on cherche, c’est-à-dire ce que l’on veut chercher et ce que l’on peut chercher. La pandémie de Covid-19 a renforcé très significativement les deux : les moyens de séquençage ont été décuplés, et le rythme avec lequel on séquence l’a été tout autant.
À ce titre on peut noter, en simplifiant beaucoup, une des différences pratiques majeures entre d’un côté la RT-qPCR et les tests antigéniques et de l’autre le séquençage. La PCR cherche une séquence génomique bien précise, et répond de façon binaire sur la présence ou l’absence de cette séquence. Les tests antigéniques font de même avec une réponse binaire sur la présence ou l’absence de motifs antigéniques précis appartenant à un virus précis. Le séquençage, lui, donne une réponse bien plus vaste en fournissant la séquence génomique de tout ou presque ce qui se trouvait dans l’échantillon donné à séquencer. Ainsi, en séquençant pour étudier l’évolution du génome des souches de Sars Cov 2, (précisément le type d’opération de séquençage de « routine épidémiologique » qui a permis aux équipes médicales d’Afrique du Sud de détecter et d’alerter très précocement sur l’émergence du variant Omicron) on a pu tomber par sérendipité sur une nouvelle souche de variole du singe ou de grippe. Cela pourrait en partie expliquer pourquoi on a détecté aussi vite autant de cas de variole du singe dans autant de pays.
2 — Qu’est-ce que la variole du singe ?
Il s’agit d’une maladie causée par le Monkeypox virus, un virus à ADN double brin du genre Orthopoxvirus de la famille des Poxviridae 1.
Le genre orthopoxvirus comprend également le virus de la variole, mais le Monkeypox virus ne descendrait pas directement de celui-ci.
Son nom vient de la découverte du virus chez des macaques de laboratoire dans un laboratoire danois en 1958. Le premier cas humain a été identifié en République Démocratique du Congo en 1970. On peut à ce titre faire une parenthèse concernant la nomenclature liée au virus. Jusqu’à l’heure de l’écriture de ces lignes, les différents clades du virus sont dénommés après des régions géographiques africaines, et elles seront mentionnées telles quelles. Cependant cela est susceptible de changer étant donné l’appel récent d’un grand nombre de scientifique a changer cette nomenclature afin d’en retirer le côté stigmatisant et discutable car liant encore à des zones d’Afrique un virus qui se transmet maintenant en dehors d’Afrique 2. Appel entendu par l’OMS qui travaille désormais sur une nouvelle nomenclature. On peut faire le parallèle avec le variant omicron, issu là encore d’une volonté de casser la dynamique de dénomination géographique (variant anglais, variant brésilien… omicron serait ainsi probablement devenu le variant sud-africain) stigmatisante. En matière médicale, l’association entre nomenclature et géographie mène malheureusement trop souvent à la stigmatisation et c’est maintenant un enjeu bien compris et pris en compte.
Se pose enfin la question même du terme « variole du singe », et de son caractère potentiellement source de beaucoup de confusion étant donné que même s’il constitue un hôte potentiel le virus semble circuler très peu voir pas chez les signes qui ne semblent ainsi pas liés du tout aux épidémies de « variole du singe ». Parler de « variole du singe » pour une maladie sans lien avec le singe est ainsi potentiellement source de confusion et quelque peu contre productif… Cependant le fondement du langage et de la nomenclature est d’employer les mêmes mots pour parler de la même chose… Un des enjeux majeurs de la construction et de l’organisation des sciences a été précisément l’établissement de nomenclatures communes pour que des scientifiques du monde entier puissent aisément se comprendre et que la même molécule ou le même virus aient le même nom partout sur Terre. Malgré cela on a encore en génétique trop d’exemples de gènes possédant plusieurs noms car ceux qui ont décidé de s’y intéresser les ont nommés sans avoir (ou parfois sans faire l’effort de prendre) connaissance d’une autre dénomination déjà établie par d’autres pour parler de la même chose. La nomenclature de chimie organique peut sembler incroyablement fastidieuse, rigide et parfois saugrenue à quiconque tente de s’y familiariser… mais elle permet en théorie à n’importe qui de dessiner avec précision n’importe quelle molécule organique avec pour seule information son nom… bénéfice non négligeable.
Or les discussions actuelles sur un changement de nom de la – pour le moment encore – « variole du singe » semblent porter sur un nomenclature des clades dorénavant sans mention de zones géographiques africaines et sur la déstigmatisation mais conserver le terme anglais monkeypox, jusqu’ici traduit en français par « variole du singe ». Ainsi quand bien même on peut légitimement s’interroger sur ce nom, en attente de décision collective visant à en changer en étant d’accord sur le terme à utiliser à la place, il semble que la balance bénéfice risque en termes de clarté penche en faveur de la poursuite de l’emploi de ce terme.
La maladie débute généralement par un syndrome grippal avec une fièvre forte, des courbatures, maux de tête ainsi qu’une asthénie 3.
Au bout de quelques jours apparaît une éruption cutanéo-muqueuse avec des vésicules remplies de liquide qui vont se dessécher, évoluer en croûtes, puis cicatriser. Ces symptômes peuvent évoquer la varicelle, la rougeole, et surtout la variole, et une des particularités symptomatiques de la variole du singe est le gonflement des ganglions lymphatiques, notamment au niveau des oreilles, de la mâchoire et de la nuque. Il est également à noter que de nombreux cas récents présentent des lésions cutanées au niveau de la région génitale.
L’incubation peut durer de 4 à 20 jours, la fièvre dure en général quelques jours, et la maladie guérit, le plus souvent spontanément, généralement en 2 à 4 semaines. La contagiosité démarre en général avec les symptômes et s’achève avec la chute des croûtes.
À ce stade, on considère que l’on peut classer l’ensemble des souches virales de monkeypox responsables d’épidémies de variole du singe en deux « clades » soit deux familles, le clade du « Bassin Congo » et le clade « Ouest Africain ». À l’instar du Sars-Cov-2, la maladie est particulièrement sujette à des formes graves et parfois mortelle au sein de certaines populations plus vulnérables. Toutefois, ces populations incluent les enfants en plus des femmes enceintes et des personnes immunodéprimées. Le taux de mortalité est également similaire au Sars-Cov-2 mais diffère entre les clades. Le clade Bassin Congo aurait un taux de mortalité situé autour de 10 %, contre 3 % pour le clade Ouest Africain. De façon pour le moment assez rassurante, il semblerait que l’épidémie actuelle en dehors d’Afrique soit due à une ou plusieurs souches dérivées du clade Ouest Africain, avec un taux de fatalité qui serait situé autour de quelques pour cent selon ce que l’on sait actuellement.
Le mode de transmission du virus est un sujet complexe — source à l’heure actuelle de nombreuses incertitudes – et constitue l’un des éléments de nouveauté de l’épidémie actuelle de variole du singe. La transmission de l’animal à l’homme peut se faire par morsure, griffure, par la préparation de viande, ou par contact avec des fluides corporels d’animaux contaminés. Il est à noter que, jusqu’à présent, il n’y a pas de réservoirs d’animaux contaminés en Europe, et qu’ainsi la transmission de l’homme à l’animal en Europe est à surveiller de près afin de prévenir la constitution de tels réservoirs. Les animaux réservoirs étaient jusqu’ici plutôt des rongeurs ou des singes, les deux plus fréquents étant le Macaca fascicularis ou « macaque mangeur de crabe » ainsi que le Cynomys Ludovicianus ou « chien de prairie ». La contamination interhumaine quant à elle se fait via le contact entre une source de contamination et une porte d’entrée chez le contaminé. La source peut être une lésion cutanée ou une muqueuse de personne malade, comme un élément contaminé de l’environnement du malade – surfaces, literie, vêtements, vaisselle, linge de bain… Il subsiste de nombreuses incertitudes, mais il arrive fréquemment que les virus à ADN, de par la nature plus stable chimiquement de l’ADN par rapport à l’ARN, soient plus résistants et subsistent plus longtemps dans l’environnement. Au niveau du malade, la porte d’entrée peut se trouver au niveau d’une lésion de la peau, parfois très petites, des voies respiratoires, ou des muqueuses. La transmission par aérosol serait possible mais jusqu’à présent limitée… On peut à ce titre rappeler qu’on a pu voir dans le cas du Sars-Cov-2 et notamment de l’émergence de ses « variants » qu’il s’agit d’un élément potentiellement critique dont la nouveauté pourrait avoir des conséquences très importantes 4.
3 — La variole du singe est-elle une infection sexuellement transmissible (IST) ?
Il s’agit d’une question complexe, et certains éléments liés à l’actuelle Epidémie Exo Africaine de Variole du Singe (EEAVS) pourraient s’ils n’étaient pas présentés correctement, faire apparaître cette maladie en trompe l’œil et compliquer considérablement l’endiguement de cette épidémie. L’histoire montre que la manière dont sont initialement présentées les pathologies conditionne de façon profonde et durable la perception de celles-ci par les populations. En santé publique comme en politique, il est essentiel de donner le ton et d’écrire les mots du cadre de récit qui seront employés ensuite. Un certain nombre de cas de l’EEAVS seraient dus à des contaminations via des rapports sexuels entre hommes. Cependant, il semblerait que la variole du singe ne soit pas une IST à proprement parler dans le sens où il existerait de très nombreux et divers autres modes de contamination. La transmission sexuelle de la variole du singe n’est donc qu’un mode de contamination comme un autre, tout comme un rapport avec quelqu’un qui a la grippe ou la tuberculose à de fortes chances de transmettre la grippe ou la tuberculose par les contacts rapprochés, sans pour autant que ces maladies ne soient considérées comme des IST. Anne Rimoin, professeur d’épidémiologie à UCLA explique que cette transmission suite à des rapports sexuels semble bien due au fait que ceux-ci constituent des « contacts rapprochés » et à ce stade pas au fait que le virus soit devenu sexuellement transmissible.
À ce stade, la variole du singe ne saurait être considérée comme une IST, et ce n’est certainement pas l’affaire exclusive d’une communauté. Tout le monde y est potentiellement exposé.
Il y a ainsi un double enjeu majeur de communication : éviter que cette maladie ne soit présentée comme « une IST touchant les homosexuels et seulement eux », et peut être encore plus que tout éviter toute stigmatisation et utilisation de cette maladie comme prétexte par certains régimes pour s’adonner à une répression homophobe pour « motif sanitaires ».
4 — Y a-t-il déjà eu des épidémies de variole du singe ?
Oui… et non.
Cette question nous ramène en réalité aux débats de 2020 sur la différence entre épidémie et pandémie. La variole du singe n’en est actuellement pas au stade pandémique, loin – très loin – de là. Cependant, l’épidémie actuelle présente un caractère inédit par rapport aux épidémies précédentes.
Celles-ci ont touché dix pays africains et les États-Unis, avec à chaque fois un caractère relativement restreint géographiquement par rapport à l’épidémie actuelle. En 2003, une épidémie a touché les États Unis, faisant sortir pour la première fois la variole du singe du continent africain. Soixante-et-onze cas, six États du Midwest touchés mais aucun mort, aucune transmission de l’être humain à l’être humain. Il a été estimé que la cause de cette épidémie étaient des rats gambiens importés dans le Texas, puis mis en contact de chiens de prairie. Les 71 cas auraient été en contact avec des chiens de prairie contaminés.
En 2017, le Nigéria rapporte ses premiers cas en 40 ans. Depuis plus de 500 cas ont été suspectés et 200 confirmés.
5 — Quelle est la situation actuelle ?
D’après santé publique France en date du 14 Juin 2022 :
« Des cas de variole du singe (Monkeypox en anglais) sans lien direct avec un voyage en Afrique du Centre ou de l’Ouest ou des personnes de retour de voyage ont été signalés en Europe et dans le monde, des cas suspects sont en cours d’évaluation dans de nombreux pays et la situation évolue donc très rapidement. En France, les infections par ce virus font l’objet d’une surveillance pérenne par le dispositif de la déclaration obligatoire. Compte tenu des alertes en cours, la surveillance de ces infections est renforcée par Santé publique France et des messages d’informations et d’alerte sont adressés aux professionnels de santé.
Cas de variole du singe : point de situation en France
Au 14 juin 2022 à 14h, 125 cas confirmés de variole du singe ont été rapportés en France : 91 en Ile-de-France, 11 en Occitanie, 9 en Auvergne-Rhône-Alpes, 3 en Normandie, 3 dans les Hauts-de-France, 1 en Centre-val de Loire, 3 en Paca, 1 en Bourgogne-Franche-Comté et 3 en Nouvelle-Aquitaine.
Sur 111 cas confirmés au 13 juin 2022 14h00, 108 ont fait l’objet d’une investigation, un demeure injoignable et 2 sont en cours d’investigation.
Tous les cas investigués sont des hommes, âgés entre 20 et 63 ans (âge médian : 35 ans).
Les dates de début des symptômes s’étendent ente le 7 mai 2022 et le 9 juin 2022. Les cas sont diagnostiqués en médiane 7 jours (entre 0 à 17 jours) après le début des symptômes ; de ce fait, les données de la dernière semaine ne sont pas consolidées.
Parmi les cas investigués, 77 % ont présenté une éruption génito-anale, 76 % une éruption sur une autre partie du corps, 68 % une fièvre, 62 % des adénopathies, 14 % une odynophagie, et 5 % une toux. Parmi les cas investigués, 7 sont immunodéprimés ; aucun n’est décédé.
À ce jour, comme dans les autres pays d’Europe, ces cas sont survenus majoritairement, mais pas exclusivement, chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), sans lien direct avec des personnes de retour de zone endémique. La majorité des cas rapporte des partenaires sexuels multiples.
La plupart des cas investigués déclarent ne pas pouvoir identifier la personne qui les aurait contaminés.
Enfin, 9 des cas investigués sont des cas secondaires, non vaccinés.
Parmi les cas investigués, 41 ont voyagé, séjourné ou travaillé à l’étranger avant le début de leurs symptômes, dont certains dans plusieurs pays différents : 19 voyages sont ainsi rapportés en Espagne, 7 en Belgique, 5 en Allemagne, 1 au Portugal, 1 au Royaume-Uni, 1 au Pays-Bas, 1 au Danemark, 1 au Luxembourg, 1 en Inde, 2 en Suisse, 1 aux Etats-Unis, 2 au Mali et 1 en Colombie. Ces voyages ne constituent pas systématiquement l’origine de la contamination, et la liste des pays cités peut évoluer au fur et à mesure que les données sont consolidées.
Compte tenu de ce qui a été observé en Europe sur la maladie, une communication ciblée a été rapidement mise en œuvre en direction des personnes HSH. Les messages rappellent les modes de transmission, les symptômes, la conduite à tenir en cas de symptômes. Ils sont actuellement diffusés en digital sur le site Sexosafe dédié aux HSH et via les réseaux sociaux. En parallèle, sur le terrain, des affiches, des flyers et des fiches-conseils ont été diffusés grâce aux acteurs associatifs, aux ARS et aux équipes de Sexosafe présentes sur le terrain. Les actions de prévention s’adapteront à l’évolution de la situation.
En l’absence habituelle de variole du singe en Europe et de lien rapporté par les cas identifiés avec une zone à risque, le contexte européen actuel constitue une alerte et suggère une contamination en Europe. C’est pourquoi, en France, la surveillance pérenne de la variole du singe par le dispositif de la déclaration obligatoire est renforcée et des messages d’informations et d’alerte sont adressés aux professionnels de santé. Les échanges se poursuivent par ailleurs avec les autres pays européens, l’OMS et l’ECDC. »
D’après le ministère de la santé en date du 19 mai 2022 :
« Plusieurs cas d’infections autochtones à Monkeypox (MKP) ont récemment été signalés dans plusieurs pays d’Europe, par le Royaume-Uni, le Portugal, l’Espagne et la Suède. Des cas suspects sont en cours d’investigation dans de nombreux pays. Il s’agit d’un phénomène inhabituel. Un premier cas suspect a été signalé ce jour en Ile-de-France.
Pour l’ensemble des cas confirmés, les analyses ont mis en évidence un virus appartenant au clade « Afrique de l’ouest » du virus MKP, suggérant un lien initial avec le Nigéria, pays dans lequel le virus circule régulièrement depuis 2017. Hormis le cas signalé au Royaume-Uni le 7 mai dernier importé du Nigéria, les nouveaux cas signalés ne rapportent pas de voyage en Afrique ou de lien avec une personne au retour d’Afrique. À ce stade, les cas rapportés sont majoritairement bénins, et il n’y a pas de décès signalé. »
Le 20 mai, l’équipe de chercheurs portugais de João Paulo Gomes publie une première version du génome du virus 5, et le 26 mai l’équipe toulousaine de Guillaume Croville publie à son tour un génome du monkeypox virus provenant d’une patiente hospitalisée au CHU de Purpan à Toulouse. Une fois souligné le caractère inédit et presque miraculeux de l’obtention aussi rapide de données aussi riches, on peut en réaliser une première analyse très sommaire et qu’il faut ainsi prendre avec énormément de précautions. Elle offre essentiellement deux pistes :
- Tout d’abord les deux génomes appartiennent bien au clade « Afrique de l’Ouest », ce qui comme cela a été évoqué à potentiellement des implications importantes en termes de mortalité. Ce clade a une mortalité plus faible – autour de quelques points de pourcentage – contre une mortalité plus importante autour de 10 % pour le clade Bassin Congo/Afrique Centrale.
- Il semble que le génome du virus responsable d’un cas au Portugal (Outbreak 2022 Portugal PT0001) et celui responsable d’un cas à Toulouse (apparenté à MT903343) soient très légèrement éloignés. Cela représenterait environ une centaine de caractères d’ADN sur une séquence d’environ 196 923 caractères, mais comme le graphique représentant l’arbre phylogénétique sommaire et provisoire des génomes des différentes souches du virus le montre, cela est suffisant pour permettre de les distinguer. Les deux souches restent très proches, et semblent apparentées à une souche exportée brièvement du Nigéria vers le Royaume Uni, Israël et Singapour en 2018 et 2019 ce qui irait dans le sens d’une contamination initiale sur le continent européen au Royaume Uni, potentiellement via le Nigéria.
Enfin d’après l’OMS en date du 14 juin 2022 :
« 1600 cas ont été confirmés et 1500 sont suspectés. Les cas concernent 39 pays, 7 ou le virus est détecté depuis plusieurs années et 32 ou sa présence est nouvelle. Il y aurait 72 morts, tous dans les 7 pays ou le virus est détecté depuis plusieurs années, même si l’OMS porte une attention particulière à certaines informations en provenance du Brésil. »
Hans Kluge, directeur de l’OMS Europe estime que « L’Europe reste l’épicentre de cette vague en pleine expansion, 25 pays ayant signalé plus de 1.500 cas, soit 85 % du total mondial ». Mais aussi que “L’ampleur de cette épidémie présente un risque réel : plus le virus circulera longtemps, plus il étendra sa portée et plus la maladie s’implantera dans les pays non endémiques ». 6
Les experts de l’OMS se réuniront le 23 juin pour déterminer si l’épidémie actuelle de « variole du singe » constitue une « Urgence de Santé Publique d’intérêt International », le plus haut niveau d’alerte de l’OMS, actuellement uniquement activé pour la polio et le Covid-19 7.
6 — Quels sont les éléments « nouveaux » de l’épidémie actuelle suscitant un intérêt particulier ?
En simplifiant beaucoup, on pourrait dire en première approche que la communauté médicale et scientifique est en alerte car le nombre de cas de variole du singe détectés hors d’Afrique au cours de la deuxième quinzaine de mai 2022, et qui va probablement encore augmenter, est supérieure au nombre cumulé de cas détectés hors d’Afrique avant cela depuis 1970.
En simplifiant légèrement moins, on peut considérer que les trois éléments « nouveaux » qui ont interpellé les autorités sanitaires sont :
- les lieux d’apparition du virus : plusieurs centaines de cas hors d’Afrique ce qui semble très inhabituel. Dans la contamination américaine de 2003 déjà mentionnée, seuls 71 cas avaient été identifiés, limités à six États américains. On a retrouvé des cas en 2018-2019 au Royaume-Uni, en Israël et à Singapour mais il y avait beaucoup moins de cas et beaucoup moins de pays Ian Sample “Monkeypox may have been circulating in UK for years, scientists say “ The Guardian, 25 mai 2022. On parle aujourd’hui de 20 pays : 16 en Europe, 1 en Amérique du Nord, 1 au Moyen Orient et 1 en dans l’Océan Pacifique à savoir l’Australie. Bien plus de cas, dans bien plus de pays, bien plus éparpillés géographiquement “Multi-country monkeypox outbreak in non-endemic countries”, World health Organization, 21 mai 2022 .
- le mode de transmission du virus : il semble en effet extrêmement probable que nous ayons affaire à une transmission interhumaine « non sporadique ». En effet, dans l’émergence de micro-organismes pathogènes, et notamment de virus, l’étape critique est l’établissement d’une transmission interhumaine soutenue. De nombreux virus circulent d’abord au sein d’espèces animales, et passent parfois de façon assez rare chez l’homme, mais c’est un phénomène « exceptionnel » qui constitue un cul-de-sac. Ils ne peuvent ensuite pas se transmettre chez d’autres hôtes humains. Parfois, ils acquièrent des mutations qui leur permettront de se transmettre entre êtres humains de façon efficace et continue. Et c’est à partir de là qu’ils acquièrent réellement le potentiel d’engendrer des épidémies. Le VIH circulait d’abord chez les singes, puis sporadiquement du singe à l’homme, et enfin entre êtres humains. De même pour de nombreuses souches du virus de la grippe circulant notamment chez le porc, le canard, le poulet et d’autres volailles. La comparaison avec l’épidémie de 2003 aux États-Unis est ici particulièrement frappante : sur les 71 cas de l’époque, tous avaient pu être reliés à un contact direct avec un chien de prairie qui pouvait expliquer ces contaminations. L’épidémie de 2022 présente un nombre croissant de cas sans aucun lien direct, ni avec un pays d’Afrique, ni avec un animal contaminé. Or si l’on avait déjà observé des transmissions interhumaines communautaires du monkeypox virus, cela n’a jamais été le cas hors d’Afrique.
- le bruit produit par le virus. Il semblerait qu’émerge un pattern de cas non seulement sans lien direct et récent avec l’Afrique ou un animal contaminé, mais aussi et de façon plus préoccupante, sans lien entre eux. Andrea Mc Collum, épidémiologiste en charge de l’équipe « Poxvirus » du Center for Disease Control américain, explique ainsi que là où il est relativement commun pour le Sars-Cov-2 de provoquer des infections asymptomatiques, la variole du singe provoquait jusqu’ici presque toujours des symptômes, et notamment des lésions de la peau. Elle explique ainsi que la perspective potentielle d’infections asymptomatiques du monkeypox virus serait « particulièrement préoccupante » en raison des immenses complications que cela engendrerait dans le traçage et l’endiguement des chaînes de contaminations.
Cet intérêt particulier n’est ainsi pas tant dû à un danger imminent posé par le virus à l’encontre des systèmes de santé qu’à une volonté de renforcer précocement les efforts d’investigation, de traçage des cas et de compréhension de ce qui se passe. Le Dr Agam Rao, médecin de la division Prévention des Pathogènes à Fort Impact du CDC américain s’en tient à une préconisation générale :
« Il s’agit d’expliquer que la variole du singe constitue un problème émergent. Certains problèmes émergents s’avèrent au final bénins. D’autres prennent de l’ampleur et empirent. Nous demandons simplement aux gens de garder cette question en tête pour le moment. »
L’enjeu, à l’instar des premiers temps de l’émergence du Sars-Cov-2 est triple :
- casser les chaînes de contamination et « éteindre » l’épidémie avant qu’elle ne démarre, l’extinction précoce de la transmission étant – il faut le rappeler – ce qui se produit dans la majorité des situations analogues. Les contaminations dans tous ces pays proviennent-elles d’une même origine unique ? Ou a-t-on affaire à plusieurs épidémies se déclarant en même temps ? À terme, l’enjeu du traçage permettra de répondre à cette question cruciale.
- si ce phénomène prend de l’ampleur et se poursuit, mobiliser de façon précoce l’ensemble des ressources nécessaires pour faire face à une épidémie voire une pandémie. Dans le cas de la variole du singe, ce second aspect est d’autant plus critique que les outils thérapeutiques et prophylactiques disponibles avec de très bons espoirs d’efficacité existent déjà.
- comprendre ce qui se passe : pourquoi le virus se transmet-il soudainement à la fois autant, aussi loin de sa zone de transmission, et probablement d’être humain à être humain. Le virus a-t-il muté ? Si oui, où ? et avec quelles conséquences ? De minuscules mutations – quelques, voire parfois un seul caractère sur la séquence ADN de 196 913 caractères du monkeypox virus – suffisent parfois à avoir des conséquences importantes sur les propriétés du virus, et même si l’on dispose déjà d’au moins deux versions complètes de cette séquence, il faudra probablement un peu de temps pour pouvoir l’analyser en profondeur et mieux comprendre la nature du virus responsable de cette épidémie.
Ce qui suscite l’intérêt de la communauté médicale et scientifique est la présence d’un élément nouveau, et dans le même temps l’un des principaux enjeux est de comprendre en détail ce qu’il a et n’a pas de nouveau.
7 — Peut-on envisager un impact sur la société comparable à celui de la pandémie de Covid-19 ?
À ce stade, cela semble peu probable. On peut, en simplifiant et admettant tout ce que l’on ignore encore, appuyer cette affirmation sur trois grands axes.
Le premier concerne la transmissibilité du virus. Cet élément est à la fois le plus important et celui qui est le plus susceptible de changer s’il s’avère que les souches responsables de cette épidémie ont des propriétés significativement différentes des souches que l’on connaissait qui les rendent plus transmissibles. Mais à l’heure actuelle, le virus ne semble pas avoir de capacité à se transmettre entre êtres humains assez forte pour échapper à de potentielles mesures de test, de traçage et d’isolation extensives.
Il faut notamment rappeler que ce qui a prolongé la pandémie de Covid-19 n’est pas l’incapacité à gérer la première souche déjà très transmissible, mais bien l’émergence de variants ultra transmissibles. À ce stade en tout cas, les souches de monkeypox virus en circulation semblent très loin de ces niveaux de transmissibilité. Jay Hooper, virologiste au centre de recherche médicale sur les maladies infectieuses de l’armée américaine à Fort Detrick explique que :
« Quand bien même il semblerait y avoir une transmission interpersonnelle, elle ne semble à ce stade pas se faire de façon aussi extensive qu’avec le Sars-Cov-2. De plus, sa parenté proche avec le virus de la variole laisse espérer que les nombreux traitements et vaccins disponibles seront relativement efficaces. Les scientifiques sont soucieux, car tout comportement viral nouveau suscite l’intérêt, ils ne sont pas paniqués 8. »
Le second axe concerne justement l’existence de vaccins et de traitements, développés contre la variole mais qui semblent prometteurs également contre la variole du singe 9.
Au début de la pandémie de Covid on ne disposait de presque aucun traitement à l’efficacité avérée, et d’aucun vaccin. Un déploiement précoce de ces moyens permettrait probablement, si le besoin se présentait, d’endiguer considérablement la montée en puissance du virus. Mais ces vaccins seront-ils déployés sans entrave ? Les réticents à la troisième dose accepteront-ils une première dose de vaccin antivariolique ?
Il est toujours très difficile d’anticiper les comportements, mais le troisième axe devrait justement influencer la réponse des populations à des mesures visant à endiguer une épidémie de variole du singe : le virus touche les enfants et les femmes enceintes. Si une épidémie de variole du singe devait prendre de l’ampleur, ceux qui jusqu’ici craignaient plus le vaccin que le Covid, auraient-ils le sang froid de maintenir cette position face à un risque de morts d’enfants et de femmes enceintes ? Les parents qui refusaient le vaccin « pour préserver leurs enfants » ne finiront-ils pas, devant un nombre d’enfants morts du virus en croissance et un nombre d’enfants morts du vaccin stagnant autour de zéro par changer d’avis ? Cela vaut également pour l’ensemble des mesures. L’idée que le Covid-19 « ne touchait que les personnes âgées » a pu nourrir un certain sentiment de ne pas être concerné, de ne pas y être vulnérable au sein d’une partie de la population qui s’est ainsi montrée de plus en plus hostile à toute mesure de restriction visant à protéger de quelque chose qu’elle ne craignait pas. Un virus qui tue des enfants et des femmes enceintes entraînerait probablement un électrochoc bien plus puissant, et des sacrifices visant à sauver des femmes enceintes et des enfants apparaîtraient probablement bien plus acceptables par la population que des sacrifices demandés à la jeunesse pour sauver des personnes plus âgées.
8 — De quels moyens dispose-t-on à l’heure actuelle contre la variole du singe ? À quelle stratégie s’attendre de la part des pouvoirs publics ? Qu’est-ce que la ring vaccination ?
Une certaine boîte à outils thérapeutique et prophylactique développée d’abord contre la variole et ayant permis ni plus ni moins que son éradication, semble relativement prometteuse contre la variole du singe. On n’a jamais pu la tester à une ampleur suffisante, mais on dispose de données préliminaires qui permettent un certain optimisme. Cette boîte à outil s’appuie surtout sur un vaccin (MVA-BN) et un médicament antiviral (Tecovirimat), autorisés en Europe et stockés par l’armée américaine pour lutter contre la variole et la variole du singe 10. Vaccin efficace à 85 % contre la variole du singe selon la BBC, et ayant l’avantage d’être « non réplicatif », ce qui signifie qu’il peut être administré à un public large et notamment à un certain nombre de personnes immunodéprimées 11.
La ring vaccination ou vaccination ciblée, est un protocole visant à créer « un anneau vaccinal autour d’un cas » afin d’empêcher la diffusion tout en préservant des moyens logistiques et sanitaires sérieusement éprouvés par des campagnes de vaccination de masse. Cette stratégie, utilisée avec succès dans l’éradication de la variole au XXe siècle ainsi que lors de l’épidémie d’Ébola de 2018 12, avec une certaine efficacité est notamment considérée par le CDC américain comme la « stratégie de première ligne contre la variole » 13.
Enfin, en 2022 une approche complète de la santé se fait en raisonnant à l’échelle pertinente : celle de tout un écosystème où cohabitent notamment humains et animaux. Il semble souvent assez instinctif de considérer que certains pathogènes passent de l’animal à l’homme, mais on oublie très souvent l’étape inverse, pourtant cruciale : la contamination d’animaux par l’homme. Comme cela a été dit, il n’y avait jusqu’à l’épidémie récente pas de réservoir animal établi de variole du singe en Europe. L’épidémie actuelle présente ainsi le risque, en plus de faire des victimes animales, de créer un tel réservoir susceptible par la suite de déclencher de nouvelles épidémies. Bien conscientes d’une approche de santé globale (« One Health »), les autorités européennes ont ainsi appelé à une implication des professionnels de santé vétérinaire dans le dispositif de prévention et de lutte contre la variole du singe.
9. Quels sont les enjeux liés à la génomique sur le continent africain ?
Un grand nombre de maladies infectieuses à l’impact, potentiel ou réel, considérable sur la santé humaine mondiale émanent et touchent encore fortement l’Afrique (SIDA, Tuberculose, Ébola, Malaria, Lassa…). On a notamment pu voir lors de l’émergence du variant omicron, toute l’importance de travaux de surveillance épidémio génétique, c’est-à-dire de séquençage régulier d’échantillons afin de surveiller « les souches en circulation ». Ce sont ces travaux cruciaux, effectués par des scientifiques sud-africains, qui ont permis de lancer l’alerte de façon très précoce et ont constitué une aide inestimable pour les systèmes de santé du monde entier.
On voit là encore dans le cadre de la variole du singe toute l’importance de séquencer. De plus, le continent africain présente une des diversités génétiques les plus importantes au monde. Pourtant, les travaux de recherche fondamentale sur les génomes africains comme de « surveillance épidémio-génétique » manquent au regard des enjeux, non pas simplement pour le continent africain mais pour la santé mondiale. Seulement 2 % des génomes séquencés jusqu’ici sont des génomes africains. Un certain nombre d’initiatives comme la Société Africaine de Génétique humaine (AfSHG), le projet Humanity Heredity and Health in Africa (H3Africa) ou encore le 3 Million African Genomes (3MAG) tentent de pallier ces manques. On peut espérer que de telles initiatives se multiplient et se renforcent, tant les enjeux liés à l’investigation génomique sur le continent africain ne cessent de rappeler leur importance pour la santé mondiale.
10. À quel point le virus de la variole du singe est-il mutagène ?
Comme on a pu le voir avec le Sars-Cov-2, c’est un point essentiel, qui déterminera beaucoup de choses.
On en sait encore peu, mais on peut néanmoins dessiner à ce stade deux perspectives assez rassurantes sur ce point. Tout d’abord sans entrer dans les détails techniques, les virus à ADN comme le monkeypox virus sont en général bien moins mutagènes que les virus à ARN et donc bien plus stables génétiquement. Ensuite, il semble à ce stade que, bien que possédant potentiellement quelques mutations, les souches séquencées au Portugal et en France et dont les séquences ont été publiées le 19 et le 26 mai 2022 semblent très proches de souches précédemment rencontrées en 2018-2019. À ce stade, on ne semble donc pas avoir affaire à un ou des nouveaux virus.
Sources
- Guillaume Croville, Mathilda Walch, Jean-Luc Guérin, Jean-Michel Mansuy, Christophe Pasquier “https://virological.org/t/first-french-draft-genome-sequence-of-monkeypox-virus-may-2022/819”, Virological, 26 mai 2022.
- Urgent need for a non-discriminatory and non-stigmatizing nomenclature for monkeypox virus – Monkeypox – Virological
- https://www.bbc.com/news/health-45665821, BBC, 24 mai 2022.
- ”Monkeypox : information pour les professionnels de santé”, Santé.fr, 19 mai 2022
- J. Isidro, V. Borges, M.Pinto, R. Ferreira, D.Sobral, A.Nunes, J. Dourado santos, M. José Borego, S. Nuncio, A. Pelerito, R. Cordeiro, J. Paulo Gomez, “First draft genome sequence of Monkeypox virus associated with the suspected multi-country outbreak, May 2022 (confirmed case in Portugal)”, Monkeypox, 20 mai 2022
- https://www.rtl.be/info/monde/international/variole-du-singe-l-europe-est-au-coeur-de-la-propagation-de-la-maladie-selon-l-organisation-mondiale-de-la-sante-1383524.aspx
- https://news.un.org/en/story/2022/06/1120392
- Max Kozlov “Monkeypox goes global : why scientists are on alert”, Nature, 20 mai 2022.
- “Monkeypox : vacciner les adultes et professionnels de santé après une exposition à la maladie”, Haute Autorité de Santé, 24 mai 2022.
- https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/EPAR/tecovirimat-siga, European Medicines Agency, Janvier 2022
- « Risk assessment : Monkeypox multi-country outbreak« , European Center for Disease Prevention, 23 mai 2022.
- https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2018/05/15/611267872/can-the-new-ebola-vaccine-stop-the-latest-outbreak?t=1653585347745&t=1653666141368,npr, 15 mai 2018
- ”Ring Vaccination | Smallpox | CDC”, Center for Disease Control and Prevention, 2 décembre 2019 ; Beth Mole “As Ebola outbreak rages, vaccine is 97.5 % effective, protecting over 90K people | Ars Technica”, Ars technica, 16 avril 2019 ; Beth Mole “Vaccination method that wiped out smallpox gets unleashed today on Ebola | Ars Technica” Ars technica, 21 mai 2018