Politique

La réponse chinoise à la doctrine Blinken

Ressenti comme une incartade par le régime de Pékin, le discours du Secrétaire d’État américain du 26 mai a suscité une réponse immédiate du Ministère des Affaires étrangères chinois. Pierre Grosser commente cette réponse dans laquelle Wang Wenbin appelle Washington à abandonner son « obsession » d'endiguement de la Chine.

Auteur
Pierre Grosser
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© Ng Han Guan/AP/SIPA

Le discours du Secrétaire d’État Blinken du 26 mai 2022, qui s’adressait en partie au peuple chinois, a été bloqué par les censeurs de la République Populaire sur Weibo et WeChat. Toutefois, la réponse chinoise a été immédiate. Depuis plusieurs années, Pékin réagit rapidement à tous les discours, prises de position, articles de presse et caricatures, et poste sa propre version des discussions bilatérales avec des dirigeants étrangers.

Ce discours est éloquent et minutieux. Il s’agit de diffuser de fausses informations, d’exagérer les menaces de la Chine, de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine et de salir les politiques intérieure et extérieure de la Chine. Le but est de contenir et de supprimer le développement de la Chine et de maintenir l’hégémonie et le pouvoir des États-Unis.

Ces deux phrases résument bien le discours chinois sur la politique chinoise des États-Unis. Que ce soit vraiment la vision qu’ont les dirigeants du PCC est un sujet plus difficile à éclaircir. L’accusation de diffuser des fausses informations fait partie de la bataille d’influence entre l’Occident et la Chine. Les accusations mutuelles ont été particulièrement vigoureuses en 2020, dans les premiers mois de la crise du Covid, notamment à propos de son origine, Donald Trump, par des tweets, jetait volontairement de l’huile sur le feu à l’approche des élections tandis que Pékin avait besoin de ce «  blame game  » pour contrer l’idée que les confinements et les difficultés économiques à travers le monde résultaient d’un «  virus chinois  », et des dissimulations et mensonges initiaux de Pékin.

L’accusation d’instrumentaliser la «  menace chinoise  » date des années 1990, mais le Vietnam en parlait dès la fin des années 1980, et le Japon depuis le milieu des années 1990. Pékin s’appuie sur l’alignement réalistes-libéraux-gauche de la gauche en Occident, visible aussi dans la guerre russe en Ukraine, qui dénonce des prétextes pour le «  retour  » aux pulsions hégémonistes et militaristes des élites de Washington (et du Pentagone en quête de crédits), qui ont mené à l’hubris et aux échecs des années 2000. La menace chinoise et la rhétorique idéologique (menant aux «  ingérences  ») masqueraient la volonté de préserver la primauté des États-Unis, notamment en freinant l’ascension de la Chine. Celle-ci, qui ne serait qu’un juste retour de l’histoire après le «  siècle des humiliations  », est l’œuvre du PCC. S’en prendre au PCC, c’est empêcher le retour de la Chine à son statut central.

La Chine est très mécontente et s’y oppose fermement.

Je voudrais souligner les points suivants :

Premièrement, l’humanité est entrée dans une nouvelle ère d’interconnectivité. Les intérêts de tous les pays et leur destin sont étroitement liés. C’est une tendance irrésistible de l’époque que de rechercher la paix, le développement et les résultats gagnant-gagnant.

Face à un siècle de changements, pour maintenir la paix et la stabilité mondiales, faire face à l’épidémie du siècle et relancer l’économie, tous les pays doivent s’entraider, s’unir et coopérer.

Ce discours de Pékin, répété à satiété, touche les libéraux pour qui la «  paix capitaliste  » par l’interdépendance est un dogme. Les pays asiatiques qui estiment que l’absence de guerre entre États depuis 1979 (la «  paix asiatique  ») est le produit des interdépendances économiques et de la focalisation des États sur la croissance, le développement et la prospérité, ainsi qu’une bonne partie de la communauté internationale qui estime qu’un retour à la guerre froide et aux rivalités militaires serait une catastrophe à l’heure des défis communs, économiques, sanitaires, environnementaux etc. Il est question d’interconnectivité, promue par les différentes moutures des diverses «  Routes de la Soie  ». Mais beaucoup craignent une interconnectivité dirigée par la Chine, et s’efforcent de proposer des alternatives (États-Unis, Europe, mais aussi des associations entre Japon, Australie et Inde).

Surtout, on parle beaucoup de l’interdépendance comme une arme, utilisée certes dans les sanctions à l’égard de la Russie (ou de l’Iran et de la Corée du Nord) et la «  guerre économique  » menée contre la Chine depuis Trump. Mais Pékin use aussi de la coercition économique (à l’égard de la Corée du Sud, de l’Australie, de la Lituanie, etc.), et use de la carotte et du bâton derrière son discours « win-win  ». Depuis 2017, la Chine prétend être le défenseur de la gouvernance globale permettant paix et prospérité, contrant le discours traditionnel de l’hégémonie américaine fournissant ces biens communs, mais devenus des prédateurs de l’ordre mondial. Notons enfin les expressions historiques habituelles, pour montrer que les États-Unis vont à contre-sens de l’histoire (ce qu’Obama disait à Poutine et que Biden dit à Xi, les deux puissances autoritaires remettant en cause l’« ordre fondé sur des règles  » et agissant comme au XXe siècle). Ou sur le siècle de grands changements, clôturant le siècle dominé par les États-Unis (ceux-ci coulant de crise en crise depuis 2008), voire l’Occident. 

Les États-Unis qui exagèrent la menace de la Chine ne résoudront pas leurs propres problèmes, mais conduiront le monde vers un dangereux abîme.

C’est une vieille idée sur le nationalisme, la désignation d’un ennemi, voire la guerre de diversion, déjà utilisée pour expliquer la guerre de 1914. Elle existe aussi à gauche pour faire du nationalisme et de la xénophobie le moyen de compenser les effets sociaux de la mondialisation néolibérale. C’est aussi une des interprétations du durcissement actuel de la rhétorique et de la politique de la Chine, laquelle fait face aux impasses de la stratégie zéro-Covid et au ralentissement économique. Pointer l’hostilité des États-Unis permet de souder le pays autour du PCC et de Xi Jinping. 

Deuxièmement, les États-Unis affirment que la Chine représente le défi le plus sérieux à long terme pour l’ordre mondial.

La Chine a été, est et sera un défenseur de l’ordre international.

Ce que nous défendons, c’est le système international avec les Nations unies en son cœur, l’ordre international fondé sur le droit international et les normes fondamentales des relations internationales fondées sur les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies.

Là encore, ce sont des analyses très classiques. Les États-Unis font de la Chine un pays révisionniste qui mine l’ordre international, notamment en Mer de Chine du Sud par rapport au droit international de la mer. Pour la Chine (et la Russie aussi, ce qui les rapproche), ce sont les États-Unis et l’Occident qui ont changé l’interprétation de la Charte, par leurs interventions militaires au prétexte d’«  urgence humanitaire  », ont soutenu les révolutions de couleur contre le principe de souveraineté et cherchent à imposer leurs valeurs dans tout le système onusien. La Chine se dit fière désormais d’être un des fondateurs des institutions de 1945, et d’en être le défenseur. Cela justifie son attitude d’obstruction au Conseil de Sécurité de l’ONU sur la Syrie, et aujourd’hui sur la Corée du Nord et sur le Myanmar. 

Le soi-disant « ordre international fondé sur des règles » du côté américain peut être vu par quiconque disposant d’un œil averti, mais il n’est rien de plus qu’une loi et des règlements familiaux formulés par le côté américain et quelques pays, et il ne fait que maintenir le soi-disant ordre dirigé par les États-Unis.

Les États-Unis ont toujours placé le droit national au-dessus du droit international, et ont adopté une attitude pragmatique consistant à appliquer les règles internationales si elles sont appropriées, et à les écarter si elles ne le sont pas. C’est la plus grande source de chaos dans l’ordre international.

Il s’agit d’une critique très classique du «  so called  » ordre international libéral. Depuis l’élection de Trump, beaucoup, en Occident notamment, se lamentent sur son déclin, tandis que des voix critiques font valoir qu’après 1945, ce ne fut pas vraiment un ordre, qu’il n’était pas si international (mais reflétait la domination des États-Unis), et pas si libéral. C’est une des raisons pour lesquelles on utilise tant l’expression de l’ordre «  fondé sur des règles  ».

Que les États-Unis aient du mal avec le multilatéralisme et les normes contraignantes fait partie des jugements classiques, notamment lorsqu’ils refusent de signer ou de ratifier des traités internationaux (dont la convention de Montego Bay de 1982). Trump représenterait le triomphe de la version la plus souverainiste et unilatéraliste de l’idéologie américaine. Mais ce type de critique rejoint aussi celle des juristes allemands des années 1920 et 1930, contestataires de l’ordre «  anglo-saxon  ». On la retrouve dans la mode actuelle de considérer les années 1930 comme une simple lutte entre Empires, les États prétendus démocratiques montrant leur hypocrisie et la nature impérialiste et raciste de leurs sociétés.

 Troisièmement, la paix, le développement, la démocratie, la liberté, l’équité et la justice sont les valeurs communes de toute l’humanité.

La démocratie et les droits de l’homme sont historiques, concrets et réalistes, et nous ne pouvons que chercher une voie de développement adaptée aux besoins de notre pays et de notre peuple.

Il n’existe pas de modèle unique dans le monde. Aucun pays n’a le droit de monopoliser la définition de la démocratie et des droits de l’homme, d’agir en tant que professeur ou de s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays sous le couvert des droits de l’homme.

Les États-Unis ont beaucoup de dettes et de mauvais antécédents en matière de démocratie et de droits de l’homme.

Critiques classiques qui existent depuis longtemps, sous forme «  communiste  » sous Mao puis sous la forme des «  valeurs asiatiques  » au début des années 1990, après la répression de Tiananmen et les discours sur la «  fin de l’histoire  ». Ces deux critiques datent de la Révolution française, celle mettant l’accent sur les droits sociaux (vs des droits «  bourgeois  »), l’autre sur les spécificités historiques et culturelles (contre l’abstraction philosophique de l’homme universel). S’ajoute une critique traditionnelle assez «  seventies  » de pays du «  Sud  », qui ne veulent plus recevoir de leçons d’un Occident arrogant, et ne veulent pas d’ingérence d’une grande puissance. 

Il n’y a pas d’allusion au discours de Blinken qui écarte la volonté de «  regime change  », alors même que le PCC retrouve sa paranoïa traditionnelle contre les influences et la «  pollution spirituelle  » de l’étranger, et écoute avec attention les souhaits publics en Occident pour la chute de Poutine. Il est vrai que la structure du PCC et les leçons apprises de 1989 et 1991 en Europe semblent écarter cette possibilité. Si Biden, bien plus que Trump qui n’utilisait la question des droits de l’homme qu’à des fins instrumentales, décrit une rivalité entre démocraties et un arc ou un axe de régimes autoritaires, Pékin a raillé le Sommet des Démocraties de décembre 2021 et n’a pas de mal à pointer du doigt la crise de la démocratie en Occident, et particulièrement aux États-Unis. Mais l’auteur est assez mesuré par rapport à la propagande chinoise qui se saisit de tous les incidents et de toutes les critiques pour dénoncer le racisme aux États-Unis et les multiples problèmes sociaux du pays. 

Certes, Pékin semble revivre la situation de 1989 et 1990 (comparée à l’époque à l’assaut impérialiste de la guerre des Boxers), et compare même les tentatives d’encerclement géopolitique américain avec les campagnes militaires des Nationalistes des années 1930 ayant conduit à la Longue Marche. Il y a d’évidents signes de repli et de reprise en main. Mais aujourd’hui, la Chine est beaucoup moins sur la défensive grâce à sa puissance, ne se cache plus, veut devenir une «  puissance du discours  » et promeut ses valeurs «  aux caractéristiques chinoises  ». Elle se présente en modèle en idéalisant le passé où elle était au Centre et au sommet, gage de paix et de prospérité, et se prétend moralement supérieure aux États-Unis qui auraient prétendu usurper le «  mandat du ciel  » au temps de leur primauté sans jamais en être dignes. 

Quatrièmement, la Chine a toujours adhéré au principe de consultation étendue, de contribution conjointe et de bénéfices partagés, et préconise que tous les pays contrôlent conjointement l’avenir et le destin du monde.

Les pays devraient établir un partenariat fondé sur l’égalité de traitement, la consultation mutuelle et la compréhension mutuelle, et les grands pays devraient prendre l’initiative d’ouvrir une nouvelle voie dans les échanges internationaux, en privilégiant le dialogue plutôt que la confrontation et le partenariat plutôt que l’alliance.

S’engager dans des « petits cercles » revient à inverser la tendance historique, et tirer des « petits groupes » revient à aller à l’encontre de la tendance historique.

Les États-Unis ont concocté une « stratégie indo-pacifique » pour attirer et contraindre les pays de la région à contenir la Chine, en prétendant « changer l’environnement qui l’entoure ».

Une nouvelle fois, le texte établit un contraste entre la «  bonne Chine  » et les mauvais «  États-Unis  ». La Chine ne cherche pas d’allié (elle n’en a pas – si ce n’est un vieux traité de 1961 avec la Corée du Nord). En revanche, dans le monde et surtout en Asie, les États-Unis multiplient les «  petits groupes  ». La rhétorique chinoise est souvent bien plus violente. Elle a jugé l’OTAN responsable de la guerre en Ukraine. Ces allusions suivent une séquence «  asiatique  » de l’administration Biden, avec le sommet US-ASEAN, le voyage de Biden en Corée du Sud et au Japon, et la réunion du Quad à Tokyo.

Le discours Indo-Pacifique des États-Unis, influencé notamment par le Japon, se veut inclusif et évite de se présenter comme anti-Chinois pour ne pas froisser les pays de la région qui doivent vivre avec la Chine et en dépendent pour leur prospérité. Au même moment, les Travaillistes ont gagné en Australie et Delhi refuse de condamner la Russie (ajoutons aussi qu’une réunion virtuelle des BRICS s’est tenue il y a deux semaines), ce qui permet à Pékin de tendre la main en empêchant tout embrigadement derrière Washington. Aucun État n’est explicitement cité, mais le discours traditionnel est de condamner les alliances américaines qui, depuis 1950, briseraient l’unité de l’Asie et provoqueraient rivalités et guerres. Ce qui est évidemment l’inverse de la vision des États-Unis, selon laquelle les ambitions et le révisionnisme chinois menacent la paix et la prospérité régionale garanties par les États-Unis («  pax americana  »), et qu’un Siècle américain du Pacifique serait bon pour la région. 

Cinquièmement, la diplomatie chinoise défend et pratique les cinq principes de la coexistence pacifique et s’engage à établir et à développer des relations amicales et coopératives avec tous les pays.

On retrouve les cinq principes de Bandung, que la Chine utilise de manière répétitive et qui a un réel écho pour des États qui sortaient de la colonisation. De plus, l’Indonésie accueille le G20 en octobre et Pékin s’efforce d’empêcher que Moscou en soit exclu. On est pourtant loin de la grande amitié tiers-mondiste sino-indonésienne du début des années 1960. Mais l’offensive de charme à l’égard du Sud aujourd’hui ressemble à celle des années 1953-1957 menée par Chou En-laï – aussi à l’égard des pays capitalistes d’Europe de l’Ouest, la France en premier lieu, pour essayer d’isoler les États-Unis sur la scène internationale. 

La soi-disant « diplomatie de la coercition » ne tient pas la tête de la Chine.

Les États-Unis sont l’inventeur et le synonyme de la « diplomatie coercitive », et la coercition vise n’importe quelle taille, qu’elle soit proche ou lointaine, ainsi que les amis et les ennemis.

Les États-Unis ont l’habitude des brimades et des intimidations, et la communauté internationale en souffre.

Ce vieux problème américain n’a que trop duré.

On est ici dans le traditionnel «  C’est celui qui le dit qui l’est  ». Il n’est pas difficile de trouver maints exemples qui soutiennent cette affirmation. Or c’est la Chine aujourd’hui qui est aussi accusée d’utiliser pressions et coercition. Par exemple pour faire dé-reconnaître Taiwan, ou punir les pays qui accroissent leurs liens avec Taiwan (c’est Israël qui subit aujourd’hui ces menaces). Les pressions existent dans les pays du Sud, à côté des pots-de-vin considérables, pour obtenir des votes favorables aux Nations unies par exemple. Les alertes lancées par les États-Unis et l’Australie ont sans doute limité les pressions chinoises sur les petits États du Pacifique lors de la récente tournée de Wang Ji, même si des journalistes ont été violentés. Surtout, par sa flotte, ses milices maritimes et ses bateaux de pêche, la Chine multiplie les pressions pour s’assurer sa «  zone réservée  » et ses revendications territoriales. Depuis 1974, les pressions sont constantes en Mer de Chine du Sud, et le Japon les subit depuis longtemps pour les îles Senkaku/Diaoyu. Sans compter les pressions aux frontières avec l’Inde. 

Sixièmement, Taïwan, le Xinjiang, Hong Kong, le Tibet et d’autres questions sont des affaires purement internes à la Chine.

Résoudre la question de Taïwan et réaliser la réunification complète de la mère patrie est l’aspiration commune et la ferme volonté de tous les fils et filles chinois, et la Chine n’a pas de place pour le compromis.

Les États-Unis disent verbalement qu’ils ne soutiennent pas « l’indépendance de Taïwan », mais ils font une chose et son contraire, ils violent de manière répétée leurs engagements politiques envers la Chine, tentent d’éviter le principe d’une seule Chine et encouragent l’arrogance des forces « indépendantistes ». C’est cela qu’il faut changer. Le statu quo constitue une menace sérieuse pour la paix et la stabilité du détroit de Taïwan.

L’essence des questions liées au Xinjiang est l’anti-violence et le terrorisme, la déradicalisation et l’anti-séparatisme.

Il a été prouvé depuis longtemps que les soi-disant « génocide » et « travail forcé » sont les mensonges du siècle. Les États-Unis continuent de répandre des rumeurs, ce qui ne fera qu’accroître leur propre crédibilité.

Hong Kong est le Hong Kong de la Chine, et « le peuple de Hong Kong qui gouverne Hong Kong » ne peut que suivre la Constitution de la République populaire de Chine et la Loi fondamentale de Hong Kong, et non la Déclaration commune sino-britannique.

Depuis la fin de la dernière décennie, la Chine durcit le ton sur ces questions. Il n’est pas question ici de les traiter, on trouve une abondante bibliographie. Depuis 1989, les trois T posent problème dans les relations sino-américaines (Tiananmen, Tibet, Taiwan). Le premier T est remplacé aujourd’hui par un autre, le « Turkestan » (le Xinjiang fut longtemps appelé Turkestan oriental en Occident). Hong Kong a été un point de fixation lorsque le régime a resserré la vis à partir de 2019. Les critiques sont moins nombreuses aujourd’hui sur cette question, qui semble être l’aboutissement de la rétrocession de 1997.

Ce n’est pas Hong Kong qui a changé la Chine, comme on l’espérait à l’époque, mais la Chine qui change Hong Kong. Pékin a placé son candidat unique John Lee, ancien chef de la sécurité, à la tête de Hong Kong et l’a reçu à Pékin le 31 mai. Sur le Xinjiang, le discours reprend des éléments de langage déjà présents lors de la création de l’Organisation de Coopération de Shanghai, et post-11 septembre (ce qui, à l’époque, était accepté par les États-Unis). La mascarade de la visite de Michelle Bachelet rappelle les sombres heures du communisme. Le Xinjiang devient un vrai point de fixation pour les critiques de la Chine, à la fois de son régime et de son impérialisme ethnique. Récemment, ce sont les grosses entreprises allemandes qui ont été interpellées pour leurs affaires en Chine et au Xinjiang. 

Enfin, Taiwan est la question la plus pressante aujourd’hui, surtout dans le contexte de l’agression russe en Ukraine. Pékin est agacé par la popularité internationale de Taiwan, due en grande partie à une diplomatie habile et aux réussites du pays, technologiques, démocratique et sanitaires. Mais aussi par la noria de visites occidentales, par les livraisons d’armes américaines, par les discussions nippo-américaines sur la défense de l’île et bien sûr par des déclarations de Biden qui semblent sortir de la traditionnelle ambiguïté stratégique.

Les déploiements et exercices militaires chinois sont de plus en plus nombreux. Le texte fait allusion aux déclarations américaines qui semblent contradictoires (volontairement peut-être, mais qui reflètent aussi de gros débats aux États-Unis depuis plusieurs années), et reprend les accusations traditionnelles sur le soutien aux forces indépendantistes et la sortie d’une prétendue reconnaissance par Washington, il y a cinquante ans, de la position de Pékin sur la question de l’unicité de la Chine. Selon le texte, la poursuite du prétendu statu quo éloigne la perspective naturelle de l’unification, et est donc devenue intolérable pour Pékin, sans qu’on sache si cela induit que la Chine sautera le pas de l’utilisation de la force. Pékin menace depuis longtemps.

Nous demandons aux États-Unis de respecter les normes fondamentales des relations internationales, de cesser d’utiliser les questions susmentionnées pour s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine et de cesser de diffuser des mensonges et de fausses informations.

Nous souhaitons également avertir la partie américaine de ne pas sous-estimer la forte détermination, la ferme volonté et la forte capacité du peuple chinois à sauvegarder la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale.

L’insistance sur la détermination du peuple chinois peut être une manière de rappeler que le nationalisme en Chine n’est pas seulement utilisé par le régime comme moyen de légitimation, mais que le pouvoir doit aussi tenir compte du nationalisme «  par en bas  », notamment sur les réseaux sociaux et aussi chez les Chinois de l’étranger. Ce nationalisme est prompt à s’enflammer (notamment contre le Japon et les États-Unis), et à utiliser tous les incidents, même mineurs, pour alerter et obtenir des actions des autorités. 

Septièmement, les États-Unis parlent de « concurrence », mais ce qu’ils font en réalité, c’est généraliser le concept de sécurité nationale, s’engager dans des sanctions unilatérales illégales, une juridiction de longue durée et un découplage, ce qui porte gravement atteinte aux droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises et prive sans raison les autres pays de leur droit au développement. .

Il ne s’agit pas d’une « concurrence responsable », mais d’une suppression et d’un endiguement sans fond.

Pour que les relations sino-américaines sortent de la situation difficile actuelle, il faut que les États-Unis abandonnent le mythe d’un jeu à somme nulle, qu’ils abandonnent leur obsession de contenir la Chine et qu’ils cessent leurs paroles et leurs actes qui sapent les relations sino-américaines.

Les débats font rage depuis six ou sept ans aux États-Unis sur la meilleure stratégie à adopter à l’égard de la Chine. La marmite contient un mélange de compétition, d’endiguement et de coopération, chacun mettant plus l’accent sur telle ou telle dimension. Les États-Unis accusent depuis longtemps la Chine de fausser la compétition économique et de profiter de la naïveté occidentale. Pékin s’en prend donc aux rétorsions et aux sanctions, à la volonté des États-Unis de moins dépendre de la Chine (tout en ne diminuant pas les importations en provenance de Chine).

Mais ce discours chinois semble tourner en rond, ce qui peut s’expliquer par la continuité entre les politiques de Trump et de Biden sur les questions économiques à l’égard de la Chine. Pékin reprend les traditionnelles phrases sur le «  droit au développement  », qui a donné à la Chine à l’OMC un traitement différencié, et qui est une thématique tiers-mondiste depuis les années 1960. Mais la Chine se garde bien de rappeler que sa vision des relations économiques est aussi «  sécuritaire  », qu’elle aussi favorise aujourd’hui des formes d’auto-suffisance, et qu’elle pratique partout le jeu à somme nulle.

Les relations entre la Chine et les États-Unis se trouvent à un carrefour important.

S’agit-il de confrontation, ou de dialogue et de coopération ?

S’agit-il d’un bénéfice mutuel ou d’un jeu à somme nulle ?

Les États-Unis devraient partir des intérêts communs des peuples de Chine, des États-Unis et du monde, et faire le bon choix, notamment pour mettre en œuvre les remarques du président Biden sur les « quatre non-sens ».

Nous avons remarqué que le secrétaire d’État Blinken a déclaré dans son discours qu’il ne chercherait pas à entrer en conflit avec la Chine et à déclencher une « nouvelle guerre froide », qu’il n’empêcherait pas la Chine de se développer, qu’il n’empêcherait pas la Chine de jouer un rôle de grande puissance et qu’il aimerait coexister pacifiquement avec la Chine.

Blinken, comme Biden lors de son premier entretien téléphonique avec Xi, a essayé de désarmer les critiques traditionnelles de la Chine, en affirmant notamment que les États-Unis ne voulaient pas de nouvelle guerre froide. Pékin accuse depuis 1989 les États-Unis d’avoir gardé une mentalité de guerre froide. La fin du texte laisse la porte ouverte, d’autant que Pékin sait que les midterms se profilent et que les Républicains accuseront Biden d’être «  soft on China  ».

Il existe quelques minces signes montrant que la tension pourrait baisser. La Chine est en difficulté économique et s’efforce de montrer qu’elle veut rester ouverte et attirante pour les hommes d’affaires et scientifiques étrangers. Ce peut être une reconnaissance momentanée de faiblesse, ou un simple moment pour «  reprendre son souffle « dans ce que les États-Unis appellent «  sprint long  » entre États-Unis et Chine. Il y a des bruits de reprise de discussions militaires, interrompues depuis 2018, et d’un contact possible entre Biden et Xi Jinping. Pékin considère que c’est aux États-Unis, responsables des tensions, de montrer patte blanche. Les plus optimistes penseront que le choc Trump-Covid était le même que Tiananmen, et qu’après un repli conservateur, tout retournera dans l’ordre. C’est pourtant fort peu probable. 

Nous verrons bien.

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