• L’Indo-Pacifique est de retour à l’agenda américain de politique étrangère ce mois-ci. Lors de son entretien avec le Premier ministre japonais, Joe Biden a déclaré hier que les États-Unis étaient prêts à défendre militairement Taïwan en cas d’invasion de l’île par la Chine1. Cette déclaration rompt avec « l’ambiguïté stratégique » américaine vis-à-vis de Taïwan — qui n’était pas si ambigüe dans les faits.
  • La Maison-Blanche, dans un communiqué, a été obligée de revenir sur ces déclarations et le président lui-même a dû rétropédaler aujourd’hui2. En effet, lors de la normalisation diplomatique entre les États-Unis et la Chine dans les années 1970, les États-Unis ont pris note de la posture de Pékin ne reconnaissant qu’une seule Chine, mais ont réaffirmé que ce différend devait être réglé par des moyens pacifiques. Ainsi, depuis le Taïwan Relation Act de 1979, les Américains ont légalement le droit de défendre l’île — par l’envoi d’armes défensives notamment — en cas d’attaque militaire chinoise. Néanmoins, une intervention militaire américaine directe n’a jamais été explicitement garantie. La Chine a réagi à cet imbroglio diplomatique en déclarant que les États-Unis ne devaient pas « sous-estimer sa ferme détermination à protéger sa souveraineté ». 
  • Aujourd’hui, Joe Biden rencontre ses homologues indien, japonais et australien pour un sommet du Quad, ce forum diplomatique formalisé en 2007 qui a pris de plus en plus d’importance depuis 2016 en raison de la volonté des présidents américains Donald Trump (2017-2021) et Joe Biden (depuis 2021) de limiter l’influence chinoise dans la région. À l’issue de cette réunion, le nouveau Premier ministre japonais, Fumio Kishida, a déclaré que les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie s’opposaient à tout « changement du statu quo par la force », en particulier en Asie-Pacifique3. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette déclaration est un message adressé aux autorités chinoises en réaction aux agissements de la marine chinoise en mer de Chine et dans le détroit de Taïwan.
  • L’Inde, les États-Unis et l’Australie se sont aussi accordés sur un système commun pour surveiller le trafic maritime régional4. Ce dispositif vise en particulier à contrôler l’action de la Chine, qui tente de multiplier les accords sécuritaires avec des petites îles du Pacifique. En avril dernier, les îles Salomon ont ainsi signé un premier pacte de ce type avec Pékin. Selon des sources américaines, la Chine serait actuellement en négociations avec les Kiribati — trois archipels situés à seulement 3000 kilomètres d’Hawaï, où le Commandement américain de l’Indo-Pacifique est basé — et une autre île du Pacifique5. Ces accords pourraient permettre à la Chine d’envoyer des troupes dans ces îles, voire d’y installer une base militaire.
  • Si la position des membres du Quad sur la Chine est unanime, il semble à première vue compliqué de trouver la même union sur l’Ukraine puisque l’Inde est le seul pays membre du Quad à ne pas avoir condamné l’invasion russe en Ukraine lors des votes au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’ONU. La division du monde entre régimes autoritaires et démocraties, promue par l’administration Biden, est ainsi fragilisée par la position du Premier ministre indien qui privilégie l’achat d’armement et de pétrole russe à bas coût au front commun des démocraties voulu par Joe Biden6.
  • Enfin, lors de sa tournée diplomatique en Asie, Joe Biden n’a pas oublié la dimension économique de la rivalité sino-américaine. Après que Donald Trump ait retiré les États-Unis du traité de libre-échange transpacifique (TPP) en 2017 — accord négocié et signé par l’administration Obama —, Joe Biden cherche à engager une douzaine de pays asiatique dans un nouvel accord7. La Chine a quant à elle conclu « le plus grand accord de libre-échange du monde », le RCEP, en novembre 2020, avec quinze pays de la région dont l’Australie, la Corée du Sud et le Japon, mais sans l’Inde. Un certain nombre de pays pourraient appartenir aux deux blocs économiques. 
  • Le nouveau projet américain pourrait surpasser le RCEP en réunissant 40 % de l’économie mondiale — contre 30 % pour le RCEP —, avec des normes environnementales et sociales plus strictes. Néanmoins, les négociations risquent d’être houleuses car Joe Biden doit composer avec son opinion publique, hostile à l’ouverture du marché américain à de nouveaux produits importés d’Asie. Les négociations porteront aussi sur quatre sujets majeurs : l’harmonisation des efforts pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement, le développement des énergies propres, la lutte contre la corruption et l’augmentation des échanges numériques.
Sources
  1. Demetri Sevastopulo, Kana Inagaki et Kathrin Hille, « Joe Biden pledges to defend Taiwan militarily if China invades », The Financial Times, 23 mai 2022.
  2. Zachary Basu et Jonathan Swan, « Inside Biden’s Taiwan flubs », Axios, 24 octobre 2021.
  3.  « Changer le statu quo par la force en Asie-Pacifique « ne sera jamais toléré », selon l’alliance Quad », Le Figaro, 24 mai 2022.
  4. Ibid.
  5. Kathrin Hille, Demetri Sevastopulo et Edward White, « China seeks more island security pacts to boost clout in Pacific », The Financial Times, 20 mai 2022.
  6. « Despite US pressure India bought cheap oil from Russia : Ex-Pak PM Imran Khan hails Modi govt’s decision to cut excise on fuel », The Indian Express, 22 mai 2022.
  7.  Peter Baker et Zolan Kanno-Youngs, « Biden to Begin New Asia-Pacific Economic Bloc With a Dozen Allies », The New York Times, 23 mai 2022.