Key Points
  • Les combats se déroulent sur cinq fronts.
  • Les plus décisifs pour la suite des combats sont ceux de Sloviansk et Severonodestk.
  • Dans la région de Kherson, la contre-offensive ukrainienne n’a pas produit les effets escomptés, magré quelques percées.

Situation générale 

La situation est très fluide et les deux camps multiplient les petites attaques au niveau du bataillon, voire de la compagnie, sur quelques centaines de mètres et parfois sur plus d’un kilomètre. L’objectif est d’essayer de faire émerger par accumulation des succès opérationnels. Les combats se concentrent sur cinq zones.

La zone de Kharkiv

Dans la région de Kharkiv, Russes et Ukrainiens se disputent la possession des petites villes et villages le long de la frontière. L’enjeu pour les Russes est de garder le contrôle de la route E105 qui relie Belgorod, grande base arrière en Russie, à Kharkiv et surtout plus à l’Est, l’axe logistique qui relie Belgorod à Izium, via Voltchansk, Velykyi Burluk et Koupiansk. Il s’agit aussi de part et d’autre dans cet espace de 80 kilomètres entre les deux villes d’écarter autant que possible l’artillerie, – priorité ukrainienne – et les forces d’infiltration et de sabotage – priorité russe. 

La bande Nord entre Kharkiv et la frontière est tenue par plusieurs régiments et milices des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk, accompagnées de 5 ou 6 groupements tactiques (GT) russes et appuyés par l’artillerie au-delà de la frontière. En face, du côté ukraininen, on retrouve la 72e brigade mécanisée, deux brigades de territoriales et une brigade de Garde nationale.

La bande Est, qui relie le village de Starytsia à 5 kilomètres de la frontière jusqu’à Pechenihy 30 kilomètres plus au Sud et 30 kilomètres à l’Est de Kharkiv, longe la zone forestière de la source de rivière Donets. Les forces ukrainiennes et notamment la 92e brigade mécanisée y tiennent plusieurs têtes de pont sur la rive Est. C’est le cas en particulier à Staryi Saltiv au centre de la bande. Il n’est guère possible de manœuvrer au-delà, pour essayer notamment de couper l’axe Belgorod-Izium. Les axes sont rares et la zone découverte est largement sous le feu de l’aviation et de l’artillerie russes. Au mieux, les Ukrainiens peuvent espérer harceler l’axe logistique à distance par les infiltrations au Nord dans la zone dense, mais celle-ci est couverte par l’infanterie légère russe (Spetsnaz), et surtout par une artillerie à longue portée guidée depuis le sol par des commandos, par des partisans et surtout par drones. Les besoins de la bataille du Donbass ont par ailleurs conduit les forces ukrainiennes à y envoyer des renforts.

La région de Sloviansk

Les forces russes continuent à presser autour de la poche au Nord de la ville. À l’Ouest, la 2e division motorisée russe s’efforce de repousser la 81e brigade d’assaut aérien ukrainienne de la région forestière de Dovenhke-Krasnopillya, celle qui commande la route M03 qui relie Izium à Sloviansk. Au Nord et à l’Est, la 201e division motorisée et la 90e division blindée exploitent la prise de Lyman du 26 mai pour prendre le contrôle de toute la région au Nord de la rivière Donets. Le prochain objectif russe sera probablement Raihorodok, au-delà de la Donets et à 2 kilomètres au Nord-Est de Sloviansk. Il sera bientôt difficile aux brigades ukrainiennes – 81e et 57e motorisée – de se maintenir dans la poche au Nord de Sloviansk. 

Le secteur de Severodonetsk

C’est bien évidemment dans ce secteur que les choses les plus importantes se déroulent actuellement. Le problème majeur pour la défense de la ville est sa coupure avec Lysychansk et par conséquent avec le reste de l’Ukraine par la rivière Donets. Concrètement, il ne resterait qu’un seul pont intact pour éviter la coupure totale. Même si la décision politique est douloureuse, il apparaît préférable de replier les forces ukrainiennes de Severodonetsk – environ 8 000 Gardes nationaux, miliciens et territoriaux – avant qu’ils ne soient enfermés dans la ville comme à Marioupol et à reporter la défense ferme sur Lysychansk.

Mais c’est le sort de tout le saillant qui est désormais en question depuis la prise de Popasna le 7 mai. La zone Nord, le long du Donets est pour l’instant plutôt calme après le grave échec de la tentative de franchissement à Bilohorvika les 6 et 7 mai (un groupement tactique perdu). De nombreux combats se déroulent en revanche sur la ligne de front entre Toshkivka, à 5 kilomètres au Sud de Lysychansk jusqu’aux sorties Ouest de Horlivka. Pratiquement toutes les localités de Toshkivka à Soledar font l’objet d’attaques russes et de contre-attaques ukrainiennes. Les Ukrainiens engagent 4 brigades de manœuvre et une brigade territoriale dans cette bataille face à 127e division motorisée et la 57e brigades russes et une partie du corps d’armée « de marche » de Popasna regroupant une douzaine de bataillons de parachutistes, marines, appuyés par des mercenaires de Wagner et de miliciens séparatistes. C’est clairement la bataille la plus importante du moment. Si les Ukrainiens la perdent, l’axe T1302 qui relie Lysychansk à Bakhmut risque d’être menacé et toutes les forces ukrainiennes de la zone menacée d’encerclement. Il est possible que les forces russes relancent l’action au Nord, depuis Lyman-Ozerne cette fois en direction de Siversk, dont la prise scellerait presque le sort des forces dans le saillant.

Au sud de la poche de Popasna, les forces russes et séparatistes pressent la 30e brigade mécanisée ukrainienne afin de la forcer au repli en direction de Bakhmut avec de fortes chances de succès, tandis que le 1er corps de la république séparariste de Donetsk attaque la 46e brigade d’assaut aérien ukrainienne entre Pivnichne et Niu-York à la sortie Ouest d’Hrolivka, une attaque probablement effectuée pour faire diversion.

Le secteur de Zaporijia à Donetsk 

Ce secteur est le plus calme actuellement. La densité des forces de part et d’autre y est faible et il ne s’y déroule que des opérations minimes de niveau compagnie et des duels d’artillerie. Les Russes semblent plus préoccupés par l’organisation de la défense et l’organisation de la zone occupée, et le développement d’une activité de résistance, pour l’instant surtout passive. Il est surprenant qu’une guérilla plus active ne se soit pas organisée dans la région. 

Le secteur de Kherson

La 80e brigade d’assaut aérien et plusieurs milices ukrainiennes se sont emparés de Davydiv Brid, un important nœud routier à l’Est de la rivière Inhulets, indispensable au ravitaillement des deux brigades russes au Nord de la poche. Ces dernières sont aussi attaquées à Vysokopillya par deux brigades mécanisées et à Novovorontsovka, le long du Dniepr, par une brigade territoriale. Plus au Sud, entre Kherson et Davydiv Brid, la 14e brigade mécanisée a également attaqué Snihourivka, peut-être pour y fixer la 34e brigade russe. Les villes de Kherson, côté russe, et de Mykolayev, côté ukrainien, sont toujours solidement tenues par les deux camps.

Alors que les forces sont équilibrées dans la région, on ne comprend pas très bien pourquoi les forces ukrainiennes maintiennent encore la 5e brigade blindée à Odessa. C’est une de leur rare réserve militaire qui pourrait faire basculer le rapport de forces, notamment dans le secteur de Davydiv Brid et dans la direction de Nova Kakhovka, 20 kilomètres plus au Sud sur le Dniepr. Mais il est vrai qu’il est difficile maintenant de mener des attaques sur 20 kilomètres.

Remarque

On constate la difficulté de part et d’autre pour mener des opérations visibles, sans être pris sous le « feu du ciel ». Il y a le “feu” des aéronefs – avions d’attaque et chasseurs-bombardiers, hélicoptères – qui sans doute moins présents que dans les grands conflits précédents ne serait-ce que par manque de munitions précises. On trouve aussi le “feu” de l’infanterie avec ses missiles et roquettes à tir courbe frappant le point faible des blindés, celui des drones armés ou rôdeurs, et enfin celui de l’artillerie dont c’est le grand retour. Le grand public connaît désormais plus de noms de modèles de pièces d’artillerie que de chars.

Il est devenu banal de parler de la mort du char, alors que ce dernier a souvent enterré tous ceux qui annonçaient sa perte. Il est de bon ton de dire que si la manœuvre blindée est impossible, c’est parce que les armées russes et ukrainiennes ne savent pas faire de combats interarmes. D’autres facteurs existent. On en reparlera.