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Key Points
  • Le Donbass devrait devenir l’objectif principal de l’armée russe, comme on l’observe depuis une semaine.
  • Dans les faits, les combats continuent sur les autres fronts pour le moment.
  • Les annonces de l’armée russe s’apparentent à une première défaite symbolique, mais sur le terrain tout peut encore se produire.

Situation générale 

Le général russe Rudskoï, adjoint du chef d’état-major des armées, a effectué un point de situation au bout d’un mois de combats, expliquant que la première phase de la guerre était un succès avec la destruction d’une grande partie de l’armée ukrainienne et que l’armée russe et ses alliés des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk se concentreraient sur la conquête complète des deux provinces du Donbass. Il a officialisé ainsi ce qui était observé depuis au moins une semaine. Dans les faits et à court terme, cela ne change donc pas grand chose.

Situations par zone

Dans le ciel 

Selon les chiffres donnés par le général russe Rudskoï, l’armée ukrainienne aurait perdu les trois quarts de ses avions, 35 drones TB2 sur 36, plus de 80 % de ses moyens antiaériens (S300-Buk et M1). Après avoir découvert que les Ukrainiens avaient autant de drones TB2 – et a priori plus qu’au début de la guerre – c’est l’admission en creux que l’aviation ukrainienne est toujours active.

Il ne faut pas confondre campagne de conquête et campagne de frappes. Si la campagne de conquête est officiellement – pour l’instant – concentrée sur le Donbass, la campagne de frappes continue sur l’ensemble du territoire ukrainien. Il ne faut donc pas s’étonner de frappes d’opportunité comme celle qu’on a pu observer sur un dépôt d’hydrocarbures à Lviv, dans l’Ouest du pays. Cette frappe avait sans doute une dimension symbolique, en lien avec la visite de Joe Biden en Pologne. 

Les Russes auraient utilisé plus de 1 000 missiles balistiques/croisières, soit environ deux-tiers de leur stock initial.

Zone Ouest 

La déclaration du général Rudskoï pourrait aussi mettre fin au suspense sur une éventuelle opération russo-biélorusse dans l’Ouest de l’Ukraine. Le potentiel militaire biélorusse est estimé de toute façon à environ 5 GTIA de faible niveau tactique. En somme, pour la Biélorussie, les coûts politiques et économiques sont très importants, alors que le rapport de force sur le terrain ne devrait pas changer fondamentalement en cas d’intervention de l’armée biélorusse.

Zone de Kiev et du Nord-Est

La réorientation annoncée par l’armée russe ne change pas grand chose à la situation dans le Nord. Les forces russes sont toujours en posture défensive et en reconstitution. Plusieurs brigades des 35e et 36e Armées à l’Ouest de Kiev ont formé chacune un GTIA de marche avec leurs dernières forces combattantes. D’autres unités, marquées par plus de 50 % de pertes, ont été envoyées dans la région de Bryansk, en Russie, afin de se reconstituer. 

Les attaques russes sont plutôt limitées à la zone de Chernihiv. On peut sans doute imaginer une rectification de la ligne de front russe, avec la volonté d’assurer une présence forte à proximité de Kiev en cas de conquête de Chernihiv et de l’axe E95 jusqu’à Brovary par la 41eArmée et la 2e AG. Mais, il y aurait dans le même temps, un abandon des zones difficiles à tenir, en particulier l’axe H07 qui relie Soumy à Kiev.

De leur côté, les forces ukrainiennes continuent leur contre-offensive à l’Ouest de Kiev sur le quadrilatère délimité par Ivankiv au Nord-Ouest, Dymer au Nord-Est, Irpin-Myla au Sud-Est et Kalymiv au Sud-Ouest avec le projet d’étouffer les 35e et 36e Armées. La destruction de ces deux armées russes et des troupes aéroportées restantes serait une victoire majeure. Elle est cependant peu probable pour l’instant.

Zone Sud

La situation reste inchangée pour l’instant. Les forces russes sont sous pression et plutôt sur la défensive. Le général Rezantsev, commandant la 49e Armée, a été tué dans la région de Kherson. C’est le 7e général russe tué, auxquels s’ajoutent trois colonels commandants de régiments ou de brigade décédés – dont un par suicide – après seulement un mois de guerre en Ukraine. Cela confirme l’activité ukrainienne dans la zone de Kherson et la présence de l’état-major russe de la 49e Armée venu du Caucase dans cette même zone.

Donbass 

Marioupol est presque coupée en deux par la progression russe. Il n’est pas dit que la résistance ukrainienne s’arrêtera pour autant. Si la prise de la ville est inéluctable, une question majeure est de savoir dans quel état se trouveront la 150e Division d’infanterie motorisée – composée en partie par un groupement tchétchène – et la 810e Brigade d’infanterie navale après les combats. Il n’est pas évident que ces unités importantes puissent être réutilisées à court terme pour relancer l’offensive dans le reste du Donbass.

Dans la bataille du « saillant du Donbass », il semble que les Russes ont abandonné l’idée d’un encerclement de l’armée ukrainienne par l’axe E105 entre Kharkiv et Dnipropetrovsk. Ils ne tiennent pas Kharkiv et ne pourraient sans doute pas contrôler cet axe de 250 km. S’ils ne renoncent sans doute pas à une poussée par le Sud, de Zaporijjia vers Dnipropetrovsk, ils cherchent pour l’instant simplement à repousser les forces ukrainiennes au-delà des limites des oblasts de Donetsk et Lougansk. 

Les Ukrainiens résistent par une manœuvre de freinage, fondée sur des bastions urbains. Le coût en pertes et en temps pour s’emparer de chaque kilomètre est très élevé pour les Russes et leurs alliés. Le 1er Corps d’armée de la république autoproclamée de Donetsk s’est épuisé pour s’emparer de Volnovakha, une ville aujourd’hui détruite de 20 000 habitants entre Donetsk et Marioupol. Le même Corps d’armée bute devant Mariinka, Kurakhove, Avdiivka et Vouhledar à proximité de la ville de Donetsk. Il en est de même dans le Nord du Donbass avec la résistance à Yzium et à Severodonetsk – solide bastion de 100 000 habitants. De surcroît, on assiste à une attaque ukrainienne en direction d’Horlivka, au nord de Donetsk. Même si Severodonetsk tombait entre les mains de la 8e Armée et du 2e Corps d’armée de la république autoproclamée de Lougansk, la ligne « Sloviansk-Kramatrosk-Droujkivka-Kostiantynivka-Toretsk » constitue un véritable front urbain de 70 km de long et 450 000 habitants, très difficile à prendre.

L’annonce pour une fois d’un objectif clair, à savoir la conquête du Donbass, signifie sans doute que celui-ci est considéré comme atteignable par l’armée russe. C’est un objectif atteignable, même s’il sera difficile à réaliser, notamment si les forces ukrainiennes sont renforcées dans la région.

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Perspectives

En politique, quand on triomphe on s’en vante. Dans le domaine militaire, lorsqu’ on envoie le numéro deux du chef d’état-major annoncer un succès et une inflexion majeure, ce n’est pas forcément perçu en interne comme un grand succès.

Le général Rudskoï, a annoncé par ailleurs la destruction d’un gros tiers de l’artillerie et des deux-tiers des véhicules de combat blindés ukrainiens, un bilan sans aucun doute très exagéré. Les pertes documentées par Oryx, n’indiquent que 227 véhicules de ce type perdus, un chiffre important et forcément inférieur à la réalité, mais on se trouve sans doute loin des deux-tiers annoncés. On rappellera qu’un tiers des véhicules de combat russes perdus ont été en réalité capturés par les Ukrainiens, ce qui fait au minimum 300 engins réutilisables pour la plupart, par les Ukrainiens.

Quand on examine les chiffres de destruction de véhicules le long de la semaine par le site Oryx au cours de la semaine, on s’aperçoit qu’en 8 jours les Russes ont perdu 170 véhicules de ce type contre 38 du côté ukrainien. Les pertes journalières en véhicules de combat blindés ont tendance à diminuer des deux côtés – surtout du côté ukrainien – alors que les pertes en pièces d’artillerie ont en revanche plutôt tendance à augmenter des deux côtés, ce qui témoigne de l’importance croissante de cette arme dans des combats de plus en plus statiques. 

De la même façon que les remplacements en cours ont tendance à diminuer le capital humain de l’armée russe, l’utilisation du matériel ancien récupéré dans les stocks entame le capital militaire de l’armée par rapport aux équipements neufs.

Partir à l’anglaise, c’est partir sans le dire ; partir à la russe, c’est dire très fort que l’on part alors que l’on reste. Les Russes ont ainsi annoncé à plusieurs reprises leur retrait de Syrie alors qu’il ne s’agissait que de relèves des forces. Les Russes annoncent qu’ils se concentrent désormais sur le Donbass, mais ne renoncent à rien pour l’instant.