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Key Points
  • Au fur et à mesure de l’évolution des armées opposées, l’échelle des combats a tendance à diminuer.
  • Les combats continuent sur tous les fronts, sans réelles avancées des deux côtés, à l’exception d’une lente percée russe au Donbass.
  • L’aspect psychologique de la guerre s’accroît et pourrait avoir un rôle décisif dans les prochaines semaines.

Situation générale

Au fur et à mesure de l’évolution des armées opposées, l’échelle des combats a tendance à diminuer. Le plan initial russe prévoyait une seule grande bataille décisive, mais nous sommes désormais passés à plusieurs grandes batailles à remporter, qui correspondent généralement à la prise de grandes villes – Kiev, Marioupol, Kharkiv… À l’exception de Marioupol, on est dans des combats de petites villes, de raids et de frappes localisés. On est ainsi passé de combats d’armées complètes à des combats de quelques milliers d’hommes, voire moins.

Or plus l’échelle des combats se réduit, plus le temps de la guerre s’allonge. Il devient de plus en en plus difficile de gagner de grandes batailles, car il y a de moins en moins de grandes batailles à gagner et de victoires à proclamer. La campagne bascule progressivement d’un mode séquentiel – un enchaînement de victoires jusqu’à la victoire finale – vers un mode cumulatif, où on espère l’émergence d’un effet stratégique – un effondrement de la volonté de combattre – par une multitude de petits coups, ce qui prend beaucoup plus de temps.

Situations par zone

Ouest, Kiev et Nord-Est

L’hypothèse d’une entrée en guerre du Bélarus reste en suspens.

Si Paris était à la place de Kiev, il faudrait imaginer trois armées russes venues de Belgique, du Luxembourg et d’Allemagne très dépendantes des grandes routes et entravées par une première série de poches de résistance proches de la frontière aux alentours de Charleville-Mézières, Verdun, Metz. Soumy se situerait entre Nancy et Strasbourg. Enfin, il y aurait une deuxième ligne de résistance d’Amiens, l’équivalent français de Chernihiv, à Soissons, qui s’apparenterait à la ville ukrainienne de Nizhyn.

Toute cette zone est devenue un grand espace de multiples petits combats où une trentaine de GTIA russes – unité de combat de 500 à 1000 hommes – tentent de réduire les poches de résistance par un mélange d’écrasement par l’artillerie – le point fort des Russes – et de petits assauts – leur point faible – tout en se défendant sur les grands axes, en particulier celui qui va de Soumy jusqu’à Kiev, contre le harcèlement des forces ukrainiennes, plus légères et plus mobiles.

Si Paris était toujours à la place de Kiev, les combats les plus proches se dérouleraient en périphérie de la petite couronne. Les forces russes les plus avancées seraient au Nord dans la région de l’aéroport Charles de Gaulle avec la 90e Division blindée et à l’Est vers Marne-la-Vallée avec la 2e Division d’infanterie motorisée. Les deux divisions russes, qui représentent sans doute 16 GTIA sont néanmoins entravées dans leur logistique arrière, et s’enterrent. Elles tentent parfois de lancer de petites attaques sans succès.

À l’Ouest de la capitale, les forces russes, qui seraient venues de Normandie seraient au plus proche entre Saint-Germain en Laye et Argenteuil. Ces forces russes, qui ont beaucoup souffert, sont plutôt en posture défensive et se retranchent. Les forces ukrainiennes lancent actuellement de petites attaques autour de ce périmètre avant sa complète fixation pour repousser autant que possible les forces russes, au-delà de 25 kilomètres du centre de Kiev, et se préserver de la majorité des frappes d’artillerie de l’adversaire.

Sud 

Le front y est beaucoup plus continu que dans le Nord mais la densité des forces également beaucoup plus faible de part et d’autre. La 58e Armée russe ne dispose que d’une quinzaine de GTIA pour une surface équivalente à celle occupée par les 41e, 2e et 1ère Armées dans le Nord, soit quatre fois plus de forces. La 20e Division d’infanterie motorisée a été repoussée de Mykolaev, mais la 11e Brigade d’assaut aérien et la 126e brigade d’infanterie ont poussé des reconnaissances sur la rive Ouest du Dniepr en direction de Kryvyi Rih. La prise de Kryvyi Rih sur les arrières de Dnipro, pourrait avoir un grand intérêt pour les Russes, mais les forces sont sans doute trop faibles et trop éloignées de leur base logistique pour l’envisager sérieusement.

Les frappes et les sabotages sont très efficaces contre les docks de Berdiansk, comme en témoigne la destruction du navire de transport Orsk et l’endommagement d’un autre navire. Les capacités amphibies de la flotte de la mer Noire se trouvent amoindries et l’usage du port, proche de Marioupol, affectée pour un temps.

On observe l’apparition d’engins explosifs improvisés – IED en anglais – dans la zone occupée par le 58e Armée dans la région de Kherson. Il s’agit sans doute du début d’une guérilla arrière.

Donbass 

On assiste toujours à une lente progression des forces russes à l’intérieur de Marioupol. Environ 10 % de toute la force russe en Ukraine, soit environ tiers des GTIA encore disponibles pour manœuvrer, sont concentrés sur cet objectif face à quatre brigades ukrainiennes. La progression russe est d’abord une progression par le feu. 

La pression des forces russes – 6e, 20e et 8e Armées, une trentaine de GTIA – continue sur Yzium et Severodonetsk au Nord de l’arc du Donbass

L’effort russe du 2e corps d’armée (République de Louhansk) se porte aussi vers Popasna (Sud de Seveordonetsk) et le 1er corps d’armée (République de Donetsk) se dirige vers Avdiivka et Ocheretyne (immédiat Ouest de la ville de Donetsk). 

La pression est moindre au Sud de l’arc du Donbass, en particulier autour de Zaporajjia et à plus long terme, de Dnipro, point clé de la région. Les forces ukrainiennes résistent mais il s’agit là de l’endroit où elles sont le plus en danger.

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Perspectives

La fuite d’ammoniaque dans la grande installation de stockage chimique de Sumykhimprom est-elle due à une frappe aérienne russe ? Immédiatement présentée par les autorités russes comme une tentative d’empoisonnement de la population par des néo-nazis, cette accusation pourrait être utilisée comme une justification d’emploi « réciproque » d’armes chimiques, ce qui reste peu probable pour l’instant.

On remarque une augmentation des sorties aériennes russes et des frappes de missiles contre les forces aériennes ukrainiennes et la défense anti-aérienne ukrainienne. Le nombre de missiles balistiques ou de croisière russes dépasserait le millier, soit les deux-tiers du stock.

La dérivation des réfugiés, notamment des villes assiégées, vers des zones contrôlées par les Russes et parmi ces réfugiés la présence tacitement ou même explicitement admises de combattants ennemis a été employée à plusieurs reprises en Syrie. C’est le principe de la « porte de sortie » laissée au défenseur pour se replier, alors que la pression paraît intenable. Cela permet d’affaiblir la défense, tout en contrôlant au bout du compte la population et les défenseurs ennemis dans des « zones de désescalade” qui constituent en réalité de grandes prisons à ciel ouvert.

C’est surtout l’artillerie et les combats qui détruisent les villes et non les frappes aériennes, certes parfois spectaculaires, mais plutôt rares dans ce cas précis. Lorsqu’elles sont massives, la donne change évidemment.

Les forces ukrainiennes contribuent encore à l’entrave des mouvements en période de dégel en libérant les retenues d’eau et en inondant certaines zones, notamment à Irpin.

L’épuisement

Un mois de combat continu constitue une limite psychologique, au-delà de laquelle on constate une augmentation rapide des effondrements. La moitié des évacués ne présentent alors souvent pas de blessures physiques, en admettant qu’ils puissent être évacués. Après un mois de combat intense à Dien Bien Phu, un cinquième des défenseurs avaient « déserté sur place » en attendant la fin des combats le long de la rivière Nam Youn.

Tout cela est évidemment très variable, en fonction de l’intensité des combats, de l’expérience et de la solidité individuelle et collective des combattants, de leur motivation, mais il est probable qu’un certain nombre d’unités engagées sans interruption depuis les premiers jours au combat en Ukraine – surtout les unités russes à l’ouest de Kiev ou la plupart des forces engagées à Marioupol – soient au bord de l’effondrement psychique. Dans ce cas, ce n’est pas un recomplètement vers l’avant qu’il faut organiser mais une relève, et il n’est pas évident que les forces au combat en Ukraine, russes en particulier, en soient toujours capables.