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Key Points
- À Mykolayev, l’insuffisance des forces russes face à la forte résistance ukrainienne produit une situation de blocage, retardant nettement l’attaque d’Odessa.
- La question du franchissement du Dniepr et de ses deux issues possibles – défaite tactique en restant sur place ou abandon de l’Est – aura des conséquences stratégique importantes.
- De manière générale, l’avancée russe piétine avec une proportion de forces disponibles engagées dans les progressions (Kiev, Mykolaev, Zaporijjia) de plus en plus faible. S’approche-t-on d’un point culminant clausewitzien ?
La version d’hier est disponible ici. L’archive des analyses quotidiennes de Michel Goya est disponible à ce lien.
Situation générale
Peu de changements sont à signaler depuis hier. L’avancée russe piétine avec une proportion de forces disponibles engagées dans les progressions (Kiev, Mykolaev, Zaporijjia) de plus en plus faible. S’approche-t-on d’un point culminant clausewitzien ?
Situations particulières
Zone Ouest
La situation reste inchangée avec une recherche d’informations et de nombreuses interrogations sur la situation de la fameuse « colonne de 65 km » : où est-elle précisément (axe Aljaksandraŭka-Korosten/Malyv/Ivankiv ?) ? est-ce la 35e Armée ? est-elle toujours bloquée par la destruction de ponts ? quel est son état ?
Zone de Kiev
On assiste à une concentration toujours très progressive des forces. La 36e Armée est toujours engagée dans les faubourgs Nord-Ouest de Kiev, avec une faible progression. La 41e Armée contourne le blocage de Chernihiv par l’Ouest et le parc national de Mizhrichynskyi pour aller au contact au Nord de Kiev, mais avec un volume de forces faible.
La 1ère Armée blindée de la garde (2e ABG) cherche à s’emparer de Brovary, à 20 kilomètres à l’Est de Kiev, mais éprouve des difficultés. Un quart seulement de sa capacité de combat se trouve sur ce point, le reste se trouve face à Soumy et sur l’axe Soumy-Brovary.
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Zone Est
Si la situation demeure incertaine, peu de changements notables sont enregistrés. Une brigade de la 6e Armée – ex-État-major face aux pays baltes – a pris à son compte le combat dans la région de Kharkiv. Une brigade été renvoyée à Belgorod pour assurer le recomplètement (y compris humain) de l’armée. C’est donc le début d’un système de rotation qui semble parti pour durer.
Zone Sud-Est
La situation reste inchangée. Le siège de Marioupol absorbe des forces importantes de la 58e Armée et de la 49e – il existe une incertitude sur cette dernière. La stratégie générale se limite à « assiéger et affamer » mais des assauts partiels sont à noter, ainsi que le bombardement d’un hôpital signalé par le président Zielinsky. L’armée russe a besoin de s’emparer rapidement de Marioupol afin de retrouver des ressources pour pousser vers Zaporijjia.
À Mykolayev, l’insuffisance des forces russes face à la forte résistance ukrainienne produit une situation de blocage, retardant nettement l’attaque d’Odessa.
La question des forces ukrainiennes – peut-être 8 brigades – au Sud-Est de la route E105 entre Kharkiv et Dnipropetrovsk risque de se poser rapidement aux Russes : faut-il défendre à tout prix la ligne au risque de l’encerclement ? faut-il se replier – difficilement – et franchir le Dniepr ? Peu de points de franchissement sont possibles – Kaniv, Krementchouk, Dnipropetrovsk – et la possibilité d’une défense solide sur le fleuve est à envisager en abandonnant l’Est du pays aux Russes. Dans les deux cas – défaite tactique en restant sur place ou abandon de l’Est – les conséquences stratégiques sont importantes.
Perspectives
L’interrogation principale porte aujourd’hui sur les capacités de renforcement russes, alors qu’au moins les deux tiers des unités de combat terrestres russes doivent être engagées pour tenir ce rythme, mais peut-être plus. La capacité de renforcement en unités d’active est limitée. Les réserves réellement opérationnelles étaient en cours de réorganisation et leurs capacités sont limitées. L’armée fait feu de tout bois en faisant appel à la Rosgvardia (Garde nationale de maintien de l’ordre) et notamment des troupes Tchétchènes, mais aussi la Liga (ex-Wagner) et des mercenaires étrangers (peut-être Syriens). L’armée russe a un besoin important d’infanterie et notamment d’infanterie fiable au combat dans région de Kiev.
Une interrogation continue de subsister sur le choix de la date de l’offensive russe dans la plus mauvaise période météorologique de l’année pour l’engagement de forces mécanisées aussi importantes – le dégel crée de la boue, qui rendra d’autant plus impraticables les sols que des pluies sont attendues.
Aujourd’hui, la question des cessez-le-feu continue d’occuper les pouvoirs politiques. Les Ukrainiens ont tous le souvenir de la tragédie d’Ilovaïsk en août 2014. lorsque les forces ukrainiennes encerclées dans la ville par les Russes avaient reçu l’autorisation d’évacuer par un corridor, puis avaient été massacrées au moment du passage. La question de la signature politique de l’aide militaire est aussi surveillée de près par les Russes. Des matériels dont le franchissement de la frontière depuis un pays de l’OTAN est décelé – par exemple depuis un AWACS pour des avions venant de Pologne – pourrait être interprété comme une agression de l’OTAN contre les forces russes, ce que personne ne veut tant le risque d’escalade est grand. La préférence semble donc donnée à une « aide à faible signature », armement léger, logistique, équipements divers.
Le faible intérêt pour les Russes de l’emploi d’une arme nucléaire tactique
Qu’en est-il de l’emploi de l’arme nucléaire tactique ? C’est une arme de faible portée et de faible puissance – relative – développée surtout dans les années 1950-1960 et destinée à être utilisée comme super artillerie contre des forces ennemies sur le champ de bataille. Son emploi s’est révélé rapidement très problématique, tant d’un point de vue opérationnel – il est difficile de combattre efficacement dans un champ de champignons atomiques – que politique – une arme nucléaire tactique reste une arme nucléaire.
C’est l’arme taboue par excellence, son emploi entre puissances nucléaires entraînerait immédiatement une escalade vers le thermonucléaire, ce dont personne ne veut. Elles sont donc devenues dans les années 1970 des armes nucléaires comme les autres, dont l’emploi ne peut être décidé que par l’échelon politique dans le haut du spectre de l’escalade, et selon les règles de la dissuasion mutuelle.
Les moyens conventionnels modernes sont de toute manière suffisants et plus pratiques d’emploi. Ainsi, malgré les difficultés, les Américains au Vietnam ou les Russo-soviétiques en Chine, en Afghanistan ou en Tchétchénie n’ont jamais osé utiliser d’armes nucléaires, même de puissance réduite. En résumé, l’emploi de l’arme nucléaire en Ukraine par les Russes n’aurait guère d’intérêt tactique tout en provoquant une indignation générale qui stimulerait l’ardeur ukrainienne, refroidirait l’appui de la Chine et susciterait aussi sans aucun doute des remous en Russie.