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Depuis la France, on retient souvent de votre parcours que vous avez travaillé pour deux entreprises françaises, votre francophonie et vos nombreux diplômes. Quelle discipline ou quelle culture vous est la plus chère, l’économie ou l’ingénierie ?
Je suis plutôt économiste1. C’est vrai que je suis diplômé ingénieur électrique. Mais j’ai plutôt tendance à dire que ma langue maternelle, c’est l’économie, et que l’ingénierie, c’est l’une des langues étrangères que je maîtrise. Grâce à mon diplôme, je peux en parler intelligemment, mais je n’ai jamais véritablement travaillé en tant qu’ingénieur.
Vous avez également étudié et travaillé dans le marketing, notamment en Amérique du Nord, où vous avez vécu entre 2004 et 2009. Est-ce là-bas que vous avez découvert la politique ?
Non, pas tout à fait. C’est d’abord à l’université Corvinus de Budapest, où l’une de mes spécialisations était la science politique. Mon intérêt est né à ce moment-là. Par la suite, je suivais de près la politique, notamment aux États-Unis, où j’ai participé à de nombreux meetings. J’ai été à moins de cinq mètres de Barack Obama, et j’ai même personnellement rencontré Hillary Clinton pendant sa campagne. Je m’étais également rendu aux meetings de John McCain lorsqu’il était de passage dans l’Ohio. Je suivais de près la politique aux États-Unis, mais aussi en Hongrie.
Pourtant, quand vous revenez en Hongrie en 2009, vous ne vous lancez pas en politique, malgré les approches de certains partis politiques. Pourquoi ?
C’est vrai. C’est le Jobbik2 qui m’a approché à plusieurs reprises pour que je sois leur candidat aux élections municipales. Ils sont venus me voir en 2010, 2012, 2014 et 2017. La quatrième fois, j’avais encore une fois dit non, tout en précisant que je n’exclurai pas de participer à l’avenir. Je leur avais détaillé mes conditions : être indépendant tout en ayant le soutien de l’ensemble des partis de l’opposition – ou au moins qu’aucun parti de l’opposition ne présente son propre candidat.
Finalement, pour les élections municipales anticipées de 2018, j’ai dit oui. Mais je ne pensais pas avoir la moindre chance de gagner, car Hódmezővásárhely a toujours été un bastion du Fidesz. Je ne pensais pas pouvoir gagner, mais je voulais au moins montrer un exemple de coopération entre tous les partis de l’opposition, pour qu’ils changent leur stratégie lors des législatives de 2018.
Deux jours après avoir annoncé ma candidature, j’ai été licencié par Legrand, l’entreprise française où je travaillais. Quelques temps plus tôt, j’avais appelé un ami qui est au Fidesz. Je lui ai demandé ce qu’allait dire János Lázár3, et si ma famille avait quelque chose à craindre. Je pensais que c’était confidentiel, mais avec le Fidesz, rien n’est confidentiel… Lorsqu’ils ont appris que j’allais me présenter, ils ont fait le nécessaire pour me faire virer. Legrand collabore sur de grands projets avec l’État hongrois ainsi qu’avec la mairie de Hódmezővásárhely. Je suis presque sûr que c’est Lázár qui a poussé mon patron à me virer.
Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter en indépendant ? Pourquoi avoir délaissé le Fidesz, un parti que vous avez pendant longtemps soutenu ?
Effectivement, j’étais un supporter enthousiaste du Fidesz, mais je n’ai en revanche jamais été membre du parti. J’ai longtemps pensé, et je le pense toujours, qu’en 2002, le Fidesz aurait dû gagner les élections. Le pays s’en serait mieux porté. Le parti socialiste a mené une campagne très populiste et anti-migrant. C’est comme ça qu’ils ont gagné. Malgré tout, le meilleur gouvernement hongrois des trente dernières années reste le premier gouvernement d’Orbán. Entre 1998 et 2002, ils ont fait du bon travail et le pays se portait mieux. L’économie du pays allait bien… c’était une surprise pour beaucoup de monde d’apprendre qu’ils avaient perdu !
Il faut dire que les socialistes ont fait des coups bas. Ils ont promis d’augmenter de moitié le salaire des professeurs et des médecins ! Ils ont fait peur aux gens en leur racontant qu’un accord entre le Fidesz et les Hongrois de Transylvanie allait leur permettre de venir en Hongrie pour travailler. Les communistes… pardon, les socialistes ont mené cette campagne indigne, affirmant que des millions de roumains allaient venir en Hongrie inonder le marché et que tout le monde allait perdre son travail. Mon explication pour cette élection est que le Fidesz était un petit peu corrompu. Moins que les socialistes, mais c’était déjà trop, ils auraient dû avoir les mains totalement propres.
Pourquoi avez-vous fini par vous détourner du Fidesz ?
Après 2002, Orbán a vu les choses différemment. Il a conclu qu’il n’était pas assez populiste, ni assez impitoyable, qu’il aurait dû user des mêmes tactiques que les socialistes. Il a donc engagé un nouveau conseiller, un juif américain nommé Arthur Finkelstein. Finkelstein était juif homosexuel. Il a mené des campagnes électorales homophobes et antisémites pour des dictateurs corrompus. Pour vous dire à quel point il était impitoyable.
Orbán s’est mis à suivre les conseils de Finkelstein, et le Fidesz a commencé à attaquer ses opposants à coups de mensonges et de campagnes de haine. Évidemment, sa campagne de haine la plus connue reste celle contre les migrants. Orbán racontait que, si l’opposition gagnait les élections, des milliers, voire des millions de migrants arriveraient en Hongrie, et qu’ils violeraient toutes les femmes, voleraient notre travail, etc… Malheureusement, cela a fonctionné, beaucoup de gens votent pour le Fidesz parce qu’ils ont peur des migrants.
Dernièrement, une autre campagne de dénigrement visait les Roms. Elle a commencé en 2020 avant d’être interrompue par le Covid. J’espère sincèrement qu’il ne va pas recommencer. Il y a seulement deux jours, un secrétaire d’État d’origine rom a participé à une conférence du Fidesz, c’était une première. J’ai toujours été en faveur de la communauté rom et de son intégration. Je crois qu’Orbán veut compenser, il veut être leur ami. Je pense qu’il a compris qu’avec un million de roms dans ce pays4, c’est trop risqué de perdre leur voix ! C’est ça Orbán, c’est un opportuniste. S’il peut gagner grâce à une campagne de haine contre les Roms, il va les haïr. S’il peut gagner avec une campagne de soutien en faveur des Roms, il va les aimer.
Vous pensez que c’est à cause de vous que Viktor Orbán a revu sa position vis-à-vis des Roms ?
J’ai toujours été le seul politicien dans ce pays à toujours soutenir la communauté rom. A Hódmezővásárhely, nous avons mis en place un beau programme d’intégration, que nous finançons nous-mêmes, sans l’aide des fonds européens. J’ai toujours été très ouvert ces dernières années, et j’ai toujours parlé d’amour, de tolérance et du devoir d’intégration envers les Roms. Donc oui, c’est un sujet important pour moi, et tout d’un coup, ça devient important pour Orbán aussi…
L’autre campagne de haine de Viktor Orbán, contre les LGBTQ, a également été contrariée. L’an passé déjà, ils avaient commencé cette campagne, affirmant qu’il y avait un « lobby gay » à Bruxelles, qui fait pression sur la Hongrie pour ouvrir les écoles à la propagande LGBT. Ils avaient bien entamé ce discours avant d’être interrompu par le scandale de József Szájer5. C’est l’auteur de la constitution hongroise qui a des opinions ouvertement homophobes, qu’on a découvert participant à une orgie gay à Bruxelles. Il a été arrêté, et je suis quasiment sûr qu’il s’agit d’un coup monté par les autorités européennes. C’était une revanche contre Orbán qui tentait alors de bloquer le vote du plan de relance. Ça a plutôt bien marché, j’ai même cru que ça serait la fin de la campagne homophobe du Fidesz.
Une revanche de la part de qui exactement ? Quelles autorités européennes ?
Je suis quasiment certain que ça n’était pas une coïncidence que Szájer se trouve là-bas précisément la nuit où la police décide d’aller enquêter sur une fête illégale. N’oubliez pas qu’il y avait un couvre-feu. En théorie, personne ne peut être dans la rue. Pourtant, un piéton qui passait par-là découvre Szájer en train de s’enfuir par la fenêtre de l’appartement ? Et appelle la police ? Il y avait un couvre-feu. Qui appellerait la police dans ce cas-là ? Je suis sûr que c’était un agent secret qui était là pour aider les autorités. Ça c’est la première chose. La deuxième, c’est que, d’après la police, il y avait aussi un citoyen polonais dans cette orgie. Ils n’ont jamais révélé son nom. Or, à Bruxelles, comme dans n’importe quel État de droit, dans ce genre d’affaire, tout reste confidentiel. Personne n’aurait dû savoir que c’était Szájer. Pourtant, très vite, la police belge a confirmé son identité. Donc oui, c’était une revanche, il n’y a aucun doute. Ça ne se produit jamais avec aucun autre politicien, alors même que beaucoup d’entre eux participent aux mêmes genres d’orgies ou de fêtes. La police ne dévoile jamais ce genre de chose, pourquoi ont-ils fait une exception ? Évidemment que c’était une revanche.
Mais qui aurait pu orchestrer une chose pareille ? Il y a quelques jours, vous avez déclaré à Bruxelles qu’Angela Merkel a été « trop gentille » avec Orbán6. À qui pensez-vous ?
Je n’ai pas de nom en tête. Je dis juste que c’est suspect. Orbán bloque le plan de relance européen, et très vite ce scandale se produit contre lui.
Quoiqu’il en soit, cette polémique n’a pas empêché Orbán de s’en prendre aux communautés LGBTQ.
Non, en effet. Ce scandale les a fait taire quelques mois, avant que la campagne homophobe ne reparte de plus belle. Mais c’est parce qu’ils n’avaient rien trouvé de mieux. Ça a duré de longs mois, et ça a été extrêmement dur. Ils ont accusé l’opposition de vouloir autoriser le changement de sexe à l’école maternelle, rendez-vous compte ! Mais ça a marché, car malheureusement, les campagnes de haine fonctionnent. Tout cela ne s’est arrêté que lorsque j’ai évoqué la possibilité que le fils d’Orbán – Gáspár Orbán – soit gay.
Donc la fin de cette campagne de haine serait aussi due à votre intervention ?
C’est tout de même curieux : il a écrit son mémoire de fin d’étude sur le mariage gay, et ce mémoire est devenu soudainement inaccessible. On ne peut pas le lire, mais on peut connaître le titre de ses travaux dans les bases de données. Pourquoi a-t-il soudain disparu ? De plus, il y a trois ans, le fils d’Orbán a vu son mouvement religieux être soudainement dissout. Un peu plus tôt, sa secte s’était faite remarquer dans la presse avec des pubs où ils cherchaient des « jeunes hommes musclés pour devenir les fiancés de Jésus ». Il y avait eu un petit scandale. Quelqu’un a mis un terme à cette entreprise religieuse et Gáspár Orbán a dû s’engager dans l’armée. Pauvre garçon !
À mon avis, le fils d’Orbán est probablement homosexuel. Mais encore une fois, je n’ai fait que dire qu’il avait exprimé une sensibilité homosexuelle à plusieurs reprises. Et j’ai d’ailleurs dit ça en pleine campagne anti-LGBT du Fidesz, je suis outré par le comportement de Viktor Orbán. J’attaquai Orbán, pas son fils. Nous respectons et protégeons tous les homosexuels, ce qui inclut le fils d’Orbán, si tant est qu’il le soit. Quoiqu’il en soit, ils ont tout arrêté à la mi-août.
À la suite de ce scandale, vous vous êtes également fait remarquer en commentant l’orientation des membres du Fidesz, affirmant que « tout le monde sait que c’est au Fidesz qu’il y a le plus de gays ».
Oui, mais c’est vrai. C’est totalement vrai, je pourrais vous en citer plusieurs ! Et ça n’est pas surprenant, le Fidesz était un parti libéral dans les années 90, il est donc normal qu’il y ait beaucoup d’homosexuels, et aussi des jeunes d’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont homosexuels. Mais c’est la même chose pour Soros. Orbán a lancé la campagne de haine contre Soros, mais il a été payé par Soros dans les années 80 et 90. Le Fidesz a été aidé par Soros7.
Ils ont un passé très coloré. Orbán a commencé dans le KISZ, dans le mouvement de jeunesse communiste. Ensuite, il était libéral et sévèrement anti-clérical. Quand je le soutenais, il était fortement anti-Poutine et pro-Europe. Après 2010, il est devenu anti-Europe et pro-Poutine. J’ai l’habitude de dire dictateur fasciste, mais c’est plus une rhétorique.
C’est un État à parti unique qu’il est en train de construire. Il a supprimé les checks and balances, on vit dans une sorte de régime autoritaire. Il a évidemment beaucoup changé au cours de sa carrière, passant du communisme au fascisme, il a couvert à peu près tous les domaines jusqu’à son virage à droite. La seule chose avec laquelle il est cohérent, c’est la corruption. J’ai l’habitude de dire que la seule idéologie qu’il a, c’est la corruption.
Vous vous en tenez donc à cette stratégie de déclarations provocatrices ? Vous êtes régulièrement critiqué pour ce que vous dites, notamment par vos alliés dans l’opposition.
Oui je suis critiqué, mais ça a marché. Au passage, mon chargé de communication aussi est gay, il est marié. Ma campagne a également été soutenue par des homosexuels célèbres en Hongrie. Je pense avoir beaucoup fait pour la communauté gay. Et ceux qui me critiquent… vous savez, aller manifester à la Gay Pride n’empêchera pas Orbán de mener des campagnes de haine contre les homosexuels. En revanche, mentionner le fait qu’il y a des gays au Fidesz, que de plus en plus de membres du Fidesz sont homosexuels, ça oui, ça stoppe les campagnes anti-LGBT.
C’est la même chose avec les migrants. Demain je lance une campagne d’information sur les migrants et le Fidesz. Nous allons installer plus de 400 panneaux publicitaires dans tout le pays avec un compteur de migrants qui indiquera qui a installé combien de migrants en Hongrie. George Soros : zéro. Viktor Orbán : 55 000 par an ! C’est tellement typique… C’est Orbán qui fait venir les migrants. Ceux qui détestent les migrants votent quand même pour le Fidesz ! Mais il va de soi que nous sommes opposés à toutes les campagnes de haine contre les minorités, peu importe leur couleur de peau, leur religion ou leur orientation sexuelle.
Ces migrants que Viktor Orbán autorise à venir en Hongrie, ne sont-ils pas tous chrétiens ?
Non, absolument pas. Par exemple, prenez le projet de ville à Tiszaújváros. Il y a un petit village où vivent 3000 travailleurs étrangers. Ils sont tous musulmans. Ils viennent de Turquie. Beaucoup de travailleurs viennent du Vietnam, de Mongolie, mais aussi du Pakistan et du Bangladesh. C’est vrai qu’ils préfèrent les non-musulmans, mais ça représente tout de même une part importante de ces 55 000 migrants en 2019. En 2020, seulement 40 000 personnes sont venues, dont un tiers musulman, ce qui équivaut tout de même à la population de Hódmezővásárhely.
Si vous êtes élu, vous allez mettre un terme à cette immigration ?
Non, cela serait ridicule. Les entreprises en Hongrie ont besoin de main-d’œuvre. Orbán l’avait déjà dit en 2002… c’est d’une telle hypocrisie, il n’arrête pas d’attaquer et de haïr les migrants alors que c’est lui qui en fait le plus venir dans toute l’Europe ! Il affirme, à tort, que c’est Soros qui veut faire venir des migrants. C’est en 2015, je crois, que Soros avait publié un essai, où il suggérait à l’Europe de limiter le nombre de migrants et contrôler l’immigration. Orbán dit la même chose. Je suis également d’accord. L’Europe doit suivre l’exemple des Américains, des Canadiens ou des Australiens. On a besoin de migrants, ça ne fait aucun doute, tant parce qu’il faut les aider que parce qu’on a besoin de main-d’œuvre. La Hongrie a besoin de main-d’œuvre et Orbán fait venir des migrants, ce que je comprends.
Mais le plus gros problème, c’est que la Hongrie a perdu 800 000 personnes qui sont allées vivre à l’étranger. Mon frère et ma sœur par exemple, vivent en Autriche et en Allemagne. Je critique donc Orbán pour cela : au lieu de faire revenir les Hongrois chez eux, il fait venir des migrants. Orbán accepte maintenant les réfugiés afghans, ce que je soutiens. C’est la bonne chose à faire. Mais d’un autre côté, ses campagnes de haine, son traitement des réfugiés n’est pas du tout chrétien. Aujourd’hui encore, début octobre, Orbán a laissé entendre qu’il pourrait ouvrir un corridor pour les migrants. C’est la même chose que ce que fait Loukashenko. Orbán et son ami Loukashenko sont partenaires dans la dictature et partenaires dans l’illibéralisme.
Vous avez des mots extrêmement forts à l’égard d’Orbán et des membres du Fidesz. Vous n’avez de cesse de les qualifier de criminels ou de « gouvernement le plus corrompu de l’histoire millénaire de la Hongrie ». Si vous êtes élu, comment allez-vous faire la distinction entre les personnes à traduire en justice, et ceux qu’il vaut mieux « pardonner » ?
Je n’ai pas à le faire. C’est au juge du tribunal de prendre la décision. S’il y avait un état libre et un état de droit, la police s’occuperait de toutes les plaintes. Nous ne visons que les plus grands criminels de ce pays. Je vous donne un exemple : nous avons déposé près de 20 plaintes auprès de la police à Hódmezővásárhely après avoir repris la ville au Fidesz. Nous avons eu des cas très clairs où nos prédécesseurs ont vendu des actifs de la ville ou ont utilisé les emplois de la ville pour des paiements politiques, des personnes qui ne travaillaient même pas ont été rémunérées par la mairie. Les mêmes entreprises qui ont travaillé pour le Fidesz ici, font la même chose avec nous maintenant mais avec un prix inférieur de 30 %, parfois 80 %. Juste parce qu’il y a un appel d’offres ouvert et une vraie compétition. Ce sont toujours les mêmes entreprises qui gagnent, mais avec la concurrence, les prix ont baissé de 30 %. Il y avait donc de la corruption, mais elle ne venait pas directement de l’entrepreneur, qui lui a dû donner un coup de pouce aux politiciens.
Nous avons déposé environ 20 plaintes, et une seule finira devant un juge. Toutes les autres ont été arrêtées par la police ou par le procureur. Généralement, après des années de tergiversations, ils classent l’affaire en disant « circulez, il n’y a rien à voir ». Un cas s’est produit lorsque l’ancien responsable informatique Fidesz de la mairie s’est introduit dans notre centre d’information et a utilisé 5 logiciels espions différents contre notre système. Tout cela est documenté, le tribunal ne pouvait pas dire non. Le juge lui a accordé un sursis, ce qui est insignifiant. Je l’aurais condamné très sévèrement. Mais je l’aurais aussi laissé partir s’il acceptait de coopérer et de dénoncer les vrais coupables. Parce que ce n’était pas son idée, soyons clairs ! S’il témoigne contre le vrai coupable, je le laisserais partir, et je ferais de même avec beaucoup d’autres petits poissons. Mais nous devons appréhender les gros, les criminels qui se sont enrichis, comme le gendre d’Orbán, ou son ami d’enfance, qui sont devenus immensément riche en très peu de temps.
Donc vous promettez une opération mains propres ? Comment allez-vous faire ça ?
Tout d’abord, nous allons rejoindre le parquet européen, ce qu’Orbán refuse de faire. Nous voulons toutes les mesures anti-corruption possibles. Deuxièmement, vous savez que nous avons déjà eu une belle expérience en Roumanie. Kövesi [Laura Codruța Kövesi, était procureure générale en Roumanie de 2006 à 2012, ndlr] a mis environ 120 politiciens derrière les barreaux en Roumanie, de gauche comme de droite, des gouvernements d’opposition, tous des politiciens corrompus. C’est exactement ce que nous devons faire ici en Hongrie.
N’avez-vous pas peur d’enclencher un cercle vicieux où dès qu’un camp prend ou reprend le pouvoir, il s’en prend à ses prédécesseurs ?
Au contraire, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à ce pays, car cela signifie qu’il y aura des conséquences pour les crimes. Le problème avec la Hongrie, c’est qu’il n’y a pas de conséquences. Ils ont toujours promis qu’ils s’en prendraient au gouvernement précédent, et rien n’a été fait. En 2002, lorsque les socialistes se sont attaqués au Fidesz, ils ont promis qu’ils seraient tenus responsables, mais ils ne l’ont pas fait. En 2010, le Fidesz a promis qu’il demanderait des comptes aux socialistes, ils ne l’ont pas fait. Maintenant, il faut que cela cesse, car c’est la raison pour laquelle la corruption reste impunie en Hongrie.
Qu’en est-il de vos liens avec le Jobbik, vous avez refusé leur soutien à plusieurs reprises, avant d’accepter en vue des élections municipales de 2018. Que s’est-il passé ? Avez-vous changé entre-temps ?
Je n’ai pas changé, c’est le Jobbik qui a changé. J’ai toujours accepté le soutien du Jobbik. J’accepte le soutien de tout le monde. Mais je ne m’identifie pas au Jobbik. Je m’identifiais au Fidesz, quand ils se déclaraient de l’idéologie à laquelle je crois aujourd’hui. Mais le Fidesz ne fait que des déclarations. Ce n’est pas un parti politique, c’est une organisation criminelle.
Si ce n’est ni le Jobbik, ni le Fidesz, en tant que conservateur, vers quel parti pouvez-vous vous tourner ?
Nous avons besoin d’un parti conservateur et nous travaillons à sa création. Avec un peu de chance, tôt ou tard, nous rejoindrons le PPE. Nous travaillons donc à la construction d’une force conservatrice en Hongrie qui fera également partie de l’alliance de l’opposition. Dans l’opposition, nous avons déjà des sociaux-démocrates, des verts, des libéraux et des radicaux nationaux. Il s’agira d’une unification complète, d’un front national contre les criminels. Je suis très critique à l’égard de tous les partis d’opposition, quand je ne suis pas d’accord, je le dis. Même si je les ai critiqués ouvertement, nous travaillons ensemble car c’est la seule façon de se débarrasser du Fidesz.
Comment allez-vous faire vivre ensemble des partis si différents les uns des autres ?
Avec un gouvernement technocratique. On va se mettre d’accord sur un programme commun, dont je confierai l’exécution à des experts. Bien que j’aie déjà accepté l’idée que certains experts appartiennent à des partis, ils doivent néanmoins être choisis selon leurs qualités et leur expertise.
Vous devez bâtir un programme avec tous ce monde. Quel programme ?
Notre programme sera libéral en économie, avec une sensibilité sociale. On sera très écologiste, mais on aura aussi des aspects très conservateurs, notamment sur les questions budgétaires. S’agissant des questions fiscales, je suis très conservateur. Dans ma mairie, on a hérité d’une dette de 10 milliards de forints, j’en ai déjà repayé 5,5 milliards. On a baissé les impôts locaux, on a supprimé la taxe d’habitation qui était la plus élevée du pays.
Qu’en est-il de la flat tax, êtes-vous en faveur d’une telle taxation ?
Non, ça n’a pas nécessairement besoin d’être une flat taxe, bien que je sois en faveur d’une faible taxation. Bien sûr les faibles revenus doivent payer peu d’impôts, mais les riches n’ont pas à être taxés outre mesure.
Certains dénoncent la Hongrie comme étant un paradis fiscal.
Bien sûr que c’est un paradis fiscal.
Est-ce qu’elle va le rester ?
Pour l’instant, il est dans l’intérêt de la Hongrie d’être un paradis fiscal, donc il faut faire très attention. Néanmoins, si la communauté internationale accepte une taxe globale minimum, je l’introduirai avec plaisir. Je veux faire partie de la communauté internationale. Mais il faut faire attention avec ces mesures difficiles, on ne voudrait pas faire fuir les investisseurs du pays. Pour être honnête, la Hongrie n’est pas un paradis fiscal offshore, c’est un paradis fiscal mais pour des entreprises productives, pas pour la finance et la spéculation. C’est très différent.
D’ailleurs, la Hongrie est un paradis pas uniquement du fait de son régime fiscal, mais aussi du fait de son droit du travail et des faibles salaires. Tout ça est très mauvais pour le travailleur hongrois. Mais c’est pour ça que BMW vient en Hongrie, et que Mercedes et Audi sont là depuis longtemps. Et c’est pour cela que Viktor Orbán est un bon ami des Allemands. Donc on doit être prudents, on ne veut pas que ces entreprises, qui ne sont pas des investisseurs financiers, mais des industriels, s’en aillent.
Quel est votre travail à venir pour les élections ?
Pour l’instant il faut s’entendre sur la composition de la liste compensatoire. Je laisse ce travail aux six partis de l’opposition, bien que l’on veuille que notre mouvement participe comme septième parti à la liste. On demande la création d’une septième fraction, non partisane – qui, espérons-le, fera partie de notre parti conservateur, qui lui-même rejoindra le PPE. Car pour l’instant, il n’y a pas de conservateurs dans le front uni de l’opposition, et moi, je veux voir un parti conservateur émerger en Hongrie.
Sources
- Propos recueillis le 16 novembre 2021.
- Le Jobbik était en 2009 un parti vigoureusement d’extrême droite, pratiquement néonazi. Il a bâti son succès originel sur une intense rhétorique anti-tsigane. À partir de 2015, le parti opère un recentrage idéologique spectaculaire, ces éléments les plus extrêmes quittant la formation en 2018 pour refonder un parti d’extrême droite. Actuellement, le Jobbik se réclame de centre droit et participe à la coalition des six partis d’opposition.
- János Lázár était le maire de Hódmezővásárhely de 2002 à 2012 et par la suite le député Fidesz de la circonscription locale. Il était pendant longtemps considéré comme le dauphin de Viktor Orbán. Avant sa mise en retrait en 2018, il était considéré comme l’un des hommes les plus influents du pays.
- Une estimation largement exagérée. La population rom de Hongrie est estimée à environ 800 000 personnes.
- Le 27 novembre 2020, József Szájer, un membre historique du Fidesz et un proche de Viktor Orbán, a été arrêté par la police belge alors qu’il tentait de quitter un appartement en escaladant la façade l’immeuble. Il participait visiblement à une soirée illégale et une « orgie » organisée en plein confinement.
- Lors d’une visite à Bruxelles début novembre, Péter Márki-Zay avait déclaré qu’Angela Merkel n’avait pas été assez dure avec Viktor Orbán, et que la raison était « Audi, Mercedes et BMW ».
- George Soros est un milliardaire et philanthrope américain d’origine hongroise. Depuis 2015, il est devenu l’une des cibles privilégiées de Viktor Orbán. À la fin des années 1980, M. Orbán a bénéficié d’une bourse d’étude de la part de M. Soros pour aller étudier en Grande-Bretagne.