• Hier soir, le président tunisien a pris la décision, en s’appuyant sur l’article 80 de la Constitution, de renvoyer le chef de son gouvernement et de geler les travaux du parlement. Il a également annoncé qu’il allait choisir un nouveau Premier ministre – le quatrième en neuf mois. Dans la foulée, Saïed a appelé ses partisans à manifester leur soutien dans les rues, s’appuyant sur la ferveur populaire ainsi que sur l’armée nationale pour contrer les accusations de « coup d’État » assénées par ses opposants (le président de l’Assemblée Rached Ghannouchi en tête, chef de file du parti islamiste Ennahda).
  • Les médias internationaux hésitent pour le moment à recourir au terme de « coup d’État » pour décrire cet événement, tant la constitutionnalité des décisions prises par le président est soumise à des divergences d’interprétation par les juristes. Au cœur de cet épisode : l’article 80 de la Constitution qui permet au président de prendre de telles décisions – du moins, selon l’interprétation qui en est faite et en l’absence d’une cour constitutionnelle pour trancher le litige.
  • Élu avec 72 % des suffrages lors de l’élection présidentielle d’octobre 2019, Kaïs Saïed jouit d’un certain soutien dans une partie de la population. Dans le même temps, la crise politique qui paralyse une partie de la vie institutionnelle du pays offre un terrain fertile à la corruption des élites qui a conduit de nombreux Tunisiens à manifester hier, fustigeant, entre autres, la mauvaise gestion par le gouvernement de la crise sanitaire ainsi que les blocages à répétition à l’Assemblée.
  • Dans une dynamique qui n’est pas sans rappeler celle des Printemps arabes de 2011 (partis de Tunisie) qui avait conduit au départ de Ben Ali et à la formation d’une assemblée constituante, c’est principalement la jeunesse qui a exprimé sa colère à l’encontre du premier parti de l’Assemblée, Ennahda (formation dont est issu Rached Ghannouchi). C’est la même démocratisation de la Tunisie, qui avait conduit au massif mouvement de 2011, qui est aujourd’hui au cœur de cette crise, en raison de l’incapacité des partis à former des coalitions et à s’accorder sur un agenda commun.
  • L’Assemblée des représentants du peuple (le parlement monocaméral tunisien), est un ensemble composite éclaté qui ne laisse pas apparaître de réelle majorité. C’est principalement les situations de blocages législatifs à répétition, la personnalité clivante de Rached Ghannouchi (président de l’ARP et chef de file d’Ennahda) ainsi que son opposition avec le président qui sont au cœur de la crise politique que la Tunisie traverse depuis au moins 2019.
  • La pandémie de coronavirus a également atteint des sommets récemment (avec presque 10.000 cas par jour au début du mois de juillet, et le taux de mortalité le plus élevé d’Afrique et du monde arabe), à tel point que la situation a été qualifiée comme présentant un risque de se transformer en « catastrophe sanitaire ». La saturation des systèmes de santé ainsi que la lente campagne de vaccination ont exacerbé les critiques déjà virulentes à l’encontre de la classe dirigeante – et surtout du parlement – dont la dissolution a été réclamée par des manifestants dans la journée d’hier.
  • L’évolution de la situation dans les prochains jours va être cruciale pour l’avenir du pays. Le président s’appuie désormais sur l’armée pour exercer le pouvoir exécutif et faire appliquer les mesures annoncées (dont la dissolution temporaire de facto du Parlement). Ce matin des affrontements ont eu lieu entre des partisans du président Saïed et de Ghannouchi devant le parlement, alors que l’armée empêchait ce dernier d’accéder au bâtiment. Ce « régime d’exception » doit durer 30 jours, période au terme de laquelle l’avenir du pays est pour le moment incertain.