• Issue d’un douloureux compromis marqué par l’importante résistance politique des États, l’institution, qui réunit seulement 22 des 27 États membres, voit sa compétence limitée à la seule protection des intérêts financiers de l’UE, transférée au niveau européen par une procédure de «  coopération renforcée  ». La liste des infractions visées (fausses déclarations, détournements de subventions, fraudes à la TVA, corruption et infractions connexes) est limitée pour l’essentiel à la politique budgétaire. L’extension de sa compétence à d’autres infractions, à l’image du terrorisme, déjà proposée par Emmanuel Macron, de la cybercriminalité ou encore des crimes environnementaux les plus graves, requérait une unanimité encore restée introuvable.
  • Laura Kövesi a été choisie pour incarner l’institution et être la première procureure européenne, forte de son expérience en Roumanie où elle s’était opposée au gouvernement en place en tant que Procureure générale (2006-2012). Dans une contribution pour la Revue européenne du droit, elle avait évoqué les défis qui attendent cette nouvelle institution, dont la légitimité ira de pair avec son efficacité. Elle y insistait sur une nécessaire pédagogie et une évolution des mentalités pour un changement durable des comportements (rappelons qu’il y a encore quelques années, les pots-de-vin étaient susceptibles en France de déduction fiscale pour les entreprises !)
  • La mission confiée s’annonce très politique : en tant que cheffe de l’institution, Kövesi devra coopérer avec ses partenaires européens, nationaux comme internationaux (Eurojust, OLAF), ainsi qu’avec les pays européens qui ne participent pas au projet (à savoir le Danemark, la Suède, la Pologne, l’Irlande et la Hongrie), et avec les pays tiers, tout en garantissant la cohérence d’un ensemble de procureurs au statut hétérogène (seul le procureur général et son adjoint ont un statut européen). Comme le rappelle le Procureur européen Frédéric Baab, qui représente la France au sein de l’institution, les vingt-deux procureurs – avec vingt-deux codes pénaux et codes de procédure pénale différents – auront comme principal défi d’agir en équipe et de manière unifiée, ce que devrait faciliter leur indépendance, garantie par les textes et par une validation des nominations à l’échelon européen.
  • Les attentes sont aujourd’hui grandes : l’étude annuelle sur la perception de la corruption de l’ONG Transparency International de janvier 2019 pointait « l’absence d’une politique globale et cohérente de prévention et de lutte contre la corruption à l’échelle de l’Union européenne ». Comme le rappellent Bernard Cazeneuve et Pierre Sellal, « Près d’un européen sur deux (43 %) estime le niveau de corruption dans son pays supérieur à celui de 2013 (…) alors même que la corruption demeure une préoccupation majeure, de même qu’une pratique jugée inacceptable, pour près de trois citoyens européens sur quatre », plaidant pour l’adoption d’un Paquet compliance européen dans un contexte où la lutte anti-corruption apparaît absente des principaux objectifs fixés par la Commission von der Leyen.
  • Sans prétendre modifier à lui seul l’équilibre mondial, ce nouveau Parquet européen pourrait du moins contribuer à un rééquilibrage. En effet, la dimension systémique des fraudes, et la non-superposition croissante entre souveraineté des Etats et marché, appelleraient une organisation mondiale des finances, que les Etats refusent de créer, au nom d’une conception solitaire de leur souveraineté pour reprendre les mots de Mireille Delmas-Marty. En pratique, la fonction est exercée par les autorités américaines, dont les lois, notamment contre la corruption, ont conquis une compétence quasi universelle de plus en plus contestée, sans réponse européenne significative. À cet égard, l’avenir du Parquet européen dépendra aussi de l’incarnation qui en sera faite dès les premiers mois d’activité : une compétence de haut niveau et une autorité charismatique forte pourraient compenser cette faiblesse juridique.