La phrase « L’Union a des problèmes en matière de vaccins parce qu’elle a été trop lente dans la négociation des contrats » est sans cesse répétée dans les médias britanniques et américains. Il faut revenir sur ce discours car celui-ci ne tient pas compte des véritables erreurs commises au niveau européen.

AstraZeneca a signé un accord d’achat avec l’Union un jour avant son accord avec le Royaume-Uni. Le PDG d’AstraZeneca a déclaré lors d’une audition du Parlement européen le mois dernier que la priorité accordée au Royaume-Uni provient de l’accord de financement de la recherche qu’Oxford a signé avec le gouvernement britannique en janvier/février 2020, et dont AstraZeneca a hérité lors de son partenariat avec Oxford en mai 2020.

Le Royaume-Uni a eu l’intelligence de commencer à financer la recherche sur les vaccins avant même que le Covid-19 ne frappe l’Europe. Mais il a fait un choix lourd de conséquences en conditionnant (selon toute apparence) le financement à l’obtention par les Britanniques de doses de tout vaccin résultant des recherches. De son côté, l’Allemagne a financé BioNTech mais n’a pas inclus de clause prioritaire pour l’Union.

Entre-temps, en mars 2020, le président Trump a tenté sans succès de voler Curevac à l’Allemagne pour l’amener aux États-Unis. Malgré cet avertissement, personne dans l’Union n’a apparemment pensé que ce serait une mauvaise idée que BioNTech soit associé à Pfizer, une entreprise américaine. Cette approche allemande, axée sur la nationalité des partenaires pharmaceutiques, n’était pas l’approche britannique utilisée outre-Manche. À l’origine, Oxford devait s’associer à la société américaine Merck. Mais le gouvernement britannique a annulé cette décision et a fait s’associer Oxford avec la société britannique AstraZeneca.

L’inquiétude du Royaume-Uni face au nationalisme vaccinal des États-Unis s’est avérée fondée. Le partenariat BioNTech-Pfizer étant assuré, Trump ne semblait pas pressé de signer les contrats d’achat de Pfizer. Pourquoi ? Il savait qu’une interdiction d’exportation de vaccins par les États-Unis rendrait tout contrat inutile.

Pfizer dispose d’une capacité de production massive aux États-Unis. Si la législation américaine empêchait l’exportation de ces doses fabriquées sur le sol américain, elles devraient de toute façon être acheminées aux États-Unis. Le résultat est visible dans la chaîne d’approvisionnement. Les usines des États servent à approvisionner les États-Unis, les usines de l’Union européenne servent à approvisionner le monde entier.

En effet, Trump a signé un executive order en décembre 2020, donnant aux Américains la priorité sur tous les vaccins fabriqués sur le territoire américain. En fait, ce décret était largement symbolique. Trump et Biden ont plutôt utilisé le Defence Production Act comme base légale de leur interdiction. 

Toujours en décembre 2020, le Royaume-Uni et les États-Unis ont utilisé la méthode d’autorisation d’utilisation d’urgence pour approuver Pfizer, tandis que l’Union a utilisé la méthode plus prudente d’autorisation conditionnelle de mise sur le marché, ce qui a abouti à une approbation de l’Union 2 à 3 semaines plus tard. Le Royaume-Uni a donné une autorisation d’utilisation d’urgence à AstraZeneca le 30 décembre.

Lorsque l’Union a donné une autorisation de mise sur le marché conditionnelle à AstraZeneca le 29 janvier, la société a informé l’Union qu’elle ne respecterait pas la promesse initiale de livraison des doses en raison de problèmes de production dans l’usine européenne. Il semble que les doses qui devaient être réservées à l’Union soient allées au Royaume-Uni. La bataille entre l’Union et AstraZeneca commença.

La Commission a déclaré qu’AstraZeneca avait signé un contrat stipulant qu’elle utiliserait ses quatre sites de production, deux au Royaume-Uni et deux dans l’Union européenne, pour livrer ses produits à l’Union européenne, de sorte que le déficit devrait être comblé par des exportations en provenance du Royaume-Uni. Le PDG d’AstraZeneca a déclaré qu’il ne pouvait pas le faire en raison de la clause “UK first”. 

Cette bataille a fait rage sans ménagement. Selon la Commission, AstraZeneca ne livrera que 30 millions de doses sur les 80 millions promises pour le premier trimestre et 70 millions sur les 180 millions promises pour le deuxième trimestre. Entre-temps, l’Union a exporté 10 millions de doses (principalement Pfizer) vers le Royaume-Uni, alors que la clause « UK first » empêche AstraZeneca de respecter la promesse de livraison de l’Union à partir des usines britanniques.

De l’autre côté de l’océan, l’interdiction d’exporter imposée par les États-Unis a obligé le Canada, le Mexique et le Japon à se procurer leurs doses Pfizer dans les usines de l’UE. (L’Union a exporté 4,6 millions de doses au Canada, 3,8 millions au Mexique, 4 millions au). La situation la plus absurde est celle du Canada, qui doit se procurer ses Pfizer en Belgique plutôt qu’à côté, dans le Michigan.

Même les États-Unis ont reçu des exportations de vaccins de l’Union : 1 million en février, et 3,9 millions de doses de Johnson & Johnson il y a quelques semaines, selon le New York Times. Les doses de Johnson&Johnson fabriquées aux États-Unis ne peuvent pas aller dans l’UE. Globalement, il semble que l’Union ait exporté la moitié des doses fabriquées sur son territoire.

Ces chiffres d’exportation ont été révélés la semaine dernière et les Européens étaient furieux. C’est dans ce contexte que la présidente de la Commission Von Der Leyen a déclaré mercredi que l’Union envisageait d’interdire les exportations vers les pays producteurs de vaccins qui ne rendent pas la pareille. L’Allemagne, la France et l’Italie font avancer cette idée.

Quelles erreurs l’Union a-t-elle commises ? Cela semble évident. L’Union a pris des décisions fondées sur l’hypothèse d’un marché libre et de la bonne foi de ses partenaires. Ses dirigeants ne pensaient pas qu’il était essentiel d’imposer un partenaire de l’Union à BioNTech, ou que les usines de l’Union devaient d’abord être destinées aux Européens. Cela semble désormais naïf.

L’Union a adopté un comportement poli. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont manœuvré à leur avantage. De nombreux pays de l’Union ont raté le déploiement des vaccins. Les négociations et l’approbation de l’Union ont peut-être pris trop de temps. Mais ce qui est frappant, c’est que pour beaucoup de gens aux États-Unis et au Royaume-Uni, il semble y avoir un ensemble de règles pour eux et un autre pour tous les autres.

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