Vous avez contribué au succès mondial du macaron. Parce que c’est une forme compacte, esthétique, facile à manger et qui peut permettre de multiplier les saveurs, diriez-vous que le macaron est la pâtisserie du temps du tweet ?
Je pense que le macaron correspond au temps présent. Quand on crée un macaron, on peut être créatif, on peut amener des choses différentes. Et quand on le mange, on peut en manger un second si on l’aime, mais on peut aussi, si on l’apprécie moins, grâce à ce temps de dégustation court, en goûter un autre. La variété des saveurs est une source de plaisir. C’est aussi ce qui fait que le macaron est devenu un objet de cadeau. Nous avons aussi joué sur la diversité des boîtes dans lesquelles on le présente. Quand on va chez quelqu’un, c’est un joli cadeau, et il a l’avantage de ne pas entrer en compétition avec le dessert qu’aurait pu faire la personne qui a cuisiné. C’est aussi un cadeau de retour de voyage. Quand on va quelque part, notamment en France, et qu’on veut ramener quelque chose de l’endroit où on est, on peut aussi rapporter des macarons, car très souvent ils reflètent les goûts qu’on peut trouver dans un lieu. On le voit chez nous, beaucoup de touristes viennent prendre des macarons pour les ramener dans leur pays d’origine. Le macaron est cet objet parfait du plaisir, qui se déguste facilement, agréablement et sans concurrence avec le reste d’un repas.
Le macaron est-il un élément du soft-power français, à mi-chemin entre la culture et le commerce – l’iPhone de la France ?
La comparaison est amusante mais me paraît un peu limitée. En tout cas, c’est un élément de la culture pâtissière française. En débarquant à l’aéroport de Roissy récemment, j’ai vu des stands et des panneaux qui souhaitaient la bienvenue à Paris et en France, et on y voyait des petits dessins qui représentaient des baguettes et des macarons. Un tel exemple vous montre à quel point le macaron est devenu emblématique.
Pourtant, l’histoire du macaron n’est pas seulement française, mais européenne…
On entend beaucoup de légendes à propos du macaron. J’ai notamment involontairement contribué à colporter l’une d’entre elles à l’époques où je conseillais Ladurée, et on disait alors que c’était Louis-Ernest Ladurée qui avait inventé la recette moderne du macaron, en associant deux biscuits et une ganache ou une confiture. Il m’a fallu du temps pour découvrir la vérité de cette histoire, que m’a apprise un de mes amis.
La véritable histoire du macaron est plus européenne. La double coquille de biscuit aurait été introduite par Catherine de Médicis en France (d’où l’origine italienne du mot macaron). Mais sa version moderne, elle, où une garniture lie les deux biscuits, vient de Camille Studer, un chef pâtissier luxembourgeois de la maison Sprüngli à Zürich. En Suisse, les macarons s’appellent d’ailleurs Luxemburgerli !
Son histoire est donc européenne, mais sa version actuelle, la perfection à laquelle on l’a poussée, la culture du macaron est aujourd’hui française.
Pendant toute l’année 2020, de plus en plus de gens ont pratiqué la pâtisserie, parfois la boulangerie pendant le confinement. Comment expliquez-vous ce besoin de faire son propre pain, ses propres pâtisseries ?
Cela fait un petit moment que la cuisine ou la pâtisserie sont devenues un loisir. Il y a déjà quelques années, des cours ont rencontré un certain succès, par exemple l’Atelier des chefs. C’était déjà le signe que les gens avaient envie d’apprendre à cuisiner. Auparavant, la transmission se faisait plutôt de mère en fille, ce qui aujourd’hui est beaucoup moins vrai. Donc le fait de regarder des recettes sur Instagram, de regarder des recettes dans des livres, de prendre des cours pour pouvoir cuisiner à la maison, cela fait partie des loisirs fréquents aujourd’hui. Évidemment, le confinement a accentué cette tendance, soit parce qu’on n’avait pas de possibilité de restauration, soit parce qu’il fallait faire cuisiner au moins deux ou trois fois par jour pour la famille. Faire des gâteaux c’est aussi faire plaisir, parce qu’on dit toujours le salé pour se nourrir, le sucré pour le plaisir. Le sucré rend peut-être plus heureux. Cela explique donc le développement et le succès de comptes sur Instagram sur tous les médias sociaux en terme de recettes de cuisine, et puis l’intérêt des Français, et pas exclusivement des Français d’ailleurs, parce que l’accroissement de l’exigence et de la culture de la cuisine à la maison a augmenté partout cette année. Mais à mes yeux, cela reste de l’ordre du loisir, ou disons du plaisir.
La pâtisserie serait-elle un remède à la mélancolie ?
Oui, peut-être.
Pendant ce confinement, avez-vous connu des innovations dans la pâtisserie ?
Pour moi, le confinement n’a pas changé grand chose. J’ai continué à travailler avec mes équipes d’abord à distance, puis ensuite en essayant de se réunir, mais cela ne nous a pas empêché de réfléchir à des nouveautés, à des créations. Je travaille habituellement mes produits dans ma tête avant de les exprimer et de les dessiner. Il était certes plus difficile de faire les essais et de goûter le produit, mais dans la façon de créer cela n’a rien changé. J’ai continué à faire ce que je fais d’habitude, c’est-à-dire créer de nouvelles recettes.
En revanche, dans l’accès à nos clients et dans la distribution de nos produits, le confinement nous a poussés à développer plus de vente en ligne et de click-and-collect. La pâtisserie se transporte assez difficilement : c’est un produit fragile, même gardé au frais. Mais je travaille actuellement à une série de gâteaux qui pourront être plus aisément livrés partout en France, via le transporteur Chronofresh.
La cuisine varie selon le rythme des saisons. La pâtisserie peut-elle plus s’en affranchir ? Y a-t-il des goûts d’hiver et des goûts d’été ?
On essaie d’être cohérent avec les saisons, sauf dans certains cas. Par exemple, le sorbet à la fraise est fait grâce à de la purée de fraises qu’on cueille à la haute saison et qu’on congèle ensuite. Cela permet de garder une très bonne qualité au produit. En cela, la pâtisserie diffère de la cuisine. On fait aussi des confits de fruits qui se gardent aussi plus facilement.
Mais on essaie quand même de rester dans les saisons à quelques exceptions près. L’ispahan est fait toute l’année. C’est un équilibre entre la rose, le litchi et la framboise, où dans la framboise on ne cherche pas spécialement le parfum de la framboise, mais plutôt son côté brutal et acidulé.
Je pense que ce mouvement va être de plus en plus présent. Au mois de décembre, on va préférer manger des clémentines corses, dont c’est la saison, plutôt que des cerises. C’est aussi ce qui permet d’avoir toute cette diversité dans la pâtisserie. Pour les produits qui ne sont pas saisonniers, je ne crois pas que les goûts varient selon les saisons. On a envie de vanille, de chocolat ou de café toute l’année.
Y a-t-il un dialogue interculturel propre à la pâtisserie ?
Comme je suis curieux, quand je vais quelque part, j’aime bien aller dans les marchés, mais aussi dans les épiceries et les supermarchés, pour voir ce que les gens mangent et achètent. Je m’inspire bien sûr des produits japonais, j’ai créé plusieurs gâteaux avec eux, mais aussi des produits thaïlandais, chinois ou marocains. L’inspiration vient de partout.
J’avais créé un dessert, Jardin de l’Atlas, pour le restaurant marocain de la Mamounia à Marrakech, à base de produits marocains : citron, miel, fleur d’oranger, orange. Comme j’aimais beaucoup ce dessert, j’ai adapté sa recette pour en faire un macaron, une bûche de Noël, une glace et une galette des Rois. À chaque fois, j’ai utilisé le parfum de la fleur d’oranger et du miel, la vivacité du citron et l’amertume de l’orange. C’est cette association que j’ai réinterprétée dans les différents desserts que j’en ai tirés. Mais à chaque fois, je réinvente légèrement l’équilibre pour qu’il corresponde au produit dans lequel on l’utilise, au dessert que l’on confectionne. C’est l’alliance entre un parfum, un registre et une texture qui conditionne l’équilibre de chaque dessert. Si vous goûtez la galette, vous n’aurez pas le même goût, mais vous retrouverez les parfums et les sensations que vous avez, par exemple, dans la bûche.
Quelle est votre marque de fabrique, ou votre style en pâtisserie ?
Je travaille d’une part sur des « infiniment », qui sont un goût unique que j’essaie de pousser au maximum de son expression, et d’autre part sur des associations de saveurs, que je combine puis que j’interprète dans différentes famille des produits – un chocolat, un macaron, une glace, un gâteau, un autre dessert… Certains me disent : vous déclinez vos produits. Mais ce n’est pas une déclinaison, car chaque produit nécessite une réinterprétation de l’association de saveurs. Même si les ingrédients de base sont les mêmes, la façon de les travailler et de les associer sera différente. Cette manière de faire est au cœur de mon style de travail.
Je crois qu’on peut être aussi créatif sur une seule saveur que sur une association de saveur. Il n’y a pas de règle en la matière. Les gens vous disent parfois que plus de trois saveurs, c’est trop. Mais ce n’est pas vrai. Je peux associer quatre, six, huit saveurs : c’est juste une question de dosage, de savoir-faire et de talent.
Dans quelles galettes cachez-vous la fève cette année ?
Cette année, nous proposons quatre galettes. Infiniment amande revisite une recette d’il y a deux ans, et la recette de la galette en général. Dans cette galette, on torréfie l’amande en poudre qu’on y met, ce qui modifie le goût, et l’on ajoute aussi des morceaux d’amande torréfiés. On mêle ainsi le goût de l’amande, celui de l’amande grillée, l’amertume de l’amande, une sorte de 360° du goût de l’amande. Nous avons également une galette Ispahan, qui réinterprète l’association de saveurs rose-litchi-framboise en galette. Une galette Jardin de l’Atlas, dont j’ai déjà parlé. Et enfin, une galette briochée, Orphéo, qui associe chocolat et noisette du Piémont.
La galette est une tradition essentielle pour réunir les gens en début d’année. Le rituel de la fève, lui aussi, est très apprécié et important. Beaucoup de « fabophiles » achètent des galettes pour les fèves, les collectionnent, etc. Chaque année, nous concevons trois ou quatre fèves différentes, en faïence, avec un artiste avec lequel nous collaborons autour d’un thème pendant toute la période des fêtes. Cette année, le thème était celui des fééries célestes.