Dans le cadre du plan « France relance » présenté le 3 septembre dernier, le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la précarité énergétique, soit la difficulté qu’éprouvent certains ménages à régler leurs dépenses d’énergie. En 2017, la facture énergétique moyenne des ménages français est estimée à 1519 € par an, représentant 4,1 % du revenu disponible du ménage médian1. Mais pour les habitants des 4,8 millions de logements portant les étiquettes énergétiques F et G, soit 17 % des 29 millions de logements que compte le pays2, les factures sont généralement beaucoup plus lourdes. Les occupants de « passoires énergétiques » doivent ainsi consacrer plus de 10 % de leurs revenus à leurs dépenses énergétiques (éclairage, chauffage, eau chaude, électroménager, etc.).

Une mise à l’agenda politique tardive

La lutte contre la précarité énergétique est inscrite à l’agenda politique français depuis la loi du 12 juillet 2010, qui la définit comme « [la situation d’]une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». L’année suivante, l’Observatoire national de la Précarité énergétique (ONPE) est créé afin de superviser les études d’évaluation de la précarité énergétique en France, permettant de cibler les mesures de lutte contre le phénomène. La loi du 17 août 2015 fixe de premiers objectifs ambitieux, ensuite repris en 2018 dans le Plan de rénovation énergétique des bâtiments (PREB) : 500 000 bâtiments devront être rénovés chaque année afin de faire baisser la précarité énergétique de 15 % d’ici 2020. Pour encourager la rénovation thermique d’un maximum de logements, le CEE3 Précarité énergétique est lancé en 2016 : cette offre à « un euro » permet la prise en charge totale de l’isolation des combles et des planchers, et de l’installation d’une pompe à chaleur chez les ménages modestes. 

Malgré la mise en place de ces différentes mesures, le nombre de logements rénovés n’a jamais dépassé les 300 000 par an et la baisse de la consommation énergétique associée n’est pas encore amorcée.  Plusieurs éléments pourraient expliquer cela. Les différentes aides ne seraient pas suffisamment incitatives, et ce d’autant plus, que l’ensemble des dispositifs est peu connu et trop abscons pour les ménages qui pourraient en bénéficier. De plus, leur efficacité aurait été limitée par les pratiques frauduleuses de certaines entreprises, profitant de l’offre à « un euro » pour gagner la confiance des ménages et leur fournir des prestations de très mauvaise qualité. Enfin, dans les cas où les rénovations ont effectivement été menées et sont de qualité, on pourrait observer une forme d’« effet rebond » : certains ménages tireraient profit de la bonne isolation de leur logement pour gagner un maximum de confort en augmentant leur chauffage de quelques degrés4.

Un changement d’approche : du problème social au problème environnemental

Les dernières annonces du gouvernement semblent marquer un tournant stratégique dans le traitement du problème. Si on insistait jusqu’ici principalement sur sa nature sociale, mise en évidence par l’emploi du terme « précarité », le plan de « relance verte » souligne davantage les enjeux environnementaux qui lui sont associés, en rappelant que les bâtiments des secteurs résidentiel et tertiaire représentent à eux seuls 40 % de la consommation finale d’énergie et 18 % des émissions nationales de gaz à effets de serre5. En favorisant la rénovation thermique des bâtiments, on souhaite limiter le recours à la climatisation en période estivale et au chauffage lors des pointes de froid, ce qui permettrait à terme d’exclure du mix énergétique les actifs fossiles qui renforcent les capacités de production lors des pics de consommation liés aux épisodes de forte chaleur et de froid, mais aussi de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols en encourageant la réhabilitation de logements anciens plutôt que la construction de bâtiments neufs. Une politique ambitieuse de rénovation thermique pourrait ainsi devenir un élément clé de la baisse des émissions françaises de gaz à effet de serre.

Le plan « France relance » prévoit une aide de 200 millions d’euros à destination des TPE/PME désirant rénover leurs locaux, un effort de 500 millions d’euros pour accompagner la rénovation énergétique de logements sociaux vétustes, mais également un investissement de 4 milliards d’euros dans l’isolation des bâtiments publics (15 millions de m²). Enfin, le gouvernement a annoncé l’augmentation de 2 milliards d’euros du budget prévisionnel de « MaPrimeRénov’ », prime d’aide aux travaux d’isolation dans le logement privé, lancée le 1er janvier 2020, se substituant au crédit d’impôt transition énergétique et aux aides de l’Agence nationale de l’Habitat (Anah)6. Preuve que la lutte contre la précarité énergétique n’est aujourd’hui plus seulement une problématique sociale, cette prime – à l’origine sous condition de ressources – sera étendue à l’ensemble des propriétaires à partir de janvier 2021. Pour en bénéficier, il faut toutefois faire appel à des entreprises certifiées RGE (reconnues garantes pour l’environnement7). Le gouvernement s’est engagé à développer ce label, stimulant ainsi le marché BTP de la rénovation énergétique et permettant la création de 55 000 emplois dans les deux prochaines années8. Ce faisant, il s’inscrit parfaitement dans les objectifs de la « Renovation Wave » annoncée par la Commission européenne, qui a déclaré vouloir faire de la rénovation énergétique un levier de création d’emplois qualifiés, non délocalisables et pérennes dans les territoires.

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

Un renouvellement d’approche également observé dans d’autres pays d’Europe : exemple du cas britannique

Le Royaume-Uni est souvent présenté comme un des grands pionniers de la lutte contre la précarité énergétique9. En effet, la classe politique britannique s’empare du problème dès 1991 avec la mise en place du Home Efficiency Scheme (plan d’efficacité énergétique des logements), un plan de subventions destiné aux personnes précaires, handicapées et âgées souhaitant améliorer l’efficacité énergétique de leurs logements. En 1995, un groupe parlementaire multipartite dédié10 est mis en place, confirmant la mise à l’agenda politique de la lutte contre la précarité énergétique. Cette dernière sera finalement officiellement inscrite dans la loi en 2000 avec le Warm Homes and Energy conservation Act  : on annonce alors vouloir éradiquer l’ensemble des passoires énergétiques avant 2016 grâce à la mise en place d’un programme national d’aides ambitieux, le Warm Front. Entre 2000 et 2013, 11 % des ménages bénéficient de ce programme national, permettant de réduire les émissions de gaz à effets de serre du pays de 1,5 t / an / hab. Malgré ces efforts, les objectifs sont loin d’être atteints puisque selon le rapport annuel de la précarité énergétique, on estime qu’en 2017 encore 2,53 millions de foyers britanniques souffrent de ce problème.

Comme en France, la précarité énergétique est d’abord principalement présentée comme un problème de santé publique. Mais les enjeux environnementaux de son éradication s’imposent progressivement. En 2013, le Warm Front est ainsi remplacé par le Green Deal, qui signe également le basculement de l’effort de l’État vers les opérateurs et des politiques publiques nationales vers des politiques locales d’efficacité énergétique. Le plan Green Homes Grant annoncé le 30 septembre dernier confirme cette tendance à l’environnementalisation des enjeux de la précarité énergétique : le gouvernement britannique promet ainsi 2 milliards de livres de subventions pour rendre les logements plus « verts » grâce à une meilleure isolation ou à l’installation de chauffage à faible émission de carbone comme les pompes à chaleur ou le solaire thermique. 

En France comme au Royaume-Uni, de nouvelles mesures de lutte contre la précarité énergétique sont donc prises à la faveur de la relance « post-coronavirus ». Dans la mesure où les gouvernements européens veulent mettre en avant leurs efforts pour respecter leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effets de serre, ils insistent davantage sur les enjeux environnementaux de la rénovation thermique, qui n’est donc plus seulement présentée comme une mesure de santé publique et de justice sociale. Ce changement stratégique dans la communication des gouvernements et le déconditionnement des aides pourraient être la solution permettant de porter à la connaissance de la population des dispositifs restés jusqu’ici relativement confidentiels, expliquant que les objectifs fixés dans les premiers plans de lutte contre la précarité énergétique n’aient pas encore été atteints.