Avec la publication le 14 octobre dernier de la Communication pour une « Vague de rénovation », la Commission européenne souhaitait frapper fort. Il s’agissait de dévoiler les mesures envisagées pour doubler le rythme de rénovation thermique des bâtiments dans l’UE, afin de parvenir à la neutralité carbone du secteur d’ici 2050. Fruit d’une concertation de plusieurs mois avec les différentes parties prenantes, le programme de travail de la Commission est-il à la hauteur de l’enjeu ? 

Un chantier incontournable de la transition énergétique 

La rénovation thermique des bâtiments figure parmi les priorités d’action de l’Union Européenne dans le cadre du Pacte Vert lancé fin 2019, qui vise à mettre l’UE sur une trajectoire permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La rénovation énergétique des bâtiments représente le plus grand gisement d’économies d’énergie de l’UE et pourrait à elle seule contribuer à 14 % de la réduction de la demande finale d’énergie d’ici à 20501. Le secteur du bâtiment est le principal consommateur d’énergie en Europe et en France (respectivement 40 et 44 % de la consommation énergétique), et responsable de plus d’un tiers des émissions de l’Union. Alors que la quasi-totalité du parc immobilier actuel existera encore en 2050, la rénovation énergétique performante, c’est-à-dire permettant d’atteindre un niveau de basse consommation, est un chantier incontournable de la transition énergétique. 

De nombreux co-bénéfices économiques et sociaux : une politique en phase avec l’impératif d’une relance juste et durable 

La rénovation énergétique est le secteur d’avenir qui aurait le plus d’effet à court terme en matière de création d’emploi et d’atténuation des émissions selon le Haut Conseil pour le Climat2. Au-delà de l’enjeu climatique, la rénovation énergétique comporte en effet de nombreux co-bénéfices économiques et sociaux, car elle contribue à la lutte contre la précarité énergétique, participe à la création d’emplois pérennes non délocalisables, et favorise le confort et la bonne santé des résidents ou utilisateurs. Enfin, elle pourrait jouer un rôle de puits de carbone et participer à la séquestration des émissions résiduelles au travers de l’utilisation accrue de matériaux organiques dans les bâtiments. 

Un secteur fragmenté et méconnu qui accuse un important retard d’investissement

Malgré la multiplication des politiques de soutien et feuilles de route ces dix dernières années en Europe, en dépit des nombreuses externalités positives associées, le bâtiment demeure l’un des secteurs de la transition énergétique qui accuse le plus grand retard en matière de décarbonation. Un doublement voire un triplement du taux de rénovation performant (soit 3 % au lieu d’environ 1 %/an actuellement) est jugé nécessaire pour atteindre l’objectif de neutralité carbone du secteur du bâtiment en France et en Europe d’ici 2050. En France, le secteur du bâtiment est aux côtés du secteur des transports, celui qui accumule le plus grand retard par rapport à la trajectoire fixée par la Stratégie Nationale Bas Carbone3. Le budget carbone du secteur du bâtiment a été dépassé de 15 % en 2018.4 

Les principales barrières identifiées sont le manque d’information fiable et transparente sur les enjeux de rénovation, la lisibilité et l’efficacité des différents dispositifs de soutien, la formation des professionnels du secteur, et enfin le financement avec des investissements qui se caractérisent par de longues périodes de retour sur investissement long et des avances importantes. 

L’accent des politiques publiques doit être mis sur performance énergétique résultant des travaux de rénovation. Entre 2012 et 2016 dans l’UE, ceux-ci n’ont entraîné que 10 % d’économies d’énergie en moyenne5. C’est décevant au regard de l’objectif de neutralité carbone du secteur, qui requiert une baisse de 60 à 80 % de la consommation des bâtiments. En comparaison, des travaux de rénovation lourds, c’est-à-dire touchant à la structure du bâti, comme l’isolation des combles, permettent des économies moyennes de 66 %. Or la plupart des rénovations concernent des mesures de rénovation légères, qui n’ont pas d’impact majeur sur la consommation énergétique du bâtiment. Au total, la rénovation énergétique tertiaire et résidentiel confondu représente 270 milliards d’investissement annuels entre 2012 et 2016, mais entre 20 et 30 % de ces investissements ne se traduisent pas par des économies significatives, et moins de 6 % sont consacrés à des travaux de rénovation lourds réellement efficaces6

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

Que propose la Commission européenne ? 

La Commission européenne souhaite renforcer le cadre réglementaire en faveur d’une meilleure performance énergétique des bâtiments, et prévoit notamment l’introduction en 2021 d’une obligation pour les Etats membres de fixer des standards énergétiques minimum pour les bâtiments existants, à l’occasion d’une révision de la directive EPBD (Energy Performance of Buildings)7. Cependant, les standards introduits pour les bâtiments neufs, qui doivent être neutre en carbone depuis le 1er janvier 2020, sont encore loin d’être respectés, ce qui montre la limite des obligations réglementaires en l’absence de financements adaptés, de formation des professionnels, de sensibilisation des différents acteurs de la chaîne de valeur, et de méthode claire d’évaluation de la performance finale. 

L’annonce d’une réforme des certificats de performance énergétique pour renforcer leur cohérence et leur crédibilité au niveau européen est la bienvenue, et devrait permettre de renforcer les incitations à la rénovation performante. Elément clé d’une politique efficace de rénovation des bâtiments, en permettant l’intégration d’exigences de performance à l’octroi de financements concessionnels, une meilleure prise en compte de la performance dans la valorisation du bien immobilier, et tout bonnement une plus grande précision dans l’évaluation de l’avancement de l’objectif de rénovation, le renforcement de la fiabilité et de la cohérence des certificats de performance énergétique est une bonne nouvelle. Le DPE (Diagnostic de Performance Energétique) obligatoire en France depuis 2006 n’a par exemple qu’une valeur informative car il est en partie basé sur des calculs théoriques, ce qui diminue sa crédibilité.8

 Rien n’indique la mise en œuvre d’une ambitieuse campagne de mobilisation des acteurs. En matière de sensibilisation des acteurs, la Commission souhaite soutenir les dispositifs existants, comme la plateforme ELENA qui conseille les porteurs de projets de rénovation, ainsi qu’un modèle de guichet unique standardisé capable de se déployer rapidement au niveau national, régional et local. Les guichets uniques ont fait leurs preuves en matière de promotion des investissements de rénovation au plus près du terrain, en offrant des conseils sur les différents aspects du projet, aussi bien techniques qu’en terme d’offre de financement. Néanmoins, on peut regretter le manque de précision des propositions de la Commission, aussi bien en termes de financement que de mise en œuvre. La rénovation thermique sera un thème éligible au financement dédié à la formation d’InvestEU, sans chiffre annoncé, alors même que la Commission table sur la création de 160 000 emplois. 

Les financements climat sont augmentés mais de manière éclatée, peu lisible et insuffisamment fléchée vers la rénovation 

S’il convient de saluer l’effort européen historique en faveur de la relance et du climat, en l’absence d’un fond dédié, rien ne garantit encore les montants qui seront effectivement alloués à la rénovation. Par exemple, le plan de relance européen Next Generation EU comprend un fonds pour la reprise et la résilience doté de 672,5 milliards d’euros. 37 % de cette somme devrait être consacrée à des investissements en faveur du climat, ce qui englobe un grand nombre de politiques et de secteurs. Il en va de même pour le renforcement des fonds de cohésion à destination des régions et territoires les plus fragiles, à hauteur de 47,5 milliards de fonds additionnels d’ici 2023, ou encore la dotation de 20 milliards d’euros de garanties en faveur des infrastructures durables du programme de soutien à l’investissement privé InvestEU. Le programme Private Finance for Energy Efficiency, une initiative de la Banque européenne d’investissement et la Commission européenne, propose des lignes de crédit à une dizaine de banques nationales partenaires (Crédit coopératif en France) pour soutenir le financement de projets d’efficacité énergétique. Si la Commission évoque son intégration au sein d’InvestEU, aucun montant dédié à la rénovation énergétique performante n’a été avancé. Un fonds spécifique pour les investissements publics en matière d’efficacité énergétique, le European Energy Efficiency Fund, est quant à lui modestement doté de 140 millions d’euros, encore une fois non fléchés vers la rénovation. 

Une mise en œuvre qui dépendra fortement de la bonne volonté des Etats membres 

In fine, il est difficile d’anticiper les montants qui permettront réellement de soutenir l’investissement dans la rénovation performante dans les prochaines années. L’utilisation des fonds européens dépendra fortement des politiques nationales mises en œuvre. Alors que près de la moitié des Etats membres sont en retard dans la présentation de leur stratégie nationale de long terme pour la rénovation, et que la plupart de ceux qui se sont pliés à l’exercice présentent des déficiences importantes selon l’analyse du Building Performance Institute Europe, une plateforme de financement strictement dédiée à la rénovation performante au niveau européen aurait pu catalyser une meilleure dynamique au niveau national. 

Un manque de moyens financiers qui devrait être pallié par les financements exceptionnels consacrés à la relance, mais qui pose la question de l’après 

La « Vague de rénovation » annoncée par la Commission européenne souffre d’un manque de moyens financiers clairement fléchés vers la rénovation énergétique performante, qui permettrait d’accompagner un renforcement du cadre réglementaire et une meilleure sensibilisation des parties prenantes. Alors que selon l’institut indépendant Building Performance Institute Europe, les besoins de financements européens additionnels requis pour enclencher une dynamique positive s’élèvent à 90 milliards d’euros par an, ciblés sur la rénovation lourde et des services d’assistance technique pour les propriétaires, les investisseurs et des autorités publiques, la Vague de rénovation ne semble pas avoir les moyens de ses ambitions. Le Parlement européen, dans sa résolution du 17 septembre sur la maximisation du potentiel d’efficacité énergétique du parc immobilier de l’UE, appelait pour sa part que 75 milliards d’euros par an d’incitations européennes additionnelles étaient requises pour financer la Vague de rénovation et renforcer les capacités d’absorption de ces fonds9

La réflexion entamée ces derniers mois sur la création de nouvelles ressources propres à l’UE, au travers d’une taxe carbone aux frontières ou d’une taxe sur les transactions financières, donnent l’espoir d’un budget européen élargi qui permettrait un financement accru des politiques climat. En attendant, l’initiative « Vague de rénovation », à défaut de provoquer un tsunami, a le mérite de mettre ce secteur à l’honneur, et contribue aux efforts de structuration et de financement de la filière. La rénovation figure d’ailleurs parmi les priorités du plan de relance français France Relance, qui y consacrera 6,7 milliards d’euros (sur 100 milliards), a priori issu de l’enveloppe européenne issue de la facilité pour la reprise et la résilience.