Vienne. Pandémie oblige, l’élection régionale qui s’est tenue ce dimanche dans le Land de Vienne a vu près d’un tiers des électeurs opter pour le vote par correspondance1 tandis que la participation, à 63 %, s’établissait à un niveau nettement plus bas qu’en 2015, où presque trois-quarts des électeurs s’étaient rendus aux urnes.

L’élection s’annonçait comme un test pour le gouvernement rouge-vert dirigé depuis 2018 par Michael Ludwig (SPÖ, S&D), dont le parti accuse un retard de près de seize points, au niveau fédéral, sur le Parti populaire autrichien (ÖVP, PPE) du chancelier Sebastian Kurz. C’est donc avec une joie quelque peu ambiguë que la direction fédérale du parti, qui s’est efforcée durant les dernières semaines de ne pas « nationaliser » la campagne viennoise, a accueilli la victoire du gouvernement sortant. Avec 42,1 % (+2,5 pp) des voix selon les premières estimations, la SPÖ a en effet su consolider ses positions, de même que son partenaire écologiste, actuellement crédité de 14,1 % des suffrages (+2,2 pp). Les sociaux-démocrates font également la course en tête dans la majorité des arrondissements. Mais si ces bons résultats assurent à la coalition en place une solide majorité de 62 sièges sur 100 lors de la prochaine législature, c’est bien l’ÖVP, désormais premier parti d’opposition au Landtag, qui enregistre la plus forte progression : avec 18,8 % (+9,6 pp), le parti a su capitaliser sur la popularité du chancelier fédéral, dont la gestion de crise saluée par l’opinion a renforcé les positions. Contrairement à la SPÖ, que 64 % de ses électeurs ont plébiscité pour des raisons propres à la politique viennoise, la politique fédérale a joué dans la décision de 74 % des électeurs de l’ÖVP 2

Surtout, l’ÖVP a su capter une partie des électeurs perdus par le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, ID), formation néonationaliste anciennement dirigée par Heinz-Christian Strache, qui perd près des trois-quarts de ses électeurs pour s’établir à 7,7 % (-23,1 %). En mai 2019, suite à la diffusion de vidéos montrant Strache et son collègue Johann Gudenus négociant avec une fausse oligarque russe des financements illégaux pour leur parti (affaire dite « d’Ibiza »)3, la coalition fédérale entre ÖVP et FPÖ avait été rompue, Strache exclu du parti, et la perte de confiance dans la formation d’extrême-droite avait entraîné une série de débâcles électorales. À l’occasion de l’élection viennoise, l’ancien chef de la FPÖ, largement ostracisé depuis l’affaire, a pourtant tenté un retour sur la scène politique : sa liste Team HC n’a recueilli selon les estimations que 3,6 % des suffrages, et il semble exclu qu’elle atteigne les 5 % nécessaires à entrer au parlement du Land. En additionnant ces voix à celles de la liste officielle de la FPÖ, le résultat du camp néonationaliste s’établit à 11 %, soit un peu plus du tiers de celui qu’il avait obtenu en 2015.

Autre progression significative, celle du parti libéral NEOS (RE), qui, avec 7,8 % (+1,7 %), constitue désormais un autre allié potentiel pour les sociaux-démocrates : une majorité sociale-libérale réunirait en effet 56 sièges sur 100, contre seulement 49 lors de la dernière législature. Aucun nouveau parti de dépasse la barre des 5 % : la coalition de gauche radicale LINKS (GUE/NGL) et le satirique « parti de la bière » recueillent chacun 2 %, alors que le parti de centre-gauche Autriche sociale de l’avenir (SÖZ), qui entend représenter les intérêts de la minorité musulmane en Autriche, obtient 1,6 % des voix. Reste à voir comment le dépouillement des nombreux votes par correspondances affectera le résultat définitif, qui ne devrait être connu que lundi ou mardi.

La coopération rouge-verte, que les deux partis de la majorité ont dit être disposés à poursuivre et qui reste l’option la plus populaire dans l’électorat, pourra donc se maintenir. Cependant, s’il est définitivement acquis que la SPÖ dirigera nécessairement le prochain gouvernement régional, la participation des Verts à ce gouvernement est loin d’être certaine. Les sociaux-démocrates ont certes exclus toute coalition avec la FPÖ, et une Grande coalition avec l’ÖVP, qui domine actuellement la politique fédérale, leur serait peu favorable. En revanche, grâce à leurs bons résultats électoraux, les sociaux-démocrates pourraient envisager une coalition sociale-libérale avec les NEOS, sur la base d’une majorité parlementaire plus étroite. Le parti centriste cherche à développer son expérience exécutive, et il a déjà indiqué son souhait de participer au prochain gouvernement, posant pour seule condition l’obtention du portefeuille de l’éducation. Sa sensibilité sur les questions des société est proche de celle du SPÖ et des Verts, et la critique marquée des positions des conservateurs qu’il a développée ces derniers mois crée une convergence d’intérêts manifeste avec les sociaux-démocrates. En s’associant aux NEOS, les sociaux-démocrates s’assureraient une position ultra-dominante dans le futur gouvernement, tout en se distanciant des Verts associés à l’ÖVP au niveau fédéral4 – au risque de s’éloigner des souhaits de leur base, pour laquelle la coalition avec les verts reste une alliance naturelle. Les deux options sont donc sur la table. La SPÖ, qui aura le luxe de pouvoir choisir son partenaire de coalition, devrait dans tous les cas disposer d’un pouvoir de négociation accru lors des négociations gouvernementales à venir.

À partir de janvier 2021, le Grand Continent et le Groupe d’études géopolitiques documenteront de manière complète l’actualité électorale dans les États-membres, les régions et les grandes métropoles européennes. Dans ce cadre, nous vous proposerons un nouvel indicateur, dit « M15 », qui rend compte de la répartition des différents groupes politiques européens dans les parlements des 15 métropoles de plus d’un million d’habitants de l’Union européenne (dont Vienne fait partie) en proportion de leur population5. Cet indicateur permettra une vision d’ensemble des les équilibres et des convergences politiques au cœur de l’Europe urbaine (30 millions d’habitants, soit environ 7 % de la population de l’Union). En 2021, trois de ces métropoles (Berlin, Rome et Milan) renouvelleront leurs représentants.

Le graphique ci-dessus présente la répartition des groupes politiques, en proportion de la population, au sein du M15, ainsi qu’une comparaison entre cette répartition dans le Land de Vienne, en Autriche (chambre unique du parlement fédéral : Nationalrat), dans le M15 et au Parlement européen.

Sources
  1. 382.214 : Wahlkarten-Rekord bei Wien-Wahl, Die Presse, 9 octobre 2020.
  2. SPÖ klar vor ÖVP, FPÖ stürzt ab, ORF, 11 octobre 2020.
  3. ROS Simone, La chute de Strache compromet les plans européens de Kurz, Le Grand Continent, 19 mai 2019.
  4. HUBLET François, Turquoise-vert : les nouvelles couleurs de l’Autriche, Le Grand Continent, 30 décembre 2019.
  5. Vienne, Sofia, Prague, Berlin, Hambourg, Munich, Cologne, Madrid, Barcelone, Paris, Budapest, Rome, Milan, Varsovie, Bucarest.