Vienne. Dimanche 29 septembre au matin, Sebastian Kurz et Werner Kogler, chefs respectifs du Parti populaire autrichien (ÖVP, PPE) et des Verts (Verts/ALE), l’ont annoncé en personne : la formation d’une coalition gouvernementale dite « turquoise-verte » entre leurs deux partis est en passe d’aboutir1. La perspective d’une alliance entre conservateurs et écologistes, discutée depuis de longs mois à Vienne comme à Berlin, se concrétisera bien pour la première fois dans la capitale autrichienne. Le scénario laisse d’autant moins place au doute que Kurz et Kogler entendent agir vite : les derniers ajustements doivent être faits avant la nouvelle année, afin que le congrès fédéral des Verts, qui commence le 4 janvier, puisse valider l’accord gouvernemental ; l’intronisation du nouvel exécutif pourrait avoir lieu dès le 7 janvier prochain.

Les élections au Conseil national (Nationalratswahl) du 29 septembre dernier avaient donné à l’ÖVP de Sebastian Kurz une avance plus que confortable (37,5 %, +6 %), alors que son ancien partenaire de coalition, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, ID), subissait une défaite historique (16,2 %, -9,8 %). Le FPÖ, chassé de l’exécutif suite à l’« affaire d’Ibiza », tente depuis de prendre ses distances avec la figure de son ancien dirigeant, Heinz-Christian Strache. Alors que les sociaux-démocrates (SPÖ, S&D) étaient eux aussi en recul (21,2 %, -5,7 %), les Verts enregistraient une croissance historique (13,9 %, +10,1 %) et les libéraux de NEOS (RE) une hausse modérée (8,1 %, +2,8 %). Le pays était dirigé depuis le 3 juin par un gouvernement technique autour de l’ancienne présidente de la Cour constitutionnelle Brigitte Bierlein.

La répartition des portefeuilles s’est précisée dans les derniers jours, le programme définitif ne devant être dévoilé dans le courant de la semaine. En plus de la vice-chancellerie, les Verts contrôleront un ministère de l’environnement étendu, mais aussi ceux de la culture, des affaires sociales et de la justice, soit une part généreuse au vu de leur contribution parlementaire à la nouvelle majorité (27 %)2. Le nouveau ministère de l’Intégration sera probablement dirigé par Susanne Raab, docteur en droit et spécialiste des questions d’intégration, proche de l’ÖVP 3. Cette nomination est vue comme un signe de détente alors que les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, précédemment occupés par deux tenants de la ligne dure, Herbert Kickl et Karin Kneissl (FPÖ), reviennent au Parti populaire. L’évolution se fait l’écho des exigences d’ouverture ressenties pendant les derniers mois dans l’opinion publique autrichienne, alors que le FPÖ, qui peine à clarifier son positionnement, semble avoir perdu en légitimité, et que les thématiques écologiques se sont largement imposées. L’ÖVP elle-même avait axé une partie de son discours sur l’idée d’une « économie de marché écosociale », tentant de remettre au goût du jour le concept – essentiel dans la doctrine d’inspiration ordolibérale des chrétiens-démocrates allemands et autrichiens – d’« économie de marché sociale »4. De son côté, la négociatrice en chef des Verts a insisté sur l’importance du compromis et sur la qualité des discussions entre conservateurs et écologistes 5. Un dernier obstacle reste à franchir avec le vote, ce samedi, du congrès fédéral des Verts. L’instance, convoquée cette fois de manière exceptionnelle, est connu comme lieu d’expression de dissensions internes, qui avaient mené jusqu’au schisme en 2017 6.

L’année 2020 sera marquée par une série d’échéances électorales : à l’hiver au Burgenland, gouverné par une coalition entre SPÖ et FPÖ, et dans les municipalités de trois États fédéraux, et à l’automne à Vienne. Alors que l’ÖVP et les Verts se maintiennent encore dans les sondages à des niveaux encore supérieurs à leur performance de l’automne 2019, leur capacité à mener avec succès l’action gouvernementale pourrait être décisive pour un modèle politique dont le potentiel a été souvent souligné, mais qui n’a pas encore subi l’épreuve de responsabilités exécutives nationales.