Samos (Mer Egée), 26 septembre 2020 

En ce mois de septembre, la gestion désastreuse de la migration en mer Egée est mise en lumière par deux incendies qui ont dévasté les camp de migrants sur les îles de Samos et de Lesbos. Ces flammes doivent nous alerter.

Après le confinement national grec mis en place pour éviter la propagation du Covid-19 entre mars et mai 2020, une reprise de la vie «  d’avant  » s’annonçait : retour au travail, réunion de famille, vacances pour les plus chanceux… Tout un pays en effervescence s’apprêtait donc à se remettre en marche. Seulement, comme dans bon nombre de pays, la crise sanitaire s’est rapidement accompagnée d’une crise économique et sociale. Destruction d’emplois, réduction de la consommation et baisse du tourisme ont eu raison de plusieurs années d’austérité imposées par l’Union Européenne à la suite de la crise des dettes souveraines de 2012. Pour complexifier la situation, la république hellénique s’est engagée dans un conflit diplomatique avec la Turquie voisine – la dispute autour des ressources naturelles en mer Egée étant toujours assez inquiétante1. Occupé par la relance économique et par la défense de la souveraineté grecque sur le plan régional, le (très conservateur) premier ministre Kyriákos Mitsotákis ne s’est donc pas soucié des camps de Samos, Lesbos, Chios, Leros ou encore Kos. Tout portait pourtant à croire que la colère grandissait.

Occupé par la relance économique et par la défense de la souveraineté grecque sur le plan régional, le (très conservateur) premier ministre Kyriákos Mitsotákis ne s’est pas soucié des camps de Samos, Lesbos, Chios, Leros ou encore Kos.

Mathieu Lupus

Abandonnés par l’État grec et l’Union, les hotspots – véritables boucliers migratoires – ont une nouvelle fois dû compter sur l’aide des ONG. Ces dernières ont continué à travailler sans relâche pour adoucir les conditions de vie sur le terrain. Tentant tant bien que mal de soigner les symptômes de la crise, elles ont permis et permettent encore de venir en aide et parfois de redonner le sourire aux migrants abandonnés et cloîtrés dans les camps. Le centre Alpha sur l’île de Samos propose notamment à 400 demandeurs d’asile d’assister à des cours d’anglais, de français, de grec ou d’allemand chaque semaine. Le centre dispose également d’un espace entièrement réservé aux femmes avec des cours de langue, de couture et des ateliers divers2. Victimes d’une double domination liée à leurs conditions de femmes et de migrantes, celles-ci peuvent y trouver – le temps de quelques heures – un brin de confort. 

Les ONG, s’adaptant aux aléas conjoncturels, regorgent d’énergie et débordent d’idées. Mais elles n’ont pas le poids économique, l’assise politique et la puissance organisationnelle d’un État. Elles ne peuvent pas remplacer les pouvoirs publics. Et ça, les autorités grecques et les états membres de l’Union le savent très bien. Ces derniers doivent réagir et cesser de se dédouaner du travail sur place pour le laisser aux ONG.

Les ONG, s’adaptant aux aléas conjoncturels, regorgent d’énergie et débordent d’idées. Mais elles n’ont pas le poids économique, l’assise politique et la puissance organisationnelle d’un État. Elles ne peuvent pas remplacer les pouvoirs publics.

Mathieu Lupus

Au départ, cette décharge de responsabilité en matière de politique migratoire s’est effectuée au sein même de l’Union. L’accord Dublin II3, permettant de renvoyer les migrants dans le premier pays membre au sein duquel ils ont demandé l’asile, a ainsi été renégocié en 2013. Plutôt que de régler la crise ensemble, les États membres de l’Union ont repoussé le «  fardeau migratoire » sur les pays du pourtour méditerranéen comme l’Italie ou la Grèce en échange d’aides financières. En 2015, 853 0004 migrants débarquent sur le vieux continent et montrent l’incapacité des États du Sud à gérer la crise seuls. L’Union doit alors intervenir et repousser de nouveau la crise, en dehors de ses frontières cette fois-ci. Pour ce faire, elle passe un accord avec la Turquie5 en 2016 consistant notamment à renvoyer légalement au pays d’Erdogan tout demandeur d’asile n’ayant pas besoin d’une protection internationale. Un motif qui condamne une partie des migrants passés par la Turquie. La politique migratoire «  d’externalisation » s’effrite toutefois très rapidement. Les appels incessants d’ONG comme Help Refugees, les manifestations en Allemagne ou la médiatisation permettent notamment de politiser la crise. Mais qu’importe, l’Union et la Grèce gardent le cap. Ainsi, alors que les deux parties ne respectent plus l’accord UE-Turquie, Frontex et les garde-côtes grecs décident de se délester du droit de l’Union. En renvoyant illégalement les bateaux de migrants vers la Turquie6, le nombre d’arrivées officielles sur les îles de la mer Egée est de facto réduit à néant depuis le mois de mars. La politique jusqu’au-boutiste de la décharge a atteint son paroxysme.

La politique jusqu’au-boutiste de la décharge a atteint son paroxysme.

Mathieu Vigour

Ici, la routine est claire : d’une part, on reçoit, on identifie, on enferme dans des camps. De l’autre, on fait souffrir les corps et les coeurs. Il y a d’abord les corps ; agglutinés dans des bâtiments de taules, des tentes et des conteneurs entreposés dans une jungle, entre les déchets qui jonchent le sol, les excréments et les coulées de boues, les rats et les punaises de lit. Les conditions sanitaires sont déplorables, les toilettes et les douches insalubres, les maladies comme la galle infestent une bonne partie du camp – la laverie de Samos Volunteers le sait mieux que personne.

 

Et puis, il y a les cœurs. Des familles brisées, des mineurs isolés, des enfances envolées, des femmes harcelées, des hommes esseulés. Des procédures de demandes d’asile qui s’éternisent, condamnant les réfugiés à attendre sur la ligne verte sans date butoir. Des espoirs d’une vie meilleure qui s’envolent avec le temps qui passe. Cette violence finit par brouiller l’esprit. Les comportements au sein du camp s’enveniment. Les rapports conflictuels entre communautés, les logiques mafieuses internes, les accrochages avec les locaux semblent inévitables : tout peut prendre feu à tout instant. 

C’est précisément ce qui s’est passé lorsque le Covid-19 est arrivé, sur Lesbos d’abord, sur Samos ensuite. À peine les premiers cas décelés, les deux camps ont été placés en confinement complet. La dernière once de liberté, celle qui permettait aux demandeurs d’asile de se déplacer sur les îles s’était bel et bien envolée. Dans un dernier cri de douleur, des demandeurs d’asiles se sont immolés en ce mois de septembre 2020. Le feu s’est propagé très rapidement, conduisant à la panique générale. Des appels incessants à l’extinction des flammes, des habitants en détresse et des ONGs impuissantes. Sur Samos, les pompiers locaux, très réactifs, ont pu contrôler l’incendie, mais ils n’ont définitivement pas éteint la colère des habitants.

Dans un dernier cri de douleur, des demandeurs d’asiles se sont immolés en ce mois de septembre 2020. Le feu s’est propagé très rapidement, conduisant à la panique générale.

Mathieu Lupus

Sur Lesbos, le feu a ravagé 80 % du camp, laissant 13 000 personnes à la rue dans la nuit du 8 au 9 septembre 2020. Malgré le retentissement médiatique, les réponses politiques se font toujours attendre. Mais, cette fois-ci, les États et l’Union ne doivent pas avoir le choix. Ils doivent faire évacuer les camps7 et éteindre l’incendie.