Depuis le début de la crise sanitaire, l’AIE s’est imposée comme le fer de lance de la réconciliation des politiques économiques et climatiques, dans une certaine symbiose avec le plan de relance présenté par la Commission européenne à la fin du mois de mai1. Aujourd’hui, alors que les Etats déconfinent progressivement leur population et que l’activité économique reprend, et avec elle, les émissions de gaz à effet de serre, l’Agence publie son « Plan pour la relance durable »2 avec plusieurs recommandations-phares à destination des gouvernements autour de six secteurs-clés : l’électricité, les transports, l’industrie, les bâtiments, les carburants et l’innovation.
Trois objectifs sont poursuivis par le Plan : relance économique des économies affectées par le coronavirus, lutte contre le changement climatique, et développement des économies émergentes. En matière climatique, il s’agit plus particulièrement pour les gouvernements nationaux d’éviter le rebond des émissions de GES constaté après la crise économique de 2008-2009. Selon l’AIE, si la chute des émissions de CO2 précipitée par le coronavirus, « qui résulte d’un trauma économique, n’est pas à célébrer, elle fournit une base à partir de laquelle réduire structurellement les émissions ».
Selon l’AIE, l’industrie de l’énergie emploierait environ 40 millions de personnes dans le monde, dont 3 millions d’emplois supprimés ou risquant de l’être à cause de la crise du coronavirus. Par ailleurs, les investissements dans le secteur de l’énergie devraient diminuer 20 % en 2020. 3 millions d’emplois supplémentaires seraient à risque ou d’ores et déjà supprimés dans les secteurs de l’automobile, du bâtiment et de l’industrie. Il est donc d’autant plus urgent, pour l’AIE, d’oeuvrer en faveur de la création d’emplois durables, c’est-à-dire situés dans des secteurs d’activité renforçant la résilience économique et énergétique de nos sociétés — la résilience étant entendue au sens de capacité à résister et à répondre à une grande variété de menaces et de chocs, comme les catastrophes naturelles ou les les conflits géopolitiques. Parmi ces activités cités par l’AIE, le développement des infrastructures de réseaux, dont le rôle « d’interconnecteur » entre États est voué à prendre une place plus importante, à mesure de l’intégration des énergies renouvelables et de la digitalisation du système électrique3 ; infrastructures ou encore, l’extension de la durée d’exploitation des centrales nucléaires au-delà des limites réglementaires, et l’amélioration de l’efficacité énergétique, à travers des opérations de rénovation des bâtiments.
Toujours selon l’AIE, la mise en oeuvre d’un ensemble de politiques publiques et d’investissements ciblés, sur la période allant de 2021 à 2023, pourrait s’inscrire au service de la relance économique mondiale, en rapportant environ 1,1 % de croissance par an. Sur le plan climatique, il pourrait contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 4,5 milliards de tonnes — par rapport aux 33 milliards de tonnes émises en 20194 — et réduire la pollution de l’air à hauteur de 5 %. Enfin, sur le plan du développement, 270 millions de personnes pourraient obtenir l’accès à l’électricité et 420 millions de personnes pourraient se doter de combustibles propres et efficaces pour cuisiner.
Le coût de ce plan est évalué, selon l’Agence, à environ 1 trillion d’euros par an sur les trois prochaines années à l’échelle mondiale, soit 0,7 % du PIB mondial, réparti entre efforts publics (300 milliards de dollars annuels de budgets publics) et privés (de l’ordre de 700 milliards d’investissements privés). Pour rappel, et à titre de comparaison, le Pacte vert européen prévoit, lui, de mobiliser un total de 1000 milliards d’euros sur 10 ans, dont plus de 500 milliards au titre du budget européen pour les deux prochaines périodes, 2021-2027 et suivant.
La « relance durable » est un argument politique fort pour convaincre les gouvernements qu’au-delà de la notion de nécessité de lutter contre le changement climatique, il est non seulement possible, mais préférable, d’investir dès aujourd’hui dans la transition énergétique et écologique. C’est pourquoi, au coeur du rapport de l’AIE, se trouve la notion de création d’emplois. Les recommandations de l’agence relatives à toutes les thématiques étudiées sont adossées à des indicateurs de potentiel de création d’emplois et d’impact des investissements par technologie. Aussi, en matière de gain énergétique dans le secteur du bâtiment, chaque million de dollars investi dans les rénovations du parc existant représenterait un potentiel de 10 à 31 emplois, contre 9 à 28 emplois par million investi dans les constructions neuves, et entre 7 et 16 emplois par million investi dans des appareils électroménagers plus performants, et des outils de maîtrise de la consommation électrique. L’efficacité énergétique occupe une place prépondérante dans le plan de l’AIE, qui lui accorde un tiers du montant annuel d’investissement public préconisé
La lecture du rapport de l’AIE laisse transparaître deux mots-clés au coeur de la rhétorique pour la lutte contre le changement climatique dans la perspective inédite et menaçante de la crise du coronavirus : création de valeur et résilience. En creux de ce discours se dégage la conscience que les ressources financières, notamment publiques, sont particulièrement limitées dans un environnement macroéconomique sous pression. La transition écologique apparaît alors comme une cause juste, certes, mais également comme l’allocation la plus pertinente de ces ressources limitées : à court terme, par l’investissement dans la création d’emplois locaux et non-délocalisables ; à long terme, parce qu’un dollar dépensé aujourd’hui coûte moins cher qu’un dollar dépensé demain, a fortiori s’il est investi dans une technologie rentable et décarbonée.
Le rapport de l’AIE5 recense un certain nombre de mesures dans les six secteurs analysés :
- des mesures de soutien à certaines technologies (comme l’hydrogène, les batteries, les réacteurs nucléaires modulaires ou encore la capture et le stockage de carbone)
- des réformes (en matière de subventions aux énergies fossiles, ou d’incitation au changement de véhicule individuel)
- la priorisation de certains investissements (en faveur des infrastructures urbaines, des réseaux ferroviaires à grande vitesse, ou encore d’extension et de modernisation des réseaux électriques).
La modélisation du potentiel de création de valeur, notamment en termes d’emplois, apparaît comme la force de ce rapport dont l’ambition est d’impulser une dynamique d’investissement ambitieuse et durable, à rebours du réflexe austéritaire qui a présidé à la réponse politique internationale lors de la crise de 2008. Aussi ambitieux soit-il, ce rapport présente une faiblesse : malgré la démonstration des bénéfices de la relance durable, les recommandations restent générales et contingentées au périmètre direct des six secteurs analysés. De ce fait, certaines politiques emblématiques, comme la taxation du carbone, demeurent hors-champ. Le sommet de l’AIE du 9 juillet prochain devrait être l’occasion de développer les politiques publiques présentées par le rapport et les conditions de leur mise en oeuvre.
Perspectives :
- Le IEA Clean Energy Transitions Summit du 9 juillet 2020 sera l’occasion de réunir les parties prenantes internationales — gouvernements, entreprises et investisseurs — à la démarche de l’AIE autour de la mise en oeuvre des recommandations du rapport
Sources
- SANCHO H., Le plan de relance de la Commission européenne est-il vraiment « vert, Le Grand Continent, 07/06/2020
- Energy security – Areas of work, Agence internationale de l’énergie, mis à jour le 02/12/2019
- CABOT C., Covid-19 et marché de l’électricité : quelles conséquences à long terme ?, Le Grand Continent, 02/05/2020
- Global CO2 emissions in 2019 – Analysis, Agence internationale de l’énergie, 11/02/2020
- Sustainable Recovery. World Energy Outlook Special Report, Agence internationale de l’énergie, 06/2020