La Commission européenne a annoncé mercredi 27 mai un plan ambitieux pour relancer l’économie européenne après la crise du COVID-19 et un nouveau cadre financier pluriannuel pour les années 2021-2027. Le plan de relance, inédit car il prévoit de créer de la dette européenne pour financer la solidarité européenne, se targue aussi de mettre le Green Deal au centre de sa démarche. Alors que certains lobbys veulent mettre en pause l’action environnementale, et que les ONGs et une partie du monde politique veulent au contraire l’accélérer, la proposition de la Commission était très attendue.
Cette proposition met à jour la position de mai 2018 de la Commission européenne sur le budget européen. Depuis, le nouveau collège des commissaires entré en fonction fin 2019 présente le Green Deal comme la stratégie de croissance de l’Europe, ce qui soulève la question de l’engagement environnemental de ce nouveau budget par rapport au précédent.
Tout d’abord, la Commission ne souhaite pas augmenter son objectif de 25 % des dépenses allouées à la politique climatique, mais la taille totale du budget augmente : 1100 milliards d’euros pour le budget 2021-2027 et 750 milliards (dont 500 milliards de subventions directes) pour le plan de relance, comparé à 1279 milliards dans sa proposition de 2018. Au-delà des 25 % d’investissements « verts » visés par le budget, il faudra s’assurer que les 75 % restants n’aient pas un mauvais impact sur l’environnement : c’est là que s’exerce le principe du « do no harm » (« ne pas nuire à l’environnement »). Ce principe est présenté comme fondamental et au cœur du plan de relance, mais tout l’enjeu réside dans les détails. Le principe de « ne pas nuire à l’environnement » est défini dans le réglement sur la taxonomie verte comme le fait qu’une activité économique sur son cycle de vie ne nuise à aucun des six objectifs environnementaux suivants : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la protection de l’eau, le développement d’une économie circulaire, la lutte contre la pollution et la préservation de la biodiversité. Toutefois, pour avoir un effet, ce principe doit pouvoir être appliqué en empêchant la relance des activités polluantes par les États. Or si un État membre prévoit de relancer fortement son industrie fossile, est-ce que les institutions européennes pourront réagir ?
Les aides d’États encadrées par des conditions assez floues
Les investissements devront être guidés par les priorités identifiées dans trois cadres européens : le semestre européen, le système de coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres de l’UE ; les plans énergie-climat nationaux, trajectoires climatiques élaborées par les États ; et les plans pour la transition juste, qui ont pour but d’accompagner socialement la transition énergétique dans les régions européennes les plus touchées. En parallèle, la Commission indique que la taxonomie sur la finance durable sera utilisée pour guider les investissements, appuyée par une nouvelle stratégie pour la finance durable qui devrait sortir d’ici à la fin de l’année.
En pratique, les Etats membres devront soumettre à la Commission des plans de relance et de résilience et celle-ci sera chargée de les évaluer, au regard de multiples critères1. Si ces critères ne sont pas respectés, aucune contribution financière ne pourra être allouée à l’État concerné pour le plan de relance. Toutefois, ces critères ne sont pas uniquement environnementaux. Hormis le critère de contribuer à la transition verte (et à la transition numérique), seront évalués le respect des réformes structurelles issues des recommandations du Semestre européen, ainsi que l’impact durable du plan de relance, en termes de croissance et d’emploi ou encore la crédibilité du calendrier et des objectifs du plan. Si un plan de relance national remplit d’autres critères, il pourrait donc être validé avec des objectifs environnementaux minimes. C’est ce qui inquiète la Fondation Nicolas Hulot, pour qui la bataille qui va s’engager sur les conditions de l’usage de cet argent européen sera déterminante : « Le critère ‘do no harm’ [qui ne nuit pas à l’environnement] devra être confirmé par une exclusion stricte des investissements dans les énergies fossiles. Et il faudra aller au-delà en priorisant les investissements primordiaux, alliant emploi et transition : rénovation des bâtiments, transports durables ou conversion agro-écologique en tête. »2.
Il est aussi pertinent d’analyser qui va être chargé de la validation de ces plans de relance nationaux. La procédure proposée par la Commission, appelée acte d’exécution, affecterait le pouvoir de décision à la Commission et donnerait un droit de veto à la majorité qualifiée au Conseil. Le Parlement, organe démocratique de l’Union européenne, n’aurait par contre aucun moyen d’agir sur ces décisions. Les seuls obligations vis-à-vis du Parlement seraient de lui fournir un rapport annuel évaluant le progrès des plans de relances et d’évaluations indépendante du mécanisme au milieu et après sa mise en place. Selon Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Jacques Delors Energy Centre, la négociation de cet instrument de relance et de résilience est le moment clé du Parlement européen pour s’imposer, assurer le contrôle parlementaire sur l’allocation de l’argent et fournir des critères environnementaux plus stricts en lien avec le Green Deal.
De nouveaux instruments pour la transition écologique
La nouvelle proposition de budget européen se veut néanmoins ambitieuse dans ses investissements dans la transition écologique, en renforçant des programmes et initiatives existantes et en créant de nouveaux instruments financiers. Les montants sont plus élevés et pourront accélérer la transition écologique et l’amélioration de la résilience des économies, mais il faudra observer en détail comment sont affectés les dépenses d’infrastructures afin qu’elles soient effectivement orientées vers des technologies peu carbonées.
L’augmentation la plus importante est celle du Fond pour la transition juste, qui passe de 7,5 milliards à 40 milliards : ce fond a pour but d’accompagner socialement la transition écologique, l’emploi et la formation, dans les régions les plus touchées (en particulier en Pologne et en Allemagne pour accompagner la sortie du charbon).
Le programme de garanties européennes InvestEU, qui devait remplacer le Fond européen pour l’investissement stratégique (FEIS), élément clé du Plan Juncker après la crise de l’euro, voit aussi son rôle s’amplifier, avec 31,6 milliards au lieu de 15,2 milliards. La philosophie est la même, les fonds publics servent de garanties pour attirer et multiplier les financements publics et privés, en misant sur l’effet de levier pour générer des centaines de milliards d’investissements. A ce titre, le budget lié aux infrastructures sera doublé, notamment pour accompagner la « Vague de rénovation » du bâtiment qui se veut massive (rythme de rénovation deux fois plus rapide). Il faudra toutefois être attentif à la destination de ces investissements dans les infrastructures, le FEIS ayant été décrié par ses investissements importants dans les infrastructures gazières3.
Par ailleurs, la moitié du budget d’InvestEU sera consacré aux chaînes de valeur stratégiques, dans le but de créer des industries européennes dans les secteurs clé de la transition énergétique : énergies renouvelables comme l’éolien offshore, hydrogène et stockage de l’énergie, notamment à travers l’alliance des batteries et l’alliance pour un hydrogène propre, deux projets regroupant des entreprises de plusieurs pays européens4. Les infrastructures de recharge de voitures électriques pourront aussi être financées par ces fonds. Le programme pour la recherche Horizon Europe sera augmenté de 11 milliards pour atteindre 94,4 milliards d’euros afin d’accélérer la recherche dans les technologies bas carbone. Ce montant reste significativement inférieur aux demandes du monde académique et de la recherche ainsi qu’à la proposition du Parlement européen de 120 milliards. Le Mécanisme pour l’interconnexion énergétique en Europe, qui finance le développement des réseaux d’électricité et de gaz transeuropéens, sera au contraire réduit de 1,5 milliards pour atteindre 5,2 milliards, alignant ainsi la position de la Commission avec la proposition du président du Conseil début 2020.
La protection et la restauration de la biodiversité sont primordiaux pour empêcher l’émergence d’épidémie comme celle du COVID-19, c’est pourquoi la Commission souhaite renforcer sa stratégie pour la biodiversité en 2030 en mobilisant 10 milliards pour le capital naturel et l’économie circulaire, via InvestEU. Le Fond européen agricole pour le développement rural (FEADR), un instrument de financement de la PAC, sera augmenté de 15 milliards, mais ici encore tout dépendra de la manière dont sera utilisé l’argent.
Les nouvelles ressources propres de l’UE : un moyen de faire payer plus largement les impacts environnementaux
Pour financer ces nouveaux projets de relance et de résilience, la Commission prévoit d’emprunter 750 milliards sur les marchés financiers. Cet emprunt devra être remboursé à partir de 2028 et la Commission laisse la porte ouverte sur les modalités de remboursement de ces sommes, qu’elle envisage selon trois modalités possibles : un accroissement progressif de l’ensemble des contributions nationales au budget de l’UE, une réduction des dépenses européennes ou le déploiement de nouvelles ressources propres.
Parmi ces nouvelles ressources propres potentielles figurent plusieurs taxes écologiques qui étaient déjà débattues mais qui n’avaient pas été encore concrétisées. La Commission doit faire une proposition de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui vise à faire payer le même prix du carbone aux importations, mi-2021 et ce mécanisme pourrait rapporter 14 milliards d’euros par an. L’élargissement du marché carbone européen aux secteurs du transport maritime et aérien pourrait rapporter 10 milliards par an, et la Commission propose toujours d’orienter 20 % des revenues du marché carbone vers le budget européen et non les budgets nationaux. Une taxe sur les déchets plastiques non recyclés, déjà proposée en 20185 et qui avait reçu un bon accueil des États membres6, est toujours envisagée, avec 7 milliards d’euros par an à la clé. Ces revenus qui viendraient directement abonder le budget européen seraient une vraie innovation pour le Continent tout en pénalisant les comportements polluants.
Ambitieux par sa taille et par ses innovations (dette européenne, ressources propres), le budget européen reste incertain sur son effet environnemental. Les erreurs de 2009, où la relance a voulu investir dans les énergies propres mais où l’argent a finalement relancé toute l’économie sans distinction, pourraient se reproduire. Les conditions imposées aux États membres sur l’utilisation des fonds du plan de relance sont pour l’instant minces, mais pourraient évoluer au fil des négociations avec le Parlement et le Conseil.
Perspectives
- Le plan de relance proposé par la Commission est ambitieux et comporte des investissements importants pour la transition écologique, notamment dans le Fond pour la transition juste, InvestEU et le FEADR
- Les conditions environnementales de la relance des secteurs polluants sont pour l’instant peu précises et cela pourrait compromettre l’objectif avancé
- Cette proposition est la première étape dans la négociation du budget européen, son contenu sera amené à évoluer avec l’apport du Conseil (au prochain Conseil européen le 19 juin) et du Parlement
- Ce budget est primordial car il donne le cadre à l’action européenne durant les sept prochaines années, soit une éternité à l’échelle de l’urgence climatique.
Sources
- Commission européenne, Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council establishing a Recovery and Resilience Facility, 28/05/2020
- A saisir : plan de relance européen pour financer la transition écologique, Actu-environnement, 27/05/2020
- Bankwatch Network, Not worth celebrating yet ?, 01/10/2019
- Énergie : après l’Airbus des batteries, l’Airbus de l’hydrogène propre ?, Actu transport logistique, 18/03/2020
- Commission européenne, Ressources propres pour 2021-2027, 02/05/2018
- ’Broad support’ for EU-wide plastic tax, Euractiv, 16/10/2019